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Zakouskis

Numéro 9 Septembre 2006 par Hervé Cnudde

septembre 2006

« Je tiens fort peu à Salz­bourg, et à l’ar­che­vêque pas du tout, et je chie sur les deux. » Cette forte phrase d’une lettre de Wolf­gang Got­tlieb (tra­duit par lui-même « Ama­dé ») à son père Léo­pold Mozart et datant du 12 juillet 1783, montre clai­re­ment que le musi­cien a tou­jours détes­té cette ci-devant prin­ci­pau­té ecclé­sias­tique, qui ins­tru­men­ta­lise aujourd’­hui « son » génie pour […]

« Je tiens fort peu à Salz­bourg, et à l’ar­che­vêque pas du tout, et je chie sur les deux. » Cette forte phrase d’une lettre de Wolf­gang Got­tlieb (tra­duit par lui-même « Ama­dé ») à son père Léo­pold Mozart et datant du 12 juillet 1783, montre clai­re­ment que le musi­cien a tou­jours détes­té cette ci-devant prin­ci­pau­té ecclé­sias­tique, qui ins­tru­men­ta­lise aujourd’­hui « son » génie pour le deux-cent-cin­quan­tième anni­ver­saire de sa nais­sance en ses murs. Dans ce concert — lar­ge­ment mon­dia­li­sé — de mozar­to­phi­lie de tout poil, il serait dom­mage qu’é­chappe à ceux qui se sentent sin­cè­re­ment proches du musi­cien, la publi­ca­tion, chez Fayard, par Annie Para­dis, d’une antho­lo­gie de la cor­res­pon­dance échan­gée entre les membres de la famille Mozart (et tra­duite par Ber­nard Lor­tho­la­ry) sous le titre Mozart, Lettres des jours ordi­naires 1756 – 1791.

L’en­tre­prise était dif­fi­cile, car on a conser­vé de ces échanges scrip­tu­raires pas moins de 1 196 mis­sives ! Mozar­tienne accom­plie, Annie Para­dis a eu la bonne idée d’y sélec­tion­ner 164 lettres ou extraits en se don­nant pour « matrice » le genre musi­cal que Wolf­gang « Ama­dé » pré­fé­rait à tous : celui de l’o­pé­ra, avec « lever de rideau » (la nais­sance le 27 jan­vier 1756), « pre­mière époque » (qui se ter­mine à Paris avec la mort de sa mère), « deuxième époque » (qui se clôt avec son mariage avec Constanze et leurs quelques années de vie conju­gale) et « sce­na ulti­ma » (son décès inopi­né et tra­gique le 5 décembre 1791). Des textes inter­ca­laires de sa sœur Nan­nerl Mozart ou d’An­nie Para­dis fai­sant au besoin le lien entre les élé­ments de la composition.

L’en­semble donne une idée de ce qu’é­tait la condi­tion des musi­ciens d’an­cien régime, vivant de si maigres émo­lu­ments fixes — octroyés par des nobles ou des ecclé­sias­tiques — qu’ils étaient obli­gés de voya­ger de ville en ville pour quê­ter en outre des com­mandes de com­po­si­tions et de concerts, rému­né­rés selon l’ar­bi­traire des « clients ». Léo­pold Mozart n’é­tait de ce fait ni une excep­tion ni un père indigne.

Les familles de musi­ciens étaient ain­si obli­gées de vivre pra­ti­que­ment plus de temps de sépa­ra­tion que de vie com­mune. D’où, mal­gré son prix très éle­vé, l’u­sage inten­sif de la cor­res­pon­dance et l’un des rôles prin­ci­paux de celle-ci : entre­te­nir les rela­tions intra­fa­mi­liales, tout en trai­tant aus­si bien d’af­faires de tous genres — à com­men­cer par les com­po­si­tions et entre­prises musi­cales abou­ties ou non — que de petits riens.

N’ayant jamais été écrites pour être publiées, ces Lettres des jours ordi­naires n’ont donc pas sta­tut de bio­gra­phie, mais d’a­bord de docu­ments his­to­riques, le cas échéant fort importants.

Je n’en don­ne­rai ici que deux exemples. Ils confirment que Wolf­gang « Ama­dé » fut le pre­mier musi­cien du XVIIIe siècle à sor­tir de l’an­cien régime pour prendre le sta­tut d’in­dé­pen­dant. Et cor­rigent pour le moins les thèses du film Ama­deus de Milos For­man, qui force la note en pré­sen­tant essen­tiel­le­ment un Mozart clow­nesque, dépen­sier à outrance et aux mœurs dissolues.

La rup­ture avec l’an­cien régime se consomme — dans l’am­biance rigide créée autour de lui par Joseph ii (hos­tile à l’o­pé­ra) et adop­tée par ses par­ti­sans — par la rup­ture de Mozart, à par­tir de 1778 avec le prince-arche­vêque Col­lo­re­do, parce que ce der­nier n’ayant pas le carac­tère aimable de son pré­dé­ces­seur, traite en somme le jeune et brillant musi­cien comme un membre quel­conque de sa domes­ti­ci­té : « L’ar­che­vêque, écrit Wolf­gang à son père dans la lettre 66, p. 324, ne sau­rait me payer suf­fi­sam­ment pour l’es­cla­vage de Salz­bourg. L’ar­che­vêque n’a pas le droit de jouer avec moi au grand, comme il a accou­tu­mé de le faire — il n’est nul­le­ment impos­sible que je lui fasse un pied de nez ! » Comme Col­lo­re­do refu­se­ra la rup­ture du contrat, l’ar­tiste d’ex­cep­tion (ou, en réa­li­té, l’ex­cep­tion des excep­tions des artistes de son temps) y trou­ve­ra un bon pré­texte pour ne plus remettre les pieds à Salz­bourg, où il risque, en effet, d’être arrê­té. Cela au grand dam de son père, qui lui fai­sait valoir son absence de bon sens à renon­cer — en se récon­ci­liant avec le prince — à ce qui « est cer­tain et durable aus­si long­temps qu’on veut » (lettre 67, p. 329).

La par­tie du livre inti­tu­lée « Archives du cœur » (p. 505 – 582), contient les naïves et émou­vantes lettres d’a­mour à Constanze, femme de pauvre ori­gine qu’il a épou­sée en 1882 contre l’a­vis de son père (voir p. 435 – 436). Elles expriment, de la part de l’homme simple et droit qu’é­tait Wolf­gang, une fidé­li­té exem­plaire à celle dont il vou­lait et eut des enfants, qui ne sur­vi­vront pas. Elles rap­pellent éga­le­ment tout au long des jours com­bien la grave mala­die, dont elle souf­frait et qui l’o­bli­geait à de cou­teux séjours à Baden-Baden, aura pesé (en sus du reste) dans le bud­get mozar­tien pour le conduire à la misère et à la fosse commune.

Rien, bien enten­du, dans cette cor­res­pon­dance, sur l’a­go­nie de Mozart. Constanze et son second mari se char­ge­ront plus tard de l’é­vo­quer en rédi­geant quelques années plus tard la pre­mière bio­gra­phie de ce prince de la musique, qui, bien qu’il ait écrit toute sa vie de la musique et des lettres, n’a jamais fré­quen­té quelque école que ce soit pour apprendre — si ce n’est tout seul comme un grand — à manier la plume.

Hervé Cnudde


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