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Wikileaks. Délit de fuite

Numéro 1 Janvier 2011 par Baptiste Erkes

janvier 2011

Reve­nant régu­liè­re­ment à la une de l’actualité inter­na­tio­nale, les infor­ma­tions révé­lées sur le site Wiki­leaks depuis 2006 occupent un espace média­tique de pre­mier choix. Bref contex­tua­li­sa­tion d’un phé­no­mène « bien de notre époque ». S’il n’existait pas, il allait être inven­té Le wiki (« rapide ») est, dans le jar­gon inter­net, un site web par­ti­ci­pa­tif dont le conte­nu est directement […]

Reve­nant régu­liè­re­ment à la une de l’actualité inter­na­tio­nale, les infor­ma­tions révé­lées sur le site Wiki­leaks depuis 2006 occupent un espace média­tique de pre­mier choix. Bref contex­tua­li­sa­tion d’un phé­no­mène « bien de notre époque ».

S’il n’existait pas, il allait être inventé

Le wiki (« rapide ») est, dans le jar­gon inter­net, un site web par­ti­ci­pa­tif dont le conte­nu est direc­te­ment créé par l’internaute visi­teur. Un wiki est géné­ra­le­ment uti­li­sé pour sai­sir et orga­ni­ser des conte­nus dans un objec­tif de col­la­bo­ra­tion. Le conte­nu d’un wiki est donc une sorte de com­pro­mis entre les inter­nautes par­ti­ci­pants, tou­jours à même de modi­fier le conte­nu. Le plus connu est sans conteste Wiki­pe­dia, qu’il n’est plus néces­saire de pré­sen­ter, mais aus­si wiki­tion­naire, eko­pe­dia…, mais des mil­liers de décli­nai­sons thé­ma­tiques existent aujourd’hui sur la Toile, sur de nom­breux sujets, et dans toutes les décli­nai­sons pos­sibles et ima­gi­nables. Google en a même fait une appli­ca­tion à usage pri­vé « googledoc ».

Le wiki est donc en quelque sorte le « stade ultime » de la dimen­sion par­ti­ci­pa­tive du web 2.0 (web où l’utilisateur est aus­si désor­mais le créa­teur de conte­nu : blogs, forums, Face­book, Twit­ter, You­tube, etc.) qui devient un espace public (plus ou moins) ouvert à tous. Mais si le dis­po­si­tif est une chose, le conte­nu en est une autre.

Wikileaks, le wiki qui raconte les secrets

Wiki­leaks est une des nom­breuses décli­nai­sons du poten­tiel des wikis1 Sa par­ti­cu­la­ri­té étant de récol­ter des infor­ma­tions à forte poten­tia­li­té média­tique en garan­tis­sant l’anonymat et le secret des sources, notam­ment par des méca­nismes infor­ma­tiques com­plexes. Wiki­leaks n’est pas un site d’information tra­di­tion­nel ou même alter­na­tif comme il en existe de nom­breux sur le web, que ce soient les décli­nai­sons inter­net de la presse tra­di­tion­nelle ou des sites d’information tel Media­part ou rue89, par exemple. Il s’agit plu­tôt d’un « simple » récep­tacle de conte­nus qu’on veut bien lui trans­mettre 2 Sa grande noto­rié­té est due aux natures des fuites qui y ont été publiées et à sa dimen­sion de « lan­ceur d’alertes ».

Dans ce sens, il s’agit de bien com­prendre que Wiki­leaks est un phé­no­mène web de son temps et désor­mais inévi­table. Les ques­tions ne tournent plus autour de l’interdiction ou de l’autorisation de ce genre de site. Il faut plu­tôt voir Wiki­leaks comme une étape dans le déve­lop­pe­ment d’internet liée à l’afflux sans cesse crois­sant d’informations de la part de l’internaute lambda.

Inter­net a beau­coup évo­lué depuis sa nais­sance et son ouver­ture au grand public depuis les années nonante. Aujourd’hui, il arrive à un tour­nant lié à une cer­taine matu­ri­té non seule­ment dans les usages mais aus­si dans la démo­cra­ti­sa­tion de son acces­si­bi­li­té. De plus en plus de gens ont accès au web 3, il s’est démo­cra­ti­sé et touche désor­mais aus­si, par exemple, les classes popu­laires. Jadis réser­vé aux spé­cia­listes, le web est désor­mais par­tout. Comme chaque usa­ger peut deve­nir aus­si créa­teur de conte­nu et le mettre à dis­po­si­tion de toute per­sonne qui le sou­haite, la quan­ti­té d’informations devient colos­sale et un tri devient crucial.

Dans un pre­mier temps les jour­na­listes dits tra­di­tion­nels ont vu d’un mau­vais œil l’apparition de ce qu’on appelle par­fois le « jour­na­lisme citoyen » (le fait que l’internaute prend désor­mais la plume pour rela­ter l’information via les blogs, etc.). Désor­mais, leurs mis­sions ne sont plus anta­go­nistes, mais bien com­plé­men­taires. Le jour­na­liste pro­fes­sion­nel est à pré­sent assi­gné à une tâche fon­da­men­tale : celle de recou­per et de véri­fier ce qui se dit sur le net. Dans son com­por­te­ment, l’internaute ne s’y trompe pas : il s’informe sur inter­net, mais recoupe tou­jours sur des sites « offi­ciels ». Aujourd’hui la col­la­bo­ra­tion com­mence à arri­ver à matu­ri­té avec cepen­dant une exi­gence tou­jours aus­si fon­da­men­tale : avoir des jour­na­listes qui soient bien for­més et indé­pen­dants tant poli­ti­que­ment qu’économiquement.

La ques­tion de la liberté
et de la neu­tra­li­té du net

Wiki­leaks sou­lève une fois de plus la déli­cate ques­tion de la liber­té et de la neu­tra­li­té du net. Car der­rière Wiki­leaks et son éven­tuelle cen­sure ou inter­dic­tion (en cou­pant les vivres ou en fer­mant sim­ple­ment le site) se trouvent les limites de la liber­té d’expression sur le net et plus lar­ge­ment de la liber­té de cir­cu­la­tion des infos et des don­nées. De plus en plus remise en ques­tion, la libre cir­cu­la­tion de l’information porte davan­tage pré­ju­dice à des enjeux impor­tants, qu’ils soient de nature poli­tique ou éco­no­miques, inca­pable de remettre leurs modèles en ques­tion depuis la numé­ri­sa­tion mas­sive des don­nées. Citons, par exemple, la ges­tion du droit d’auteur qui est bous­cu­lée par le télé­char­ge­ment illé­gal. Les réponses sim­plistes à ces pro­blèmes com­plexes ont mon­tré leurs limites. La fer­me­ture de Naps­ter (un des pre­miers sites de télé­char­ge­ment de musique) en 2001 à la suite d’une condam­na­tion judi­ciaire n’a pas clos le cha­pitre du télé­char­ge­ment illé­gal. Bien au contraire, il a pro­vo­qué l’ouverture de cen­taines de sites et de pro­grammes de télé­char­ge­ment plus évo­lués les uns que les autres qui rendent aujourd’hui tech­ni­que­ment presque impos­sible l’empêchement du télé­char­ge­ment de don­nées. Les seules solu­tions que l’on a trou­vées jusqu’ici demandent des couts colos­saux pour des résul­tats miti­gés car tou­jours tech­ni­que­ment contour­nables. Et les réponses juri­diques telles que l’Hadopi récem­ment mise en place en France ou les pro­jets de l’Acta au niveau inter­na­tio­nal ne pro­posent rien d’autre qu’un contrôle du conte­nu des don­nées en cir­cu­la­tion sur la Toile avec toutes les ques­tions de pro­tec­tion de la vie pri­vée que cela comporte.

Face à ces nom­breux pro­blèmes éco­no­miques et poli­tiques que peut entrai­ner une trop grande cir­cu­la­tion de l’information, cer­tains pays ont déci­dé de contrô­ler l’internet sur leur ter­ri­toire en blo­quant l’accès à cer­tains sites ou en les fer­mant s’ils en ont la pos­si­bi­li­té. Avec des résul­tats plus ou moins pro­bants. Les moyens mis en place pour blo­quer ou contrô­ler l’accès, s’ils touchent le (désor­mais) grand public d’internet, se trouvent tou­jours poten­tiel­le­ment contour­nables par cer­tains initiés.

Parions que la fer­me­ture pure et simple de Wiki­leaks, si elle est tech­ni­que­ment envi­sa­geable, ne débou­che­ra à terme qu’à l’ouverture de dizaines de sites équi­va­lents. Il suf­fit de voir le nombre incroyable de « sites miroirs » qui se sont mis en place quelques heures à peine après l’évocation d’une éven­tuelle fer­me­ture de Wiki­leaks. Au contraire, il est plus que pro­bable que ce genre de site se déve­loppe dans les semaines et les mois à venir. Nous sommes aujourd’hui face à un phé­no­mène qui récolte des fuites concer­nant la poli­tique inter­na­tio­nale, rien n’empêche demain des inter­nautes d’ouvrir des cen­taines de « Wiki­leaks » locaux : un Wiki­leaks de votre quar­tier, de votre région ou de votre pays par exemple… Les seules ripostes pos­sibles sont extrêmes et dif­fi­ci­le­ment envi­sa­geables (contrôle total des don­nées qui cir­culent sur le net). Il ne reste donc qu’à sou­hai­ter que leur vali­di­té soit uni­que­ment garan­tie par un tra­vail de recou­pe­ment jour­na­lis­tique de qua­li­té asso­cié à la récep­tion de ces infor­ma­tions brutes qui, soyons en sûrs, n’ont pas fini de sur­gir. Il sera alors tou­jours temps de se deman­der si trop de trans­pa­rence ne risque pas de débou­cher sur de l’invisibilité.

  1. Wiki­leaks n’est d’ailleurs pas un wiki en tant que tel puisque le conte­nu est trié et sélec­tion­né et que toute per­sonne n’a pas la pos­si­bi­li­té d’y pos­ter de l’information..
  2. Dans ce sens, consi­dé­rer Julian Assange comme un jour­na­liste d’investigation équi­vaut à consi­dé­rer votre libraire comme un journaliste..
  3. 40 mil­lions d’usagers en 1996, près de 1,5 mil­liard en 2010.

Baptiste Erkes


Auteur

Baptiste Erkes est journaliste