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Vive la radio !

Numéro 10 Octobre 2010 par Edgar Szoc

octobre 2010

Le par­ti pris quelque peu para­doxal qui a pré­si­dé à l’é­la­bo­ra­tion du pré­sent dos­sier pour­rait se résu­mer dans une for­mule : la radio… fait voir. Par son ubi­qui­té, son omni­pré­sence, elle se donne comme objet fami­lier, péné­trant jusque dans la sphère la plus intime, celle des réveils quo­ti­diens ou des habi­tacles clos des embou­teillages urbains : écou­ter la radio, […]

Le par­ti pris quelque peu para­doxal qui a pré­si­dé à l’é­la­bo­ra­tion du pré­sent dos­sier pour­rait se résu­mer dans une for­mule : la radio… fait voir. Par son ubi­qui­té, son omni­pré­sence, elle se donne comme objet fami­lier, péné­trant jusque dans la sphère la plus intime, celle des réveils quo­ti­diens ou des habi­tacles clos des embou­teillages urbains : écou­ter la radio, c’est d’ailleurs géné­ra­le­ment bien plus qu’é­cou­ter la radio : celle-ci ne sert sou­vent que de toile de fond à l’exer­cice d’autres acti­vi­tés, qui ne laissent à cette écoute guère plus qu’une atten­tion flot­tante. Est-ce l’é­vi­dence dis­crète de cette pré­sence ou le carac­tère daté de sa tech­no­lo­gie consti­tu­tive ? Tou­jours est-il que la radio ne mobi­lise plus, dans l’é­tude des médias, qu’une atten­tion rela­ti­ve­ment péri­phé­rique, en marge de la fas­ci­na­tion exer­cée par l’é­mer­gence de nou­veaux médias, de l’é­tude tou­jours renou­ve­lée de l’emprise télé­vi­suelle, et du pres­tige de la presse écrite.

Conscients de ce manque rela­tif d’in­té­rêt pour les enjeux spé­ci­fiques aux champs radio­pho­niques, nous avons pré­fé­ré nous inté­res­ser à ce qu’ils révé­laient en dehors d’eux-mêmes, à ce que l’é­vo­lu­tion de la radio et de ses pra­tiques fai­sait voir du monde.

Consi­dé­rée comme prisme, la radio per­met en effet de mon­trer sous un nou­veau jour les tro­pismes et les ornières du fonc­tion­ne­ment de l’É­tat fédé­ral belge et de la Com­mu­nau­té fran­çaise, l’é­la­bo­ra­tion du Plan de fré­quence, véri­table saga dont les épi­sodes à rebon­dis­se­ments n’ont rien à envier aux feuille­tons radio­pho­niques d’an­tan (Ber­nard Dubuis­son). Elle pro­pose aus­si une des illus­tra­tions les plus abou­ties de la réin­té­gra­tion mar­chande par le « nou­vel esprit du capi­ta­lisme » de la « cri­tique artiste » concep­tua­li­sée par Bol­tans­ki et Chia­pel­lo — énième varia­tion sur le thème éter­nel des bra­con­niers et des garde-chasse (Pierre De Jae­ger et Edgar Szoc). Elle offre encore une pers­pec­tive inédite sur la dépen­dance crois­sante du sec­teur public au mar­ché et, en par­ti­cu­lier, aux indus­tries publi­ci­taires, dans un contexte où, pour rap­pel, le gou­ver­ne­ment de la Com­mu­nau­té fran­çaise s’est enga­gé, dans sa « Décla­ra­tion de poli­tique com­mune », à « réa­li­ser une étude objec­tive et scien­ti­fique rela­tive au finan­ce­ment de la RTBF et à la recherche de finan­ce­ments alter­na­tifs à la publi­ci­té et au spon­so­ring, sans affai­blir l’offre de ser­vice public, et en garan­tis­sant la sta­bi­li­té et la péren­ni­té du finan­ce­ment de cet opé­ra­teur » (Fré­dé­ric Antoine). Elle jette enfin une lumière sur­pre­nante sur les vicis­si­tudes des pro­ces­sus de démo­cra­ti­sa­tion en cours en Afrique (Marie-Soleil Frère): à côté du pire illus­tré par la tris­te­ment célèbre « Radio Mille Col­lines », se sont déve­lop­pées de nom­breuses expé­riences autre­ment plus stimulantes.

Quant à l’his­to­rio­gra­phie de la radio et à la construc­tion quelque peu arti­fi­cielle de sa linéa­ri­té, elles per­mettent d’in­ter­ro­ger à nou­veaux frais la ques­tion du rôle des mythes dans la fabri­ca­tion sociale, et en par­ti­cu­lier celui de la cen­tra­li­té des médias (Nico Carpentier).

Sur cha­cune de ces ques­tions, l’a­van­tage d’une « approche par la radio » réside dans sa capa­ci­té à redé­fi­nir dans de nou­veaux termes des ques­tions usées jus­qu’à la corde : par une homo­lo­gie peu sur­pre­nante entre la pra­tique et sa théo­ri­sa­tion, écrire sur la radio, c’est en fait écrire sur bien d’autres sujets, de même que l’é­cou­ter, c’est géné­ra­le­ment être absor­bé par des acti­vi­tés autre­ment plus prenantes.

Edgar Szoc


Auteur

Edgar Szoc est romaniste et économiste. Il a mené de concert une carrière de journaliste puis de chercheur dans un service d'études syndical avec un engagement associatif dans les Droits de l'Homme - en particulier, les droits économiques, sociaux et culturels - et les radios libres, en tant qu'animateur et administrateur.