Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Une perspective historique (XIXe-début XXe siècle)

Numéro 12 Décembre 2012 par JacquesCatherine

décembre 2012

L’al­liance étroite entre le fémi­nisme et le libé­ra­lisme est une carac­té­ris­tique belge qui pri­vi­lé­gie d’emblée une démo­cra­ti­sa­tion glo­bale de la socié­té et une éman­ci­pa­tion vis-à-vis de l’É­glise. Même si cer­tains cal­culs oppor­tu­nistes ont pu jouer, il est cer­tain que le fémi­nisme n’au­rait pas pu voir le jour sans la laïcité.

Dossier

Dans un article consa­cré prin­ci­pa­le­ment à la ques­tion du voile, Marc Jac­que­main se fonde en par­tie sur des argu­ments his­to­riques pour étayer son opi­nion : la laï­ci­té radi­cale se pré­oc­cupe bien moins des droits des femmes que de l’usage qu’elle peut en faire pour lut­ter contre la reli­gion. Sans abor­der la ques­tion du voile, qui consti­tue un débat dis­tinct en rai­son de contextes his­to­riques radi­ca­le­ment dif­fé­rents, je revien­drai ici briè­ve­ment sur la nature des rela­tions entre le fémi­nisme et la laï­ci­té au XIXe siècle-début XXe siècle, la ques­tion n’étant pas, à cette époque, de savoir si « la laï­ci­té était si favo­rable aux femmes », mais bien si le fémi­nisme belge aurait pu se déve­lop­per en dehors de la laï­ci­té.

Le contexte du féminisme

Au XIXe siècle, l’Église catho­lique est omni­pré­sente dans la socié­té belge et une frange acti­viste, ultra­mon­taine, réclame la sup­pres­sion de cer­taines liber­tés modernes garan­ties par la Consti­tu­tion. Son pro­gramme vise très clai­re­ment à impo­ser la supré­ma­tie de l’Église sur l’État. L’Église dis­pose alors d’atouts énormes : elle exerce un qua­si-mono­pole sur l’enseignement, par­ti­cu­liè­re­ment celui des filles, sur les soins de san­té et sur la phi­lan­thro­pie. Elle imprègne l’ensemble de la socié­té et de la vie poli­tique, et impose sa concep­tion des rela­tions de genre fon­dée sur la hié­rar­chie des sexes et la dis­tri­bu­tion des rôles. L’enseignement qu’elle pro­pose aux filles est rudi­men­taire et l’accent est mis sur la reli­gion. Main­te­nues dans l’ignorance et les pré­ju­gés, les femmes repro­duisent elles-mêmes leur propre sujé­tion, et ce cercle vicieux est dénon­cé pré­co­ce­ment. Dès 1834, dans De la condi­tion sociale des femmes au XIXe siècle et de leur édu­ca­tion publique et pri­vée, Zoé de Gamond assi­mile ins­truc­tion et éman­ci­pa­tion, véri­table idée car­di­nale du fémi­nisme belge. Mais Zoé meurt en 1854. Sans appui et sans for­tune, elle n’a pas pu réa­li­ser son pro­jet d’offrir aux filles une ins­truc­tion plus solide. Dix ans plus tard, ce sou­hait est concré­ti­sé par sa fille, Isa­belle Gat­ti de Gamond.

Qu’est-ce qui a per­mis, dans un inter­valle si bref, qu’Isabelle, à peine âgée de vingt-quatre ans, auto­di­dacte sans for­tune, ait réus­si là où sa mère, péda­gogue confir­mée, avait échoué ? Qu’elle ait pu jeter les bases d’un ensei­gne­ment fémi­nin laïque et neutre, qui a essai­mé dans tout le pays et pro­vo­qué l’envol du fémi­nisme belge ?

Des préoccupations libérales pour les filles antérieures au féminisme

Comme tou­jours en his­toire, le contexte joue un rôle majeur. Les pré­oc­cu­pa­tions libé­rales — donc à l’époque laïques — en matière d’enseignement sont anté­rieures à tout fémi­nisme orga­ni­sé. Pré­sentes dès l’origine, elles prennent un tour aigu vers 1850, avec l’apparition au sein du par­ti d’une frange radi­cale, net­te­ment anti­re­li­gieuse (le jeune libé­ra­lisme) et l’intensification des luttes idéo­lo­giques entre catho­liques et libé­raux. Les libé­raux prennent conscience du dan­ger que repré­sente le mono­pole des cou­vents dans l’éducation des filles, du dan­ger d’un divorce idéo­lo­gique au sein des couples et de l’influence des femmes, res­tées catho­liques, sur leurs enfants (et même sur leurs maris).

L’éducation des filles est mise à l’ordre du jour de la maçon­ne­rie dès 1854 et, pen­dant dix ans, les débats se mul­ti­plient, dans les loges, mais aus­si dans le monde pro­fane. Le but est double : sous­traire les femmes à l’influence du cler­gé, mais aus­si leur offrir une édu­ca­tion éclai­rée et scien­ti­fique ; l’instruction étant, dans le pro­gramme libé­ral, le pivot de tout pro­grès social, tant pour les hommes que pour les femmes, toutes classes sociales confondues.

Des maçons pro­gres­sistes, sou­vent dans le sillage d’une jeune géné­ra­tion à l’ULB, se font les cham­pions d’un ensei­gne­ment fémi­nin secon­daire de qua­li­té. Un peu par­tout en Bel­gique, des libé­raux radi­caux se mobi­lisent, donnent des confé­rences en faveur d’une édu­ca­tion des femmes en rap­port avec les pro­jets du temps. La Revue tri­mes­trielle, organe de com­bat du jeune libé­ra­lisme (fon­dé en 1854 par Eugène Van Bem­mel, futur rec­teur de l’ULB), sou­tient L’Éducation de la femme (1862 – 1864), pério­dique fon­dé par Isa­belle Gat­ti de Gamond. En 1865, Charles le Har­dy de Beau­lieu affirme : « Cette pré­ten­due infé­rio­ri­té native du sexe fémi­nin […] n’est que l’effet d’un sys­tème d’instruction vicieux1. »

Si cette mobi­li­sa­tion trouve sa source dans l’anticléricalisme, elle témoigne aus­si d’un réel sou­ci pour l’instruction des filles. Ces hommes (une poi­gnée agis­sante) n’épargnent pas leurs efforts pour convaincre les tièdes et entrai­ner l’ensemble de leur par­ti. L’émancipation des femmes n’est pas le seul point à leur agen­da. Et paral­lè­le­ment, le jeune libé­ra­lisme noue des alliances avec les autres mou­ve­ments d’émancipation de l’époque : le mou­ve­ment fla­mand (Vla­min­gen Voo­ruit) et le mou­ve­ment ouvrier.

En même temps, les pre­mières socié­tés ratio­na­listes (L’Affranchissement 1857, Les Soli­daires 1859, La Libre Pen­sée 1863), anti­clé­ri­cales et anti­re­li­gieuses, appliquent pour la pre­mière fois une stricte éga­li­té par­mi leurs membres, hommes et femmes. En 1864, La Libre Pen­sée se mue en « asso­cia­tion pour l’émancipation des consciences par l’instruction et l’organisation des enter­re­ments civils ». L’année sui­vante, elle est à l’origine de la Ligue de l’enseignement, qui pro­clame : « l’instruction est un droit pour les femmes aus­si bien que pour les hommes2. » Une sec­tion, consa­crée à l’enseignement des filles, est pré­si­dée par Auguste Cou­vreur, par­ti­cu­liè­re­ment actif en loge.

Le contexte est donc favo­rable, et le véri­table coup d’envoi est don­né en 1864 par la Ville de Bruxelles dont le conseil com­mu­nal décide, à l’unanimité, de créer « un ensei­gne­ment moral, scien­ti­fique et pro­fes­sion­nel » pour les filles3. Les cours d’éducation pour jeunes filles s’ouvrent rue du Marais dès octo­bre 1864, et sont confiés à Isa­belle Gat­ti. Ils pro­posent aux filles de cinq à dix-huit ans un par­cours aty­pique, cou­vrant en gros le pro­gramme des études pri­maires et secon­daires, ce qui per­met d’échapper aux contraintes de la loi de 1842 (qui rend le cours de reli­gion obli­ga­toire, de même que le contrôle de l’école par le cler­gé) et de fon­der le pre­mier ensei­gne­ment laïque et neutre dont la fina­li­té est « l’affirmation du libre exa­men appli­qué à l’éducation des filles4 ». L’instruction reli­gieuse, affaire pri­vée, est lais­sée au soin des familles. En ce sens, l’éducation des filles est en avance sur l’enseignement des gar­çons, com­por­tant tou­jours, au niveau pri­maire et moyen, un cours de reli­gion obli­ga­toire (lois de 1842 et 1850). Cette alliance du fémi­nisme et du libé­ra­lisme a sou­vent été inter­pré­tée comme un ava­tar de la lutte clé­ri­co-libé­rale, mais si le contexte est bien la lutte contre les empiè­te­ments de l’Église sur la socié­té civile, il serait abu­sif de le limi­ter à un simple oppor­tu­nisme de la part des laïcs.

En effet, de cette alliance ori­gi­nelle, le fémi­nisme sort lar­ge­ment béné­fi­ciaire. Pour les libé­raux, le « gain » est idéo­lo­gique (réta­blir l’unité de la famille libé­rale), mais peu ren­table élec­to­ra­le­ment dans l’immédiat (les femmes ne vote­ront qu’au XXe siècle). En revanche, leur adhé­sion — même sans sous-esti­mer la part d’intérêt à long terme — indique tout au moins qu’ils étaient per­sua­dés que les femmes pou­vaient et devaient être ins­truites — ce qui nous paraît évident aujourd’hui, mais qui consti­tue une solide rup­ture avec les pré­ju­gés du temps.

En revanche, les fémi­nistes, elles, avaient tout à gagner de cet accord : sans l’appui d’hommes influents, elles ne dis­po­saient ni de moyens ni de relais pour se faire entendre dans l’espace public. Au milieu du XIXe siècle, ce win-win (à géo­mé­trie variable au cours du temps) penche alors très net­te­ment en leur faveur.

La marche vers un féminisme organisé (1892)

Choi­sie par l’administration com­mu­nale pour diri­ger le nou­vel éta­blis­se­ment, Isa­belle Gat­ti de Gamond mène­ra pen­dant plus de trente ans un par­cours sans faute, avec l’aide de libé­raux pro­gres­sistes et mal­gré la réti­cence de libé­raux doc­tri­naires. Élar­gis­sant et diver­si­fiant les pro­grammes, Gat­ti par­vient à créer, en 1894, une sec­tion pré­pa­ra­toire à l’université. En fin de compte, cet éta­blis­se­ment dont le but ini­tial était de sous­traire les filles de la bour­geoi­sie libé­rale à l’emprise de la reli­gion, pour en faire des futures femmes et mères « éclai­rées » et des alliées poten­tielles du libé­ra­lisme, a per­mis aus­si à bon nombre d’entre elles de s’émanciper bien plus que ne le sou­hai­taient les ini­tia­teurs du pro­jet ! Entre­temps, éri­gés en modèle, les cours d’éducation ont essai­mé, à Bruxelles et dans d’autres villes libé­rales. En moins de dix ans (1864 – 1873), vingt éta­blis­se­ments sont créés dans le pays, for­mant un véri­table réseau d’enseignement laïque. L’alliance entre la laï­ci­té et le fémi­nisme se soude de plus en plus sous le coup des attaques vio­lentes et bru­tales des catho­liques contre « la fille Gat­ti ». Et quand les catho­liques reviennent au pou­voir (1870, 1884) et qu’ils tentent de fer­mer les « écoles de filles sans Dieu », la mobi­li­sa­tion libé­rale s’organise pour les sou­te­nir finan­ciè­re­ment (denier des écoles). Dans un milieu laïc pré­sen­tant un spectre impor­tant de nuances poli­tiques, sociales et éco­no­miques, mais acquis aux théo­ries du « lais­ser-faire, lais­ser pas­ser », l’intervention vigou­reuse (et cou­teuse) en faveur d’un ensei­gne­ment laïque des filles a in fine dépas­sé de loin la seule stra­té­gie poli­ti­cienne ; parce qu’il s’est trou­vé, par­mi ces hommes, un cer­tain nombre de convain­cus de la néces­si­té de réduire les inéga­li­tés sexuées, au plan éthique et poli­tique, mais aus­si en termes de déve­lop­pe­ment éco­no­mique et social.

On oublie trop sou­vent que ce pro­gramme d’émancipation par l’éducation ne visait pas seule­ment l’enseignement géné­ral (somme toute éli­tiste), mais aus­si les filles des classes moyennes pour qui est fon­dé en même temps le pre­mier ensei­gne­ment pro­fes­sion­nel en Bel­gique (à l’instigation du ban­quier Bischoff­sheim et du gou­ver­ne­ment Rogier-Frère). Cal­qué sur le modèle des écoles pro­fes­sion­nelles créées à Paris par l’ancienne fou­rié­riste Eli­sa Lemon­nier, cet ensei­gne­ment, qui connait un cer­tain suc­cès, se déve­loppe dans le pays. Sous le cou­vert d’un pré­pa­ra­tion, entre autres, à des métiers fémi­nins (coupe, cou­ture), cet ensei­gne­ment est sou­vent sous-esti­mé, mais c’est oublier qu’il offre aux filles une for­ma­tion théo­rique géné­rale et une for­ma­tion pra­tique, alors qu’il n’existait jusque-là pour elles qu’un appren­tis­sage sur le tas en usine ou en ate­lier tan­dis qu’il existe un ensei­gne­ment indus­triel pour gar­çons depuis 1833. Enfin il vise expli­ci­te­ment à per­mettre aux femmes « de trou­ver un tra­vail rému­né­ra­teur », à contre­cou­rant de la vision de l’époque qui les des­tine au foyer.

Très vite, ce réseau d’enseignement laïque pour filles devient une pépi­nière de mili­tantes, issues du sérail laïque et en contact étroit avec lui. C’est ce même milieu, com­po­sé d’hommes et de femmes, qui crée, en 1892, en réponse au refus d’inscription au bar­reau de Marie Pope­lin, pre­mière diplô­mée en droit, la Ligue belge du droit des femmes, pre­mière asso­cia­tion fémi­niste struc­tu­rée en Bel­gique, pré­si­dée par Hec­tor Denis et ani­mée par le pre­mier théo­ri­cien du fémi­nisme belge, le jeune avo­cat Louis Frank. Mal­gré ses ori­gines très mar­quées, ce pre­mier fémi­nisme se déclare neutre, a‑politique et inter­clas­siste s’appuyant sur le cré­do de l’oppression com­mune des femmes. Cette volon­té fédé­ra­trice, neutre et inter­clas­siste, est en total porte-à-faux avec la socié­té en proie aux divi­sions poli­tiques et à la lutte des classes. Dès sa nais­sance, avec le recul chro­no­lo­gique, ce mou­ve­ment appa­rait comme une uto­pie, une aber­ra­tion des­ti­née à l’échec. Échec d’autant plus pré­vi­sible que les fémi­nistes elles-mêmes sont rat­tra­pées par les réa­li­tés sociales et se divisent en : un fémi­nisme laïque, un fémi­nisme socia­liste et un fémi­nisme chré­tien.

Désor­mais le mou­ve­ment inter­fère direc­te­ment dans la vie poli­tique, par le biais de ses membres mas­cu­lins qui portent ses reven­di­ca­tions à la Chambre. Ce qui lui vaut d’être auto­ma­ti­que­ment éti­que­té de laïque, par contraste avec le fémi­nisme chré­tien fon­dé en contre­feu dès 1902. Mais l’origine sociale du pre­mier mou­ve­ment (classes moyennes supé­rieures) lui vaut aus­si l’inimitié du POB qui joue de la lutte des classes. Dès le début du XXe siècle, le fémi­nisme est tra­ver­sé par la même pila­ri­sa­tion que la socié­té belge et l’allégeance des groupes chré­tien et socia­liste à leur par­ti res­pec­tif érige le fémi­nisme laïque, proche des libé­raux, en moteur prin­ci­pal de l’émancipation fémi­nine. Les liens tis­sés naguère sont tou­jours les mêmes (milieux libres-pen­seurs, loges maçon­niques, ULB), c’est là que le mou­ve­ment trouve ses appuis les plus solides.

Au len­de­main de la Pre­mière Guerre, le fémi­nisme laïque se divi­se­ra lui-même en une aile modé­rée, majo­ri­taire car plu­ra­liste (en conti­nua­tion de l’Union sacrée de 1914), récla­mant, non plus l’égalité des sexes, mais l’amélioration de la condi­tion fémi­nine, sur la base de la mater­ni­té recon­nue comme fonc­tion sociale. Les radi­cales, mino­ri­taires, for­mées d’une nou­velle géné­ra­tion sou­vent uni­ver­si­taire et enga­gée dans la vie pro­fes­sion­nelle, défendent une vision uni­ver­sa­liste, à savoir que toute dif­fé­rence sexuelle doit s’effacer face à la qua­li­té d’être humain. Sur le plan juri­dique, éco­no­mique et poli­tique, elles réclament l’égalité com­plète et s’efforcent d’obtenir l’égalisation des droits des hommes et des femmes. Elles intègrent ce com­bat dans un pro­jet plus vaste de démo­cra­ti­sa­tion de la socié­té belge. Elles sont tou­jours étroi­te­ment asso­ciées au camp laïque, se retrou­vant cette fois dans ses deux ver­sants, libé­ral et socia­liste. Elles se retrouvent à la Ligue de l’enseignement, mais sur­tout au Droit humain (obé­dience mixte crée en 1912 sous l’impulsion d’hommes comme Hen­ri Lafon­taine, séna­teur socia­liste et prix Nobel de la paix en 1913, et Auguste Cou­vreur) tou­jours à l’avant-garde des ques­tions sociales inté­res­sant les femmes, comme celle de la mater­ni­té consciente dès les années 1930.

Conclusion

Ce lien étroit entre le fémi­nisme et la laï­ci­té est une carac­té­ris­tique natio­nale, obser­vable dès l’origine et découle du contexte par­ti­cu­lier dans lequel le fémi­nisme belge est né. C’est pour­quoi il n’est jamais direc­te­ment com­pa­rable dans le pas­sé avec les autres fémi­nismes occi­den­taux, pas même avec son voi­sin fran­çais. Dès l’origine, il pour­suit des objec­tifs propres, liés à la situa­tion poli­tique belge, comme le fait de ne pas récla­mer le suf­frage des femmes (reven­di­ca­tion jugée uto­pique dans un sys­tème cen­si­taire mas­cu­lin, à la dif­fé­rence de la France qui dis­pose du suf­frage uni­ver­sel mas­cu­lin). En revanche, il pri­vi­lé­gie les reven­di­ca­tions éco­no­miques (en lien avec l’industrialisation pré­coce du pays) et l’égalité civile. Il s’insère d’emblée dans une dimen­sion de démo­cra­ti­sa­tion de la socié­té, qui ne se limite pas aux droits des femmes. C’est l’héritage des libé­raux pro­gres­sistes qui, en réa­li­té, n’a réus­si plei­ne­ment à convaincre tout le par­ti libé­ral que sur ce point (la ques­tion fla­mande et la ques­tion ouvrière ont été au contraire des fer­ments de dis­corde et de division).

Ce qui ne signi­fie pas que tous les laïcs, tous les libé­raux ou tous les francs-maçons aient été par­ti­sans de l’éman­ci­pa­tion fémi­nine. Mais tous, à un moment don­né, ont consi­dé­ré l’appui au fémi­nisme comme par­tie inté­grante de leur propre vision des rap­ports hommes-femmes. Si pour beau­coup, la sépa­ra­tion des espaces pri­vé et public demeu­rait de règle, du moins prô­naient-ils une com­mu­nau­té d’idées et une édu­ca­tion ana­logue pour les deux sexes, réa­li­sant l’harmonie de pen­sée au sein de la famille.

De leur côté, les pre­mières mili­tantes des droits fémi­nins ne pou­vaient qu’être en porte-à-faux avec la doc­trine de l’Église qui, comme toutes les reli­gions du Livre, pro­clame l’infériorité de la femme et sa sou­mis­sion à l’homme. C’est bien le front com­mun anti­clé­ri­cal qui consti­tue le pre­mier ciment de l’alliance entre fémi­nisme, libé­ra­lisme et laï­ci­té, lien qui se conso­lide au cours du XIXe siècle-début XXe siècle, en rai­son de la situa­tion poli­tique du pays, du long règne catho­lique (1884 – 1914) et du virage par­ti­cu­liè­re­ment sexiste d’une par­tie de la droite après les évè­ne­ments sociaux de 1886 (et plus encore au début du XXe siècle).

La lec­ture gen­rée de l’histoire de l’émancipation fémi­nine invite donc à la pru­dence quand il s’agit d’évaluer le pas­sé, la ques­tion la plus per­ti­nente étant de savoir « dans quelle mesure et quand la laï­ci­té a‑t-elle été favo­rable aux femmes » ? Il est cer­tain que la réponse devra tou­jours être pré­ci­sée, parce que toute alliance com­porte une part d’opportunisme mutuel et que la laï­ci­té (comme le fémi­nisme) recouvre un large spectre de nuances. Mais une chose paraît claire : on ne voit pas dans quel autre milieu idéo­lo­gique les fémi­nistes auraient pu trou­ver (et obte­nir) un appui pour ancrer leur mouvement.

  1. Revue tri­mes­trielle, 1865, t. XLVI, p. 130.
  2. Bul­le­tin de la Ligue de l’Enseignement, 1865 – 1866, p. 3.
  3. Bul­le­tin com­mu­nal de la Ville de Bruxelles, 1864, p. 373.
  4. Cita­tion dans Gubin Éliane & Piette Valé­rie, Emma, Louise, Marie. L’université de Bruxelles et l’émancipation des femmes (1830 – 2000), Gief/Service des archives, ULB, 2004, p. 41.

JacquesCatherine


Auteur