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« Une sorcière comme les autres », disent-elles
Pour leur différence à l’indétrônable référence masculine, les femmes sont renvoyées à la monstruosité. La persécution des sorcières est l’aboutissement de ce processus. Parce qu’il interroge en profondeur le carcan normatif, le mouvement féministe s’est très tôt réapproprié la figure de la sorcière. Aujourd’hui encore, la sorcière nous amène à penser et à agir pour le dépassement de la société capitaliste.
Nous sommes toutes monstrueuses
« Marthe sort avec sa mère du Salon de peinture, très grave. Depuis quelque temps, elle se pose une question indiscrète et tâche en vain d’y répondre. Cette promenade au milieu de tableaux ajoute encore à son trouble. Elle a vu les plus belles femmes qui soient, sans voile, et si nettement dessinées qu’elle aurait pu suivre, du bout des doigts, les veines bleues sous les peaux claires, compter les dents, les boucles de cheveux et même des ombres sur des lèvres. Mais quelque chose manquait à toutes. Et pourtant, elle a vu les plus belles femmes qui soient ! Marthe dit à sa mère un bonsoir triste, rentre dans sa chambre et se dévêt, plein de crainte. La glace lumineuse et froide rend les images en les prenant. Marthe, inquiète, lève ses bras purs. Telle une branche, d’un lent effort, se déplace et montre un nid. Marthe, candide, ose à peine regarder son ventre nu, pareil à l’allée d’un jardin où nait déjà l’herbe fine. Et Marthe se dit : “Est-ce que, seule entre toutes les femmes, je vais devenir un monstre?”»1 La jeune fille évoquée dans ce texte doute de son propre corps. Son sexe, autour duquel les poils de la puberté s’annoncent, lui parait soudain étrange et Marthe, au lieu de vérifier auprès d’autres femmes, ne peut mettre en doute la norme que lui suggèrent ces peintures d’hommes dans une représentation des femmes fabriquée, mais non contestable. C’est donc son corps qui dysfonctionne, la jetant hors la norme.
Cet extrait d’une nouvelle de Jules Renard de 1893 illustre la manière intime dont les femmes peuvent côtoyer la monstruosité. C’est qu’elles en sont familières depuis la nuit des temps : êtres humaines toujours différentes du mâle, cette référence indétrônable qui norme la société des vivants, éternelles secondes en poursuite infinie d’un idéal — de beauté, de vertu, de comportement… — sans cesse refaçonné en fonction de ce que l’homme attend d’elles : soumission, accessibilité, rendement… Créatures stigmatisées comme déviantes, ou incitant à la déviance, par les religions et les mythologies, les femmes ont suscité parfois par leur étrangeté, leur audace, leur entêtement, de l’horreur et des persécutions tellement systématiques qu’on a pu les qualifier de « féminicides ». Françoise d’Eaubonne, écoféministe française, revendiqua même le terme de « sexocide »2 pour la traque et le meurtre public des milliers de femmes brulées pour crime de sorcellerie. Soutenue par plusieurs féministes, elle transmit, en vain, une requête au Vatican en 1998 pour obtenir son autocritique et une amende honorable en guise de réparation aux excès de l’Inquisition.
La force d’âme ne brule pas
La sorcière est un personnage à la fois historique, mythique, féministe qui mobilise des sentiments d’injustice sociale, des émotions d’horreur et de fascination, des attirances transgressives. Elle incarne à merveille les délices et les tourments des périodes comme la nôtre, en proie aux affres de la mutation. Ne vivons-nous pas en effet un momentum historique comparable aux prémices des avènements de la Renaissance ou de la période moderne dite « industrielle » ? Ce n’est donc pas un hasard des calendriers qui fait figurer la sorcière dans une exposition d’archives à Paris3, dans la résurgence d’une revue féministe4 à Bruxelles ou graffée sur les murs de Lisbonne par des grands-mères féministes5. Nous sommes dans le cocon de la chrysalide, là où tout se mélange et se recompose. L’aspiration à une nécessaire métamorphose se fait sentir. Fatigué‑e par des organisations humaines à bout d’innovations, chacun‑e tente de se projeter dans un avenir plus ouvert ou s’attache à la sauvegarde d’acquis estimés dignes de pérennisation. Mais nul ne sait ce qui va sortir de ces bouillonnements, papillon de nuit ou de lumière. Difficile de s’orienter dans les possibles qui s’ébauchent. Que soutenir ? Que proscrire ? Quel élément nouveau encourager ? Familière des plantes et de la nuit, réputée apte à changer d’apparence, reliée à des savoirs antiques et clandestins, la sorcière offre un fil conducteur et des pratiques peut-être bien à même de conduire sans trop de dommage les humain-e‑s angoissée-e‑s sur l’autre rive de la transformation. Voilà ce qui pourrait expliquer un engouement renouvelé décliné de bien des façons. Le visage grimaçant des sorcières figure ainsi en bonne place dans les cortèges d’Halloween, participant à la célébration antique et automnale de Samain, ce passage vers les temps sombres de l’hiver et de la mort. On retrouve le personnage dans de nombreux films où se mêle l’horreur du sacrilège du sabbat6, ce cérémonial nocturne au cours duquel le diable était vénéré, avec celle suscitée par des femmes diaboliques7. La sorcière est utilisée aussi régulièrement dans des actions militantes8 où sa symbolique renforce les revendications des mouvements de femmes.
Les femmes qualifiées de sorcières étaient le plus souvent des paysannes illettrées que la pauvreté et l’isolement contraignaient à se tourner vers les ressources immédiates des prairies et des bois pour se débrouiller face à la disette, à la maladie ou à la blessure, à tous les soucis de la grossesse et de l’accouchement. Elles utilisaient ce que leurs mères et grands-mères leur avaient dit et montré. Elles expérimentaient aussi et leur savoir, s’accumulant par la transmission et s’approfondissant par l’expérience, amenait vers elles moult personnes souffrantes ou en détresse. Leur savoir-faire, leur pratique d’une écoute des problèmes les plus intimes faisaient peur. La population leur attribuait des pouvoirs exagérés et reportait sur elles la cause de malheurs incompris : ravage des champs par la tempête, mort suspecte du bétail, etc.: «…en l’an 1453, il y eut une grande mortalité et épidémie en la ville de Marmande9, et tellement que plusieurs personnes y mouraient de l’épidémie ; à laquelle occasion se meut un grand murmure entre le peuple de ladite ville, disant que ladite mortalité venait à cause de femmes sorcières, et que, en la ville, il y en avait plusieurs qui usaient du diabolique art de sorcellerie, et faisaient mourir ledit peuple10. » La persécution se déploie et perdure. L’auteure belge Marie Gevers dresse l’histoire saisissante d’Emerance11, fermière prospère grâce à des stratagèmes diaboliques que lui prête tout un village en lutte quotidienne pour sa subsistance dans la rude campagne flamande de la fin du XIXe siècle. Début 2016, l’exposition De heksen van Bruegel évoque à Bruges leur calvaire monstrueux et l’étendue des massacres : « Sur une carte, défile le résumé des exécutions : 7.000 brulées en Pologne, 5.000 dans le Pays de Vaud, etc. Sur un mur, on a écrit la longue liste des femmes brulées à Bruges avec, à côté, les portraits de leurs bourreaux, comme Anchemant et De Meulenaere, qui participèrent activement aux tortures.12 » Pour ces femmes, le soin de soi ou des autres constituait une aventure périlleuse et toujours sous haute surveillance sociale. Pourquoi tant de suspicion ? Pourquoi la terrible cruauté d’une persécution organisée à si grande échelle par les pouvoirs religieux et temporels ?
Les féministes sont toujours sorcières
« Pour le dire brutalement, la norme patriarcale donne tous les pouvoirs aux hommes pour contrebalancer celui à la fois naturel et magique de la reproduction féminine. Le premier enjeu est donc la possession et la maitrise du corps de la femme, dont on craint tant le pouvoir érotique et la puissance sexuelle.13 » Le constat posé par Elisabeth Badinter en introduction à la remarquable exposition Présumées coupables des Archives nationales de France rejoint celui de l’historienne Marie-Sylvie Dupont-Bouchat. Etudiant l’histoire de la sexualité en Occident du Moyen Âge à nos jours, cette fine analyste de la justice a montré dans ses écrits comment se sont construites les normes qui cadrent les rapports entre femmes et hommes via notamment la répression des comportements jugés déviants. Les minutes des procès intentés aux sorcières et aux prostituées illustrent l’élaboration, en contrepoint, d’une jurisprudence qui, peu à peu, inscrit dans les lois et le Code pénal les « devoirs de fidélité, de retenue et de pudeur imposés à la femme mariée »14 tout en stigmatisant les prostituées « aussi inévitables dans une agglomération d’hommes que les égouts, les voiries et les dépôts d’immondices »15. La sorcière est ainsi désignée comme la mauvaise femme, la femme dangereuse.
Reliée aux archétypes des grandes magiciennes — Lilith, Médée, Circé pour l’Antiquité, Mélusine ou la bretonne Morgane pour la tradition celte —, inextricablement mêlée aux affaires de cœur, de corps et de sexe qui forment la trame des usages et des lois, la sorcière conforte bien malgré elle les règles de la société patriarcale, alimente les fantasmes et inspire les artistes. Des écrivain-e‑s célèbres mettent en livres ses histoires, de Georges Sand qui l’évoque au cœur de sa campagne berrichonne à Jessica Rowling qui campe son Hermione dans la saga Harry Potter. Le chapeau conique, semblable à celui des hérétiques, le bâton, le chat… deviennent les attributs qui la caractérisent. Le plus souvent figurée comme une femme vieille et laide, elle personnifie dans les contes tels que Blanche Neige le maléfique pouvoir des femmes isolées et haineuses. Le stéréotype se fige comme modèle-repoussoir et il faut bien les parodies grotesques des festivités estampillées « Halloween » pour contrecarrer la crainte et l’horreur qu’il suscite et inscrit dans l’imaginaire collectif. Projeté sur les femmes âgées seules ou originales, sur les femmes aux comportements transgressifs, il suscite toujours des atteintes allant de la moquerie au meurtre.
Elles jettent des sorts
Le mouvement féministe sera vite confronté, dans son aspiration au renversement du patriarcat, à ces images mentales de référence qui confinent les femmes à l’infériorité et à la soumission aux règles masculines. Il obtiendra ainsi que la lutte contre les stéréotypes sexistes soit inscrite au cœur de tous les dispositifs décrétés et déployés à tous les niveaux officiels de gouvernance depuis la fameuse conférence mondiale dite « de Pékin » qui montrera au monde en 199516 l’absolue nécessité d’améliorer la situation des femmes. Sur un plan plus militant, les associations et les collectifs retourneront le stigmate de la sorcière de multiples façons pour transformer positivement le symbole. Le discours résolument féministe prononcé par Emma Watson, cette actrice qui incarna la sorcière Hermione mondialement célèbre, au siège des Nations Unies, à New York, le 20 septembre 2014 en est une illustration. Les femmes, faisant flèche de tous bois (de bucher), ne manqueront en effet ni d’audace ni de créativité pour démonter l’enfermement et l’opprobre que leur impose la domination masculine et faire ainsi sauter les carcans symboliques et réels qui les assignent au mariage, à la maternité, à la maison.
Des actions collectives féministes ont intégré le personnage de la sorcière dans leur dispositif, certaines inspirées par la chanson d’Anne Sylvestre « une sorcière comme les autres »17, devenue emblématique du mouvement des femmes dans la France (et la Belgique francophone) des années 1970. Au cœur de la bibliothèque féministe Léonie La Fontaine18 les ressources documentaires sur les sorcières comportent des exemplaires de la revue Sorcières, une aventure éditoriale peu banale. Il s’agissait, de 1975 à 1982, de permettre à des femmes de s’exprimer sur un sujet particulier qui les concerne. Fondée par la philosophe française Xavière Gauthier, la publication a rassemblé trimestriellement les apports de nombreuses femmes, artistes, personnalités (Hélène Cixous, Chantal Chawaf, Marguerite Duras, Annie Leclerc…) ou des femmes de tout bord sur des thèmes tels que la nourriture, la voix, l’accouchement, l’écriture, le sang… La cocréation était difficile, les débats vifs, mais la volonté commune de s’affranchir des influences masculines pour écrire les rassemblait toutes. Si la revue a été cataloguée comme « différentialiste » — en prônant la féminitude plutôt que l’égalité des sexes —, sa lecture vous plonge toute vive dans les aspirations de cette « décennie des femmes »19 décisive pour l’acquisition de leurs droits à la maitrise de leur corps et de leur fécondité.
Dans la continuité d’un travail de recherche sur la mobilité des femmes et de formations à l’éducation non sexiste, l’Université des Femmes20 m’a permis, dans les années 2010, de mettre sur pied un dispositif d’animation collective autour du thème de la sorcière. Il s’agissait de partager avec un public populaire la déconstruction des stéréotypes sexistes, mais aussi d’exprimer la frustration des femmes écartées de diverses manières (symbolique, normative, organisationnelle…) de l’espace public la nuit et leur volonté de briser cet interdit implicite. Il semblait intéressant de travailler à partir d’un personnage de femme, la sorcière, qui transgressait à la fois l’assignation des femmes à rester au sein du foyer et l’interdit de la nuit, de la forêt, du fait de voler. Le programme comportait deux volets. Le premier concernait le public pris dans son ensemble et proposait des contes, des jeux, des livres, des données exposées pour une appropriation de la réalité historique et symbolique des sorcières.
Le deuxième divisait le public selon le sexe pour permettre au groupe féminin d’expérimenter l’espace public urbain la nuit — parcours, visites de lieux intéressants pour les femmes (planning familial, associations de femmes, maisons d’accueil etc.) — et de rencontrer des femmes « de pouvoir » (échevine, inspectrice de police, responsable associative, etc.). Quant au groupe masculin, il était invité à gouter le plaisir des activités domestiques en restant à l’intérieur (contes, films, rencontre d’hommes de métiers atypiques, ateliers de collage, de lecture, etc.). Un temps d’échanges des expériences des deux groupes clôturait la soirée où filles et garçons se racontaient leurs aventures et présentaient leurs nouveaux pouvoirs. L’activité a ouvert aux participantes une expérimentation collective d’espaces publics urbains effectuée la nuit tombée. Elle a permis d’exprimer et de partager des expériences de déplacements nocturnes, de s’indiquer des repères sécurisants (commerces ouverts, services publics, comme l’hôpital, signalisations, transports en commun, etc.), de s’approprier des passages et des lieux. Elle a montré que les femmes éprouvent le besoin d’apprentissages et de services accessibles pour utiliser l’espace commun ou public de manière aussi complète que les hommes.
D’autres rencontres de sorcières féministes ont confirmé cette volonté de dépasser le stigmate pour retrouver l’originalité d’une démarche militante soucieuse de maintenir et de partager les savoirs construits au fil des âges et des cultures. Isabelle Stengers21 a traduit et diffusé sur le net les actions et les écrits des sorcières païennes de Starhawk22, ces militantes des luttes américaines antinucléaires reconverties à la magie blanche et à la permaculture. Leurs réflexions et leurs méthodes ont permis à de nombreuses femmes d’imposer pacifiquement leur présence dans de grandes manifestations altermondialistes, de se retrouver pour grandir en énergie collective et en affirmation féministe. Sur le plan de la santé, des femmes ont repris les traditions des sagefemmes pour retrouver les savoirs dénigrés par la médecine traditionnelle, celle-là même dont l’avènement à la Renaissance serait l’une des causes de la persécution des sorcières, ces femmes soignantes (les premières études de médecine étaient d’ailleurs interdites aux femmes). La féministe suisse Rina Nissim a été l’initiatrice à travers le monde d’ateliers de « self-help » dans lesquels les femmes apprennent ensemble à connaitre leur corps et à se soigner avec des méthodes à base de plantes et de ressources naturelles. Son dernier livre, paru en 2014, s’intitule Le self-help et le mouvement femmes et santé. Une sorcière des temps modernes. Elle est la cheville ouvrière des rencontres internationales Femmes et Santé qui rassemblent chaque année des centaines de femmes23. Ce type d’atelier continue à être organisé en Belgique par Le Cefa asbl (Centre d’éducation à la famille et à l’amour) dans le cadre de ses activités d’éducation permanente. Par ces actions alternatives, les féministes continuent à interroger et à contester les normes sociales masculines à l’œuvre notamment dans les hôpitaux où règnent encore bien des « patrons ».
À nos balais !
La sorcière a toujours un balai sous la main pour entrainer les femmes vers des cieux plus propices. Aux États-Unis, les mouvements et les actions qui se sont développés et diversifiés autour de la Wicca, figure de la sorcière blanche des organisations néopaïennes des années 1970, s’inscrivent dans la mouvance dite « new age » et connaissent une popularité grandissante. Ils répondent à la fois aux aspirations féministes et aux souhaits écologistes d’un monde moins menacé dans ses ressources vives. Il bouleverse les repères officiels en (re)mettant à l’honneur un culte de la déesse qui serait antérieur aux grandes religions et dont les traces, multiples et universelles, auraient été ignorées par les intelligentsias scientifiques masculines. Cela fait écho en Occident. La jeune philosophe française Emilie Hache remet l’écoféminisme en lumière et propose, dans une synthèse constructive des aspirations écologistes, féministes et sorcières, de réconcilier empirisme et approche scientifique24. Le 9 mai 2017, un groupe de rédactrices rassemblées autour de Christine Aventin présente au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles, le numéro 25 de la revue Sorcières ressuscitée pour l’occasion. Réalisé collectivement, impression comprise, le numéro se veut artistique, politique, non mixte et intersectionnel, c’est-à-dire qu’il aborde différentes discriminations croisées. Il rassemble des textes, des poèmes et des dessins créés à partir de sentiments de rupture dans une volonté de « sortir de la sorcière facile » et de « retrouver le côté monstrueux » par exemple de l’ogresse. Son titre : la monstre.
La sorcière incarne ainsi un cheminement d’empowerment des femmes en marge des processus officiels, car, dans le chemin initiatique sorcier, la finalité est que la sorcière doit s’approprier les pouvoirs pour ensuite pouvoir les dépasser puis s’en passer. Sorcière ici, guérisseuse là, chamane ailleurs, les femmes unissent leurs forces à partir de sa symbolique et continuent à la réhabiliter comme figure initiatique et solidaire pour les femmes, jeunes ou vieilles, blanches ou noires, urbaines ou rurales. Elle pose aussi question aux féministes plus radicalement inscrites dans les mouvements à visée égalitaire qui craignent, par l’exaltation ainsi maintenue des savoirs dits féminins, un enfermement des femmes dans les traditionnelles assignations sociales genrées : le soin, l’alimentation, la culture des plantes, mais aussi la maternité et la tenue de (et dans) l’espace privé. Le lien avec la nature, ses forces, ses éléments, ses représentations, ne risque-t-il pas également de cautionner le concept de la complémentarité au détriment des combats égalitaires portés davantage sur les champs politiques et institutionnels ?
Sans doute, pour dépasser ces divergences, la lecture de l’ouvrage fondamental de Silvia Fédérici Caliban et la sorcière25 constitue un outil précieux de mise à distance historique et politique. L’auteure y inscrit la persécution des sorcières comme une étape nécessaire à l’abolition des communs et à l’avènement de la société capitaliste moderne. Cette société-là même que les militantes qui se réclament du personnage et de la force mythique de la sorcière — cette monstre incontournable — veulent dépasser, ensemble, pacifiquement, joyeusement et sans oublier les femmes qui sont encore, à certains endroits du monde, brulées ou persécutées comme sorcières pour leur marginalité, leur sexe, leur âge.
- Renard, La monstre, La lanterne sourde, 1893.
- Fr. d’Eaubonne, Le sexocide des sorcières, Paris, L’Esprit frappeur, 1999.
- L’exposition Présumées coupables organisée début 2017 à Paris par les Archives nationales de France permettait de consulter les minutes de procès de femmes accusées de sorcellerie.
- La revue Sorcières, éditée de 1975 à 1982 par un collectif féministe français, a présenté un nouveau numéro en mai 2017 à Bruxelles.
- L’association portugaise Lata65 organise des ateliers de street art pour personnes âgées. Un pochoir de sorcière est une de leurs signatures.
- Les Sorcières de Salem, film franco-allemand de Raymond Rouleau sorti en 1957.
- Les Ensorceleuses, film américain réalisé en 1998 par Griffin Dunne et basé sur une nouvelle d’Alice Hoffman parue en 1995.
- Dans le cortège féministe du 6 mars 2015 organisé par la Coordination belge de la Marche mondiale des femmes dans le centre de Bruxelles, des militantes de la CSC avaient orné leurs chapeaux de sorcières de slogans syndicaux.
- Marmande : ville française de la région du Lot.
- Lettre de rémission de 1457 pour l’exécution faite à Marmande de plusieurs femmes accusées de sorcellerie (1453). Transcription adaptée de celle donnée dans Bibliothèque de l’Ecole des chartes, 1849, tome 10, p. 372 – 376.
- M. Gevers, La ligne de vie, Bruxelles, Éditions Plon, 1937.
- G. Duplat, « L’horrible sort des sorcières en Europe », La Libre Belgique, 3 mars 2016.
- E. Badinter, « Enjeux de pouvoir », préface de Cl. Gauvard (dir) Présumées coupables. Les grands procès faits aux femmes, Paris, L’Iconoclaste – Archives nationales, 2016
- M.-S. Dupont-Bouchat, Constructions des rapports hommes-femmes à travers l’histoire de la sexualité en Occident, exposé donné à la Ve journée scientifique organisée par Cefa – Institut de formation à Bruxelles le 18 novembre 1995.
- M.-S. Dupont-Bouchat, « La prostitution urbaine ou la marginalité intégrée », dans Eliane Gubin, Jean-Pierre Nandrin (dir) La ville et les femmes en Belgique. Histoire et sociologie, Bruxelles, publications des Facultés Saint-Louis, 1993, p. 97 – 129.
- La conférence mondiale sur les femmes de Beijing de 1995 fut précédée par celle organisée au Mexique en 1975, à Copenhague en 1980 et à Nairobi en 1985.
- Une sorcière comme les autres, titre d’un album de chansons d’Anne Sylvestre paru en 1975.
- La bibliothèque Léonie La Fontaine est la seule bibliothèque féministe en Belgique francophone. Elle fait partie des outils d’éducation permanente de l’Université des Femmes et propose ses milliers d’ouvrages et de revues au 10, rue du Méridien à 1210 Bruxelles.
- C. Goldblum, Sorcières, 1976 – 1981. Étude d’une revue féministe, Master 1, université de Lille III (dir. Florence Tamagne), 2009.
- Association féministe belge francophone reconnue comme association d’éducation permanente pour adultes et basée à Bruxelles.
- Coauteure avec Ph. Pignarre de La sorcellerie capitaliste, ouvrage paru en 2005 aux éditions La Découverte et dans lequel elle montre la force irrationnelle de la marchandisation.
- Starhawk, Femmes, magie & politique, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2003.
- Les 11e rencontres internationales Femmes et Santé ont ainsi été organisées à Bruxelles en 2011.
- E. Hache, Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique, Les Empêcheurs de penser en rond, 2011 et Reclaim, recueil de textes écoféministes, Éditions Cambourakis, 2016.
- S. Federici, Caliban et la sorcière. Femmes et accumulation primitive, Genève, Entremonde, 2017.