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Violents, les jeunes ?

Numéro 12 Décembre 2008 par Joëlle Kwaschin

décembre 2008

La pho­to­gra­phie qui illustre la cou­ver­ture est dans le droit fil de l’es­prit qui a pré­si­dé à la consti­tu­tion de ce dos­sier. Le graf­fi­ti peut être soit une inci­vi­li­té qui dépare l’es­pace public, soit de l’art urbain. L’in­ter­ven­tion ici choi­sie pour ses qua­li­tés gra­phiques fait par­tie d’un ensemble impres­sion­nant graf­fé sur les piles d’un pont d’au­to­route d’une […]

La pho­to­gra­phie qui illustre la cou­ver­ture est dans le droit fil de l’es­prit qui a pré­si­dé à la consti­tu­tion de ce dos­sier. Le graf­fi­ti peut être soit une inci­vi­li­té qui dépare l’es­pace public, soit de l’art urbain. L’in­ter­ven­tion ici choi­sie pour ses qua­li­tés gra­phiques fait par­tie d’un ensemble impres­sion­nant graf­fé sur les piles d’un pont d’au­to­route d’une com­mune bruxel­loise. À l’op­po­sé d’une idée reçue, nul dégât donc, nulle agres­sion de l’œil, mais l’ex­pres­sion de jeunes artistes qui donne vie à un pas­sage sinistre reliant deux parcs. Le graf­fi­ti s’ins­crit dans une tra­di­tion ancienne : on le trouve déjà sur les murs de l’An­ti­qui­té, témoin pré­cieux de la socié­té qui l’a produit.

La vio­lence, en par­ti­cu­lier celle attri­buée à la jeu­nesse, comme les tags et les graf­fi­tis cen­sés en être le reflet, sus­citent beau­coup d’at­ten­tion des médias et des pou­voirs publics qui voient dans le jeune une figure contem­po­raine de la menace, un repré­sen­tant d’une classe dan­ge­reuse, dont les com­por­te­ments délin­quants sont d’au­tant plus incom­pré­hen­sibles qu’ils sont « gra­tuits ». Ce dos­sier a l’am­bi­tion de mon­trer, à tra­vers quelques ques­tions, que la vio­lence est un concept poly­sé­mique et que, par­fois, elle ne se trouve pas là où on l’attend.

Xavier Rous­seaux et David Niget resi­tuent la ques­tion dans une pers­pec­tive longue : la vio­lence est une com­po­sante intrin­sèque de la vie col­lec­tive, ce qui ne veut natu­rel­le­ment pas dire qu’il faut se rési­gner à des actes inac­cep­tables, mais qu’il faut ins­crire la vio­lence dans un hori­zon de sens. Elle fait par­tie inté­grante de la façon dont se consti­tue une socié­té et peut par­fois être por­teuse de pro­grès. Comme fait de culture, la fron­tière entre le légi­time et l’in­to­lé­rable varie en fonc­tion des époques. Ain­si, le Moyen-Âge tolère sous cer­taines condi­tions le viol col­lec­tif, mais consi­dère l’in­sulte comme suf­fi­sam­ment grave que pour devoir être répa­rée dans des formes pres­crites sous peine d’en­traî­ner un déchaî­ne­ment de l’a­gres­si­vi­té. Mais, au-delà du voca­bu­laire, les insultes n’ont guère chan­gé de thème : il reste tou­jours outra­geant de semer le doute sur la mora­li­té d’une mère…

S’il est dérai­son­nable de sou­hai­ter voir se concré­ti­ser tota­le­ment un « droit à la sécu­ri­té1 », les pré­oc­cu­pa­tions sécu­ri­taires sont-elles dépour­vues de tout fon­de­ment ? Qu’est-ce qui a aug­men­té ? La vio­lence ou la sen­si­bi­li­sa­tion actuelle à la vio­lence ? En réa­li­té, chiffres et études scien­ti­fiques montrent que la vio­lence phy­sique est en dimi­nu­tion et que, en par­ti­cu­lier, l’as­si­mi­la­tion de la jeu­nesse avec la vio­lence doit, au rebours du sens com­mun, être mise en ques­tion2. Les enquêtes de ter­rain de Jacinthe Maz­zoc­chet­ti dans une ins­ti­tu­tion publique de pro­tec­tion de la jeu­nesse pour jeunes filles confirment que le pla­ce­ment répond non à des actes de délin­quance, mais à des conduites de mise en dan­ger. La vio­lence, ici, est ins­ti­tu­tion­nelle. Lors­qu’elles sortent, elles sont mar­quées du stig­mate de « filles de l’IPPJ », et le pro­ces­sus d’ex­clu­sion s’en trouve ren­for­cé. Antoine Mas­son dénonce éga­le­ment la vio­lence du dis­cours qui rend les jeunes res­pon­sables d’une vio­lence dont ils sont sou­vent les victimes.

Cette vio­lence struc­tu­relle n’est pas que le fait d’ins­ti­tu­tions, elle s’exerce éga­le­ment dans les rap­ports quo­ti­diens. Oli­vier Klein et Sté­phane Doyen, s’ap­puyant sur des tra­vaux de psy­cho­lo­gie sociale expé­ri­men­tale, rompent avec l’a prio­ri que cer­taines bavures poli­cières s’ex­pliquent par le racisme des forces de l’ordre. Le com­por­te­ment d’a­gres­sion résulte d’une inter­ac­tion entre des fac­teurs socio­cul­tu­rels, des fac­teurs indi­vi­duels et des fac­teurs liés au contexte.

Cer­taines vio­lences causent le désar­roi moins en rai­son de leur nature ou de leur gra­vi­té que parce qu’elles semblent sans rai­son. Pour Mau­ri­cio Gar­cia et Antoine Mas­son, la vio­lence est un lan­gage, une manière de com­mu­ni­quer. Mau­ri­cio Gar­cia s’est pen­ché sur les vio­lences en milieu sco­laire qui sont davan­tage des inci­vi­li­tés que des agres­sions phy­siques pro­pre­ment dites. Si l’on accepte d’en­tendre ce que les jeunes ont à dire, leurs actes trouvent sens dans leur rap­port aux pairs, dont il s’a­git d’ob­te­nir la recon­nais­sance. Puisque les inter­ac­tions vio­lentes sont consti­tu­tives de leur iden­ti­té, des inter­ven­tions édu­ca­tives qui diver­si­fient les stra­té­gies de recon­nais­sance et modèrent le désir doivent per­mettre aux jeunes de chan­ger de moyen d’ex­pres­sion. Antoine Mas­son pro­longe le pro­pos par l’a­na­lyse de faits d’une extrême gra­vi­té, qui appa­rem­ment sont sans rai­son pen­sable pour notre sys­tème de valeurs, ce qui ne signi­fie pas que l’a­do­les­cent ne construise pas un sys­tème de jus­ti­fi­ca­tion com­plexe, ten­ta­tive désas­treuse de fon­da­tion de l’ordre sym­bo­lique. En fin de compte, il ren­voie les adultes à leurs res­pon­sa­bi­li­tés : c’est à eux qu’il revient de main­te­nir vivante la dia­lec­tique entre les formes d’au­to­ri­té et les modes de légitimation.

  1. « La douce vio­lence des contrats de sécu­ri­té », Yves Car­tuy­vels et Luc Van Cam­pen­houdt, La Revue nou­velle, mars 1995, p. 49.
  2. Éric Jans­sens, pré­sident de l’U­nion fran­co­phone des magis­trats de la jeu­nesse, relève ain­si que 80% des dos­siers trai­tés par les par­quets jeu­nesse concernent des mineurs en danger.

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie