Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Va chercher, Médor !
Médor, tenant à peine sur ses pattes, a commencé par s’aventurer dans le labyrinthe Mithra, spin-off pharmaceutique liégeoise créée en 1999 et dopée aux aides et subsides publics. Il a découvert des ruines nombreuses — les sociétés satellites qui se sont succédé — et des galeries enchevêtrées — business plans trafiqués, délocalisation fiscale avec des étançons branlants, accords avec des entreprises opaques. Il a débouché […]
Médor, tenant à peine sur ses pattes, a commencé par s’aventurer dans le labyrinthe Mithra, spin-off pharmaceutique liégeoise créée en 1999 et dopée aux aides et subsides publics. Il a découvert des ruines nombreuses — les sociétés satellites qui se sont succédé — et des galeries enchevêtrées — business plans trafiqués, délocalisation fiscale avec des étançons branlants, accords avec des entreprises opaques. Il a débouché sur un verger au sol parsemé de pièges pour les investisseurs et jonché de fruits au gout amer pour le contribuable wallon. Tandis qu’il grondait, le maitre des lieux, Fornieri, patron de Mithra, a requis la pose d’une muselière. Las, après avoir hésité, les gardiens de la loi ont estimé qu’il fallait laisser Médor aboyer.
Dans un premier temps, le 18 novembre 2015, le tribunal de première instance avait enjoint au nouveau magazine de retirer cet article du journaliste indépendant David Leloup. Le 1er décembre, après un débat contradictoire, le tribunal en autorisait la publication et la diffusion. En effet, nulle faute ou dommage n’étant constatés à ce stade, l’ordonnance se réfère à l’article 25 de la Constitution qui prohibe une censure préventive. Libre donc à Médor de continuer à gambader les yeux ouverts, de fouiner où cela l’amuse.
C’était un démarrage en fanfare. La promesse du collectif éditorial était alléchante depuis le début, un « trimestriel belge d’enquêtes et de récits », attisée par de longs mois de préparation et de crowdfunding. L’article incriminé par Mithra était le porte-drapeau du premier numéro, supposé incarner de façon éclatante la partie « enquêtes » de la ligne éditoriale. Le ramdam occasionné a valu tous les coups de toutes les agences de communication, inespéré, avec comme résultat direct plusieurs centaines d’abonnements avant même d’être mis en rayon.
Un an et quatre numéros plus tard, comment se profile la gueule du chiot ?
Braver la censure
Le projet est de pratiquer une information qui contourne la langue de bois des services de communication en s’accrochant au terrain belge, avec une indépendance et un sérieux qui bravent les censures qui pèsent aujourd’hui, même sur la presse des pays démocratiques. Dès sa première édition, le pisteur gratte le terrain à plusieurs niveaux : de la success story wallonne qu’on vient d’évoquer aux opérations immobilières des administrateurs de la SNCB et au substrat flamand de familles francophono-francophones « de souche », jusqu’aux façons de pratiquer l’auscultation gynécologique.
L’article sur Mithra, finalement peu commenté sur son contenu même, laissait cependant un arrière-gout d’inachevé. Certes, il était excitant, dans cette fresque, d’aller voir comment les produits du groupe ont été homologués par les autorités brésiliennes, mais on aurait aussi voulu que soient décrites plus précisément les responsabilités des patrons des invests wallons — pour bonne part des édiles socialistes bien connus, cités par l’auteur — qui ont dépensé en pure perte des paquets de deniers publics dans l’aventure.
Mais passons sur ce gout de trop peu, cela ne ferait pas honneur à la qualité générale des propos. Avec une telle pratique du journalisme d’investigation — nous avons par exemple aussi retenu l’article du numéro 4 sur les montages amphigouriques imaginés par la Région wallonne et les syndicats liégeois pour assurer la reconversion des 1.300 ouvriers laissés sur le carreau en 2014 par ArcelorMittal —, le lecteur attentif ne peut s’empêcher de se poser la question que les promoteurs du projet relancent en sourdine, mais avec opiniâtreté : que fait-on dans les rédactions d’information générale, au Vif, au Soir, à La Libre, à RTL, etc.? Dans quel état se trouve notre presse d’information ? Vraiment tout à fait lobotomisée par l’audimatologie ? On a beau jeu, dans la profession journalistique, ici comme ailleurs, de se réclamer de Zola et de Walraff, mais qui en fait quoi ?
Une autre chose est à retenir : Médor ne fait pas qu’aboyer. L’une de ses qualités est de fouiner sans grand bruit. Il piste les Belges qui partent étudier la médecine en Roumanie pour échapper aux limitations de l’accès à ces études et il pointe les pratiques de dumping social des grosses entreprises belges du bâtiment (n°4). Il s’attarde sur les conditions de travail dans l’industrie du nettoyage et sur le destin de Luc Trullemans, l’ex Monsieur Météo de RTL-TVI, viré à la suite de propos racistes (n°3). Il dresse le portrait d’un militant écolo de la première heure devenu lobbyiste plus ou moins net au service des multinationales du béton puis se lance dans un reportage BD sur la pression foncière en Brabant wallon (n°2). Il offre un aperçu de la révolution musicale en cours à Verviers et une traduction de la rencontre avec le Morgen de Laura, la jeune Flamande de vingt-quatre ans dépressive qui avait demandé l’euthanasie (n°1). Le tout émaillé de productions plus conventionnelles, mais bien faites, comme une série de photos de Vincent Beeckman sur un centre pratiquant la psychothérapie institutionnelle, ou une interview de Diab Abou Jajah, pour ne prendre des exemples que dans le n°3.
Bref, beaucoup de diversité : des paysages, des coins inédits, de la couleur, du mordant, mais aussi de la chaleur. Trois invariants : volonté de rigueur, humour, pratique du « libre ». Un projet qui se paie : 17 euros, même pour 130 pages, ce n’est pas négligeable. Ci et là, on s’est pris à souhaiter que les trajectoires et les plongées gagnent en clarté et en lisibilité pour gagner en vitalité et aller plus droit au but, et que certaines mises en page gagnent en esthétique et en lisibilité. De ces points de vue, sur le fond comme sur la forme, le n°4 sorti ce mois de septembre est certainement celui de la maturité.