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Wallonie-Bruxelles : une méthode

Numéro 05/6 Mai-Juin 2008 par Donat Carlier

mai 2008

Le plai­doyer conjoint de Rudy Demotte et Charles Pic­qué en faveur d’une « fédé­ra­tion bi-régio­­nale » vient ren­for­cer une prise de conscience en Wal­lo­nie et à Bruxelles : il y a urgence à conce­voir un ave­nir poli­tique auto­nome, que ce soit dans ou sans la Bel­gique. Le dos­sier que La Revue nou­velle a consa­cré à cette ques­tion se clô­tu­rait sur un texte qui […]

Le plai­doyer conjoint de Rudy Demotte et Charles Pic­qué en faveur d’une « fédé­ra­tion bi-régio­nale1 » vient ren­for­cer une prise de conscience en Wal­lo­nie et à Bruxelles : il y a urgence à conce­voir un ave­nir poli­tique auto­nome, que ce soit dans ou sans la Bel­gique. Le dos­sier que La Revue nou­velle a consa­cré à cette ques­tion se clô­tu­rait sur un texte2 qui semble rejoindre le plai­doyer des deux ministres-pré­si­dents. Les deux argu­ments se recoupent en effet glo­ba­le­ment sur la direc­tion à prendre : la Région doit consti­tuer en Wal­lo­nie et à Bruxelles l’en­ti­té poli­tique « de réfé­rence » sur laquelle baser une Com­mu­nau­té. Mais ils divergent sur la forme que doit prendre cette nou­velle archi­tec­ture et, sur­tout, sur la méthode pour y parvenir.

Comme le sou­ligne Vincent de Coore­by­ter3, le « cœur de la pro­po­si­tion » Demotte-Pic­qué consiste à com­po­ser le gou­ver­ne­ment de cette fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles de ministres régio­naux qui « devraient prendre sys­té­ma­ti­que­ment en compte les réa­li­tés bruxel­loises et wal­lonnes ». Le condi­tion­nel est de rigueur. Jouer sur le seul gou­ver­ne­ment est pour le moins insuf­fi­sant si, pour reprendre les termes des deux res­pon­sables socia­listes, on vise effec­ti­ve­ment des « ins­ti­tu­tions au ser­vice de la popu­la­tion », non seule­ment au nom de l’ef­fi­ca­ci­té et du « bon sens », mais éga­le­ment de la démo­cra­tie. La légi­ti­mi­té popu­laire passe notam­ment par les élec­tions, un des moments pri­vi­lé­giés de son expres­sion. Or le Par­le­ment de la Com­mu­nau­té est uni­que­ment com­po­sé, en seconde ins­tance, de dépu­tés des Par­le­ments wal­lon et bruxel­lois élus avant tout sur les com­pé­tences régio­nales. Les poli­tiques cultu­relles et édu­ca­tives, rele­vant de la Com­mu­nau­té, sont actuel­le­ment occul­tées dans les méca­nismes élec­to­raux. Si l’on ne crai­gnait pas de mul­ti­plier des scru­tins déjà trop nom­breux, on pour­rait en orga­ni­ser un au niveau de cette nou­velle « fédé­ra­tion » englo­bant les deux Régions. Mais les deux ministres-pré­si­dents réaf­firment au contraire la pri­mau­té de Régions seules, « régies par le suf­frage uni­ver­sel direct ». Leur « fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles » n’en est en réa­li­té pas une, ne fût-ce que par l’ab­sence d’é­lec­tions directes légi­ti­mant l’au­to­no­mie du niveau wallo-bruxellois.

Rudy Demotte et Charles Pic­qué n’é­voquent d’ailleurs pas plus une quel­conque hié­rar­chie des normes qui accom­pagne en géné­ral un sys­tème fédé­ral. Or cette ques­tion est cen­trale : les concur­rences entre Com­mu­nau­té, Com­mis­sion com­mu­nau­taire fran­çaise et Régions consti­tuent une des rai­sons essen­tielles de leur inef­fi­ca­ci­té. Où inves­tir nos moyens limi­tés ? Com­ment orga­ni­ser la col­la­bo­ra­tion et la cohé­rence entre sec­teurs, au-delà de leurs pou­voirs de tutelle ? Qui en déci­de­ra ? Se repo­ser à cet égard sur la seule double cas­quette des membres des exé­cu­tifs, et donc en défi­ni­tive sur leur bonne volon­té, est bien trop fragile.
Si la Com­mu­nau­té souffre du défi­cit de légi­ti­mi­té le plus pro­fond, les Régions béné­fi­cient fina­le­ment d’une adhé­sion assez faible qui s’ex­plique en par­tie, pré­ci­sé­ment, par le confi­ne­ment des com­pé­tences des enti­tés wal­lonne et bruxel­loise aux matières socioé­co­no­miques. Quelle est la cré­di­bi­li­té d’un pro­jet de redé­ploie­ment qui s’in­ter­dit d’é­vo­quer les thèmes de la culture ou de l’é­cole ou ne les aborde, par la force des choses, que sous l’angle de leurs apports au redres­se­ment éco­no­mique des Régions ?

Pour sor­tir de ces impasses, il faut poser un choix plus net. Celui-ci passe sym­bo­li­que­ment par un « moment régio­nal » qui per­met­trait de non pas sim­ple­ment « revi­si­ter » la Com­mu­nau­té, mais de la refon­der sur une base régio­nale. Les Par­le­ments wal­lon et fran­co­phone bruxel­lois pro­chai­ne­ment élus pour­raient se réunir en « conven­tion » pour déci­der des com­pé­tences à mettre en com­mun au sein d’une réelle com­mu­nau­té Wal­lo­nie-Bruxelles. Il s’a­gi­rait pour l’es­sen­tiel de la culture et de l’en­sei­gne­ment, mais on attend sur ce plan les résul­tats des tra­vaux de la com­mis­sion Spaak-Bus­quin. Le Par­le­ment de cette Com­mu­nau­té refon­dée serait com­po­sé de deux chambres, l’une wal­lonne, l’autre bruxel­loise, qui tien­draient ses­sion ensemble, mais vote­raient cha­cune le bud­get ain­si que la confiance au gou­ver­ne­ment, uni­que­ment com­po­sé de ministres régio­naux. Par ailleurs, tout texte pour­rait être invo­qué et débat­tu spé­ci­fi­que­ment par une des deux chambres. Ce méca­nisme per­met­trait de garan­tir démo­cra­ti­que­ment l’ar­ti­cu­la­tion des com­pé­tences, la soli­da­ri­té entre Régions, une visi­bi­li­té élec­to­rale des poli­tiques confiées à la Com­mu­nau­té… et sur­tout la pri­mau­té de pro­jets régio­naux éten­dus à l’en­semble des com­pé­tences fédé­rées. Ce seraient ces chambres qui seraient ame­nées à tran­cher en der­nière ins­tance dans les rap­ports conflic­tuels entre niveaux de pou­voir, en contrô­lant les ministres à double casquette.

Mais si les ins­ti­tu­tions ne pré­cèdent pas les socié­tés et se trouvent bien à leur ser­vice, cette confi­gu­ra­tion gagne­rait à être anti­ci­pée dès les élec­tions de 2009. Ce point de méthode est cru­cial en termes d’adhé­sion des socié­tés wal­lonne et bruxel­loise. Le pro­chain ren­dez-vous élec­to­ral doit consti­tuer l’oc­ca­sion de débattre de manière plus appro­fon­die des pro­jets de redé­ploie­ment de nos deux Régions, en ce com­pris donc des poli­tiques édu­ca­tives et cultu­relles, pour les relayer auprès des nou­velles assem­blées et exécutifs.

Si la Bel­gique venait à se dis­soudre, ces orien­ta­tions per­met­traient de construire une réelle fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles. Mais pour le moment, ce qui est res­sen­ti comme étant com­mun par les Wal­lons et les Bruxel­lois, c’est sur­tout le fait d’être… belge. C’est en défi­ni­tive sur cette ambi­guï­té que repose l’ar­chi­tec­ture ins­ti­tu­tion­nelle côté fran­co­phone. Lever cette ambi­guï­té lors d’un « moment régio­nal » com­porte évi­dem­ment le risque que s’im­pose l’i­dée que nous n’au­rions rien d’autre en com­mun que la Bel­gique et que des liens soli­daires spé­ci­fiques entre Wal­lons et Bruxel­lois n’ont pas beau­coup de sens. La mécon­nais­sance et la crainte réci­proques qui carac­té­risent les rela­tions actuelles entre les deux Régions pour­raient être dépas­sées, non seule­ment en mon­trant ce que nous avons à gagner ensemble, mais éga­le­ment parce que la valo­ri­sa­tion de la diver­si­té interne aux deux espaces poli­tiques consti­tue un fond com­mun d’ex­pé­rience des deux populations.

  1. « Pour une fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, un plai­doyer bi-régio­nal », dans Le Soir du 17 avril 2008, p. 2.
  2. Benoît Lechat, Donat Car­lier, « Réfor­mer les méthodes avant les struc­tures, dans Wal­lo­nie-Buxelles, au-delà de la Bel­gique ? », La Revue nou­velle, avril 2008.
  3. « Ren­for­cer la Com­mu­nau­té fran­çaise ? », dans Le Soir du 22 avril 2008, p. 17.

Donat Carlier


Auteur

Né en 1971 à Braine-le-Comte, Donat Carlier est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1997. Actuellement Directeur du Consortium de validation des compétences, il a dirigé l’équipe du Bassin Enseignement Formation Emploi à Bruxelles, a conseillé Ministre bruxellois de l’économie, de l’emploi et de la formation ; et a également été journaliste, chercheur et enseignant. Titulaire d’un Master en sociologie et anthropologie, ses centres d’intérêts le portent vers la politique belge, et plus particulièrement l’histoire sociale, politique et institutionnelle de la construction du fédéralisme en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. Il a également écrit sur les domaines de l’éducation et du monde du travail. Il est plus généralement attentif aux évolutions actuelles de la société et du régime démocratiques.