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Le Pacte social, un modèle sur le fil

Numéro 1 - 2016 par Pierre Reman

février 2016

Étrange des­ti­née que ce pro­jet d’accord de soli­da­ri­té sociale négo­cié dans la clan­des­ti­ni­té par des repré­sen­tants patro­naux et syn­di­caux durant la guerre et conclu en 1944 avant que l’occupant alle­mand ait défi­ni­ti­ve­ment dépo­sé les armes. Simple décla­ra­tion com­mune n’ayant pour elle que la force morale de signa­taires ayant refu­sé la col­la­bo­ra­tion avec l’ennemi, ce pro­jet d’accord fut consi­dé­ré avec le temps comme le « pacte social » expri­mant une ambi­tion ras­sem­blant des idéaux sociaux, éco­no­miques et démo­cra­tiques. S’il est exa­gé­ré de par­ler aujourd’hui de déré­gu­la­tion du com­pro­mis capi­tal-tra­vail, les poli­tiques actuelles et celles des vingt der­nières années le fragilisent.

On pour­rait reprendre à notre compte l’analyse de Colette Bec qui note que « la fon­da­tion de la sécu­ri­té sociale à la Libé­ra­tion gar­de­ra le poids sym­bo­lique d’une ambi­tion ori­gi­nelle qui va han­ter l’inconscient col­lec­tif pen­dant des décen­nies et four­nir une réfé­rence obli­gée de tout dis­cours à ce sujet » (Bec, 2014, p. 7). Elle évo­quait la France, mais ce pour­rait être le cas en Bel­gique qui, décen­nie après décen­nie, com­mé­more ins­ti­tu­tion­nel­le­ment ce pacte, son ins­pi­ra­tion et ses prin­cipes. Sui­vant tou­jours Colette Bec, « il est indé­niable que l’institution a ins­pi­ré pen­dant des décen­nies une invo­ca­tion à la fois rituelle et peu pro­pice à l’analyse dis­tan­ciée » (2014, p. 7). Cela dit, cette décla­ra­tion com­mune et les textes légis­la­tifs qui s’en sont ins­pi­rés à la Libé­ra­tion ont façon­né, avec la sécu­ri­té sociale d’une part et la concer­ta­tion sociale d’autre part ce qu’on appelle le « modèle social belge ». Ces deux élé­ments consti­tu­tifs sont de nature dif­fé­rente. La sécu­ri­té sociale est consti­tuée d’un ensemble d’assurances sociales, avec ses bud­gets, ses fina­li­tés, ses dis­po­si­tifs de répar­ti­tion tan­dis que la concer­ta­tion sociale consti­tue un mode par­ti­cu­lier de gou­ver­ne­ment1 ou une forme par­ti­cu­lière de déci­sion éco­no­mique et sociale. Dans le modèle social belge, ces deux élé­ments sont étroi­te­ment asso­ciés puisque la sécu­ri­té sociale est admi­nis­trée sur le mode de la concer­ta­tion sociale, ce qui range la Bel­gique dans la caté­go­rie des États sociaux bis­mar­ckiens ou « cor­po­ra­tistes-conser­va­teurs » au sens d’Esping-Andersen (1999).

Ce mode de gou­ver­ne­ment implique la par­ti­ci­pa­tion à la déci­sion d’acteurs aux inté­rêts diver­gents qui réa­lisent par la négo­cia­tion des com­pro­mis. L’idée de com­pro­mis ou de pacte trouve donc sa source dans les prin­ci­paux cli­vages qui tra­versent la socié­té belge et par­ti­cu­liè­re­ment le cli­vage dont il est ques­tion ici : le cli­vage pos­sé­dants-tra­vailleurs ou cli­vage capi­tal-tra­vail2.

Bien enten­du, ce cli­vage ne pré­sente plus toutes les mêmes carac­té­ris­tiques que lorsqu’il est appa­ru au XIXe siècle, sous forme de ques­tion sociale en pleine révo­lu­tion indus­trielle, mais il reste pré­sent sous des formes renou­ve­lées, se nour­rit de nou­velles pro­blé­ma­tiques, s’articule sous d’autres registres avec les autres cli­vages qu’ils soient com­mu­nau­taires ou post ou non matérialistes.

Ce mode de gou­ver­ne­ment repose dans le chef de ses acteurs sur la convic­tion que le com­pro­mis n’est pas une tech­nique idéale, mais que c’est, com­pa­ra­ti­ve­ment aux autres modes de déci­sions, une des meilleures façons de trou­ver des solu­tions équi­li­brées aux pro­blèmes socioé­co­no­miques. Selon Alain Ber­gou­nioux et Ber­nard Manin, la méthode de gou­ver­ne­ment basée sur le com­pro­mis part du pos­tu­lat que la meilleure façon de réa­li­ser son pro­gramme, c’est de contri­buer à faire réus­sir le pro­gramme de l’autre. Mais ce fai­sant, l’objectif visé dépasse l’équilibre des inté­rêts. En effet, au-delà de sa dimen­sion ins­tru­men­tale, le pacte social qui fonde la concer­ta­tion sociale et la sécu­ri­té sociale est une ins­ti­tu­tion de la démo­cra­tie qui réduit la dis­tor­sion entre éga­li­té poli­tique et inéga­li­té socioéconomique.

La concer­ta­tion peut s’exercer à deux. C’est le cas, par exemple des conven­tions col­lec­tives de tra­vail, qui sont négo­ciées entre les inter­lo­cu­teurs sociaux. On parle alors de pari­ta­risme. Elle peut s’exercer à trois, inter­lo­cu­teurs sociaux et gou­ver­ne­ment. On parle alors de tri­par­tisme. Enfin, la concer­ta­tion peut aus­si impli­quer une plu­ra­li­té d’acteurs qui sont consul­tés par le gou­ver­ne­ment avant que ce der­nier prenne une déci­sion. On est, dans ce cas, à la marge de la concer­ta­tion si celle-ci signi­fie une par­ti­ci­pa­tion à la décision.

Le pacte social

Une lec­ture du pro­jet d’accord de soli­da­ri­té sociale pré­cise les contours du modèle social. On y trouve dans le pre­mier para­graphe la for­mu­la­tion du lien entre le déve­lop­pe­ment éco­no­mique, la pros­pé­ri­té géné­rale et la concer­ta­tion sociale. Ain­si, les repré­sen­tants des employeurs et repré­sen­tants des tra­vailleurs recon­naissent que la bonne marche des entre­prises, à laquelle est liée la pros­pé­ri­té géné­rale du pays, exige leur col­la­bo­ra­tion loyale. On y découvre aus­si une concep­tion du pro­grès social : « Le pro­grès social découle à la fois de l’essor éco­no­mique d’un monde paci­fié et d’une équi­table répar­ti­tion du reve­nu d’une pro­duc­tion crois­sante » et une fina­li­té géné­rale : « Le but de l’activité éco­no­mique est d’améliorer sans cesse les condi­tions d’existence de la popu­la­tion. Repré­sen­tants des employeurs et repré­sen­tants des tra­vailleurs recher­che­ront donc, en toutes cir­cons­tances, les moyens de don­ner aux sala­riés le maxi­mum de pou­voir d’achat com­pa­tible avec les cir­cons­tances et le haus­ser paral­lè­le­ment aux pro­grès des tech­niques de pro­duc­tion et d’échange. »

La phi­lo­so­phie de la concer­ta­tion sociale y est donc expri­mée et les ins­ti­tu­tions de la concer­ta­tion sociale sont iden­ti­fiées. Ain­si, on y lit que les rela­tions entre employeurs et tra­vailleurs doivent être fon­dées sur « le res­pect mutuel et la recon­nais­sance réci­proque de leurs droits et devoirs ». À savoir : « Les tra­vailleurs res­pectent l’autorité légi­time des chefs d’entreprise et mettent leur hon­neur à exé­cu­ter conscien­cieu­se­ment leur tra­vail », et « les employeurs res­pectent la digni­té des tra­vailleurs et mettent leur hon­neur à les trai­ter avec jus­tice. Ils s’engagent à ne por­ter, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, aucune entrave à leur liber­té d’association ni au déve­lop­pe­ment de leurs orga­ni­sa­tions. » Sur le plan ins­ti­tu­tion­nel, les trois niveaux de la concer­ta­tion sociale (le niveau inter­pro­fes­sion­nel, les sec­teurs et les entre­prises) figurent dans le pro­jet d’accord et, même si tous les organes futurs de la concer­ta­tion n’ont pas encore tous trou­vé leur déno­mi­na­tion définitive.

Le pro­jet d’accord traite lar­ge­ment aus­si de la sécu­ri­té sociale. Il sug­gère de rendre obli­ga­toire l’assurance mala­die et inva­li­di­té et l’assurance chô­mage, c’est-à-dire d’étendre les assu­rances sociales à celles qui exis­taient déjà (pen­sions, allo­ca­tions fami­liales, vacances annuelles…), de les finan­cer par coti­sa­tions pré­le­vées sur les salaires et de les gérer pari­tai­re­ment. Mise à part la spé­ci­fi­ci­té du plu­ra­lisme ins­ti­tu­tion­nel des orga­nismes payeurs, le modèle belge épouse les carac­té­ris­tiques du modèle bis­mar­ckien de pro­tec­tion sociale.

Si on adopte une approche pure­ment fonc­tion­nelle, on peut avan­cer l’idée que ce modèle social mis en place à la sor­tie de la guerre consti­tuait un sup­port au déve­lop­pe­ment éco­no­mique key­né­sien qui se déve­lop­pe­ra pen­dant trois décen­nies, mais cette lec­ture ne suf­fit pas à elle seule car ce serait sous-esti­mer le rôle impor­tant des acteurs sociaux dans la construc­tion d’un pro­jet de démocratisation.

Une mise en œuvre sous tension

Une fois le pacte social signé, les acteurs se sont orga­ni­sés pour agir dans le nou­veau contexte créé. Si les syn­di­cats main­tiennent leur plu­ra­lisme idéo­lo­gique, ils réforment leurs struc­tures et se mettent en ordre de marche pour agir à l’intérieur du modèle dont ils recon­naissent, non sans débats internes, la légi­ti­mi­té. Les tra­vailleurs approuvent majo­ri­tai­re­ment ce choix et le taux de syn­di­ca­li­sa­tion double de 1945 à 1960. Le monde patro­nal s’organise éga­le­ment et en 1946, la Fédé­ra­tion des indus­tries belges est consti­tuée et reflète plus qu’auparavant la diver­si­té des orga­ni­sa­tions patro­nales pré­sentes dans le pays.

Au sein des entre­prises d’une cer­taine impor­tance, des conseils d’entreprise ont été créés dès 1945 et des comi­tés de sécu­ri­té et d’hygiène dès 1948. Un sta­tut légal a été confé­ré aux com­mis­sions pari­taires en 1945 et à la même date le Conseil cen­tral de l’économie a été fon­dé. En 1952, ce fut au tour du Conseil natio­nal du tra­vail d’être ins­ti­tué cha­peau­tant les com­mis­sions pari­taires sectorielles.

En 1954, la décla­ra­tion com­mune sur la pro­duc­ti­vi­té entre les inter­lo­cu­teurs sociaux confirme la néces­si­té d’établir le lien entre l’augmentation du pou­voir d’achat et la crois­sance de la pro­duc­ti­vi­té et donc le prin­cipe du par­tage des gains de pro­duc­ti­vi­té entre le capi­tal et le tra­vail orga­ni­sé par la concer­ta­tion sociale. Comme l’indique Tony Van­de­putte, « les prin­cipes défi­nis, ain­si que le sys­tème éla­bo­ré en 1944, ne trouvent pas d’emblée leur vitesse de croi­sière » (Tony Van­de­putte, 2005, p. 12). Il a fal­lu convo­quer pas moins de douze confé­rences de l’emploi de 1944 à 1955 pour pré­pa­rer les déci­sions concer­nant l’approvisionnement du pays et trai­ter des salaires, des prix et de l’énergie.

Les pre­mières étapes de la construc­tion et du déve­lop­pe­ment de la sécu­ri­té sociale furent elles-mêmes l’objet de contro­verses entre les acteurs, par­ti­cu­liè­re­ment sur le pari­ta­risme et la place de l’État dans le pilo­tage de la sécu­ri­té sociale, sur le sta­tut du per­son­nel des para­sta­taux de la sécu­ri­té sociale, et sur le plu­ra­lisme phi­lo­so­phique des orga­nismes « payeurs » à savoir les mutua­li­tés, les caisses syn­di­cales de chô­mage et les caisses d’allocations familiales.

Cette phase de construc­tion du modèle ne s’est donc pas dérou­lée dans un contexte exempt de ten­sions socio­po­li­tiques : la guerre sco­laire entre 1954 et 1958, la déco­lo­ni­sa­tion et ses consé­quences, et enfin la grande grève de l’hiver 1960 qui dura près de deux mois en guise de pro­tes­ta­tion contre le pro­jet de « loi unique » visant à réta­blir des finances publiques dégra­dées, en aug­men­tant les impôts et en impo­sant des res­tric­tions dans les dépenses publiques et sociales.

Fina­le­ment, ces dif­fé­rends se sont estom­pés pro­gres­si­ve­ment, et s’est mise en place une dyna­mique carac­té­ri­sée par l’organisation des acteurs et leur impli­ca­tion dans les rôles qui leur sont dévo­lus, le par­tage des com­pé­tences entre les inter­lo­cu­teurs sociaux et le gou­ver­ne­ment, la défi­ni­tion des règles du jeu et la mise sur pied d’institutions, le tout façon­nant ce que plus tard on a appe­lé le com­pro­mis for­diste entre le capi­tal et le travail.

L’essor du modèle 1960 – 1975

Des élé­ments de contexte favo­rable ont per­mis au pacte social de connaitre une période d’essor. La créa­tion du Mar­ché com­mun en 1957, le déve­lop­pe­ment d’investissements étran­gers s’appuyant sur les lois d’expansion éco­no­mique de juillet 1959 et une crois­sance impor­tante et conti­nue de 1960 à 1974 ont inau­gu­ré une période qua­li­fiée de pro­gram­ma­tion sociale. Sept accords inter­pro­fes­sion­nels qui concernent les tra­vailleurs du sec­teur pri­vé, seront conclus durant cette période. Ces accords, même s’ils n’avaient pas de valeur légale, mais morale, auront un impact impor­tant. D’abord sur la coor­di­na­tion et l’architecture du sys­tème de rela­tions col­lec­tives belge qui se struc­ture à trois niveaux. Au niveau inter­pro­fes­sion­nel, se négo­cient la durée légale du tra­vail, les congés payés ain­si que le déve­lop­pe­ment de la sécu­ri­té sociale. La for­ma­tion des salaires relève du deuxième niveau, celui des sec­teurs et des com­mis­sions pari­taires tan­dis qu’au troi­sième niveau, celui de l’entreprise, les accords sec­to­riels sont com­plé­tés en matière d’organisation concrète du travail.

Les années 1960 – 1975 furent aus­si des années où la sécu­ri­té sociale s’est for­te­ment déve­lop­pée. La plu­part des pres­ta­tions sociales des tra­vailleurs sala­riés ont été reva­lo­ri­sées. Des pres­ta­tions mini­males ont été accor­dées dans la plu­part des assu­rances sociales : allo­ca­tions de chô­mage, pen­sions, allo­ca­tions d’incapacité de tra­vail. Le régime de sécu­ri­té sociale des tra­vailleurs indé­pen­dants a com­men­cé à voir le jour en 1963 : les allo­ca­tions fami­liales de ces der­niers ont été aug­men­tées et un sys­tème d’assurance mala­die obli­ga­toire pour indé­pen­dants a été ins­ti­tué pour cou­vrir les « gros risques ».

Com­plé­men­tai­re­ment à la sécu­ri­té sociale, des régimes dits rési­duaires ont par­ache­vé le sys­tème belge de pro­tec­tion sociale. En 1969, a été ins­ti­tué le « reve­nu garan­ti aux per­sonnes âgées », c’est-à-dire un reve­nu aux per­sonnes âgées dont la pen­sion ou autre moyen d’existence était jugé insuf­fi­sant. Deux ans plus tard, une « allo­ca­tion garan­tie pour per­sonnes han­di­ca­pées » fut déci­dée ain­si que les « pres­ta­tions fami­liales garan­ties » aux familles néces­si­teuses. Enfin, en 1974, ce fut le tour du « mini­mum de moyens d’existence » d’être ins­ti­tué, c’est-à-dire un reve­nu mini­mum garan­ti octroyé à toute per­sonne dont les res­sources sont jugées insuffisantes.

Ce déploie­ment de la pro­tec­tion sociale s’est accom­pa­gné d’une exten­sion de son mode de déci­sion par­ti­cu­liè­re­ment dans le domaine de l’assurance mala­die inva­li­di­té. En effet en 1963 – 1964, les accords dits de la Saint-Jean du 25 juin 1964 entre les repré­sen­tants des syn­di­cats, du patro­nat, des mutua­li­tés et des méde­cins furent à la base du sys­tème d’élaboration des conven­tions médi­co-mutuel­listes liant les hono­raires des méde­cins et les rem­bour­se­ments de l’assurance mala­die et invalidité.

On pour­rait aisé­ment pré­sen­ter une série d’indicateurs illus­trant cet essor du pacte social. Nous n’en évo­que­rons qu’un. La part de la sécu­ri­té sociale des sala­riés dans le PIB qui repré­sen­tait 8,59% en 1953 et a atteint 17,49% en 1975.

Effectivité et échec de la remise en question du modèle

La troi­sième période est une période de pro­fonde remise en ques­tion. Isa­belle Cas­siers et Luc Denayer (2010) évoquent à ce pro­pos les quatre lames de fond qui l’ont pro­vo­quée : lames de fond tech­no­lo­gique, inter­na­tio­nale, socio­dé­mo­gra­phique et concep­tuelle. Dans le domaine tech­no­lo­gique, on assiste à une dimi­nu­tion des gains de pro­duc­ti­vi­té liée à l’épuisement de la vague tech­no­lo­gique qui s’est déployée depuis la fin de la Deuxième Guerre et à la mise en place de pro­ces­sus de pro­duc­tion plus diver­si­fiés et flexibles exi­geant des com­pé­tences de plus en plus spé­ci­fiques. L’internationalisation de l’économie s’affirme : des entre­prises mul­ti­na­tio­nales se forment ou se déve­loppent, les mar­chés entre autres finan­ciers prennent de l’ampleur. Les chocs pétro­liers de 1973 et 1979 pro­voquent des pous­sées infla­tion­nistes sur les­quelles achoppent des recettes key­né­siennes. L’inflation grimpe, la crois­sance éco­no­mique stagne et devient même néga­tive en 1975, et les défi­cits publics se mani­festent. Sur le plan socio­dé­mo­gra­phique, le chô­mage explose à la suite des restruc­tu­ra­tions impor­tantes dans les entre­prises indus­trielles (mines, sidé­rur­gie, tex­tile) dans un contexte où la famille avec un seul gagne-pain n’est plus le modèle adop­té. La remise en ques­tion est aus­si idéo­lo­gique : l’«esprit de Phi­la­del­phie » est contes­té par un nou­veau para­digme, néo­li­bé­ral, qui pré­sente une alter­na­tive faite de réha­bi­li­ta­tion et d’extension des logiques mar­chandes au cœur du sys­tème (Supiot, 2010).

Cette période de remise en ques­tion de la concer­ta­tion inter­pro­fes­sion­nelle fut mar­quée par l’absence d’accords entre 1975 et 1985. De 1975 à 1981, les acteurs ont fait face à la crise éco­no­mique et au déclin indus­triel en ten­tant d’agir dans un pre­mier temps à l’«intérieur du modèle exis­tant » en uti­li­sant des ins­tru­ments de poli­tique key­né­sienne (poli­tique de garan­tie des res­sources par la sécu­ri­té sociale, poli­tique de l’emploi par des embauches dans le sec­teur public et non mar­chand) et en réaf­fir­mant entre autres par la loi du 30 juin 1981 éta­blis­sant les prin­cipes géné­raux de la sécu­ri­té sociale, les grands prin­cipes fon­da­teurs de la sécu­ri­té sociale.

Cepen­dant, cer­taines mesures vont vite annon­cer un chan­ge­ment de cap. La sélec­ti­vi­té fami­liale com­mence à voir le jour dans l’assurance chô­mage et l’opération Mari­bel (dimi­nu­tion des coti­sa­tions sociales com­pen­sées par une aug­men­ta­tion des impôts indi­rects) annonce des poli­tiques qui arti­cu­le­ront finan­ce­ment de la sécu­ri­té sociale, poli­tique d’emploi et com­pé­ti­ti­vi­té. Après la déva­lua­tion de 1982, une période qua­li­fiée de « rup­ture » par dif­fé­rents auteurs voit le jour. Le gou­ver­ne­ment se sub­sti­tue à la concer­ta­tion inter­pro­fes­sion­nelle et prend entre autres en recou­rant aux pou­voirs spé­ciaux, des mesures visant à réta­blir les équi­libres macroé­co­no­miques et don­nant la prio­ri­té à la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises et à l’assainissement des finances publiques. Le centre de gra­vi­té de la concer­ta­tion sociale se déplace vers les entre­prises elles-mêmes.

Sur le plan idéo­lo­gique, un nou­veau para­digme d’inspiration néo­li­bé­rale prit le contre­pied du para­digme key­né­sien. Non seule­ment, les poli­tiques éco­no­miques chan­gèrent de nature, mais la concep­tion de l’État social et de la concer­ta­tion fut ren­ver­sée. En quelques mots, ce para­digme appe­lé consen­sus de Washing­ton a pro­po­sé une tout autre concep­tion des poli­tiques sociales (Mer­rien, Par­chet et Ker­nen, 2005). Celles-ci ne sont plus pen­sées comme étant une des condi­tions du pro­grès éco­no­mique, mais comme une consé­quence ou pire comme une entrave à celui-ci. Les inter­ven­tions de l’État social sont pré­sen­tées comme pro­dui­sant, même sans inten­tion, des imper­fec­tions qui nuisent à la crois­sance. Les effets per­vers ou effets Mat­thieu sont mis en exergue pour contes­ter un État social insuf­fi­sam­ment sélectif.

Dans ce contexte, la légi­ti­mi­té des inter­lo­cu­teurs sociaux est mise en ques­tion, ces der­niers étant accu­sés d’agir non pas en faveur de l’intérêt géné­ral, mais de leurs inté­rêts par­ti­cu­liers. Ce cou­rant d’idées à dimen­sion inter­na­tio­nale fut inca­pable d’imposer, en Bel­gique, un chan­ge­ment com­plet de para­digme. Les poli­tiques dites de redres­se­ment prises dans les années 1980 pour « redres­ser les grands dés­équi­libres de l’économie belge » n’eurent rai­son ni de la concer­ta­tion sociale ni du modèle social même si des trans­for­ma­tions pro­fondes ont vu le jour. Les rai­sons prin­ci­pales de cette résis­tance du modèle sont à recher­cher dans l’impossibilité des acteurs par­ti­sans d’un ren­ver­se­ment du modèle à construire des alliances et à ras­sem­bler des res­sources de pou­voir néces­saires à un chan­ge­ment radi­cal. Les ins­ti­tu­tions aus­si condi­tionnent le jeu des acteurs : le suf­frage en Bel­gique est pro­por­tion­nel, et les gou­ver­ne­ments sont inévi­ta­ble­ment des gou­ver­ne­ments de coa­li­tion. En outre, l’architecture ins­ti­tu­tion­nelle, en ce com­pris la culture du com­pro­mis propre à la Bel­gique, crée ce que les poli­to­logues appellent une dépen­dance de sentier.

Vers une dérégulation du modèle de compromis capital-travail ?

Consi­dé­rant les vingt der­nières années y com­pris la période actuelle, il est sans doute exces­sif de par­ler de déré­gu­la­tion du com­pro­mis capi­tal-tra­vail, mais les termes d’ébranlement, de fra­gi­li­sa­tion ou de grip­page prennent tout leur sens.

Au niveau inter­pro­fes­sion­nel, le gou­ver­ne­ment joue un rôle de plus en plus déci­sif dans un sys­tème de concer­ta­tion où la par­tie se joue à trois. Le gou­ver­ne­ment cadre la négo­cia­tion pour que les accords inter­pro­fes­sion­nels s’inscrivent dans la poli­tique glo­bale qu’il décide de mettre en œuvre. Il inter­vient dans le cahier des charges et y intègre des thé­ma­tiques chères au banc patro­nal comme la com­pé­ti­ti­vi­té et la flexi­bi­li­té. Il peut ou non sou­te­nir la concer­ta­tion en pré­voyant un finan­ce­ment des déci­sions. La construc­tion euro­péenne, ses trai­tés (trai­té de Maas­tricht, trai­té d’Amsterdam…), ses contraintes et lignes direc­trices ont ren­for­cé la ten­dance à cette plus grande influence du gou­ver­ne­ment sur­tout lorsque les inter­lo­cu­teurs sociaux éprouvent des dif­fi­cul­tés à trou­ver des com­pro­mis de façon auto­nome. Et si, une série d’accords ont conti­nué à être conclus, des échecs impor­tants ont vu le jour : 1993 : échec de la conclu­sion d’un « nou­veau pacte social» ; 1996 : échec de la négo­cia­tion d’un « contrat d’avenir de l’emploi » et 2005, échec de la conclu­sion du « pacte de soli­da­ri­té entre les géné­ra­tions ». Le conte­nu de la négo­cia­tion sociale inter­pro­fes­sion­nelle a évo­lué avec le temps, et la thé­ma­tique tra­di­tion­nelle du par­tage des gains de pro­duc­ti­vi­té laisse la place à des mesures liées prin­ci­pa­le­ment aux poli­tiques de l’emploi en lien avec la modé­ra­tion sala­riale, la flexi­bi­li­té et la sécu­ri­té sociale et, de façon péri­phé­rique, à de nou­velles thé­ma­tiques telles que la mobi­li­té, la for­ma­tion et l’apprentissage tout au long de la vie, le stress au tra­vail, l’environnement…

Ana­ly­sant l’évolution de la conflic­tua­li­té sociale ces der­nières années, le Groupe d’analyse des conflits sociaux (Gra­cos) estime que « la poli­tique du fait accom­pli est pro­gres­si­ve­ment en train de rem­pla­cer le sys­tème éta­bli de concer­ta­tion sociale » (Gra­cos, 2015). Si le dis­cours des acteurs qu’ils soient poli­tiques et sociaux rap­pelle, comme un leit­mo­tiv, leur atta­che­ment au sys­tème de concer­ta­tion sociale, les faits indiquent le contraire, c’est-à-dire un dur­cis­se­ment des rela­tions col­lec­tives de tra­vail et des rap­ports entre les gou­ver­ne­ments et l’un ou l’autre inter­lo­cu­teur social. Des déci­sions uni­la­té­rales venant soit du gou­ver­ne­ment — et le gou­ver­ne­ment actuel fait fort en la matière en déci­dant de sup­pri­mer une indexa­tion des salaires et des pres­ta­tions sociales et en recu­lant l’âge de la pen­sion légale — et d’une par­tie du monde patro­nal jugeant ne pas être tenu de négo­cier avec les syn­di­cats de déci­sions ali­mentent ce cli­mat de défiance actuel vécu par les orga­ni­sa­tions syndicales.

En matière de sécu­ri­té sociale, beau­coup de carac­té­ris­tiques du pacte res­tent pré­sentes et donnent tou­jours une colo­ra­tion bis­mar­ckienne à la sécu­ri­té sociale en Bel­gique. Le finan­ce­ment repose encore prin­ci­pa­le­ment sur les salaires, les par­te­naires sociaux res­tent au cœur de la déci­sion même si la concer­ta­tion est deve­nue véri­ta­ble­ment tri­par­tite dans ce domaine aus­si. Les pres­ta­tions conservent leur dimen­sion assu­ran­tielle même si l’assistance gagne en impor­tance à la suite de l’exclusion d’un nombre gran­dis­sant de chô­meurs de l’assurance chô­mage. Une série de trans­for­ma­tions a vu le jour et s’est mani­fes­tée non pas dans l’importance que le pays consacre glo­ba­le­ment à sa pro­tec­tion sociale — l’ensemble des dépenses sociales repré­sentent encore 30% du PIB, la Bel­gique conti­nuant à se situer dans les pays où la sécu­ri­té sociale reste une prio­ri­té — mais dans la façon dont les pro­blèmes sociaux sont posés et de nou­veaux dis­po­si­tifs mis en place.

Illus­trons cela en regard des trois plus grands sec­teurs de la sécu­ri­té sociale.

L’assurance-maladie tente de suivre le rythme de crois­sance des dépenses de san­té géné­rées par les pro­grès de la méde­cine et les attentes de la popu­la­tion. Cela dit, pour conte­nir ces dépenses dans les limites bud­gé­taires des finances publiques, les gou­ver­ne­ments ont déci­dé de fixer une norme de crois­sance maxi­male — et ce maxi­mum étant fixé à un niveau très bas : 1,5% — impli­quant ain­si une poli­tique d’adaptation des dépenses aux recettes. Cela s’est tra­duit par dif­fé­rentes mesures de contrôle de la crois­sance des pres­ta­tions et du prix de celles-ci. Il serait trop long de faire un inven­taire détaillé de l’ensemble des mesures qui ont vu le jour. Citons sim­ple­ment, le recours aux pro­fils médi­caux pour iden­ti­fier les pra­tiques et les pra­ti­ciens qui s’écartent net­te­ment de la moyenne, le paie­ment des actes médi­caux sur une base for­fai­taire ou, dans le sec­teur du médi­ca­ment, l’instauration du « prix de réfé­rence » du médi­ca­ment géné­rique pour le rem­bour­se­ment des spé­cia­li­tés phar­ma­ceu­tiques afin d’opérer une plus grande concur­rence par les prix. Dans ce contexte, les contri­bu­tions per­son­nelles des malades ont ten­dance à aug­men­ter et le recours aux assu­rances com­plé­men­taires à se déve­lop­per, ce qui explique la mise en œuvre de dis­po­si­tifs de sélec­ti­vi­té visant à ne pas com­pro­mettre l’accès aux soins des per­sonnes à faibles reve­nus ou gra­ve­ment malades. Le « béné­fice de l’intervention majo­rée » et le « maxi­mum à fac­tu­rer » consti­tuent les deux exemples les plus emblé­ma­tiques de cette poli­tique qui accom­pagne ce mou­ve­ment de libé­ra­li­sa­tion progressive.

Le deuxième sec­teur concerne les pen­sions et plus lar­ge­ment les poli­tiques du vieillis­se­ment. Les réformes s’inscrivent dans une ten­dance qui remonte à plu­sieurs années et qui ne ces­se­ra pas de s’affirmer. Déjà en 1997, la durée de car­rière com­plète fut allon­gée de 40 à 45 ans pour les femmes et on recu­la l’âge légal de leur retraite de 60 à 65 ans. Aujourd’hui, il a été déci­dé de por­ter pro­gres­si­ve­ment l’âge légal de la retraite à 67 ans et de réduire les pos­si­bi­li­tés d’anticiper ce départ par des dis­po­si­tifs de pré­pen­sion et autre cré­dit temps. En fili­grane de ces choix, l’insuffisante ali­men­ta­tion du « fonds de vieillis­se­ment » créé en 2001 pour consti­tuer des réserves pour faire face au cout bud­gé­taire du vieillis­se­ment (25,3% du PIB en 2014 à 28,4% en 2040). Mais l’enjeu n’est pas uni­que­ment bud­gé­taire. Il est aus­si cultu­rel et social et touche à des ques­tions telles que les soli­da­ri­tés inter­gé­né­ra­tion­nelles, la qua­li­té de l’emploi des tra­vailleurs âgés et la poli­tique sala­riale. Comme dans le sec­teur des soins de san­té, des sys­tèmes de pen­sions com­plé­men­taires se déve­loppent autour de la sécu­ri­té sociale, mais laissent de côté 25% des tra­vailleurs sala­riés qui attendent, sans suc­cès jusqu’à pré­sent, une géné­ra­li­sa­tion de ce deuxième pilier de pensions.

Le der­nier enjeu concerne l’assurance chô­mage. Des chan­ge­ments signi­fi­ca­tifs s’opèrent dans ce domaine au nom de l’État social actif. Depuis des années se suc­cèdent une série de mesures rédui­sant les coti­sa­tions sociales dans le but de pro­mou­voir la demande de tra­vail et d’accentuer les dis­po­si­tifs de réin­ser­tion de deman­deurs d’emploi et de lutte contre l’«enlisement » dans le chô­mage de longue durée. Par­mi celles-ci, des dis­po­si­tifs dits d’activation ont été mis en place, les indem­ni­tés de chô­mage étant consi­dé­rées, dans ce cadre, comme acomptes sur le salaire net. C’est en fonc­tion de cet objec­tif de réin­ser­tion que la légis­la­tion des Agences locales pour l’emploi a évo­lué : éten­due du champ d’application des acti­vi­tés auto­ri­sées, élar­gis­se­ment du public poten­tiel, éla­bo­ra­tion d’un « contrat ALE ». Au nom de l’État social actif, d’autres mesures furent prises pour lut­ter contre les pièges à l’emploi et s’inscrire dans une pers­pec­tive de relè­ve­ment des taux d’activité. Mais de toutes les mesures prises au nom des poli­tiques actives de l’emploi, les plus contro­ver­sées furent celles qui visent à « accom­pa­gner », à « contrô­ler » et à « res­pon­sa­bi­li­ser » les allo­ca­taires sociaux dans leurs démarches de recherche d’emploi alors que les postes de tra­vail à pour­voir manquent et que la dégres­si­vi­té des allo­ca­tions de chô­mage déci­dée récem­ment accen­tue la pré­ca­ri­sa­tion des chô­meurs et dété­riore leur situa­tion face à la pau­vre­té (Loriaux, 2015).

Enfin, se pose actuel­le­ment un enjeu trans­ver­sal qui concerne la façon dont la sécu­ri­té sociale évo­lue­ra dans le contexte où les suc­cès élec­to­raux de par­tis fla­mands conju­guant un natio­na­lisme sub­éta­tique radi­cal et un conser­va­tisme socioé­co­no­mique fort ont des consé­quences sur le sys­tème de pro­tec­tion sociale. Ain­si, il a été déci­dé en 2011, dans le cadre de la sixième réforme de l’État qu’a connue la Bel­gique, de trans­fé­rer aux Com­mu­nau­tés la com­pé­tence des allo­ca­tions fami­liales et d’une par­tie des soins de san­té, c’est-à-dire 14% du bud­get de la sécu­ri­té sociale. La ques­tion sera de savoir si la défé­dé­ra­li­sa­tion de la sécu­ri­té sociale se limi­te­ra à son volet ins­ti­tu­tion­nel ou si elle consti­tue­ra un levier de trans­for­ma­tions plus profondes.

Cette contri­bu­tion doit beau­coup aux tra­vaux du Crisp et en par­ti­cu­lier du livre diri­gé par Étienne Arcq, Michel Capron, Éve­lyne Léo­nard et Pierre Reman, Dyna­miques de la concer­ta­tion sociale (Crisp, 2010) et Pierre Reman, Trans­for­ma­tions du sys­tème belge de concer­ta­tion sociale : his­toire et faits mar­quants, Le modèle social belge : quel ave­nir ?, actes du ving­tième Congrès des éco­no­mistes belges de langue fran­çaise, édi­tions de l’université ouverte de Char­le­roi, novembre 2013.

  1. Défi­ni­tion emprun­tée à Alain Ber­gou­gnioux et Ber­nard Manin (1989).
  2. Défi­ni­tion emprun­tée à Vincent de Coore­by­ter (2005).

Pierre Reman


Auteur

Pierre Reman est économiste et licencié en sciences du Travail. Il a été directeur de la faculté ouverte de politique économique et sociale et titulaire de la Chaire Max Bastin à l’UCL. Il a consacré son enseignement et ses travaux de recherche à la sécurité sociale, les politiques sociales et les politiques de l’emploi. Il est également administrateur au CRISP et membre du Groupe d’analyse des conflits sociaux (GRACOS). Parmi ces récentes publications, citons « La sécurité sociale inachevée », entretien avec Philippe Defeyt, Daniel Dumont et François Perl, Revue Politique, octobre 2020, « L’Avenir, un journal au futur suspendu », in Grèves et conflictualités sociale en 2018, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2024-2025, 1999 (en collaboration avec Gérard Lambert), « Le paysage syndical : un pluralisme dépilarisé », in Piliers, dépilarisation et clivage philosophique en Belgique, CRISP, 2019 (en collaboration avec Jean Faniel). « Entre construction et déconstruction de l’Etat social : la place de l’aide alimentaire », in Aide alimentaire : les protections sociales en jeu, Académia, 2017 (en collaboration avec Philippe Defeyt) et « Analyse scientifique et jugement de valeurs. Une expérience singulière de partenariat entre le monde universitaire et le monde ouvrier », in Former des adultes à l’université, Presse universitaires de Louvain, 2017 en collaboration avec Pierre de Saint-Georges et Georges Liénard).