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Weporn. Analyser les pornographies
Depuis la fin de la vidéo VHS ou du film crypté du samedi soir sur Canal+, depuis l’apparition, voire l’invasion, de nouvelles formes et de nouveaux formats pornographiques, il est sans doute nécessaire de prendre l’étude des images pornographiques « à bras-le-corps », de comprendre ce qu’elles mettent en scène volontairement (des fantasmes), ce qu’elles exposent à leur […]
Depuis la fin de la vidéo VHS ou du film crypté du samedi soir sur Canal+, depuis l’apparition, voire l’invasion, de nouvelles formes et de nouveaux formats pornographiques, il est sans doute nécessaire de prendre l’étude des images pornographiques « à bras-le-corps », de comprendre ce qu’elles mettent en scène volontairement (des fantasmes), ce qu’elles exposent à leur insu (l’interdit, l’obscène), ce qu’elles dissimulent et ce qu’elles engagent (le désir et les corps).
De nombreuses réflexions existent sur la diffusion massive des pornographies, à partir de deux pôles opposés : d’un côté, leur dénonciation comme dégradation de la femme, de la sexualité et des relations amoureuses, ou encore comme danger pour certains publics dits vulnérables ; de l’autre, leur observation comme formes culturelles, comme lieux d’apprentissage, voire de résistance et de libération.
La pornographie, « ce n’est pas qu’une affaire de cul », affirme Marie-Anne Paveau, professeure en sciences du langage, dans son ouvrage Le Discours pornographique1. Les pornographies sont en effet de passionnants observatoires de la vie sociale où se définissent les normes et les valeurs, les prescriptions et les interdits, les gouts et les dégouts, les qualités et les défauts, les identités, les légitimités, les peurs et impudeurs, les gloires et les hontes.
Qu’on veuille le (sa)voir ou pas, la « pornographisation » galopante du monde, cela nous regarde désormais, toutes et tous. Au travers de son projet Weporn, le Gsara, en tant qu’association d’éducation permanente, a dès lors souhaité se pencher sur le sujet des pornographies, souvent mis à part dans l’éducation des médias, en dépassant le débat pro- ou anti-porno. Il ne s’agit pas de présenter un projet « exotique » sur un secteur d’activité sulfureux ou underground, mais bien de susciter la réflexion critique, de comprendre en quoi la pornographie opère comme un catalyseur des logiques sociales, politiques, culturelles et sexuelles contemporaines.
Une majorité de jeunes (et moins jeunes) regarde régulièrement du porno, pourtant le sujet reste souvent peu abordé dans la sphère privée et dans les médias. Autre paradoxe, plusieurs films perdent leur visa d’exploitation2 en France, portant ainsi le risque d’empêcher toute représentation artistique de la sexualité et de faire du porno le dernier rapport visuel au sexe, si accessible grâce aux sites en streaming.
Le X version 2.0 s’est en effet fort popularisé en raison de son accès aisé, anonyme et peu couteux, voire gratuit. Il a également considérablement évolué, tant dans les représentations, les dispositifs (webcam, sextos, snapshat, chatroulette…), que dans les usages qui sont faits des images, ou des discours qui l’accompagnent. En effet, en plus de visionner des images, tout internaute possède désormais les moyens de se filmer et de filmer ses partenaires. D’autres types de scénarisation (essentiellement ceux de la présentation de soi) et de la socialisation voient également le jour.
Comment se saisir des pornographies ?
C’est en croisant le regard d’artistes et d’experts que le projet Weporn a choisi d’aborder la question. Sous le commissariat de François de Coninck et Pierre-Yves Desaive, une exposition collective Weporn présentera (à la galerie Levy-Delval du 4 novembre au 3 décembre) une sélection d’œuvres d’artistes contemporains (vidéos, photographies, dessins, objets…) qui déclinent, brouillent, déjouent, détournent ou déconstruisent les codes de la pornographie contemporaine pour en interroger le pouvoir de fascination3.
Ces œuvres mettent à l’épreuve, déclinent, détournent ou déconstruisent les codes pornographiques pour en interroger le pouvoir de fascination. Les pornographies interrogent nos relations à l’image — la pulsion scopique (vouloir voir et donner à voir) n’est-elle pas fondamentalement pornographique ? Des travaux qui donnent à voir, certes, mais surtout à penser autre chose que ce qu’ils montrent, si tant est que l’expérience de l’art est de saisir ce qui nous saisit.
Parallèlement à l’exposition, une série de conférences, débats, rencontres seront mis sur pied pour interroger les rapports de pouvoir qui sont à l’œuvre, les effets du X sur la construction sociale des désirs, la sexualité augmentée, le cinéma porno féministe et, bien sûr, la sexualité et ses normes car la mise en scène explicite du sexe questionne notre ordre moral et nos lois : qu’avons-nous le droit de montrer ou pas, où s’arrête la liberté d’expression, et où commence l’atteinte aux bonnes mœurs ? Pour paraphraser le romancier et cinéaste Robbe-Grillet, la pornographie des uns reste sans doute, aujourd’hui encore, l’érotisme des autres.
Un ouvrage, aux éditions La Lettre volée verra également le jour où des auteurs du monde du cinéma, de l’anthropologie, de la sociologie, de la philosophie, des arts, de la psychologie et de la pédagogie proposent des outils d’analyse, de réflexion, critiques et non moralistes, sur la question des pornographies.
Puisse ce projet contribuer à l’encadrement pédagogique nécessaire, à une éducation tant aux médias qu’à la vie affective et sexuelle, sensuelle qui ne rime pas seulement avec prévention et protection. Érotisons le savoir et pratiquons l’échangisme intellectuel.
- Marie-Anne Paveau, Le discours pornographique, La Musardine, coll. « L’attrape-corps », 2014.
- Furent interdits aux moins de dix-huit ans, Baise-moi (2000), de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, Ken Park, de Larry Clark (2003), Il n’y a pas de rapport sexuel (2012), de Raphaël Siboni. Love, de Gaspar Noé (2015). Fut également interdit aux moins de douze ans La Vie d’Adèle (2013), d’Abdellatif Kechiche, en raison des « scènes de sexe réalistes de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». Après Nymphomaniac, de Lars von Trier, qui fut proscrit aux moins de seize ans pour le premier volet et aux moins de dix-huit ans pour le deuxième (2014), c’est au tour d’Antichrist du même réalisateur sulfureux de subir le même sort en raison de « scènes de très grande violence » et de « scènes de sexe non simulées ».
- Carlos Aires, Damien De Lepeleire, Frédéric Delangle, Benoît Félix, Robert Gligorov, Alexander Gorlizki, Gauthier Hubert, Larry Sultan, Alex Mc Quilkin, Annette Messager, Philippe Meste, Annie Sprinkle.