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Varoufakis, chevalier blanc, mais maladroit de l’Europe
Nommé ministre des Finances juste après avoir été élu pour la première (et dernière) fois en 2015, l’économiste grec Yanis Varoufakis a incarné pendant six mois une alternative au courant de pensée de l’axe Berlin (chancellerie fédérale) — Francfort (siège de la Banque centrale européenne) et la résistance aux ukases des faucons de l’austérité. En décalage avec le […]
Nommé ministre des Finances juste après avoir été élu pour la première (et dernière) fois en 2015, l’économiste grec Yanis Varoufakis a incarné pendant six mois une alternative au courant de pensée de l’axe Berlin (chancellerie fédérale) — Francfort (siège de la Banque centrale européenne) et la résistance aux ukases des faucons de l’austérité. En décalage avec le style feutré des réunions diplomatiques, l’ancien comparse d’Alexis Tsipras détonnait dans le paysage européen et plus encore dans le milieu des ministres des Finances. Il n’hésita pas à tenir tête plus d’une fois au tout puissant argentier allemand, le (très) conservateur Wolfgang Schaüble, un vétéran de la politique européenne, et au président « socialiste » de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem.
Sa démission intervint le lendemain d’un référendum organisé le 5 juillet 2015 qui se conclut par ce qu’avec le recul on peut qualifier de victoire à la Pyrrhus pour le gouvernement grec. Ce jour-là, le peuple grec vota majoritairement contre les conditions draconiennes imposées par l’Europe en échange d’un énième plan de sauvetage. Le résultat et la situation exceptionnelle qui s’ensuivit (re)plongèrent momentanément la zone euro dans l’inconnu, suscitant un nouveau vent de panique parmi les autorités et sur les marchés.
Selon la version officielle, en démissionnant, Varoufakis se sacrifia afin de faciliter l’élaboration de solutions de compromis, les différences de style et d’approche entre lui et ses homologues étant manifestement inconciliables. Une autre explication veut que Varoufakis ait jeté le gant en raison des atermoiements de Tsipras. Le Premier grec n’osa en effet pas suivre son ministre des Finances dans sa volonté de mettre en œuvre un plan B qui aurait desserré l’étau de la troïka sur la Grèce. Ce plan B impliquait des mesures extraordinaires dont la création d’une monnaie électronique en parallèle à l’euro.
En guise de représailles à l’encontre de ces Hellènes qui osèrent contester le jusqu’au-boutisme « austéritaire » des ministres des Finances, les conditions déterminées par l’Eurogroupe furent finalement pires pour le peuple grec que ne l’auraient été celles mises sur la table avant le référendum. Le rebondissement de la saga grecque au cours de cet hiver (le FMI demandant un allègement de la dette publique grecque et des objectifs budgétaires à moyen terme, les Européens contestant son évaluation) atteste d’ailleurs de la dureté et de la contreproductivité de ces conditions.
Depuis son éviction, Varoufakis n’est pas resté les bras croisés. Il a publié deux livres. Mais, il a surtout fait le tour de l’Europe et rencontré un certain nombre de personnalités politiques et académiques. Son objectif ? Identifier les convergences pour bâtir une alternative jouissant d’une large assise dans la société civile et dans le monde politique, tous partis confondus.
Le rebond DiEM25
La publication par les cinq présidents des institutions européennes de leur propre contribution à l’amélioration de l’Europe apporta de l’eau au moulin suggérant que la zone euro restait en chantier et qu’il fallait la consolider. Bien qu’émanant des plus hautes autorités européennes, ce texte fut vite enterré en raison du manque de volonté des Allemands (en particulier) d’entrer dans ce genre de débats. Cette impasse n’était pas pour décourager Varoufakis qui, au contraire, y vit davantage de raisons de s’engager pour une réforme de l’Union européenne.
Varoufakis sortit finalement du bois en annonçant la création d’un mouvement « transparti » sans volonté explicite (jusqu’ici) de briguer des sièges aux élections européennes de 2019. « DiEM25 » est l’acronyme de Democracy in Europe Movement 2025. En l’absence de réformes en profondeur de l’Union européenne, DiEM25 considère en effet que l’UE aura franchi un point de non-retour en 2025, menant à sa désintégration et à l’exercice du pouvoir par des forces populistes sur le Vieux Continent. DiEM25 rend public en février 2016 un manifeste esquissant les grands chantiers à mettre en œuvre et appelant à travailler collectivement à des propositions concrètes. À l’heure de la publication de ce premier texte, le Brexit n’est pas encore une réalité, les tenants du Remain devançant leurs opposants avec une confortable avancée… selon les sondages de l’époque. Le manifeste fustige au passage les eurocrates responsables des maux actuels de l’UE, accusés d’étouffer l’expression des peuples en éloignant l’Europe de leurs préoccupations réelles : plus d’un Européen sur deux pensant que sa voix ne compte pas pour l’UE (Standard Eurobarometer 85).
Passée l’effervescence de la nouveauté et la curiosité des premiers jours, l’intérêt médiatique, voire politique, pour la démarche retombe vite. Mais, dans les coulisses et sur les plateaux de télévision qui aimantent le VIP grec, Varoufakis continue à s’activer pour détailler les réformes nécessaires esquissées dans le manifeste.
Un plan de relance de l’Europe… déseuropéanisé
Les propositions de DiEM25 rendues publiques le 13 février, c’est-à-dire un an après le premier manifeste, visent à s’attaquer au double problème que sont le sous-emploi causé par la crise et les migrants contraints de passer d’un État membre à l’autre pour trouver du travail.
Ce nouveau papier entend dénoncer les fausses bonnes idées de l’extrême-droite et des souverainistes à la Mélenchon (lequel voulait d’ailleurs intégrer Varoufakis dans son orbite) ou du type du PTB, pour qui il faut sortir de l’UE ou la refonder ex nihilo. Notons qu’il s’agit ici d’une évolution par rapport au manifeste qui était peu amène envers les eurocrates : finalement, il semble que pour DiEM25, l’Europe puisse et doive être sauvée.
Les propositions s’articulent autour de la transition écologique de l’économie dans un contexte d’absence de croissance, de la revalorisation des emplois mal reconnus (infirmières, enseignants, acteurs de la transformation énergétique…), de la réduction des inégalités à l’heure de la robotisation et d’une démocratisation plus poussée à tous niveaux.
Le document n’est pas l’aboutissement de la réflexion du mouvement, puisqu’une série de propositions concernant la réglementation des banques, le financement de la transition énergétique et la coordination des politiques budgétaires, monétaires et sociales, seront détaillées dans le futur.
DiEM25 se veut résolument pro-européen et hostile au repli à l’abri des frontières nationales. Or, à y regarder de plus près, et cela peut surprendre de prime abord tellement cela contraste avec les intentions de son instigateur, il n’est guère fait mention d’intégration politique plus poussée ou d’un plan paneuropéen de relance de l’économie et de l’Europe sociale. Cela s’explique par le fait que les mesures préconisées sont pour l’essentiel à mettre en œuvre à l’échelle nationale, à l’exception de l’intervention de la Banque centrale européenne dans l’assainissement du secteur bancaire, du fonds anti-pauvreté inspiré d’un dispositif américain et des investissements publics à faire réaliser par la Banque européenne d’investissement et le Fonds européen d’investissement.
L’un des dispositifs clés évoqué dans le texte tient dans la création d’une quasi-monnaie nationale, une monnaie électronique échappant au circuit monétaire classique et dans la mise en place d’un nouveau compte électronique. De la sorte, les Etats gagneraient en autonomie par rapport à la BCE, aux banques privées qui émettent de la monnaie et aux marchés financiers. Cela s’explique par le fait qu’ils pourraient emprunter à meilleur compte en s’adressant directement à leurs concitoyen et en mobilisant l’épargne nationale. Les individus y gagneraient dans la mesure où en échange de leurs prêts, ils bénéficieraient d’une remise sur leurs impôts futurs par exemple.
Le programme de « garantie d’emploi », autre dispositif central, est aussi de nature nationale. Ces emplois seraient fournis dans le secteur public en conciliation avec les autorités locales chargées d’identifier les opportunités. Afin de financer le projet, le collectif envisage une taxe levée (au niveau national toujours) sur la valeur des terrains occupés par les entreprises (hormis dans l’agriculture) et décroissante en rapport avec le nombre de travailleurs salariés. Ce sont surtout les entreprises établies sur de larges superficies avec peu de travailleurs qui sont dans le collimateur. Implicitement, cette taxe revient à décourager la robotisation dans le secteur industriel.
La conception d’autres mécanismes laisse également penser qu’ils s’enracineraient plutôt à l’échelle nationale. C’est le cas du revenu universel : le financement proviendrait des rendements du capital. Plus précisément, un pourcentage des actions de chaque nouvelle introduction d’une entreprise en Bourse serait versé dans un fonds et les rendements qui en découleraient financeraient un « dividende universel de base »1.
Il faut soulever le fait qu’un certain nombre de propositions passent par des accords multilatéraux intergouvernementaux comme pour l’instauration d’une taxe carbone. Exit donc la méthode communautaire censée garantir que les Etats soient traités de manière égalitaire et que l’implication notamment du Parlement européen légitime les décisions prises. Il n’est d’ailleurs que peu question d’institutions dans le document, sauf lorsqu’il mentionne les banques centrales.
Ajoutons que le Parlement européen, pourtant la principale instance démocratique depuis la première élection au suffrage universel direct de ses membres en 1979, n’est pas cité ne fût-ce qu’une fois (comme la Commission, par ailleurs). Cela semble traduire un mépris pour l’activité parlementaire. Comme si la reconstruction de l’Europe pouvait passer « par la rue » et uniquement par elle. Comme si toute forme d’alliance entre la société civile et le Parlement, voire à certaines occasions avec la Commission, étaient tout bonnement impossibles. C’est ainsi que le papier, pourtant d’une certaine longueur, n’indique pas que pour détourner l’Europe du cours de l’austérité, il faudrait réformer les huit textes organisant la gouvernance économique européenne ou fermer l’économie casino, par exemple en séparant les activités de dépôts et d’investissements des banques.
Bizarrement, le seul élément central qui apparaît en fil rouge des presque trente pages tient dans l’intervention de la Banque centrale européenne et de ses consœurs nationales. Pourtant, on sait Varoufakis peu tendre à leur égard. Cela n’empêche pas DiEM25 de les faire intervenir dans la mise en œuvre de presque toutes les dispositions, comme dans le remboursement à moindre cout des dettes publiques nationales, l’apport de garanties et des opérations sur les marchés afin de maintenir à un bas niveau le taux d’intérêt des titres financiers sous-jacents aux investissements publics. Or, comme il s’agit d’entités indépendantes, la réalisation du projet de DiEM25 dépend d’acteurs non-politiques sur lesquels on n’exerce aucune prise, et des technocrates. Voilà qui s’avère donc antinomique avec l’essence même du projet de DiEM25, à savoir « redémocratiser » l’UE. À moins de remettre en cause l’indépendance des Banques centrales mais il n’en est nullement question dans le document de DiEM25.
Enfin, et c’est, pour un ancien ministre des Finances et qui plus est économiste, une faute qui entache la crédibilité de tout l’exercice, car il manque un chapitre ou une annexe synthétique mettant en correspondance les propositions avec les pistes budgétaires pour les financer (et dans quels délais).
Un problème de méthode
Outre les propositions mêmes de sauvetage de l’UE, la méthode « Varoufakis » n’est pas non plus à l’abri des reproches. Son mouvement, qu’il avait présenté comme une coalition de personnalités politiques, ne semble se résumer qu’à sa seule personne et à un petit groupe de proches ; malgré la création d’antennes locales à Berlin, Barcelone, etc. Si certains ont été approchés pour contribuer à l’élaboration de son texte, on n’en retrouve pratiquement aucune trace dans la version finale.
Les médias aussi sont passés à autre chose. Pourtant, la date de sortie avait été choisie avec soin de manière à peser dans la présidentielle française. Or, force est de reconnaitre que peu a transparu dans les médias mainstream. Ce qui tend à corroborer l’hypothèse que Varoufakis ne travaille pas avec des personnalités qui font au moins vendre du papier ou parler d’elles dans leur pays et que les relais locaux sont déjà essoufflés.
Un nouveau tour de retape a été réalisé dans le contexte des soixante ans du Traité de Rome. Profitant de cet anniversaire de l’UE, Varoufakis a habilement cherché à positionner son mouvement au centre du jeu politique en appelant les partis à manifester leur soutien au « New Deal ». En échange d’un tel positionnement, DiEM25 s’engagerait à les soutenir en retour à l’occasion des scrutins électoraux. Dans le cas contraire, il n’écarte pas non plus l’idée que les membres nationaux de DiEM25 se fassent eux-mêmes les porteurs du programme. Cela pourrait signifier implicitement qu’ils se constitueraient en formation politique2. Mais, cette « menace » à l’encontre des partis semble plus relever d’un coup de bluff étant donné que le mouvement est peu implanté dans les Etats membres et qu’il ne dispose pas du financement à la hauteur de cette ambition.
En conclusion, l’initiative de Varoufakis de contribuer à faire vivre le débat sur la nécessité de réformer l’UE et la zone euro est salvatrice. En dépit des faiblesses identifiées ci-dessus, les propositions se démarquent par leur caractère novateur et intellectuellement stimulant. Cependant, elles prennent des libertés avec le principe de réalité, à savoir les contraintes des traités et l’impossibilité à l’heure actuelle de les modifier. De plus, DiEM25 s’exonère de l’exercice consistant à budgétiser ses idées, ce qui donnerait une meilleure visibilité quant à leur faisabilité financière, en particulier dans les pays qui ont le plus besoin de soutien. L’incertitude quant à la possibilité que DiEM25 se présente aux élections européennes de 2019 n’incite pas non plus de potentiels partenaires (depuis la gauche radicale aux sociaux-démocrates, via les Verts et en incluant une partie des Libéraux europhiles) à faire cause commune, par crainte de se faire gruger dans la dernière ligne droite.
24 mars 2017
- À ne pas confondre avec le concept utilisé par Philippe Van Parijs.
- « If DiEM25 members decide in a democratic and transparent process involving the entire movement’s community that they wish to organize themselves to put forward the European New Deal in an electoral contest, we shall support them too ».