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Benoît Lechat (1960 – 2015)

Numéro 2 - 2015 par Donat Carlier Pascal Fenaux Thomas Lemaigre Luc Van Campenhoudt

mars 2015

Com­ment envi­sa­ger La Revue nou­velle sans Benoît ? Son départ bru­tal laisse un trou béant dans cette aven­ture col­lec­tive qu’il a rejointe en 1993. En plus de vingt ans, son intel­li­gence, son enthou­siasme, sa force de tra­vail, son écri­ture, son regard, son sou­rire en coin nous étaient deve­nus indis­pen­sables et ne fai­saient qu’un avec les ami­tiés indéfectibles […]

Le Mois

Com­ment envi­sa­ger La Revue nou­velle sans Benoît ? Son départ bru­tal laisse un trou béant dans cette aven­ture col­lec­tive qu’il a rejointe en 1993. En plus de vingt ans, son intel­li­gence, son enthou­siasme, sa force de tra­vail, son écri­ture, son regard, son sou­rire en coin nous étaient deve­nus indis­pen­sables et ne fai­saient qu’un avec les ami­tiés indé­fec­tibles qu’il a nouées autour de cette expé­rience com­mune. Benoît a tou­jours eu La Revue nou­velle che­villée au corps parce qu’elle était pour lui une forme d’engagement essen­tiel dans le débat public. Der­rière cet enga­ge­ment se cachait une de ses convic­tions fortes et constantes : la démo­cra­tie exige un acte de foi radi­cal, indi­vi­duel et collectif.

Avec Ben, tout par­tait d’un débat : au comi­té de la revue, lors d’un café poli­tique, au res­tau­rant, ou encore dans sa cui­sine où, tablier autour de la taille, un verre à la main, il tour­nait dans sa cas­se­role en fonte tan­dis qu’il cau­sait fédé­ra­lisme, Alle­magne, phi­lo­so­phie, déve­lop­pe­ment wal­lon, jour­na­lisme, gauche fla­mande, éco­lo­gie1, his­toire (et dés-his­toire), Europe… Ses yeux pétillaient de plai­sir quand le débat pre­nait, pro­vo­quait des cré­pi­te­ments, quelques étin­celles par­fois, voire des sor­ties d’une féro­ci­té des plus réjouissantes.

Chez Ben, le fond rejoi­gnait la forme. Sa plume élé­gante, claire, effi­cace, et cin­glante lorsqu’il le fal­lait, résu­mait des ques­tions dif­fi­ciles en quelques phrases, tou­jours courtes — son expé­rience de jour­na­liste. Son obses­sion a tou­jours été de cla­ri­fier le débat, mais jamais à la manière d’un péda­gogue sen­ten­cieux et sim­pliste. Il a appor­té ses éclai­rages via des grilles de lec­ture inédites, non confor­mistes, des­ti­nées à faire réagir, à pro­vo­quer par­fois. Il pen­sait en « rup­ture » : bien que sa culture, sa conscience poli­tique et ses acti­vi­tés poli­tiques fussent énormes, le rap­port qu’il entre­te­nait avec l’espace public en fai­sait avant tout un intellectuel.

S’il y a autant d’énergie dans ce qu’il écri­vait, c’est parce qu’il croyait pro­fon­dé­ment que la démo­cra­tie devait être forte, por­tée par le cou­rage. Com­bien de fois ne nous a‑t-il pas fait relire ce texte de Jacques Leclercq, cofon­da­teur de La Revue nou­velle, sur l’indispensable « Ver­tu de force », paru en 1945 dans le pre­mier numé­ro. S’adressant à la démo­cra­tie qui se rele­vait du désastre de la Deuxième Guerre mon­diale, Jacques Leclercq y sou­li­gnait que « les mal­heurs menacent ceux qui n’osent pas regar­der en face les orages qui s’annoncent ». Les défis inédits que doivent rele­ver nos socié­tés après les atten­tats contre Char­lie Heb­do à Paris le rendent d’une actua­li­té brulante.

Cette exi­gence d’un sur­croit de luci­di­té, Benoît se l’est avant tout assi­gnée à lui-même ; il nous y a exhor­tés, Wal­lons et Bruxel­lois. Il cher­chait d’abord à inter­pe­ler cette « mino­ri­té fran­co­phone telle qu’elle s’ignore » et le conser­va­tisme qui, d’une cer­taine manière, l’anime. Charles Mous­by, Simon Grenz­mann, André Jackals, les dif­fé­rents pseu­dos qu’il a uti­li­sés dans la revue — comme le nom du col­lec­tif Gou­pil auquel il par­ti­ci­pait dans les années 1990 avec Théo Hachez, Ber­na­dette Wynants, Abra­ham Frans­sen, Chris­tophe Derenne — fai­saient réfé­rence à André Renard, au fédé­ra­lisme wal­lon, à ce pays aux mul­tiples fron­tières internes qui tra­ver­saient per­son­nel­le­ment ce Wal­lon né à Eupen, habi­tant Bruxelles, ce régio­na­liste cos­mo­po­lite, cet Euro­péen fran­co­phone pas­sion­né par l’Allemagne et la Flandre.

Benoît esti­mait que « l’impasse dans laquelle la Bel­gique est coin­cée s’explique autant par l’énorme dif­fi­cul­té des par­tis fran­co­phones à conce­voir un ave­nir auto­nome sans la Flandre et la Bel­gique que par l’irrésistible pro­grès du natio­na­lisme fla­mand ». Le fédé­ra­lisme régio­nal et radi­cal, prô­né par Benoît, n’était pas moti­vé par le mépris envers la Flandre, ni par la peur, la revanche ou l’hostilité. Il aspi­rait éga­le­ment à une telle auto­no­mie pour les Wal­lons, les Bruxel­lois, les ger­ma­no­phones, autre­ment dit il rêvait d’une libé­ra­tion qui, pour Fran­çois Per­in, « est aus­si un moyen de se mettre soi-même au pied du mur ». Cette convic­tion, qui a fon­dé son enga­ge­ment dans la revue, s’est for­gée chez lui au début des années nonante en sui­vant les grèves ensei­gnantes et étu­diantes : à pro­pos du pro­ces­sus de régio­na­li­sa­tion de la Bel­gique, il écri­vait qu’«avoir pen­sé le redé­ploie­ment wal­lon indé­pen­dam­ment de la culture était sans doute une erreur his­to­rique à laquelle on com­mence seule­ment à mettre un terme… il eût sans doute mieux valu com­men­cer par l’enseignement ».

Ce qui nous a tou­jours frap­pés chez lui, c’est sa façon de lire la réa­li­té (wal­lonne en par­ti­cu­lier) à la lumière de ses convic­tions et de ses uto­pies. Cette lec­ture était l’inverse du clas­sique aveu­gle­ment par l’idéologie. Pour Ben, c’est à la lumière de ce qui serait pos­sible (davan­tage d’autonomie ins­ti­tu­tion­nelle, refonte du sala­riat, tran­si­tion éco­lo­gique, radi­cal-démo­cra­tie) qu’on mesure à quel point la réa­li­té qu’on a sous les yeux est inache­vée et inac­cep­table, et aus­si qu’on doit l’examiner de près, tou­jours curieux, pour déce­ler ce qui peut y pré­fi­gu­rer l’avenir. C’est au nom de cette néces­saire luci­di­té, que Ben a com­bat­tu la « dés-his­toire » : notre mécon­nais­sance de nous-mêmes, soi­gneu­se­ment entre­te­nue, était, pour lui, la racine de notre iner­tie et de notre alié­na­tion. Le sou­ci de se connaitre col­lec­ti­ve­ment est à la fois une mise en mou­ve­ment et une libération.

Tu n’es pas entré dans l’Histoire, Ben, tu y as tou­jours été.

On reli­ra dans ce numé­ro « Soli­da­ri­té, condes­cen­dance, estime. Sor­tir de la fosse aux Wal­lons » et « Après le cré­pus­cule des plom­biers, l’aurore des archi­tectes ».

  1. Benoît Lechat venait de ter­mi­ner le pre­mier tome de son livre, Éco­lo, la démo­cra­tie comme pro­jet. Tome I : 1970 – 1986. Du fédé­ra­lisme à l’écologie, édi­tions Étopia.

Donat Carlier


Auteur

Né en 1971 à Braine-le-Comte, Donat Carlier est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1997. Actuellement Directeur du Consortium de validation des compétences, il a dirigé l’équipe du Bassin Enseignement Formation Emploi à Bruxelles, a conseillé Ministre bruxellois de l’économie, de l’emploi et de la formation ; et a également été journaliste, chercheur et enseignant. Titulaire d’un Master en sociologie et anthropologie, ses centres d’intérêts le portent vers la politique belge, et plus particulièrement l’histoire sociale, politique et institutionnelle de la construction du fédéralisme en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. Il a également écrit sur les domaines de l’éducation et du monde du travail. Il est plus généralement attentif aux évolutions actuelles de la société et du régime démocratiques.

Pascal Fenaux


Auteur

Pascal Fenaux est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1992. Sociologue, il a poursuivi des études en langues orientales (arabe et hébreu). Il est spécialiste de la question israélo-palestinienne, ainsi que de la question linguistique et communautaire en Belgique. Journaliste indépendant, il est également «vigie» (veille presse, sélection et traduction) à l’hebdomadaire Courrier international (Paris) depuis 2000. Il y traite et y traduit la presse «régionale» juive (hébréophone et anglophone) et arabe (anglophone), ainsi que la presse «hors-zone» (anglophone, yiddishophone, néerlandophone et afrikaansophone).

Thomas Lemaigre


Auteur

Thomas Lemaigre est économiste et journaliste. Il opère depuis 2013 comme chercheur indépendant, spécialisé sur les politiques sociales et éducatives, ainsi que sur les problématiques socio-économiques régionales. Il exerce également des activités de traduction NL>FR et EN>FR. Il est co-fondateur de l'Agence Alter, éditrice, entre autres, du mensuel {Alter Echos}, qu'il a dirigée jusqu'en 2012. Il enseigne ou a enseigné dans plusieurs Hautes écoles sociales (HE2B, Helha, Henallux).

Luc Van Campenhoudt


Auteur

Docteur en sociologie. Professeur émérite de l’Université Saint-Louis – Bruxelles et de l’Université catholique de Louvain. Principaux enseignements : sociologie générale, sociologie politique et méthodologie. Directeur du Centre d’études sociologiques de l’Université Saint-Louis durant une quinzaine d’années, jusqu’en 2006, il a dirigé ou codirigé une quarantaine de recherches, notamment sur l’enseignement, les effets des politiques sécuritaires, les comportements face au risque de contamination par le VIH et les transformations des frontières de la Justice pénale. Ces travaux ont fait l’objet de plusieurs dizaines d’articles publiés dans des revues scientifiques, de nombreux ouvrages, et de plusieurs invitations et chaires dans des universités belges et étrangères. À travers ces travaux, il s’est intéressé plus particulièrement ces dernières années aux problématiques des relations entre champs (par exemple la justice et la médecine), du pouvoir dans un système d’action dit « en réseau » et du malentendu. Dans le cadre de ces recherches il a notamment développé la « méthode d’analyse en groupe » (MAG) exposée dans son ouvrage La méthode d’analyse en groupe. Applications aux phénomènes sociaux, coécrit avec J.-M. Chaumont J. et A. Franssen (Paris, Dunod, 2005). Le plus connu de ses ouvrages, traduit en plusieurs langues, est le Manuel de recherche en sciences sociales, avec Jacques Marquet et Raymond Quivy (Paris, Dunod, 2017, 5e édition). De 2007 à 2013, il a été directeur de La Revue Nouvelle.
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