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Unis dans la bipolarité. Élites, protestataires et espoirs déçus

Numéro 2 - 2019 par Baptiste Campion Christophe Mincke

mars 2019

Le spec­ta­cu­laire mou­ve­ment dit des « gilets jaunes » est au cœur de l’actualité depuis son éclo­sion. Il a tota­le­ment bou­le­ver­sé le pro­fil des luttes sociales, du moins en France. Sur fond d’angoisse pour l’avenir, d’affaiblissement du syn­di­ca­lisme et de crise pro­fonde de la social-démo­­cra­­tie, il a repla­cé au centre du débat la spon­ta­néi­té et, il faut bien le […]

Éditorial

Le spec­ta­cu­laire mou­ve­ment dit des « gilets jaunes » est au cœur de l’actualité depuis son éclo­sion1. Il a tota­le­ment bou­le­ver­sé le pro­fil des luttes sociales, du moins en France. Sur fond d’angoisse pour l’avenir, d’affaiblissement du syn­di­ca­lisme2 et de crise pro­fonde de la social-démo­cra­tie, il a repla­cé au centre du débat la spon­ta­néi­té et, il faut bien le dire, la vio­lence qui peut l’accompagner, qu’elle soit le fait de ses tenants ou de ceux qui vou­draient l’endiguer. Plu­tôt que de pro­cé­der de la recherche stra­té­gique d’un rap­port de force visant à s’assoir à la table des négo­cia­tions, ce mou­ve­ment relève, en tout cas pour l’instant, du désar­roi et de la colère. Il sus­cite en retour l’incompréhension des res­pon­sables poli­tiques qui ne savent que faire face à lui.

Entre stig­ma­ti­sa­tion des vio­lences et légi­ti­ma­tion de celles-ci au nom de la néces­si­té de réveiller les élites au pou­voir, entre cri­tique de l’absence de car­net de reven­di­ca­tions clair et espoir de len­de­mains qui chantent, entre ten­ta­tives de récu­pé­ra­tions et mépris pour un mou­ve­ment consi­dé­ré comme non démo­cra­tique, non repré­sen­ta­tif ou noyau­té par des groupes extré­mistes, les ana­lystes tâtonnent. Or, si les reven­di­ca­tions fis­cales et sociales ou le malêtre des classes moyennes et infé­rieures ont fait l’objet d’une grande atten­tion, une ques­tion semble avoir été quelque peu oubliée : celle des repré­sen­ta­tions sociales qui consti­tuent la toile de fond du mou­ve­ment et qui se donne notam­ment à voir dans les accu­sa­tions de rap­port inadé­quat à la réa­li­té que, de part et d’autre des lignes de front, on se ren­voie avec entrain.

Vous ne pouvez pas comprendre…

Il est à cet égard frap­pant que le dis­cours des gilets jaunes3 s’articule sou­vent autour d’une cri­tique des élites poli­tiques et éco­no­miques comme décon­nec­tées des réa­li­tés. Dans ce dis­cours mille fois repris dans les médias, il y a, d’un côté, le peuple ordi­naire et, de l’autre, des diri­geants qui ne vivent pas dans le même monde qu’eux, n’ont pas les mêmes réfé­ren­tiels, gagnent des sommes inima­gi­nables et ne ren­contrent aucune des dif­fi­cul­tés de la « vie réelle»… La fièvre s’empare des réseaux sociaux, relayée par les médias tra­di­tion­nels, lorsqu’un res­pon­sable poli­tique ne peut don­ner, au cen­time près, le prix d’un pain ou d’un ticket de métro4 ou que des gilets jaunes quittent un pla­teau de télé­vi­sion parce qu’une dépu­tée oppo­sée à l’augmentation du salaire mini­mum est inca­pable d’en citer le mon­tant5. À chaque fois se rejoue un des clas­siques de l’opposition entre « les puis­sants » et « le peuple »6. Rien de neuf : pour un peu, on croi­rait entendre Marie-Antoi­nette récla­mer de la brioche pour les affa­més de Paris.

Cette accu­sa­tion de ne pas être capable de com­prendre le point de vue d’autrui, cepen­dant, est aus­si ren­voyée à la popu­la­tion par les diri­geants. C’est ain­si qu’on accu­se­ra les gilets jaunes de vou­loir tout et tout de suite, de por­ter des demandes contra­dic­toires ou impayables, de récla­mer des réformes impos­sibles pour des rai­sons tech­niques, éco­no­miques, juri­diques ou pra­tiques. Bref, les gilets jaunes, s’ils étaient mon­tés au som­met de la tour (d’ivoire?), auraient décou­vert une nou­velle pers­pec­tive sur les choses. Depuis Sirius, les choses appa­raissent bien dif­fé­rentes, sous un jour plus clair, plus réa­liste, plus com­plexe. Il semble d’ailleurs que cette posi­tion soit un des axes choi­sis par le gou­ver­ne­ment fran­çais pour le « grand débat natio­nal », qui demande aux Fran­çais de se mettre à la place de leurs diri­geants et de se confron­ter aux — inévi­tables — contra­dic­tions des demandes multiples.

Un des thèmes récur­rents du dis­cours des élites poli­tiques, sur­tout à droite, porte sur l’impossibilité de l’État à finan­cer l’ensemble des inter­ven­tions qui lui sont récla­mées par « la popu­la­tion ». Leur irréa­lisme relè­ve­rait de l’illusion de la toute-puis­sance de l’État. On note­ra que la gauche, sou­vent, tient un dis­cours plus modé­ré, pro­met­tant que l’État vole­ra au secours des plus faibles dès qu’elle aura conquis le pou­voir, avant de déchan­ter, les caisses étant subi­te­ment vides une fois les minis­tères obte­nus. « J’voudrais bien, mais j’peux point » semble deve­nu l’hymne de la gauche de gouvernement.

Opposition et symétrie

Entre une accu­sa­tion de sous-esti­ma­tion sys­té­ma­tique de la misère du peuple par les élites et l’irréalisme pré­su­mé de la popu­la­tion qui croit qu’il serait simple de la tirer d’affaire, l’opposition semble totale. Les uns cou­te­raient « un pognon de dingue » alors qu’ils n’auraient qu’à « tra­ver­ser la rue » pour trou­ver un bou­lot (pour reprendre des mots du très expli­cite Emma­nuel Macron), tan­dis que les autres ne cher­che­raient qu’à « se gaver », tout en aban­don­nant le peuple à son sort. Est-il points de vue plus irréconciliables ?

Pour­tant, il est frap­pant de consta­ter l’écart entre les dis­cours des can­di­dats aux élec­tions et ceux des élus. Car, en cam­pagne, fleu­rissent les pro­messes de len­de­mains qui chantent. Grâce à quoi ? Grâce à l’intervention de l’État, par­di ! Le voi­là sou­dain tout-puis­sant. Que les thèmes soient « de droite » ou « de gauche », c’est sur lui que l’on compte (et c’est sans doute par­ti­cu­liè­re­ment vrai en France où la droite est tout aus­si éta­tiste, voire plus, que la gauche). L’alourdissement des sanc­tions pénales pro­vo­que­ra une baisse des vio­lences faites aux femmes, des primes à l’embauche feront bais­ser le chô­mage, l’embauche de poli­ciers réta­bli­ra l’ordre, des inci­tants fis­caux aide­ront à la tran­si­tion éco­lo­gique, la créa­tion de nou­velles admi­nis­tra­tions pren­dra en charge les nou­veaux défis socié­taux, etc. La liste est sans fin.

Sou­dain, rien ne semble hors d’atteinte et les mesures pro­mises seront aisé­ment finan­cées (une hausse des accises sur l’alcool, une « taxe des mil­lion­naires », un regain de la lutte contre la fraude fis­cale) ou se finan­ce­ront d’elles-mêmes (via un tax­shift, une hausse des coti­sa­tions sociales due à la relance de l’emploi ou une reprise de la machine économique).

Voi­là donc que ceux-là mêmes qui s’épouvantaient du manque de réa­lisme des citoyens leur pro­mettent que, si l’État ne les a pas satis­faits jusqu’ici, ce n’est pas du fait de son impuis­sance, mais parce que les mau­vaises per­sonnes en tenaient les rênes.

Que les pro­blèmes iden­ti­fiés découlent de modèles éco­no­miques glo­baux, d’évolution des com­por­te­ments sociaux ou de com­por­te­ments indi­vi­duels, ils semblent tous à la por­tée de l’action éta­tique, et à court terme, qui plus est, à l’échelle d’une légis­la­ture. Que l’on ait échoué des décen­nies durant et sous des gou­ver­ne­ments cou­vrant toutes les cou­leurs de l’arc-en-ciel n’y change rien : cette fois, c’est la bonne.

À l’inverse, nombre de pro­tes­ta­taires, qui hier encore se plai­gnaient de voir les élites les mépri­ser et les tenir cou­pables de tous les maux du fait de leur égoïsme, de leur inca­pa­ci­té à se remettre en ques­tion ou de leur manque de moti­va­tion, sitôt qu’on leur désigne un plus pauvre qu’eux à mépri­ser et à détes­ter, dési­gnent comme cause de leurs pro­blèmes ceux qui ne seraient pas de vrais membres du peuple ou en seraient les mou­tons noirs : les chô­meurs, les allo­ca­taires sociaux, les jeunes, les migrants, bref l’autre. La résur­gence en France, dans l’orbite des gilets jaunes, de reven­di­ca­tions d’abrogation du « mariage pour tous » en est un des exemples les plus frap­pants, comme s’il exis­tait le moindre lien entre cette consé­cra­tion légale de nou­veaux modèles fami­liaux et les pro­tes­ta­tions socioé­co­no­miques qui consti­tuent l’amorce et le cœur du mou­ve­ment. Par ailleurs, les dis­cours de détes­ta­tion des « élites » et des « riches » que l’on voit émer­ger, liés à des thèses com­plo­tistes (et anti­sé­mites), indiquent que l’essentialisation d’un bouc émis­saire res­pon­sable de tous les maux ne vise pas que les plus faibles. Qui peut rai­son­na­ble­ment croire que « les oli­garques à la lan­terne » soient une solu­tion aux pro­blèmes de chô­mage et de cher­té de la vie ?

Ces enne­mis per­mettent à bon compte de se pré­sen­ter comme des indi­vi­dus par­fai­te­ment inté­grés à la socié­té par la grâce de leur lieu de nais­sance, de leur vie ordi­naire, de leur ascen­dance, de leur reli­gion ou de leur contrat de travail.

Voi­là donc un monde bipo­laire, dans lequel les illu­sions des uns sont entre­te­nues cycli­que­ment (cyni­que­ment?) par ceux qui pour­tant les cri­tiquent, et les stig­ma­ti­sa­tions des autres sont adop­tées par ceux qui, hier, en étaient vic­times, sitôt qu’elles concernent des « autres ». Bien enten­du, tous ne sont pas concer­nés et cer­tains sont constants dans leur éli­tisme, tan­dis que d’autres le sont dans leurs aspi­ra­tions révo­lu­tion­naires. Dans le champ poli­tique, ils ne semblent pas aujourd’hui avoir le vent en poupe.

Unis dans le simplisme

Nous voi­là donc confron­tés à un double sim­plisme, avers et revers d’une même pièce. D’une part, celui qui consiste à cher­cher un bouc émis­saire à sacri­fier. Nos dif­fi­cul­tés éco­no­miques et notre chô­mage endé­mique, par exemple, ne seraient pas le résul­tat de modèles éco­no­miques ou de sys­tèmes pro­duc­tifs qui nous placent devant le choix d’en assu­mer les consé­quences ou d’en réfor­mer les carac­té­ris­tiques struc­tu­relles, ils seraient au contraire la consé­quence de l’action nui­sible d’une caté­go­rie essen­tia­li­sée : chô­meurs, immi­grés, allo­ca­taires sociaux, jeunes pares­seux ou élites décon­nec­tées, au choix. Pour le malaise iden­ti­taire, les vio­lences faites aux femmes, le sen­ti­ment d’insécurité, la mau­vaise ges­tion de l’État et mille pro­blèmes encore, il en irait de même.

D’autre part, sévit éga­le­ment un sim­plisme fon­dé sur le recours à l’État. Avons-nous un sou­ci ? Il suf­fit de nous en remettre à lui. Que l’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas un vice de la gauche, contre lequel la droite serait immu­ni­sée. Car c’est moins une ques­tion de taille de l’État que de capa­ci­té pour celui-ci à mener des poli­tiques claires, effi­caces et dépour­vues d’effets indésirables.

Face à la misère et au chô­mage, la droite affirme-t-elle que le salut vien­dra du dyna­misme éco­no­mique, de la main invi­sible du mar­ché et de l’esprit conqué­rant de l’entrepreneur que les risques n’effraient pas ? Dans les faits, elle mul­ti­plie les contrôles éta­tiques, les règle­men­ta­tions, les niches fis­cales et, en fin de compte, les occa­sions pour l’État d’intervenir. En outre, elle compte lar­ge­ment sur l’usage de la force par l’État pour main­te­nir l’ordre par­mi les popu­la­tions aban­don­nées à leur sort ou pour jugu­ler les troubles sociaux. Ain­si, son appel au lais­ser-faire en matière éco­no­mique est-il la plu­part du temps essen­tiel­le­ment rhé­to­rique et dou­blé d’une foi en la capa­ci­té de l’État à faire tenir une socié­té, comme si elle ne fonc­tion­nait pas avant tout du fait de ses dyna­miques propres, l’État n’en étant qu’un acces­soire. Il est à cet égard frap­pant de voir que ceux qui clament que l’État n’est radi­ca­le­ment pas en mesure de prendre en charge des ques­tions com­plexes comme l’économie pensent par contre qu’il peut en mai­tri­ser d’autres, pour­tant aus­si com­plexes, comme celles de l’ordre public ou de la délinquance.

Inconfortable réflexivité

Il faut donc sans doute dis­tin­guer la ques­tion de l’extension de l’État — quelles ques­tions vou­lons-nous qu’il prenne en charge ? — de celle de la foi que nous avons en son infailli­bi­li­té et sa puis­sance. C’est sur­tout le cas lorsqu’il s’agit de gérer des ques­tions com­plexes… soit à peu près tous les fonc­tion­ne­ments sociaux dans les­quels on pour­rait consi­dé­rer son inter­ven­tion comme souhaitable.

La résis­tance du réel à l’action des hommes est source de frus­tra­tion depuis tou­jours. Rien ne se passe jamais comme pré­vu. Est-ce à dire que nous sommes impuis­sants ? Cer­tai­ne­ment pas. La ques­tion est sans doute affaire de deuil : faire le constat de l’impossibilité de la toute-puis­sance démiur­gique, sans pour autant som­brer dans la dépres­sion. L’État ne peut pas tout — n’est pas toti­potent, avait dit Macron —, ce qui n’est pas une rai­son pour renon­cer. L’imperfection n’empêche pas l’espoir.

Bref, il est peut-être temps d’œuvrer au déve­lop­pe­ment d’une vision adulte et col­lec­tive du pou­voir, qui pren­drait acte de ce qu’un de ses ins­tru­ments prin­ci­paux, l’appareil d’État, n’est pas par­fait, mais n’est pas non plus seul en lice. Les moyens de peser sur le fonc­tion­ne­ment de la socié­té et, plus lar­ge­ment, du monde, sont mul­tiples. C’est en soi une bonne nou­velle parce que cela indique que nous ne devons pas tout attendre d’un État qui ne peut tout.

Par ailleurs, la néces­si­té de tenir compte de la rela­ti­vi­té du pou­voir éta­tique appa­rait par­fai­te­ment cohé­rente au regard de son carac­tère démo­cra­tique. En pre­mier lieu, un État démo­cra­tique ne peut tout, ne serait-ce que parce qu’il ne se per­met pas tout. Tenu de res­pec­ter les liber­tés fon­da­men­tales de ses citoyens et l’équilibre des pou­voirs et contre­pou­voirs qui lui est consub­stan­tiel, il est logique que son action soit régu­liè­re­ment entra­vée7. Sup­pri­mer ces entraves accroi­trait sans doute son effi­ca­ci­té dans une série de domaines, mais au prix d’une dérive auto­ri­taire. En second lieu, l’essence même de la démo­cra­tie nous semble être ce que l’on pour­rait appe­ler « la mau­vaise conscience ». Nous enten­dons par là que l’action de l’État démo­cra­tique doit tou­jours être sous le coup d’une sus­pi­cion (rai­son­nable) d’abus, sus­pi­cion dont l’ampleur doit être pro­por­tion­nelle à l’emprise sur la vie et les droits des per­sonnes. Les limites de l’État se donnent donc à voir en tout domaine, y com­pris dans le res­pect de ses prin­cipes fon­da­teurs. Conce­voir l’État comme tout-puis­sant ou sus­cep­tible d’une action par­fai­te­ment cohé­rente serait fon­da­men­ta­le­ment pro­blé­ma­tique d’un point de vue démo­cra­tique. C’est d’autant plus le cas que, dans de nom­breuses situa­tions, le res­pect total des droits fon­da­men­taux est impos­sible, par exemple lorsqu’ils entrent en conflit. Le res­pect de la vie pri­vée peut s’opposer à celui de la vie ou à la tenue d’un pro­cès équi­table, par exemple lorsque l’intrusion dans la vie pri­vée vise à assu­rer la sécu­ri­té d’un tiers ou lorsqu’un pro­cès public, garan­tie d’impartialité, est l’occasion de dévoi­ler la sphère pri­vée de per­sonnes. Enfin, l’amélioration de la qua­li­té de l’action de l’État est une ten­sion vers un idéal que l’on n’atteint jamais, exac­te­ment comme l’aspiration démo­cra­tique, qui n’est jamais tota­le­ment réa­li­sée. Allons-nous renon­cer à cette der­nière, sous pré­texte que nous ne la réa­li­se­rons jamais par­fai­te­ment ? Certes non !

Il nous semble donc que la situa­tion que nous avons décrite, d’espoirs immenses pla­cés en l’État, est liée à l’enracinement de la culture démo­cra­tique dans nos socié­tés et que des pro­grès sur un plan pour­raient entrai­ner, ou signa­ler, des avan­cées sur l’autre.

La conscience et l’acceptation des limi­ta­tions de l’action de l’État pour­raient mener, auto­ri­sons-nous à rêver, non au décou­ra­ge­ment et à la recherche d’un nou­veau Lévia­than, mais à une ges­tion plus ration­nelle et plus pru­dente de l’action publique. Un État infor­mé du contexte de son action, du fonc­tion­ne­ment de ses propres ins­tances et de ce que l’homme sait de la socié­té qu’il pré­tend régu­ler ; cet État infor­mé par la science, au fond, pour­rait conti­nuer de mettre en œuvre des poli­tiques publiques…, mais en inté­grant la néces­si­té de la réflexi­vi­té. Éva­luer les poli­tiques publiques, consti­tuer des savoirs cri­tiques, for­mer le per­son­nel éta­tique, pla­cer la réflexion et le savoir au cœur d’un débat public inté­grant les citoyens de toutes classes, voi­là quelques pers­pec­tives qui néces­si­te­raient de dépas­ser le temps d’un grand débat natio­nal ou d’une cam­pagne élec­to­rale de plus. C’est un tra­vail cultu­rel sur la durée qui est néces­saire, plus que l’invocation d’une solu­tion défi­ni­tive à mettre en place au plus vite.

Certes, on pour­ra s’inquiéter de ce que les gilets jaunes semblent par­ti­cu­liè­re­ment atti­rés par les fake news8, mais il semble judi­cieux de com­men­cer par nous inter­ro­ger plus lar­ge­ment sur le rap­port à la réa­li­té de notre sys­tème poli­tique pris dans sa glo­ba­li­té, que les errances des gilets jaunes mettent si bien en lumière.

  1. Pour un aper­çu du déve­lop­pe­ment et de l’évolution du mou­ve­ment, voyez la chro­no­lo­gie éta­blie par Libé­ra­tion. « Gilets jaunes, les dates clés », Libération.fr, consul­té le 17 jan­vier 2019.
  2. À ce pro­pos, nous vous ren­voyons évi­dem­ment au dos­sier du pré­sent numéro.
  3. Faute de mieux pour l’instant, nous uti­li­se­rons l’expression « gilets jaunes » pour dési­gner le mou­ve­ment et ses membres, sans pour autant pré­su­mer une cohé­rence glo­bale, laquelle appa­rait de moins en moins évi­dente, d’une part, au gré de ten­ta­tives de struc­tu­ra­tion et d’institutionnalisation et, d’autre part, des frac­tu­ra­tions du mouvement.
  4. Le prix du pain et des vien­noi­se­ries semble, depuis long­temps, être un éta­lon de la connais­sance par les poli­tiques du sort de leurs admi­nis­trés. À ce pro­pos, un article dans La Libre recen­sait une série de récentes polé­miques autour de la connais­sance des réa­li­tés quo­ti­diennes par les poli­tiques (fran­çais). La Libre.be, « Pain au cho­co­lat, baguette, timbre, ticket de métro : ces poli­tiques décon­nec­tés de la réa­li­té », 25 octobre 2016.
  5. Cla­vel G., « Cette dépu­tée LREM sèche sur le mon­tant du Smic, un gilet jaune quitte le pla­teau », Le Huf­fing­ton Post, 3 décembre 2018.
  6. Les seconds étant consi­dé­rés par cer­tains comme ne pou­vant faire par­tie du pre­mier, y com­pris en tant qu’il est, sous le nom de « nation », la source de tous les pou­voirs en démocratie.
  7. Mincke Chr., « Qu’est-ce qu’une démo­cra­tie ? », La Revue nou­velle, n° 1, 2015, p. 2‑5.
  8. Le Cain Bl., « Les “gilets jaunes”, un mou­ve­ment sans lea­deur dans lequel les “fake news” pros­pèrent », Figa­ro, 30 novembre 2018.

Baptiste Campion


Auteur

Baptiste Campion est docteur en information et communication de l'Université catholique de Louvain. Il travaille maintenant comme professeur et chercheur à l'Institut des Hautes Études des Communications Sociales au sein du master en éducation aux médias. Ses travaux scientifiques ont principalement porté sur la communication éducative médiatisée, les effets cognitifs de la narration, les interactions en ligne et l'appropriation des technologies numériques, les transformations de l'expertise dans ce contexte particulier. À côté de ces travaux scientifiques, ces questions l'ont amené à réfléchir sur les conditions de la "démocratie numérique", de l'espace social dans une société hypermédiatisée ainsi que le rôle et la transformation des médias.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.