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Zakouskis
« Je tiens fort peu à Salzbourg, et à l’archevêque pas du tout, et je chie sur les deux. » Cette forte phrase d’une lettre de Wolfgang Gottlieb (traduit par lui-même « Amadé ») à son père Léopold Mozart et datant du 12 juillet 1783, montre clairement que le musicien a toujours détesté cette ci-devant principauté ecclésiastique, qui instrumentalise aujourd’hui « son » génie pour […]
« Je tiens fort peu à Salzbourg, et à l’archevêque pas du tout, et je chie sur les deux. » Cette forte phrase d’une lettre de Wolfgang Gottlieb (traduit par lui-même « Amadé ») à son père Léopold Mozart et datant du 12 juillet 1783, montre clairement que le musicien a toujours détesté cette ci-devant principauté ecclésiastique, qui instrumentalise aujourd’hui « son » génie pour le deux-cent-cinquantième anniversaire de sa naissance en ses murs. Dans ce concert — largement mondialisé — de mozartophilie de tout poil, il serait dommage qu’échappe à ceux qui se sentent sincèrement proches du musicien, la publication, chez Fayard, par Annie Paradis, d’une anthologie de la correspondance échangée entre les membres de la famille Mozart (et traduite par Bernard Lortholary) sous le titre Mozart, Lettres des jours ordinaires 1756 – 1791.
L’entreprise était difficile, car on a conservé de ces échanges scripturaires pas moins de 1 196 missives ! Mozartienne accomplie, Annie Paradis a eu la bonne idée d’y sélectionner 164 lettres ou extraits en se donnant pour « matrice » le genre musical que Wolfgang « Amadé » préférait à tous : celui de l’opéra, avec « lever de rideau » (la naissance le 27 janvier 1756), « première époque » (qui se termine à Paris avec la mort de sa mère), « deuxième époque » (qui se clôt avec son mariage avec Constanze et leurs quelques années de vie conjugale) et « scena ultima » (son décès inopiné et tragique le 5 décembre 1791). Des textes intercalaires de sa sœur Nannerl Mozart ou d’Annie Paradis faisant au besoin le lien entre les éléments de la composition.
L’ensemble donne une idée de ce qu’était la condition des musiciens d’ancien régime, vivant de si maigres émoluments fixes — octroyés par des nobles ou des ecclésiastiques — qu’ils étaient obligés de voyager de ville en ville pour quêter en outre des commandes de compositions et de concerts, rémunérés selon l’arbitraire des « clients ». Léopold Mozart n’était de ce fait ni une exception ni un père indigne.
Les familles de musiciens étaient ainsi obligées de vivre pratiquement plus de temps de séparation que de vie commune. D’où, malgré son prix très élevé, l’usage intensif de la correspondance et l’un des rôles principaux de celle-ci : entretenir les relations intrafamiliales, tout en traitant aussi bien d’affaires de tous genres — à commencer par les compositions et entreprises musicales abouties ou non — que de petits riens.
N’ayant jamais été écrites pour être publiées, ces Lettres des jours ordinaires n’ont donc pas statut de biographie, mais d’abord de documents historiques, le cas échéant fort importants.
Je n’en donnerai ici que deux exemples. Ils confirment que Wolfgang « Amadé » fut le premier musicien du XVIIIe siècle à sortir de l’ancien régime pour prendre le statut d’indépendant. Et corrigent pour le moins les thèses du film Amadeus de Milos Forman, qui force la note en présentant essentiellement un Mozart clownesque, dépensier à outrance et aux mœurs dissolues.
La rupture avec l’ancien régime se consomme — dans l’ambiance rigide créée autour de lui par Joseph ii (hostile à l’opéra) et adoptée par ses partisans — par la rupture de Mozart, à partir de 1778 avec le prince-archevêque Colloredo, parce que ce dernier n’ayant pas le caractère aimable de son prédécesseur, traite en somme le jeune et brillant musicien comme un membre quelconque de sa domesticité : « L’archevêque, écrit Wolfgang à son père dans la lettre 66, p. 324, ne saurait me payer suffisamment pour l’esclavage de Salzbourg. L’archevêque n’a pas le droit de jouer avec moi au grand, comme il a accoutumé de le faire — il n’est nullement impossible que je lui fasse un pied de nez ! » Comme Colloredo refusera la rupture du contrat, l’artiste d’exception (ou, en réalité, l’exception des exceptions des artistes de son temps) y trouvera un bon prétexte pour ne plus remettre les pieds à Salzbourg, où il risque, en effet, d’être arrêté. Cela au grand dam de son père, qui lui faisait valoir son absence de bon sens à renoncer — en se réconciliant avec le prince — à ce qui « est certain et durable aussi longtemps qu’on veut » (lettre 67, p. 329).
La partie du livre intitulée « Archives du cœur » (p. 505 – 582), contient les naïves et émouvantes lettres d’amour à Constanze, femme de pauvre origine qu’il a épousée en 1882 contre l’avis de son père (voir p. 435 – 436). Elles expriment, de la part de l’homme simple et droit qu’était Wolfgang, une fidélité exemplaire à celle dont il voulait et eut des enfants, qui ne survivront pas. Elles rappellent également tout au long des jours combien la grave maladie, dont elle souffrait et qui l’obligeait à de couteux séjours à Baden-Baden, aura pesé (en sus du reste) dans le budget mozartien pour le conduire à la misère et à la fosse commune.
Rien, bien entendu, dans cette correspondance, sur l’agonie de Mozart. Constanze et son second mari se chargeront plus tard de l’évoquer en rédigeant quelques années plus tard la première biographie de ce prince de la musique, qui, bien qu’il ait écrit toute sa vie de la musique et des lettres, n’a jamais fréquenté quelque école que ce soit pour apprendre — si ce n’est tout seul comme un grand — à manier la plume.