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Une société sans voitures

Numéro 6 - 2016 par François Schreuer

octobre 2016

C’est en 2019 que la ville de Her­saing a déci­dé de ban­nir pro­gres­si­ve­ment la voi­ture de son ter­ri­toire. Un plan sur dix ans a été adop­té, qui pré­voyait dif­fé­rentes étapes, mais aucune mesure d’interdiction for­melle ne fut prise, mal­gré l’insistance de cer­tains éco­lo­gistes. L’objectif cen­tral du plan était de réaf­fec­ter l’espace public à d’autres fonc­tions que la cir­cu­la­tion et le sta­tion­ne­ment des voi­tures. C’est le main­tien per­ma­nent de cet objec­tif qui fut à la base de la réus­site du pro­jet et des effets posi­tifs consi­dé­rables, et désor­mais lar­ge­ment connus, qu’il entrai­na pour l’ensemble des habi­tants de la ville.

Là où d’autres muni­ci­pa­li­tés misaient mas­si­ve­ment sur la voi­ture élec­trique et dépen­saient de grandes quan­ti­tés d’argent public pour ins­tal­ler par­tout des bornes de recharge et des empla­ce­ments réser­vés à ces véhi­cules « verts », à Her­saing, il fut clair d’emblée que le rem­pla­ce­ment du parc de véhi­cules ther­miques par des véhi­cules élec­triques ne résou­drait que très par­tiel­le­ment les pro­blèmes posés par la pré­sence de la voi­ture dans la ville, tout en ayant un cout consi­dé­rable. C’est aus­si au nom de ce prin­cipe que l’arrivée des taxis sans chauf­feurs — qui rem­pla­cèrent, comme on le sait, la voi­ture indi­vi­duelle aux alen­tours des années 2030 — ne sus­ci­ta pas à Her­saing le même enthou­siasme que dans d’autres villes.

Il n’est pas inutile, avant de pour­suivre le récit, d’expliquer la manière dont le plan fut adop­té. Une telle déci­sion aurait été en effet impen­sable quelques années plus tôt. Dans cette région post­in­dus­trielle, bon nombre de res­pon­sables poli­tiques res­taient convain­cus que la relance éco­no­mique vien­drait de l’intensification des flux de trans­ports et consa­craient en consé­quence une éner­gie consi­dé­rable à accroitre l’ampleur du réseau rou­tier. Ce fai­sant, la crois­sance des infra­struc­tures rou­tières ali­men­tait l’augmentation du tra­fic, ce qui ne man­quait pas de réjouir les « forces vives » locales, qui voyaient dans cet accrois­se­ment un signe posi­tif et récla­maient en toute logique que l’on construi­sit bre­telles, tun­nels ou via­ducs en plus grand nombre encore.

Le déclic vint de la conjonc­tion de plu­sieurs élé­ments. Le plan fut d’abord pro­po­sé par un col­lec­tif d’habitants et de cher­cheurs, qui tra­vaillait sur le sujet depuis plu­sieurs années et avait len­te­ment ral­lié à sa cause des cen­taines de per­sonnes. Il fut ensuite por­té par l’association des élèves des col­lèges et lycées de la ville qui, inci­tée à mener des actions « pour l’environnement », déci­da de mener cam­pagne pour l’abandon de la voi­ture. Ce mou­ve­ment hâta un chan­ge­ment de géné­ra­tion au sein du vieux par­ti tra­vailliste de la ville, dont les cadres pro-bagnoles furent sub­mer­gés, à l’occasion d’une pri­maire, par une nou­velle équipe qui avait pris fait et cause pour le pro­jet. À par­tir de là, le nou­veau para­digme s’imposa rapi­de­ment. Il devint un lieu com­mun de sou­li­gner à quel point la voi­ture, contrai­re­ment à l’intuition de bon nombre d’automobilistes, cou­tait beau­coup plus cher à la col­lec­ti­vi­té qu’elle ne lui rap­por­tait. On se mit à exa­mi­ner sérieu­se­ment les consé­quences sur la san­té de l’omniprésence de la voi­ture. Et l’enlisement dra­ma­tique des mul­tiples conflits qui n’en finis­saient pas de déchi­rer le Proche-Orient finit par être consi­dé­ré comme la consé­quence directe de la fré­né­sie de pétrole du monde occi­den­tal. La conclu­sion s’imposa petit à petit, jusque-là inima­gi­nable : il fal­lait ima­gi­ner la vie sans voitures !

Un plan ambitieux

La stra­té­gie décrite dans le plan et mise en place par la muni­ci­pa­li­té repo­sa sur trois élé­ments prin­ci­paux. Le pre­mier d’entre eux consis­tait à inver­ser l’effet réseau, jusqu’alors si favo­rable à la voi­ture : réduire pro­gres­si­ve­ment son inté­rêt face à d’autres façons de se dépla­cer, rééqui­li­brer les choses. Concrè­te­ment, deux tiers des voi­ries muni­ci­pales furent, dès la pre­mière année du plan, réser­vées à la des­serte locale — il fal­lait une auto­ri­sa­tion pour y accé­der avec un véhi­cule moto­ri­sé — et limi­tées à une vitesse de 20 km/h. Dès 2024, cette pro­por­tion mon­ta à quatre cin­quième. Les moyens étant limi­tés, on se conten­ta d’abord de pein­ture blanche et de bacs de fleurs en béton, dont une par­tie fut même récu­pé­rée auprès de com­munes voi­sines. Une prime assez géné­reuse fut dans le même temps créée pour encou­ra­ger les dépla­ce­ments domi­cile-tra­vail à vélo : son finan­ce­ment fut assu­ré dans un pre­mier temps par une taxe sur les par­kings — les éco­no­mies dans l’entretien des voi­ries pre­nant ensuite le relai, à mesure que les par­kings en ouvrage dis­pa­rurent de la ville. Un règle­ment com­mu­nal ren­dit obli­ga­toire, dans un délai de deux ans, l’installation au rez-de-chaus­sée de tous les immeubles à appar­te­ments et tous les lieux d’emploi ou de for­ma­tion d’un nombre places de sta­tion­ne­ment pour les vélos équi­valent à celui des habi­tants ou usagers.

La deuxième idée de la stra­té­gie mise en place par le plan consis­tait à réduire la demande glo­bale de mobi­li­té, en rap­pro­chant les fonc­tions com­plé­men­taires les unes des autres. La restruc­tu­ra­tion de la chaine de super­mar­chés « Malaise », en 2020, fut à cet égard une aubaine : plu­tôt que de négo­cier des pré­pen­sions et des primes de départ, la délé­ga­tion syn­di­cale, dont plu­sieurs membres fai­saient par­tie du col­lec­tif à l’origine du plan, pro­po­sa la reprise du fonds de com­merce pour l’euro sym­bo­lique et la créa­tion d’une coopé­ra­tive, qui reprit l’ensemble du per­son­nel des deux maga­sins du groupe et s’installa dans l’ancien mar­ché cou­vert, qui était res­té aban­don­né dans le centre-ville. Consciente que le retour de la grande dis­tri­bu­tion allait sau­ver le com­merce du centre, très mena­cé peu de temps aupa­ra­vant, l’association des com­mer­çants se por­ta garante du nou­veau pro­jet, ce qui lui per­mit d’obtenir un prêt pour ins­tal­ler le nou­veau maga­sin. La ville en pro­fi­ta pour inter­dire la créa­tion de nou­velles sur­faces com­mer­ciales de plus 100 m2 à plus de 500 mètres d’une gare et pour créer un immense par­king pour vélos dans le sous-sol du marché.

La troi­sième idée clé du plan visait à sup­pri­mer l’effet de seuil lié à la pos­ses­sion d’une voi­ture, dont on sait qu’il amène les pro­prié­taires d’un véhi­cule à l’utiliser de manière sys­té­ma­tique, parce qu’une fois que l’investissement ini­tial a été consen­ti, le cout mar­gi­nal de chaque petit dépla­ce­ment en voi­ture est per­çu comme plus faible qu’avec n’importe quel autre mode de trans­port. À la logique de la pro­prié­té devait suc­cé­der une logique de l’usage, ce qui se tra­dui­sit par la sup­pres­sion de la taxe sur les véhi­cules moto­ri­sés et son rem­pla­ce­ment par de mini-péages auto­ma­tiques dis­sé­mi­nés dans la ville, uti­li­sant la tech­no­lo­gie déve­lop­pée de longue date en Nor­vège. Para­doxa­le­ment, un des élé­ments du plan visant à sup­pri­mer la voi­ture a aus­si consis­té à mettre des voi­tures mutua­li­sées à dis­po­si­tion des habi­tants, pour leur per­mettre d’en faire usage lorsque cela leur était néces­saire, de façon à leur évi­ter autant que pos­sible d’en ache­ter une.

Confor­mé­ment à l’ambition ini­tiale, la plu­part des empla­ce­ments de sta­tion­ne­ment pré­sents en voi­rie — et notam­ment ceux des rues étroites du centre-ville — furent sup­pri­més pour lais­ser place aux bus et aux vélos et sur­tout pour créer des pla­cettes, des petits parcs, pour élar­gir les trot­toirs, sur les­quels il devint pos­sible d’installer des fonc­tions jusque-là inima­gi­nables : micro-espaces de jeux pour les enfants, aubettes de tris des déchets orien­tées vers le réem­ploi, petits pota­gers urbains… L’effet fut immé­diat : la rue rede­ve­nait, en quelques mois après sa « libé­ra­tion », un espace de vie, sur­tout dans les quar­tiers où les jar­dins pri­vés étaient rares. Les habi­tants, dont un bon nombre ne rêvait que de par­tir vers une « ban­lieue verte », com­men­cèrent à retrou­ver l’envie de rester.

Bien sûr, de nom­breuses cir­cons­tances par­ti­cu­lières ont ren­du pos­sible cette expé­rience qui, per­sonne ne l’ignore aujourd’hui, a eu par la suite un si grand reten­tis­se­ment. Avec ses 75.000 habi­tants, ce gros bourg pré­sen­tait une taille idéale pour mettre en œuvre des chan­ge­ments impor­tants. La pré­sence d’un impor­tant nœud fer­ro­viaire, jusque-là réser­vé en grande par­tie à du fret, s’est aus­si avé­rée un atout déci­sif : les anciens abat­toirs, immenses entre­pôts cou­verts où l’on char­geait encore des car­casses de bétail dans des trains quinze ans plus tôt, situés juste à côté de la gare, furent trans­for­més en une vaste ago­ra, cou­verte, à la fois centre cultu­rel, espace de détente et de sport, gui­chet admi­nis­tra­tif. Leur posi­tion cen­trale dans la ville en fit rapi­de­ment, dès leur inau­gu­ra­tion en 2026, un car­re­four très pri­sé des Hersésiens.

De l’usine métallurgique à la production de cycles

Le choix, posé deux ans plus tôt, de trans­for­mer l’ancienne usine métal­lur­gique, qui avait fait les beaux jours et même la gloire de Her­saing, en une coopé­ra­tive de pro­duc­tion de cycles, avec le sou­tien de la muni­ci­pa­li­té, a aus­si joué un rôle déter­mi­nant. Il était rapi­de­ment appa­ru que l’audacieux plan de mobi­li­té allait contri­buer à assu­rer la réus­site de la recon­ver­sion de l’usine, en créant un mar­ché local pour les mul­tiples objets rou­lants que les desi­gneurs locaux se sont mis à inven­ter — le tri­place à assis­tance élec­trique est main­te­nant uti­li­sé par­tout en Europe —, mais aus­si en ren­dant une nou­velle jeu­nesse à la marque « Ampe­ri », qui avait été célèbre un siècle plus tôt, jusqu’à la faillite de 1957, et qui fai­sait encore la fier­té des plus vieux habi­tants. La puis­sance de l’esprit ouvrier dans la ville et le rôle cen­tral qu’il a été appe­lé à jouer dans le pro­ces­sus ont sans aucun doute joué un rôle déci­sif pour éta­blir le consen­sus poli­tique sans lequel le pro­jet n’aurait pas pu être mené à bien.

La mesure la plus cou­teuse du plan consis­ta à offrir un abon­ne­ment de trans­port en com­mun à tous les habi­tants vivant dans un foyer dépour­vu de voi­ture. La leçon avait enfin été tirée de la très injuste mesure, en vigueur quelques années plus tôt, qui per­met­tait à une famille d’échanger une plaque d’immatriculation contre des abon­ne­ments de bus pour deux ou trois ans. Cette mesure n’avait pro­fi­té qu’aux classes moyennes et supé­rieures (qui, de sur­croit, gar­daient par­fois une ou deux autres voi­tures dans leur ménage tout en béné­fi­ciant de ces abon­ne­ments gra­tuits) tan­dis que les per­sonnes qui n’avaient jamais eu les moyens de s’acheter une voi­ture conti­nuaient à payer leurs abon­ne­ments de bus au prix plein. Sur­tout, cette mesure n’avait eu aucun effet visible dans la durée, en rai­son de la durée limi­tée des abon­ne­ments offerts. La nou­velle for­mule entra en vigueur en 2023, et fut finan­cée par une aug­men­ta­tion des cen­times addi­tion­nels au pré­compte immobilier.

Les bénéfices de l’expérience

Au bout de cinq ans à peine, la ville s’était trans­for­mée. Dans les quar­tiers désor­mais pro­té­gés du tra­fic, de mul­tiples ini­tia­tives étaient nées, des entre­prises étaient venues s’installer et, sur­tout, de nou­veaux habi­tants avaient élu domi­cile, notam­ment pour se rap­pro­cher de leur lieu de tra­vail. L’ouverture de la gare et de son ago­ra, quelques années plus tard, allait encore ren­for­cer ce mou­ve­ment qui per­mit de main­te­nir les finances com­mu­nales dans le vert mal­gré l’augmentation impor­tante des dépenses. Avec la pré­sence humaine presque per­ma­nente dans l’espace public que la nou­velle poli­tique géné­rait, le taux de cri­mi­na­li­té a bais­sé d’année en année et il fut petit à petit pos­sible d’affecter les poli­ciers à des tâches jusque-là consi­dé­rées comme accessoires.

C’est dès l’année 2021 que furent pour la der­nière fois dépas­sés les seuils de pol­lu­tion atmo­sphé­rique, qui étaient encore pré­oc­cu­pants lors du lan­ce­ment du plan. C’est ce qui convain­quit plu­sieurs muni­ci­pa­li­tés voi­sines de se lan­cer à leur tour dans un pro­ces­sus simi­laire à celui d’Hersaing. Avec le recul que l’on a aujourd’hui, on sait que cette amé­lio­ra­tion de la qua­li­té de l’air se tra­dui­sit, dans les deux décen­nies sui­vantes, par une amé­lio­ra­tion spec­ta­cu­laire de plu­sieurs indi­ca­teurs de san­té publique dans la ville : les patho­lo­gies res­pi­ra­toires en par­ti­cu­lier, jusqu’alors fré­quentes, connurent une nette décrue.

Alors que plus de 85 % des dépla­ce­ments urbains étaient faits en voi­ture lors du lan­ce­ment du plan, en 2019, ce chiffre tom­ba sous les 50 % au cours de l’année 2026. Les spé­cia­listes de la mobi­li­té n’en reve­naient pas. Après les tou­ristes et les mili­tants éco­lo­gistes, après les jour­na­listes, ce furent les cher­cheurs qui com­men­cèrent à affluer dans la ville.

Une des consé­quences impor­tantes de cette évo­lu­tion, au cours de ces années, fut la satu­ra­tion du réseau de trans­port public, qui, mal­gré les nom­breux sites propres qui avaient for­te­ment réduit l’engluement des bus dans le tra­fic et donc réduit le cout de fonc­tion­ne­ment du réseau, récla­mait des aug­men­ta­tions de capa­ci­té qui tar­daient à venir de la part de la socié­té régio­nale du trans­port. Ce pro­blème sus­ci­ta un véri­table bras de fer entre les auto­ri­tés muni­ci­pales, qui avaient bien com­pris qu’elles jouaient là la cré­di­bi­li­té de toute leur poli­tique, et le ministre régio­nal, car celui-ci ne se résol­vait pas à admettre que la Région ait à assu­mer l’augmentation des couts du trans­port public qui décou­lait direc­te­ment de la poli­tique menée par la ville de Hersaing.

Au cours de ce débat, il fut démon­tré que plu­sieurs lignes de bus de la ville, rem­plies du matin au soir, étaient deve­nues béné­fi­ciaires — et que le sys­tème de trans­port dans son ensemble, très fré­quen­té grâce aux mesures de gra­tui­té qui concer­naient déjà plus de la moi­tié de la popu­la­tion, cou­tait huit fois moins cher par pas­sa­ger trans­por­té que la moyenne régio­nale. On démon­tra les mul­tiples effets posi­tifs de l’évolution que connais­sait Har­saing sur le bud­get de la Région, notam­ment depuis que celle-ci avait héri­té, à l’occasion d’une énième « réforme de l’État », comme on disait à l’époque, de la ges­tion des soins de san­té. On sou­li­gna aus­si que la tari­fi­ca­tion de la socié­té de trans­port était des plus défa­vo­rables aux urbains fai­sant de courts tra­jets. Au terme d’un débat hou­leux, qui prit une ampleur natio­nale et pen­dant lequel on vit se mul­ti­plier les prises de posi­tion tous azi­muts, la Région admit fina­le­ment, en 2027 — année où la capi­tale régio­nale adop­ta un plan ins­pi­ré de celui de Her­saing —, que le trans­port public devait être finan­cé sur la base d’une dota­tion par pas­sa­ger et non plus par habi­tant, de façon, à pri­vi­lé­gier les villes dont les auto­ri­tés locales menaient des poli­tiques favo­rables au trans­port public. Sans aucun doute l’arrivée, en début d’année, des pre­miers réfu­giés cli­ma­tiques hol­lan­dais, dépla­cés après que le pol­der où ils vivaient a été sub­mer­gé à la suite de l’effondrement des digues sous l’effet d’une tor­nade, impres­sion­na-t-elle l’opinion et hâta-t-elle une déci­sion dont le carac­tère urgent ne fai­sait plus de doute.

À par­tir de ce moment, une véri­table spi­rale posi­tive se mit en place dans la ville : l’amélioration très sub­stan­tielle du ser­vice de trans­ports en com­mun, l’extension des horaires et des fré­quences, la créa­tion de nou­velles lignes des­ser­vant notam­ment la péri­phé­rie de la ville et les vil­lages alen­tour eut un effet d’entrainement pro­di­gieux. En 2029, on inau­gu­ra trois lignes de trol­ley­bus, dont les rames avaient été en par­tie fabri­quées par Ampe­ri. Au terme de la décen­nie, le nombre d’usagers des trans­ports publics avait été mul­ti­plié par sept.

En 2028, un dis­po­si­tif assez ori­gi­nal de logis­tique urbaine fut mis en place. Une fois encore, les anciens outils indus­triels, que l’on décri­vait quelques années plus tôt comme des poids morts, furent un atout. L’ancienne uni­té d’agglomération des hauts-four­neaux fut trans­for­mée en une pla­te­forme logis­tique. Là où l’on mélan­geait jadis, dans de savantes pro­por­tions, le com­bus­tible enri­chi et le mine­rai qui allait bien­tôt se trans­for­mer en fonte rou­geoyante, arri­vaient désor­mais des trains, camions, atte­lages et bateaux dont le conte­nu était redis­tri­bué vers les points de dis­tri­bu­tion de la ville, par de très ergo­no­miques char­rettes, conçues par Ampe­ri et tirées par des che­vaux arden­nais. Plus aucun véhi­cule de livrai­son n’entra dans la ville. La col­lecte des déchets, dont la quan­ti­té avait entre­temps été très signi­fi­ca­ti­ve­ment réduite par la pré­sence de nom­breux sites de com­pos­tage dans l’espace public et par une poli­tique de réduc­tion dras­tique des embal­lages inutiles, fut gérée de la même manière.

L’École internationale de la ville retrouvée

En 2029, pour les dix ans du plan, en même temps que les trois lignes de trol­ley, on inau­gu­ra un télé­phé­rique qui reliait le centre-ville à son hôpi­tal, situé sur une col­line dif­fi­ci­le­ment acces­sible. À la suite de la mise en ser­vice de ces infra­struc­tures, la part modale de la voi­ture pas­sa sous la barre des 20 %.

En 2036, l’association qui avait été à l’origine du plan, créa l’École inter­na­tio­nale de la ville retrou­vée, qui devint, comme on le sait, une réfé­rence dans tout le monde fran­co­phone, dont le congrès annuel fai­sait battre le cœur de la ville. Ce fut aus­si au cours de cette année qu’Amperi — entre­temps deve­nue une des entre­prises de réfé­rence dans le nou­veau domaine des tech­no­lo­gies de la rési­lience — enga­gea son mil­lième travailleur.

En 2038, l’agence des Nations unies pour la fin de l’ère auto­mo­bile (UNAECE), nou­vel­le­ment créée, s’installa dans la ville, qui dépas­sa aus­si, cette année-là, le cap des 100.000 habitants.

Entre­temps, le mou­ve­ment s’était éten­du aux zones rurales. Sous l’effet de l’augmentation impor­tante du prix de l’énergie, les vil­las et autres pseu­do-fer­mettes qui par­se­maient jusqu’aux pay­sages les plus recu­lés per­dirent, en moyenne, les deux tiers de leur valeur. Bon nombre d’entre elles furent tout bon­ne­ment rasées, pour rendre la terre à la fonc­tion agri­cole. Des noyaux vil­la­geois se refor­mèrent, qui ren­dirent pos­sible le regain d’une acti­vi­té com­mer­ciale en milieu rural et per­mirent d’organiser une des­serte effi­cace de l’ensemble du ter­ri­toire par le trans­port public.

François Schreuer


Auteur

coordinateur de l’asbl urbAgora, rédacteur en chef de la revue Dérivations