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Réforme de l’État : un débat cadenassé

Numéro 6 Juin 2013 par Donat Carlier

juin 2013

En déci­dant de répondre posi­ti­ve­ment à la pro­po­si­tion de Jéré­my Dodeigne, Min Reu­champs et Dave Sinar­det de publier leur ana­lyse des visions des par­le­men­taires fédé­raux et régio­naux sur la réforme de l’État, en même temps que la revue Samen­le­ving en poli­tiek, La Revue nou­velle a vou­lu docu­men­ter le débat rela­tif à l’avenir de l’architecture ins­ti­tu­tion­nelle belge. Cette recherche contribue […]

En déci­dant de répondre posi­ti­ve­ment à la pro­po­si­tion de Jéré­my Dodeigne, Min Reu­champs et Dave Sinar­det de publier leur ana­lyse des visions des par­le­men­taires fédé­raux et régio­naux sur la réforme de l’État, en même temps que la revue Samen­le­ving en poli­tiek1, La Revue nou­velle a vou­lu docu­men­ter le débat rela­tif à l’avenir de l’architecture ins­ti­tu­tion­nelle belge.

Cette recherche contri­bue tout d’abord uti­le­ment à décons­truire un cer­tain nombre d’idées pré­con­çues sur le posi­tion­ne­ment des poli­tiques et pas seule­ment sur le plan ins­ti­tu­tion­nel. S’il n’y a pas deux blocs com­mu­nau­taires homo­gènes en la matière, il n’y a pas plus de monde poli­tique homo­gène (les « poli­ti­ciens » face aux « citoyens »), ni de par­tis dans les­quels les élus pen­se­raient tous de la même manière.

Elle rap­pelle ensuite que, même si le cli­vage com­mu­nau­taire est pré­do­mi­nant en Bel­gique, les posi­tion­ne­ments poli­tiques sont tout autant, et de manière inex­tri­ca­ble­ment mêlée, influen­cés par d’autres fac­teurs : le cli­vage socioé­co­no­mique, le cli­vage « phi­lo­so­phique » (et les inté­rêts des piliers, même en perte de vitesse), mais aus­si bien évi­dem­ment les stra­té­gies de pou­voir et, de plus en plus, les dyna­miques propres aux « démo­cra­ties de l’opinion ». C’est en se pen­chant de manière pré­cise sur les dif­fé­rentes thé­ma­tiques abor­dées dans la réforme de l’État que l’on s’aperçoit qu’un enjeu n’est pas l’autre et que l’attitude des par­le­men­taires ne sera pas sys­té­ma­ti­que­ment et à prio­ri oppo­sée ou favo­rable à l’autonomie des enti­tés fédé­rées : cette atti­tude dépend en réa­li­té aus­si d’autres dimen­sions qu’il s’agit de per­ce­voir si l’on veut encore aug­men­ter les pos­si­bi­li­tés de négo­cia­tions et de compromis.

Plus sub­stan­tiel­le­ment, les résul­tats per­mettent de cor­ri­ger l’image habi­tuel­le­ment construite des élus des dif­fé­rents par­tis sur la thé­ma­tique de la réforme de l’État. Leurs posi­tions rela­tives sont plus nuan­cées que ce que lais­se­raient pen­ser les com­mu­ni­qués offi­ciels de leur par­ti et le récit média­tique. On savait que, par exemple, le MR (le par­ti) avait évo­lué puisqu’il avait même un temps lan­cé des perches à la N‑VA sur la base de pro­grammes socioé­co­no­miques, on s’étonne mal­gré tout du fait que ses par­le­men­taires semblent prêts à aller bien plus loin que ceux du PS dans l’autonomie des Régions et Com­mu­nau­tés. Cette adhé­sion à une nou­velle vision de la Bel­gique pour­rait donc être plus pro­fonde qu’une stra­té­gie de pou­voir momen­ta­née. On savait le champ poli­tique fla­mand bien évi­dem­ment plu­riel… comme dans toute socié­té ; mais s’il n’y a pas de pen­sée unique de la dé-fédé­ra­li­sa­tion à tout crin (hor­mis au Vlaams Belang et à la N‑VA), les autres par­tis sont assez proches entre eux et peu dis­tants du point d’équilibre francophone.

Si ces ana­lyses sont impor­tantes, c’est parce que le débat sur la réforme de l’État est aujourd’hui à la fois et para­doxa­le­ment omni­pré­sent et atone. Il est en réa­li­té com­plè­te­ment téta­ni­sé par la posi­tion objec­tive de la N‑VA, mais éga­le­ment par le dis­cours qui est tenu sur elle et qu’elle encou­rage habi­le­ment. La mise en œuvre de la nou­velle réforme de l’État et, sur­tout, la situa­tion éco­no­mique et la pres­sion euro­péenne encou­ra­geant à appro­fon­dir les poli­tiques struc­tu­relles d’austérité contri­buent éga­le­ment à repous­ser le débat à mener sur la meilleure manière de pré­pa­rer et anti­ci­per les élec­tions de l’an pro­chain et leurs consé­quences. S’il est fort pro­bable que la N‑VA fini­ra bien par bais­ser, et sauf à prendre ses dési­rs pour des réa­li­tés, la ten­dance actuelle lui pro­met cepen­dant l’an pro­chain un score plus éle­vé qu’en 2010. Le blo­cage sera néces­sai­re­ment plus impor­tant, les par­tis des deux bords moins enclins et aptes à nouer des com­pro­mis. Les déci­sions qui sor­ti­ront de telles négo­cia­tions seront soit radi­cales et défi­ni­tives, soit encore plus bis­cor­nues et com­plexes à mettre en œuvre, ali­men­tant ain­si le pro­blème ins­ti­tu­tion­nel belge et les dénon­cia­tions sim­plistes d’un par­ti comme la N‑VA.

Comme les cher­cheurs le sou­lignent dans l’entretien qui suit leur étude, celle-ci deman­de­rait à être croi­sée avec une ana­lyse fine des pro­ces­sus de déci­sion internes à chaque par­ti et des dyna­miques de négo­cia­tion. Car ce qui est frap­pant dans les échanges que nous avons eus avec eux, c’est non seule­ment de voir que les posi­tions des par­le­men­taires semblent plus diverses et évo­lu­tives que celles de leur par­ti, mais com­bien ces posi­tions sont cade­nas­sées par la par­ti­cra­tie. L’emprise des modes de fonc­tion­ne­ment des par­tis mène cer­tains élus jusqu’à la « schi­zo­phré­nie », constatent-ils.

Il y a, et il y aura encore et tou­jours, poten­tiel­le­ment du jeu dans le posi­tion­ne­ment des élus de chaque Com­mu­nau­té et Région dans notre démo­cra­tie, ce qui nuance le carac­tère domi­nant de sa ten­dance à l’éclatement. Mais encore pour rendre la parole de ces élus et nour­rir l’espace public de cette diver­si­té de posi­tions, faut-il être en mesure de la libé­rer ins­ti­tu­tion­nel­le­ment. Contour­ner l’écueil de l’emprise des par­tis ne sera pas simple.

Il est néces­saire de recon­naitre la puis­sance des images sim­plistes dans l’opinion publique et de bien ana­ly­ser ses consé­quences poten­tielles tout par­ti­cu­liè­re­ment en vue de 2014. Mais il est tout aus­si indis­pen­sable de ne jamais renon­cer à trans­for­mer ces per­cep­tions parce qu’elles sont délé­tères pour la démo­cra­tie. Les décons­truire per­met de mieux per­ce­voir le jeu qui sub­siste dans la négo­cia­tion ; le faire publi­que­ment aug­mente ces pos­si­bi­li­tés et contri­bue à sor­tir des logiques tac­tiques de blocs (Plan B ou réso­lu­tions fla­mandes) pour retrou­ver la capa­ci­té de déli­bé­rer et poser des choix.

  1. Voir le site de Samen­le­ving en poli­tiek sur www.stichtinggerritkreveld.be/.

Donat Carlier


Auteur

Né en 1971 à Braine-le-Comte, Donat Carlier est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1997. Actuellement Directeur du Consortium de validation des compétences, il a dirigé l’équipe du Bassin Enseignement Formation Emploi à Bruxelles, a conseillé Ministre bruxellois de l’économie, de l’emploi et de la formation ; et a également été journaliste, chercheur et enseignant. Titulaire d’un Master en sociologie et anthropologie, ses centres d’intérêts le portent vers la politique belge, et plus particulièrement l’histoire sociale, politique et institutionnelle de la construction du fédéralisme en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. Il a également écrit sur les domaines de l’éducation et du monde du travail. Il est plus généralement attentif aux évolutions actuelles de la société et du régime démocratiques.