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Une opposition structurante : Anderlecht versus Standard

Numéro 05/6 Mai-Juin 2008 par Klinkenberg

mai 2008

S’il faut en croire les struc­tu­ra­listes, le monde du pen­sable est puis­sam­ment orga­ni­sé par des oppo­si­tions fon­da­men­tales et fon­da­trices : le cru et le cuit, le chaud et le froid, le diable et le bon Dieu, les dio­ny­siaques et les apol­li­niens, le yin et le yang, bor­deaux et bour­gogne, Cop­pi et Bar­ta­li ; pour ne rien dire […]

S’il faut en croire les struc­tu­ra­listes, le monde du pen­sable est puis­sam­ment orga­ni­sé par des oppo­si­tions fon­da­men­tales et fon­da­trices : le cru et le cuit, le chaud et le froid, le diable et le bon Dieu, les dio­ny­siaques et les apol­li­niens, le yin et le yang, bor­deaux et bour­gogne, Cop­pi et Bar­ta­li ; pour ne rien dire de Roux et Com­ba­lu­zier, Moët et Chan­don, Cha­rybde et Scyl­la. Les mêmes struc­tu­ra­listes vous expli­que­ront que ces paires contras­tées sont des modèles qui vous per­mettent de mieux com­prendre l’u­ni­vers : le grouille­ment appa­rem­ment sans ordre qui fait celui-ci se lais­sant doci­le­ment ordon­ner par celles-là.

Par­mi toutes ces oppo­si­tions régu­la­trices, il en est une qui brille par sa puis­sance et son uni­ver­sa­li­té. Elle s’é­tait d’ailleurs déjà, frère lec­teur, impo­sée à vous. Cette oppo­si­tion, c’est : Stan­dard vs Anderlecht.

Ander­lecht n’est qu’é­lé­gance. Son joueur pose le regard sur le bal­lon, éva­lue la situa­tion, et agit avec rete­nue. Le Stan­dard est roufe-tot-djus. Son joueur se bat avec la balle, mord sur sa chique et fonce. Il tra­vaille, lui. D’ailleurs, le pre­mier est un action­naire, qui gère son capi­tal avec conscience. Le second est un pro­lé­taire, qui n’a que ses jambes à vendre. Le pre­mier lit les pages sau­mon du Figa­ro ; le second, la une bigar­rée de La Meuse.
Ander­lecht, c’est la science. Le Stan­dard, le cou­rage. C’est la ruse et la force. Ulysse vs Achille. L’O­dys­sée vs l’Iliade.

Les tenues des Ander­le­chois sont pro­fi­lées comme des for­mule 1. Élar­gies à l’embouchure du col, elles épousent les formes des sprin­teurs et ne laissent aucune prise aux tirages de maillot. Les tenues des Stan­dard­men s’ap­pellent encore des vareuses : épaisses et franches aux cou­dées, elles sont uni­tailles et refusent la coquet­te­rie et l’illu­sion du muscle, au pro­fit de l’i­den­ti­fi­ca­tion col­lec­tive. Les maillots d’An­der­lecht résistent mal aux panses à bière. Les vareuses du Stan­dard n’ont pas peur des taches.

Ander­lecht est inso­lem­ment fier. Le Stan­dard est fier de son insolence.

Ander­lecht est froid. Le Stan­dard est chaud. D’ailleurs, le stade de l’un est un parc ; celui de l’autre est un chaudron.

L’un est fait d’in­di­vi­dua­li­tés, l’autre est une famille.
Si les maillots de leurs joueurs n’a­vaient pas les cou­leurs que l’on sait, le Stan­dard serait maillot jaune, Ander­lecht maillot vert.

Ander­lecht célèbre un sacre, et sable le cham­pagne. Le Stan­dard fête un exploit, et fait péter la chope. L’An­der­lech­tois s’e­nor­gueillit, le Stan­dard­man s’enivre.
Le rouge qui tra­hit est ban­ni. Le mauve qui tra­hit est vendu.

Ander­lecht est aris­to. Le Stan­dard est populo.

Le sup­por­teur d’An­der­lecht va au foot­ball comme on va à la Vil­la Lor­raine : se réjouis­sant intel­li­gem­ment, sali­vant avec dis­tinc­tion et rete­nue. Le sup­por­teur du Stan­dard y va comme on va chez Lequet : toni­truant, jubi­lant gras­se­ment en pen­sant aux sauces et à la mayon­naise. Le pre­mier est laïque, le second est croyant. L’un a le sérieux du Nord, l’autre le cœur sur la Méditerranée.

L’un a des exi­gences et des ambi­tions ; l’autre cultive la com­plai­sance et le fatalisme.

Le pre­mier a un contrat avec son club. Il l’a signé avec un sty­lo Mont Blanc. Et la conven­tion com­porte une clause de révi­sion qua­drien­nale. Le second a un pacte. Il l’a garan­ti de son sang, ah mais. C’est un enga­ge­ment éternel.

Ander­lecht, c’est le club de la capi­tale, tan­dis que… Ah non, ça, ce n’est pas une oppo­si­tion : le Stan­dard, c’est aus­si le club de la capi­tale. Même qu’elle est plus capi­tale que l’autre, parce qu’elle est plus ancienne, bien plus ancienne, dans son sta­tut de capitale.

Ander­lecht et Stan­dard sont entre eux comme constance et fidélité.

Ander­lecht est jou­teur, le Stan­dard lut­teur. Ander­lecht est pug­nace, le Stan­dard com­ba­tif. Ander­lecht est accro­cheur, le Stan­dard bagar­reur. Ander­lecht est incan­des­cent, le Stan­dard ardent. Le Stan­dard est flam­boyant, Ander­lecht étin­ce­lant. Le Stan­dard est agres­sif, Ander­lecht offen­sif. Le Stan­dard est têtu, Ander­lecht tenace. Le Stan­dard aveu­glant, Ander­lecht lumineux.

L’or­chestre d’An­der­lecht fait de la musique de chambre au salon. Le Stan­dard donne un sens plus pur aux shoots de la tribu.

Le Stan­dard, c’est Aris­tote. Ander­lecht, c’est Platon.

Klinkenberg


Auteur

Jean-Marie Klinkenberg est professeur de sémiotique et de réthorique à l'Université de Liège ([ULG->http://www.ulg.ac.be])