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Urgence climatique, quel rôle pour les juges et la justice ?

Numéro 8 - 2019 - climat droit justice par Lefebve

décembre 2019

L’urgence climatique est devenue un défi politique majeur de notre temps. La voie juridictionnelle est l’un des moyens pour y faire face. On observe depuis plusieurs années l’émergence d’un contentieux global en matière climatique. En Belgique, l’affaire climat (Klimaatzaak) retient en particulier l’attention. Si elle s’inscrit dans un contexte institutionnel particulier, celui de la Belgique fédérale, marqué par un éclatement des compétences en matière climatique, cette affaire constitue également une réplique d’un contentieux emblématique qui est toujours en cours aux Pays-Bas. Dans l’affaire Urgenda, des juges ont estimé que la responsabilité de l’État néerlandais pour inaction climatique pouvait être engagée. Ces victoires ont incité des membres de la société civile actifs dans d’autres pays à s’emparer de l’arme du droit pour faire progresser la cause du climat. Quel rôle peuvent être amenés à jouer les juges dans nos démocraties contemporaines lorsqu’elles se trouvent confrontées à des périls inédits ?

Article

La campagne électorale qui a précédé les scrutins simultanés du 26 mai 2019 a incontestablement été marquée par un thème central inédit, celui du climat. Cette évolution doit être mise en lien avec l’émergence d’une mobilisation sociale sans précédent qui a pris diverses formes. Plusieurs manifestations nationales Claim the Climate se sont tenues à Bruxelles. Celle du 2 décembre 2018 a été un succès de masse particulièrement notable puisqu’elle a rassemblé environ 65.000 personnes. Des voies d’action plus inattendues ont également été empruntées. Les marches des jeunes pour le climat ont marqué l’opinion publique nationale et internationale. En Belgique, elles ont été largement suivies. Tous les jeudis, de janvier à juin 2019, les jeunes se sont dits « plus chauds que le climat ». Ils ont ainsi permis à la question climatique de s’inviter non seulement dans l’espace public, mais aussi dans les familles.

Dans la palette d’actions politiques mises au service de la cause climatique qui ont pu être mobilisées par différents acteurs sociaux, il convient de ne pas négliger la voie juridictionnelle. En effet, en 2015, l’asbl Klimaatzaak, accompagnée par un certain nombre de citoyens, a introduit une action en justice afin de mettre en cause la responsabilité climatique de l’Autorité fédérale1 et d’un certain nombre d’entités fédérées compétentes en matière climatique (à savoir les Régions wallonne, flamande et de Bruxelles Capitale). Bien que cette procédure soit toujours en cours, il est opportun d’y revenir vu le contexte politique et social récent.

Ce recours s’inscrit dans un contexte qui dépasse les frontières de la Belgique. Il appartient à « une même vague d’activisme judiciaire, novatrice, voire audacieuse2 » qui trouve sa source dans l’action coordonnée de divers acteurs de la société civile. L’affaire climat, comme on l’appelle en français, s’inscrit en particulier dans le sillage d’un précédent emblématique, l’affaire Urgenda aux Pays-Bas, qui a conduit plusieurs juridictions à mettre en cause la responsabilité de l’État néerlandais en raison de son inertie face aux changements climatiques.

La cause climatique, qui ne concerne rien de moins que la survie de l’humanité, ne semble ainsi pas « trop grande » aux yeux des instigateurs des contentieux climatiques pour être traitée dans le cadre d’un procès3. Des affaires ont pris place partout dans le monde afin de mettre en cause non seulement la responsabilité d’opérateurs privés dont l’activité est génératrice de gaz à effets de serre, mais également celle des pouvoirs publics pour inaction climatique4.

La littérature scientifique de plus en plus importante qui se penche sur ce phénomène considère de façon généralement positive le développement d’un tel contentieux climatique global. En ce domaine, certains facteurs rendent le recours au juge national particulièrement opportun, comme l’absence de juridiction internationale compétente pour se prononcer en matière de protection de l’environnement. Si la problématique du réchauffement climatique se pose à l’échelle mondiale, et suscite l’intervention coordonnée des États prenant la forme de traités internationaux, il n’existe pas de juridiction compétente pour sanctionner la violation des engagements pris. Le juge national apparait dès lors comme un interlocuteur naturel.

Après avoir présenté certaines des caractéristiques principales de l’affaire Urgenda, une analyse de l’affaire climat sera proposée. Outre ses dimensions strictement juridiques, qui feront l’objet d’un examen spécifique, la portée politique de l’affaire sera également placée au centre du propos. Ses résonances dans l’espace public en Belgique seront évoquées et comparées à celles qui ont été suscitées par un autre contentieux climatique récent, l’affaire du siècle, en France, dont l’impact médiatique a été particulièrement important. Des réflexions plus générales sur le rôle de la justice en tant qu’outil de mobilisation sociale pourront alors être proposées.

L’affaire Urgenda : un précédent omniprésent

La dimension globale du phénomène du réchauffement climatique, et des mesures qui permettraient d’y faire face, imprègne la manière dont sont conçues les stratégies juridictionnelles des acteurs concernés. Une avancée obtenue dans un pays influence immédiatement la perception des enjeux inhérents à la lutte pour le climat menée dans d’autres pays du monde. C’est particulièrement le cas si l’on se penche sur l’affaire climat en Belgique, qui a été grandement influencée par le précédent Urgenda, intervenu dans un pays voisin5, qui se rapporte à une action intentée aux Pays-Bas par la fondation Urgenda, une organisation non gouvernementale (ONG) de défense de l’environnement dont le nom provient d’une contraction des mots urgentie et agenda, ainsi que par plusieurs codemandeurs personnes physiques (neuf-cents personnes) visant à mettre en cause la responsabilité de l’État. Ce recours a conduit à une grande victoire judiciaire, obtenue en 2015 devant le tribunal de district de La Haye et ensuite confirmée en 2018 par la Cour d’appel de La Haye, puisque la justice a ordonné à l’État néerlandais d’intensifier ses actions en matière de lutte contre les changements climatiques. La notion phare au centre de cette série de décisions est celle d’une obligation de diligence (duty of care) qui pèse sur l’État en matière climatique, et qui aurait en l’occurrence été violée par l’État néerlandais. Selon les juges, la nécessité d’intensifier la réponse politique à la crise climatique se justifie également sur le plan des droits fondamentaux, en particulier au regard des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, à savoir les droits à la vie et à la protection de la vie privée et familiale. En cas d’inaction des autorités publiques, ces droits fondamentaux seront en effet violés à brève ou à moyenne échéance.

Les hasards du calendrier ont parfois une forte signification politique : la décision rendue en degré d’appel dans l’affaire Urgenda, le 9 octobre 2018, intervient le lendemain d’un nouvel appel lancé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) à la communauté et à l’opinion publique internationales pour entreprendre tous les efforts permettant de maintenir le niveau du réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C (et non uniquement 2 °C) par rapport au niveau qui était celui du monde préindustriel6. En novembre 2018, l’État néerlandais forme un pourvoi en cassation afin que la plus haute juridiction néerlandaise, la Cour suprême, évalue la légalité de l’arrêt de la Cour d’appel de La Haye au regard du principe de séparation des pouvoirs. Cette procédure est toujours en cours.

L’affaire climat (Klimaatzaak) en Belgique

L’impact politique de l’affaire Urgenda a été remarquable. Lors de la COP21 qui s’est tenue à Paris du 30 novembre au 12 décembre 2015, la première décision Urgenda a résonné « comme un coup de tonnerre dans un ciel serein ». Elle a « incité les représentants des délégations à se préoccuper de la vraie dimension du sujet7 ».

Il en va de même dans le domaine du contentieux climatique. Il est possible de voir dans les deux décisions Urgenda un puissant catalyseur pour la justice climatique aux niveaux européen et mondial. L’attitude de la justice néerlandaise a certainement incité des associations et des citoyens à se saisir du droit et à se tourner vers la justice pour renforcer la lutte contre les dérèglements climatiques.

Les liens qui unissent l’affaire Urgenda, aux Pays-Bas, et l’affaire climat, en Belgique, sont particulièrement évidents. Comme l’a affirmé Serge de Gheldere, le président de l’asbl Klimaatzaak qui est à l’origine du recours, l’affaire Urgenda a été purement et simplement « clonée » en Belgique8, même si elle a dû à cette occasion être adaptée à la situation belge et en particulier à la nature fédérale de l’État. L’avocat emblématique de l’affaire Urgenda, Roger Cox, fait d’ailleurs partie de l’équipe à la manœuvre dans l’affaire belge. Concernant les sources légales qui sont mobilisées par les parties demanderesses, on constate également un tel travail à la fois de reprise et d’adaptation : des références sont faites non seulement à la Convention européenne des droits de l’homme (articles 2, 8 et 139) et au Code civil belge (articles 714 et 138210) — stratégie juridique qui fait écho à celle mise en avant dans l’affaire Urgenda —, mais aussi à la Constitution belge, qui énonce en son article 23, alinéa 3, un « droit à la protection d’un environnement sain » — ce qui n’est pas le cas en droit néerlandais.

En Belgique, comme aux Pays-Bas, ce sont les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire qui sont compétents pour juger les demandes visant à mettre en cause la responsabilité de l’État. Les règles applicables en la matière sont celles qui régissent le droit de la responsabilité civile (qui nécessitent, en particulier, l’établissement d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité). Comme aux Pays-Bas, l’action en justice a été intentée conjointement par l’asbl Klimaatzaak et un certain nombre de personnes physiques, beaucoup plus nombreuses en l’occurrence : 63161 personnes ont acquis la qualité de codemandeurs dans l’affaire climat. La question de l’intérêt à agir de ces différentes catégories de codemandeurs se pose dans le contexte procédural belge comme elle s’est posée dans le contexte néerlandais. Dans l’affaire Urgenda, si l’intérêt à agir de la fondation a été admis, tel n’a pas été le cas de celui des personnes physiques. L’intérêt à agir doit en effet présenter un certain nombre de caractéristiques (il doit être né et actuel, direct et personnel, certain et non hypothétique) qui sont susceptibles de poser des difficultés lorsqu’un recours collectif est intenté, en particulier dans le domaine climatique.

L’affaire est introduite le 27 avril 2015 devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Sur le plan procédural, un élément ralentit fortement l’affaire, lié à une question spécifique au contexte belge, celle de l’emploi des langues. En Belgique, la compétence en matière climatique est éclatée entre différents niveaux de pouvoir11. La citation en justice vise ainsi plusieurs défendeurs : l’État belge (niveau fédéral), la Région wallonne, la Région flamande et la Région de Bruxelles Capitale (entités fédérées). Cette citation est rédigée dans deux langues nationales et adressée à l’ensemble des parties défenderesses. Selon les demandeurs, le tribunal compétent est le tribunal de première instance francophone de Bruxelles : dès lors que le domicile de l’une des parties défenderesses (la Région wallonne) est situé en dehors de Bruxelles, la législation linguistique exige, en effet, selon eux, que la procédure se déroule en français12. Ce dernier argument est contesté par la Région flamande qui demande soit un changement de langue, soit une scission de l’affaire (une partie se déroulerait en français, l’autre en néerlandais ; il serait dès lors possible, dans une telle hypothèse, que les deux juridictions saisies se prononcent dans des sens différents).

Cet incident de procédure donne lieu à une décision du tribunal de première instance de Bruxelles, le 25 septembre 2015, qui estime que la langue de la procédure doit être le français. Un appel de cette décision est interjeté par la Région flamande devant le tribunal d’arrondissement de Bruxelles13. Le 8 février 2016, cette juridiction confirme la décision initiale. La ministre flamande en charge de l’Environnement, Joke Schauvliege (CD&V), annonce le 26 avril 2016 l’introduction d’un pourvoi en cassation. Après l’écoulement d’un long délai et plusieurs reports, la Cour de cassation rejette le pourvoi par un arrêt rendu le 20 avril 2018, décision qui permet d’aborder le fond de l’affaire, trois ans après qu’elle a démarré. Le procès en est à présent au stade de l’échange des conclusions écrites entre les parties. Les plaidoiries et le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles sont attendus à l’automne 2020.

Résonances de l’affaire climat dans l’espace public

Quelle est la place de l’affaire climat dans l’espace public en Belgique ? Remarquons tout d’abord que certains des actes de procédure qui scandent cette affaire sont disponibles sur le site internet de l’asbl qui a entrepris le recours. Outre la citation introductive d’instance, les conclusions déposées par la Région wallonne et la Région de Bruxelles Capitale sont disponibles en ligne. Les autres défendeurs ont en revanche refusé une telle mise à la disposition du public de leur argumentaire juridique.

Ensuite, outre l’implication de ses initiateurs et des personnes qui la pilotent au quotidien, le rôle d’«ambassadeur14 » joué par certaines personnalités publiques à l’égard de cette cause doit être épinglé. À côté d’Anuna De Wever et Kyra Gantois, les chefs de file des marches des jeunes pour le climat déjà évoquées, il est intéressant de noter la présence de l’intellectuel flamand David Van Reybrouck parmi les personnalités, relativement nombreuses, qui apportent leur soutien à l’affaire. Historien renommé15, il a aussi proposé des réflexions sur la rénovation de la démocratie représentative16. Sur le plan de l’action politique, il est connu pour avoir été l’un des instigateurs du G1000, une expérience de démocratie participative et délibérative, fondée sur l’usage du tirage au sort, qui s’est tenue en Belgique en 201117.

L’affaire climat a ainsi reçu des soutiens importants lors de sa phase de lancement. Elle a notamment été appuyée par des militants, des intellectuels, des artistes, et plus largement par des personnalités publiques qu’en Flandre on appelle communément des Bekende Vlamingen. L’affaire a également été médiatisée dans la partie francophone du pays, ce que traduit son site internet, qui en constitue la vitrine, disponible en deux langues18. Plus récemment, une vidéo mettant en scène les acteurs et actrices emblématiques de deux séries francophones à succès (La Trêve et Ennemi public) a été diffusée sur les réseaux sociaux. Une partie du monde du spectacle soutient ainsi la cause climatique, le procès qui est devenu son emblème, et le fait savoir.

Cette caractéristique permet de rapprocher l’affaire climat de son équivalent en France, l’affaire du siècle, inspirée elle aussi du précédent Urgenda et plus généralement de l’ensemble des procès climatiques qui se sont avérés victorieux à travers le monde. Cette procédure tend à engager la responsabilité de l’État français devant les tribunaux pour inaction climatique. La médiatisation importante de ce recours repose en grande partie sur l’implication de personnalités issues du monde artistique ou du divertissement : actrices — on notera en particulier la présence de Juliette Binoche et de Marion Cotillard —, chanteurs, « youtubeurs»… Différentes capsules audiovisuelles largement diffusées, dans lesquelles ces personnalités apparaissent, visent à relayer dans l’espace public les objectifs de ce recours intenté conjointement par quatre ONG françaises (Greenpeace France, Oxfam France, Fondation pour la nature et l’homme et Notre affaire à tous). Cette affaire, qui a été portée devant le tribunal administratif de Paris au moyen d’une requête déposée le 14 mars 2019, est toujours en cours19.

Le recours à la justice comme outil de mobilisation sociale ?

Pourquoi se tourner vers la justice ? Pourquoi la lutte contre les changements climatiques adopte-t-elle une telle forme juridictionnelle ? Ces affaires sont remarquables à au moins deux égards.

D’une part, elles rappellent que le droit et les diverses institutions juridiques peuvent être utilisés comme des outils20 voire comme des armes21 en vue d’atteindre des objectifs politiques. L’outil juridique n’est pas forcément perçu par les acteurs sociaux qui en font usage comme l’arme qui permettra à elle seule de faire triompher un combat social ou politique, mais plutôt comme une ressource parmi d’autres pouvant être mobilisée dans un rapport de force avec les pouvoirs publics ou de puissants acteurs privés. Dans une telle optique, l’activation de la justice vient la plupart du temps compléter et renforcer — plutôt que concurrencer — d’autres moyens de mobilisation sociale (manifestations, pétitions, actions de désobéissance civile…).

D’autre part, ces affaires en appellent à l’autorité particulière dont sont revêtus les juges dans les États de droit22. Chez les instigateurs de tels contentieux climatiques, on observe en effet une confiance placée en la personne du juge, à qui il est demandé de faire face à une situation inédite et exceptionnelle qui transcende le champ d’action des États. Du juge, on attend qu’il aborde la question climatique dans une perspective globale, et ce non seulement d’un point de vue spatial, mais également d’un point de vue temporel et personnel, en prenant en compte les intérêts des générations futures.

Les juges semblent la plupart du temps faire preuve d’une véritable capacité d’adaptation à ces nouvelles tâches qui leur échoient. Ils parviennent en particulier à éviter les pièges procéduraux qui leur sont tendus, notamment en matière de compétence et d’intérêt à agir : qu’elle soit ou non favorable à la cause climatique, la décision rendue porte sur le fond du droit, des problèmes de recevabilité ne venant que rarement paralyser l’activation politique de la justice qui est sollicitée par différents acteurs sociaux. Les juges relèvent ainsi le défi tout à la fois sociétal et intellectuel qui leur est posé.

Plus généralement, et au-delà du personnage du juge, les procès climatiques visent à réinvestir l’espace politique de la justice et à utiliser l’arène judiciaire comme une caisse de résonance pour certaines revendications touchant à l’intérêt général. Le risque demeure, bien entendu, d’aboutir à une fragilisation de la cause en cas de défaite essuyée sur le terrain juridictionnel. Toutefois, il est possible d’affirmer que le simple fait que l’affaire soit médiatisée par le truchement d’une procédure en justice constitue un objectif en soi : « Au-delà du verdict, de la victoire et même en cas de défaite, une “fenêtre” plus ou moins médiatisée s’ouvre et permet d’offrir une tribune aux ONG et aux citoyens qui y expriment alors leurs attentes en matière de politiques publiques climatiques23 ».

Dans le cas de l’affaire belge, l’avenir dira si et de quelle façon un tel investissement politique de la justice aura servi la cause climatique. Il faudra à cet égard faire preuve d’une relative patience. Le calendrier de procédure élaboré dans l’affaire climat indique en effet que les plaidoiries et la décision du tribunal de première instance de Bruxelles devraient intervenir à l’automne 2020. Quelle que soit la décision prise, elle sera susceptible d’appel, ce qui impliquera plusieurs années de procédures complémentaires. Et l’arrêt rendu en degré d’appel pourra ensuite faire l’objet d’un pourvoi en cassation de nature à prolonger l’affaire. Si le temps de la justice n’est pas celui de l’urgence climatique, il y a fort à parier que ces deux registres temporels entreront en tension de façon accrue dans les prochaines années, et ce tant sur la scène belge que sur celle de la justice globale. Une telle interaction entre la sphère judiciaire, d’une part, et la sphère politique stricto sensu, d’autre part, concernant un sujet qui touche à l’avenir même de l’humanité, ne pourra que contribuer à révéler la dimension politique de la justice, souvent oblitérée dans les débats et les réflexions qui la concernent.

  1. Couramment appelé l’État fédéral ou l’État belge ; il s’agit ici du niveau de pouvoir où sont exercées les compétences fédérales en Belgique, ce niveau étant qualifié dans l’acte introductif d’instance déposé par l’asbl Klimaatzaak d’«État belge au niveau fédéral ».
  2. Misonne D., « Renforcer l’ambition climatique de l’État global dans un régime fédéral ? “Klimaatzaak”: la Belgique a aussi son affaire climat », dans C. Cournil (dir.), Les procès climatiques : entre le national et l’international, Paris, Pedone, 2018, p. 149.
  3. Loth M. A., « Too Big to trial ? Lessons from the Urgenda case », Uniform Law Review, volume XXIII, 2018, p. 336 – 353.
  4. Un contentieux particulièrement important existe aux États-Unis et en Australie. Des décisions remarquées ont également été rendues dans d’autres pays du monde comme au Pakistan ou encore en Colombie (Huglo C., Le contentieux climatique : une révolution judiciaire mondiale, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 175).
  5. Sur cette affaire, cf. notamment Torre-Schaub M., « L’affirmation d’une justice climatique au prétoire (quelques propos sur le jugement de la cour du district de La Haye du 24 juin 2015)», Revue québécoise de droit international, volume XXIX, n° 1, 2016, p. 161 – 183 et Tabau A.-S., Cournil C., « Nouvelles perspectives pour la justice climatique. Cour du district de La Haye, 24 juin 2015, Fondation Urgenda contre Pays-Bas », Revue juridique de l’environnement, volume 40, n° 4, 2015, p. 672 – 693.
  6. Collard F., « La politique énergétique en Europe », Courrier hebdomadaire du Crisp, n° 2403 – 2404, 2018, p. 30.
  7. Huglo C., op. cit., p. 314.
  8. de Gheldere S., « Les juges peuvent nous sauver du changement climatique et cela a déjà commencé ! », exposé présenté dans le cadre du colloque international « Agir en justice au nom des générations futures », Caen, 17 novembre 2017.
  9. Droits à la vie, à une vie privée et familiale et à un recours effectif en cas de violation des droits humains.
  10. Dispositions qui énoncent, respectivement, le principe du droit de propriété et celui de la responsabilité civile en cas de faute.
  11. Cet éclatement des compétences est d’ailleurs source de problèmes et la gouvernance climatique en Belgique peut être qualifiée de dysfonctionnelle (Misonne D., op. cit., p. 158 et s.).
  12. Et ce en vertu de l’article 6 de la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire (Moniteur belge, 22 juin 1935).
  13. Le tribunal d’arrondissement est une juridiction chargée, dans certaines hypothèses, de régler les incidents de procédure par lesquels une ou plusieurs parties au procès, ou le juge lui-même, mettent en cause la compétence de la juridiction saisie. Elle est composée des présidents des tribunaux de première instance, de commerce et du travail.
  14. C’est là le titre qui leur est explicitement attribué sur le site de l’affaire climat : https://affaire-climat.be/fr/financials.
  15. Cf. notamment Van Reybrouck D., Congo. Une histoire, Arles, Actes Sud, 2012.
  16. Van Reybrouck D., Contre les élections, Arles, Actes Sud, 2014.
  17. Reuchamps M., Caluwaerts D., Dodeigne J., Jacquet V., Moskovic J., Devillers S., « Le G1000 : une expérience citoyenne de démocratie délibérative », Courrier hebdomadaire du Crisp, n° 2344 – 2345, 2017.
  18. Cf. https://www.klimaatzaak.eu/nl et https://affaire-
    climat.be/
    .
  19. Cette affaire sera donc jugée par une juridiction administrative et non civile, la responsabilité de l’État relevant en France des juridictions administratives et non des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire.
  20. Commaille J., À quoi nous sert le droit ?, Paris, Gallimard, 2015 ; Ost Fr., À quoi sert le droit ? Usages, fonctions, finalités, Bruxelles, Bruylant, 2016.
  21. Israël L., L’arme du droit, Paris, Presses de Science-po, 2009.
  22. Huglo C., op. cit., p. 27.
  23. Cournil C., « Les convergences des actions climatiques contre l’État. Étude comparée du contentieux national », Revue juridique de l’environnement, hors-série n° 17, 2017, p. 253 – 254.

Lefebve


Auteur

chargé de recherches au Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp) et docteur en sciences juridiques à l’université libre de Bruxelles
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