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Une revue intellectuelle dans le débat démocratique

Lire La Revue nou­velle, ce n’est pas emma­ga­si­ner de l’information en plus. C’est, dans le temps mai­tri­sé d’un pério­dique et d’une réflexion argu­men­tée, prendre dis­tance vis-à-vis de l’actualité. Car ce que l’immédiateté de la presse ou de la télé­vi­sion conduit le plus sou­vent à pro­po­ser en des termes bruts ou cryp­tés de façon par­ti­sane ne suf­fit pas à sai­sir toutes les signi­fi­ca­tions pré­sentes dans les évé­ne­ments. Si une publi­ca­tion comme la nôtre trouve et garde un rôle irrem­pla­çable dans la mon­tée en puis­sance des médias, c’est parce que sa pers­pec­tive de liber­té, de com­pré­hen­sion et de res­pect, aide cha­cun dans l’élaboration de son juge­ment per­son­nel. C’est bien là un enjeu cen­tral du débat démocratique.

La vie démo­cra­tique néces­site de faire des choix, tant indi­vi­duels que col­lec­tifs. Elle sup­pose aus­si que des tran­sac­tions, des com­pro­mis inter­viennent entre les grandes ten­dances qui tra­versent la socié­té. Or, au tra­vers de tels pro­ces­sus qui orientent le deve­nir de la vie sociale, des valeurs sont tou­jours enga­gées. Il importe d’en avoir conscience. Mais plus encore, pour la démo­cra­tie, de créer les condi­tions qui rendent la chose per­cep­tible au plus grand nombre. C’est pour­quoi un tel modèle de vie en com­mun doit, en amont, être ali­men­té par l’information, l’analyse et le débat qui, seuls, per­mettent d’éclairer toutes les signi­fi­ca­tions qui y sont poten­tiel­le­ment enga­gées. C’est-à-dire ses enjeux. Il n’est pas évident tou­te­fois que la sur­abon­dance des don­nées, nou­velles et dis­cours qui nous par­viennent par les canaux média­tiques contri­bue à satis­faire une telle exigence.

Cette situa­tion défi­nit bien ce que La Revue nou­velle cherche à appor­ter de spé­ci­fique. Si une publi­ca­tion men­suelle comme la nôtre trouve et garde un rôle irrem­pla­çable dans la mon­tée en puis­sance de la sphère des médias, c’est pré­ci­sé­ment parce qu’elle per­met une prise de dis­tance vis-à-vis de l’actualité et de l’information immé­diates. Elle répond aux exi­gences de l’élaboration du juge­ment per­son­nel de cha­cun. Car, à bien des égards, la pro­pen­sion de la tech­no­cra­tie contem­po­raine est de dis­si­mu­ler les choix qu’elle fait, de les rendre opaques ou de les éta­blir sur la base d’arguments d’autorité. Les porte-paroles des ins­ti­tu­tions, quant à eux, sont enclins à légi­ti­mer leurs pré­fé­rences tac­tiques par une rhé­to­rique doc­tri­nale qui occulte les com­pro­mis qu’ils passent au nom de ce qui ne serait que les simples « exi­gences du réel ». Et c’est cette opa­ci­té qui, pour un grand nombre, est à l’origine d’un manque d’intérêt ou, fina­le­ment, d’un décou­ra­ge­ment vis-à-vis de la citoyen­ne­té démo­cra­tique. En d’autres termes, ce que le mar­ché média­tique pro­duit comme infor­ma­tion brute ou cryp­tée de façon par­ti­sane ne suf­fit pas à ani­mer l’espace public. Celui-ci requiert des contre­poids en termes d’approfondissements, d’analyses argu­men­tées et de pro­po­si­tions alternatives.

Dans ce contexte, La Revue nou­velle cherche à être un outil réflexif qui per­met de prendre dis­tance face aux méfaits de l’endoctrinement et aux risques de l’apathie. Elle ambi­tionne que les valeurs que la démo­cra­tie met constam­ment sur la sel­lette de l’actualité soient per­çues et assu­mées en connais­sance de cause… et de consé­quence par le plus grand nombre. Et parce que l’arbitrage entre ces valeurs a des retom­bées concrètes dans la vie quo­ti­dienne de tous, on n’y admet pas qu’il n’en soit débat­tu qu’entre les seuls experts ou dans les cénacles aca­dé­miques. Cette pré­ten­tion de la revue exige sans doute de sa part une posi­tion d’autonomie cri­tique. Mais cela ne la ren­voie d’aucune manière à une atti­tude intel­lec­tuelle irres­pon­sable qui juge­rait de tout en sur­plomb. Plus que des leçons à don­ner à tout pro­pos, c’est à une relance de la réflexion et du débat sur des bases mieux élu­ci­dées que La Revue nou­velle cherche à appor­ter sa contribution.

Septante ans d’indépendance

La Revue nou­velle a été fon­dée en 1945, juste après la Seconde Guerre mon­diale dans le bouillon­ne­ment intel­lec­tuel et moral de la Libé­ra­tion. Les ten­ta­tives de renou­vè­le­ment ne man­quèrent pas dans la Bel­gique de l’époque. La revue s’est ins­crite par­mi celles-ci, en se posi­tion­nant d’emblée à la gauche de ce qu’était le « monde chré­tien belge » d’alors. Avec le recul, on constate tou­te­fois que le petit groupe des fon­da­teurs fut sur­tout com­po­sé d’esprits libres qui, en cher­chant à s’émanciper de la pen­sée poli­tique et reli­gieuse domi­nante, par­vinrent à créer un lieu per­ma­nent de réflexion et d’expression auto­nome. Sans doute la revue a‑t-elle connu une his­toire mou­ve­men­tée et, à plus d’une reprise, des dif­fi­cul­tés maté­rielles pour pour­suivre la tâche qu’elle s’était fixée. Mais elle a pu comp­ter sur un public d’abonnés fidèles qui com­prirent l’importance qu’il y a à ce que conti­nuent d’exister de tels lieux d’expression libre. Son comi­té de rédac­tion, quant à lui, a ras­sem­blé des hommes et des femmes qui, au tra­vers de leurs accords et désac­cords, cher­chèrent à se confron­ter aux évè­ne­ments en refu­sant tout autant le dis­cours conve­nu des appa­reils que l’évasion dans l’idéalisme de la pen­sée. Cha­cune des géné­ra­tions qui se sont suc­cé­dé au sein du comi­té de la revue y a ame­né sa sen­si­bi­li­té propre, mais dans une même pers­pec­tive de liber­té et de res­pect en vue de contri­buer aux débats de la vie poli­tique et cultu­relle de la socié­té belge.

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Sans pré­tendre que, à soi seul, cela consti­tue une ligne édi­to­riale com­plète et suf­fi­sante, on peut pen­ser que l’indépendance de La Revue nou­velle à l’égard de toute allé­geance idéo­lo­gique et ins­ti­tu­tion­nelle n’est pas inter­ve­nue pour peu dans sa péren­ni­sa­tion. Et si, par ailleurs, les temps ont chan­gé et que l’absolu des valeurs reli­gieuses des ori­gines s’est incon­tes­ta­ble­ment estom­pé, qu’il n’est certes plus dis­po­nible sous une forme évi­dente et doit désor­mais être recher­ché dans les mani­fes­ta­tions dis­tri­buées du sens, il y a néan­moins des convic­tions, des soli­da­ri­tés, des choix fon­da­men­taux qui res­tent, que l’on ne peut ni ne veut renier. Le « pro­gres­sisme » de la revue conti­nue ain­si de la rat­ta­cher au monde des valeurs de jus­tice, de liber­té, de res­pect cultu­rel et de volon­té de com­prendre. C’est dans cet esprit d’ailleurs que, dès ses débuts, elle avait don­né leur place à des points de vue d’auteurs qui débor­daient lar­ge­ment les cli­vages tra­di­tion­nels de la Belgique.

Depuis sa créa­tion, La Revue nou­velle a publié plus de 600 numé­ros, au rythme de dix par an. Cer­taines de ses ana­lyses ont fait date et contri­bué à éta­blir sa noto­rié­té : déco­lo­ni­sa­tion, guerre sco­laire et ensei­gne­ment, fémi­nisme, sécu­ri­té sociale et poli­tique de la san­té, évo­lu­tion du monde chré­tien, ana­lyse des par­tis poli­tiques, immi­gra­tion, ques­tions éthiques, conflit israé­lo-pales­ti­nien, éco­lo­gie… Les domaines cou­verts concernent la vie sociale, poli­tique (natio­nale et inter­na­tio­nale), éco­no­mique, cultu­relle et lit­té­raire, artis­tique et reli­gieuse. L’intention ini­tiale demeure et s’impose plus que jamais : faire exis­ter le débat d’idées et une réflexion mul­ti­di­men­sion­nelle sur le monde actuel. Car il est deve­nu de plus en plus évident que la démo­cra­tie ne se limite pas à l’ensemble des ins­ti­tu­tions et des pro­cé­dures d’élaboration de la déci­sion poli­tique auquel on la réduit sou­vent. Elle porte en elle-même toutes les ambi­tions d’une culture : celle du débat des hommes et des femmes de la moder­ni­té plu­ra­liste, qui savent que ni le monde ni même leur propre socié­té ne sont peu­plés d’individus pour les­quels n’existerait qu’une seule concep­tion des choses, homo­gène et évi­dente pour tous. Ils consi­dèrent donc que ce qu’on désigne par le mot « culture » ne dit pas d’emblée à l’humanité ce qu’elle est. Elle en éveille plu­tôt la ques­tion. Elle est là, pré­ci­sé­ment, pour per­mettre à des indi­vi­dus et des groupes qui recon­naissent leurs dif­fé­rences de vivre ensemble en sau­ve­gar­dant ce que cette diver­si­té contient de légi­time ou, tout au moins, d’actuellement indé­pas­sable en dehors d’un coup de force de cer­tains. À l’aide de la culture démo­cra­tique se cherche ain­si une exis­tence col­lec­tive affran­chie des dogmes, des idéo­lo­gies ou sim­ple­ment des modes qui la dominent trop sou­vent. Quant à l’ancrage cultu­rel réso­lu­ment belge de la poli­tique édi­to­riale de La Revue nou­velle, il invite aus­si bien ses auteurs que ses lec­teurs à débattre de ces enjeux en fonc­tion du contexte d’un pays où les lieux d’expression vrai­ment libres et pros­pec­tifs ne sont pas légion.

Une nouvelle génération

Le col­lec­tif rédac­tion­nel, qui depuis les ori­gines s’est régu­liè­re­ment renou­ve­lé par coop­ta­tion, s’est avé­ré assez résis­tant pour durer, rebon­dir même. Sa volon­té est de retra­duire les exi­gences ini­tiales d’un pro­jet où l’expérience de la parole libre est cen­trale. Il lui revient de se situer par rap­port au pay­sage social et idéo­lo­gique d’aujourd’hui. Intel­lec­tuelle, fran­co­phone dans une socié­té domi­née par la mon­tée de l’identité fla­mande, de gauche dans un uni­vers où la droite est plus forte, la revue se trouve dans une situa­tion qui la défi­nit plu­sieurs fois comme mino­ri­taire. Doivent dès lors se mettre en place en son sein les dis­po­si­tions pro­pices non seule­ment à l’objectivation per­ti­nente des conflits, mais aus­si à la créa­ti­vi­té, à l’ouverture aux idées nova­trices et à leur tra­duc­tion en pro­po­si­tions originales.

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À l’heure de la mon­dia­li­sa­tion, l’urgence de s’ouvrir lar­ge­ment au plu­ra­lisme se fait plus pres­sante que jamais. En adop­tant, en outre, un regard moins char­gé par l’héritage colo­nial, déve­lop­pe­men­ta­liste ou de la guerre froide. En étant plus curieux aus­si des spé­ci­fi­ci­tés iden­ti­taires poli­tiques ou reli­gieuses nou­velles, celles de ce temps des « droits de l’homme » où les effets de la socié­té mul­ti­cul­tu­relle et les exi­gences de la liber­té des indi­vi­dus semblent par­fois être syno­nymes d’un refus de toute allé­geance et débou­cher dans le rejet de l’idée même d’appartenance col­lec­tive. Dès le début des années nonante, la revue a lar­ge­ment dif­fu­sé le modèle des déli­bé­ra­tions élar­gies et de la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive. Y reste en tout cas tou­jours nou­velle la volon­té d’éclairer les enjeux et de don­ner corps aux débats de la socié­té, même si la manière de le faire a sen­si­ble­ment évo­lué depuis la paru­tion du pre­mier numéro.

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