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Virage libertarien en Argentine
En Argentine, Javier Milei, un candidat affichant des airs de rock star vêtue de cuir noir et mélangeant des perspectives réactionnaires classiques à des postures libertariennes, a remporté les élections présidentielles. On vérifiera dans ce dossier que l’émergence de ce type de leader correspond bien à des enjeux de contexte spécifiquement argentins. À commencer par la tradition bien […]
En Argentine, Javier Milei, un candidat affichant des airs de rock star vêtue de cuir noir et mélangeant des perspectives réactionnaires classiques à des postures libertariennes, a remporté les élections présidentielles. On vérifiera dans ce dossier que l’émergence de ce type de leader correspond bien à des enjeux de contexte spécifiquement argentins.
À commencer par la tradition bien établie du pays de se déclarer à intervalles très réguliers en défaut de paiement de sa dette extérieure. Alors que Néstor Kirchner l’avait drastiquement restructurée entre 2005 et 2009, le retour de la droite en 2015 avec Mauricio Macri s’est traduit par une augmentation vertigineuse de la dette en dollars. Une analyse plus détaillée des mécanismes en jeu a permis de constater de graves irrégularités dans la mise en œuvre de cette nouvelle phase d’endettement tant et si bien que l’on peut qualifier cette dernière d’illégitime.
Cette analyse limitée au seul champ des finances publiques sera complétée d’une présentation de la position de l’Argentine dans la division Centre-Périphérie des échanges commerciaux entre le Nord et le Sud. Cet exercice nous permettra de cerner de plus près les raisons qui conduisent l’Argentine à faire défaut quant à sa dette, et ceci pratiquement tous les 25 ans depuis l’indépendance du pays. On complètera cette approche profondément ancrée dans l’école structuraliste latino-américaine en économie politique, laquelle est principalement représentée par un économiste argentin, en l’occurrence Raúl Prebisch (1901 – 1986), par un essai d’inscription dans l’approche marxienne des capitaux constants et variables.
C’est sur cet arrière-plan de retour au pouvoir de la bourgeoisie liée à la propriété terrienne et foncière que l’on doit lire les interactions de l’Argentine avec le reste du monde. Pour nos agriculteurs en Wallonie, c’est indéniablement un danger puisque Javier Milei est un partisan acharné des accords de libéralisation entre le Mercosur et l’Union européenne. Or, la terre des gauchos s’avère nettement plus compétitive en matière d’élevage bovin que notre filière wallonne.
À ce propos, la suite du dossier a permis de poser un constat qui pourrait paraitre très exotique, à savoir la manière dont le peuple Wichi, une des communautés amérindiennes parmi les plus pauvres de l’Argentine, est actuellement en proie à des manœuvres de spoliation de ses terres perpétrées par les forces de l’agrobusiness. Mais, c’est bien connu, les apparences sont trompeuses. Dans chaque pays du globe, il existe, en effet, des groupes humains qui ont tous comme point commun d’être structurellement dominés. Dans le cas de l’Argentine, la passion triste du « miléisme » pour la domination sans partage et sans réciprocité s’est également incarnée par des manifestations de machisme débouchant sur le rejet d’une femme présidente, parce que femme, le refus des politiques de gauche, car répondant aux intérêts de classe des fractions les plus pauvres de la population et par la manifestation décomplexée d’une sensibilité antiprogressiste de type libéral réactionnaire. Toute ressemblance avec les évolutions d’une partie de la droite libérale en Belgique francophone n’est peut-être pas complètement fortuite.
Après tout, comme l’énonça un jour Thomas Mann, « si le fascisme revient, il le fera au nom de la liberté ». Mais alors que les tronçonneuses sont de sortie pour tailler dans les droits à l’emploi, à la santé et à la culture chez nous aussi, on ferait bien de s’inspirer de la combattivité des syndicats argentins, davantage, d’ailleurs, ingénieurs que poètes. En effet, devant la multiplication des grèves générales, le gouvernement d’ultradroite de Javier Milei commence, en effet, à perdre le soutien d’une partie des élites argentines. D’après certaines enquêtes la population semblerait déjà se détourner de la gestion libertarienne de l’économie. Selon un récent sondage, le gouvernement perd le soutien à son modèle économique au fur et à mesure que la polarisation sociale et économique s’accentue. En effet, 55 % des personnes interrogées considèrent que l’ajustement s’est trop exclusivement abattu sur les retraités et les travailleurs et que l’emploi est en phase de destruction. Par ailleurs, les citoyens ayant participé au sondage considèrent que Milei n’est pas un « leader mondial important » (49 %) et qu’il est trop agressif (55 %)1. Cette annonce dans un journal clairement ancré à droite prouve sans nul doute qu’une partie des élites est déjà en passe de retirer son soutien au nouveau président argentin après à peine 6 mois d’exercice du pouvoir.
La bourgeoisie est, bien sûr, toujours demandeuse de réformes (comprenez, de régressions) qui vont dans le sens de ses intérêts bien compris, mais ces dernières doivent s’avérer, à l’usage, parfaitement compatibles avec la continuité de l’extraction de la plus-value à partir du surtravail, c’est-à-dire cette partie de la journée de travail qui n’est pas rémunérée et constitue par là même la source du profit pour les détenteurs des moyens de production. Dans les mois qui viennent, il faudra, chez nous comme en Argentine, que le mouvement ouvrier réponde à l’accusation de fomenter des grèves politiques. Dès lors, il serait peut-être intellectuellement fécond de faire valoir qu’une grève est toujours politique puisqu’elle matérialise le droit souverain du mouvement ouvrier de poser une limite, plus ou moins importante en fonction du rapport de forces, à l’extraction de la plus-value.