Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Weporn. Analyser les pornographies

Numéro 7 - 2016 par van der Kar

novembre 2016

Depuis la fin de la vidéo VHS ou du film cryp­té du same­di soir sur Canal+, depuis l’apparition, voire l’invasion, de nou­velles formes et de nou­veaux for­mats por­no­gra­phiques, il est sans doute néces­saire de prendre l’étude des images por­no­gra­phiques « à bras-le-corps », de com­prendre ce qu’elles mettent en scène volon­tai­re­ment (des fan­tasmes), ce qu’elles exposent à leur […]

Depuis la fin de la vidéo VHS ou du film cryp­té du same­di soir sur Canal+, depuis l’apparition, voire l’invasion, de nou­velles formes et de nou­veaux for­mats por­no­gra­phiques, il est sans doute néces­saire de prendre l’étude des images por­no­gra­phiques « à bras-le-corps », de com­prendre ce qu’elles mettent en scène volon­tai­re­ment (des fan­tasmes), ce qu’elles exposent à leur insu (l’interdit, l’obscène), ce qu’elles dis­si­mulent et ce qu’elles engagent (le désir et les corps).

De nom­breuses réflexions existent sur la dif­fu­sion mas­sive des por­no­gra­phies, à par­tir de deux pôles oppo­sés : d’un côté, leur dénon­cia­tion comme dégra­da­tion de la femme, de la sexua­li­té et des rela­tions amou­reuses, ou encore comme dan­ger pour cer­tains publics dits vul­né­rables ; de l’autre, leur obser­va­tion comme formes cultu­relles, comme lieux d’apprentissage, voire de résis­tance et de libération.

La por­no­gra­phie, « ce n’est pas qu’une affaire de cul », affirme Marie-Anne Paveau, pro­fes­seure en sciences du lan­gage, dans son ouvrage Le Dis­cours por­no­gra­phique1. Les por­no­gra­phies sont en effet de pas­sion­nants obser­va­toires de la vie sociale où se défi­nissent les normes et les valeurs, les pres­crip­tions et les inter­dits, les gouts et les dégouts, les qua­li­tés et les défauts, les iden­ti­tés, les légi­ti­mi­tés, les peurs et impu­deurs, les gloires et les hontes.

Qu’on veuille le (sa)voir ou pas, la « por­no­gra­phi­sa­tion » galo­pante du monde, cela nous regarde désor­mais, toutes et tous. Au tra­vers de son pro­jet Weporn, le Gsa­ra, en tant qu’association d’éducation per­ma­nente, a dès lors sou­hai­té se pen­cher sur le sujet des por­no­gra­phies, sou­vent mis à part dans l’éducation des médias, en dépas­sant le débat pro- ou anti-por­no. Il ne s’agit pas de pré­sen­ter un pro­jet « exo­tique » sur un sec­teur d’activité sul­fu­reux ou under­ground, mais bien de sus­ci­ter la réflexion cri­tique, de com­prendre en quoi la por­no­gra­phie opère comme un cata­ly­seur des logiques sociales, poli­tiques, cultu­relles et sexuelles contemporaines.

Une majo­ri­té de jeunes (et moins jeunes) regarde régu­liè­re­ment du por­no, pour­tant le sujet reste sou­vent peu abor­dé dans la sphère pri­vée et dans les médias. Autre para­doxe, plu­sieurs films perdent leur visa d’exploitation2 en France, por­tant ain­si le risque d’empêcher toute repré­sen­ta­tion artis­tique de la sexua­li­té et de faire du por­no le der­nier rap­port visuel au sexe, si acces­sible grâce aux sites en strea­ming.

Le X ver­sion 2.0 s’est en effet fort popu­la­ri­sé en rai­son de son accès aisé, ano­nyme et peu cou­teux, voire gra­tuit. Il a éga­le­ment consi­dé­ra­ble­ment évo­lué, tant dans les repré­sen­ta­tions, les dis­po­si­tifs (web­cam, sex­tos, snap­shat, cha­trou­lette…), que dans les usages qui sont faits des images, ou des dis­cours qui l’accompagnent. En effet, en plus de vision­ner des images, tout inter­naute pos­sède désor­mais les moyens de se fil­mer et de fil­mer ses par­te­naires. D’autres types de scé­na­ri­sa­tion (essen­tiel­le­ment ceux de la pré­sen­ta­tion de soi) et de la socia­li­sa­tion voient éga­le­ment le jour.

Comment se saisir des pornographies ?

C’est en croi­sant le regard d’artistes et d’experts que le pro­jet Weporn a choi­si d’aborder la ques­tion. Sous le com­mis­sa­riat de Fran­çois de Coninck et Pierre-Yves Desaive, une expo­si­tion col­lec­tive Weporn pré­sen­te­ra (à la gale­rie Levy-Del­val du 4 novembre au 3 décembre) une sélec­tion d’œuvres d’artistes contem­po­rains (vidéos, pho­to­gra­phies, des­sins, objets…) qui déclinent, brouillent, déjouent, détournent ou décons­truisent les codes de la por­no­gra­phie contem­po­raine pour en inter­ro­ger le pou­voir de fas­ci­na­tion3.

Ces œuvres mettent à l’épreuve, déclinent, détournent ou décons­truisent les codes por­no­gra­phiques pour en inter­ro­ger le pou­voir de fas­ci­na­tion. Les por­no­gra­phies inter­rogent nos rela­tions à l’image — la pul­sion sco­pique (vou­loir voir et don­ner à voir) n’est-elle pas fon­da­men­ta­le­ment por­no­gra­phique ? Des tra­vaux qui donnent à voir, certes, mais sur­tout à pen­ser autre chose que ce qu’ils montrent, si tant est que l’expérience de l’art est de sai­sir ce qui nous saisit.

Paral­lè­le­ment à l’exposition, une série de confé­rences, débats, ren­contres seront mis sur pied pour inter­ro­ger les rap­ports de pou­voir qui sont à l’œuvre, les effets du X sur la construc­tion sociale des dési­rs, la sexua­li­té aug­men­tée, le ciné­ma por­no fémi­niste et, bien sûr, la sexua­li­té et ses normes car la mise en scène expli­cite du sexe ques­tionne notre ordre moral et nos lois : qu’avons-nous le droit de mon­trer ou pas, où s’arrête la liber­té d’expression, et où com­mence l’atteinte aux bonnes mœurs ? Pour para­phra­ser le roman­cier et cinéaste Robbe-Grillet, la por­no­gra­phie des uns reste sans doute, aujourd’hui encore, l’érotisme des autres.

Un ouvrage, aux édi­tions La Lettre volée ver­ra éga­le­ment le jour où des auteurs du monde du ciné­ma, de l’anthropologie, de la socio­lo­gie, de la phi­lo­so­phie, des arts, de la psy­cho­lo­gie et de la péda­go­gie pro­posent des outils d’analyse, de réflexion, cri­tiques et non mora­listes, sur la ques­tion des pornographies.

Puisse ce pro­jet contri­buer à l’encadrement péda­go­gique néces­saire, à une édu­ca­tion tant aux médias qu’à la vie affec­tive et sexuelle, sen­suelle qui ne rime pas seule­ment avec pré­ven­tion et pro­tec­tion. Éro­ti­sons le savoir et pra­ti­quons l’échangisme intellectuel.

  1. Marie-Anne Paveau, Le dis­cours por­no­gra­phique, La Musar­dine, coll. « L’attrape-corps », 2014.
  2. Furent inter­dits aux moins de dix-huit ans, Baise-moi (2000), de Vir­gi­nie Des­pentes et Cora­lie Trinh Thi, Ken Park, de Lar­ry Clark (2003), Il n’y a pas de rap­port sexuel (2012), de Raphaël Sibo­ni. Love, de Gas­par Noé (2015). Fut éga­le­ment inter­dit aux moins de douze ans La Vie d’Adèle (2013), d’Abdellatif Kechiche, en rai­son des « scènes de sexe réa­listes de nature à heur­ter la sen­si­bi­li­té du jeune public ». Après Nym­pho­ma­niac, de Lars von Trier, qui fut pros­crit aux moins de seize ans pour le pre­mier volet et aux moins de dix-huit ans pour le deuxième (2014), c’est au tour d’Anti­christ du même réa­li­sa­teur sul­fu­reux de subir le même sort en rai­son de « scènes de très grande vio­lence » et de « scènes de sexe non simulées ».
  3. Car­los Aires, Damien De Lepe­leire, Fré­dé­ric Delangle, Benoît Félix, Robert Gli­go­rov, Alexan­der Gor­liz­ki, Gau­thier Hubert, Lar­ry Sul­tan, Alex Mc Quil­kin, Annette Mes­sa­ger, Phi­lippe Meste, Annie Sprinkle.

van der Kar


Auteur

responsable des campagnes de sensibilisation au Gsara