Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Une oasis dans un monde furieux

Numéro 4 Avril 2011 par Anathème

janvier 2015

Les dic­ta­tures sont faites pour être ren­ver­sées ; s’il fut jamais truisme par­fait, le voi­ci. Le plus sou­vent, le chan­ge­ment de régime sera le fait de forces auto­ri­taires concur­rentes. Par­fois, l’on ver­ra émer­ger un régime démo­cra­tique. Presque tou­jours, le sang cou­le­ra. M’est avis que, comme les empe­reurs romains, les tyrans modernes savent que leurs chances de […]

Les dic­ta­tures sont faites pour être ren­ver­sées ; s’il fut jamais truisme par­fait, le voi­ci. Le plus sou­vent, le chan­ge­ment de régime sera le fait de forces auto­ri­taires concur­rentes. Par­fois, l’on ver­ra émer­ger un régime démo­cra­tique. Presque tou­jours, le sang cou­le­ra. M’est avis que, comme les empe­reurs romains, les tyrans modernes savent que leurs chances de mou­rir dans leur lit sont faibles.

Tout cela est bel et bon, mais nous concerne fort peu. Les régimes auto­cra­tiques sont loin, et nos belles démo­cra­ties occi­den­tales se sont tou­jours fort bien accom­mo­dées de leur pré­sence à leurs marges. Un peu de sta­bi­li­té ne fait guère de tort, sur­tout quand elle aide à main­te­nir l’emploi dans le sec­teur de l’armement ou à obte­nir des conces­sions minières et pétro­lières. Rap­pe­lons-nous les paroles empreintes de sagesse du ministre-pré­sident de la Région wal­lonne, Robert Col­li­gnon qui, en 1998, alors qu’une énième licence de livrai­son d’armes de la FN fai­sait débat, avait eu le cou­rage de sor­tir du bois : « Entre l’éthique et l’emploi, je choi­sis l’emploi. » On ne peut qu’applaudir avec les syn­di­cats. En cette matière, la posi­tion occi­den­tale a l’avantage de la clar­té : vae vic­tis (le latin est à nou­veau en vogue, me suis-je lais­sé dire). Les per­dants ne nous inté­ressent pas, qu’ils soient démo­crates ou auto­crates, ils n’ont rien à nous vendre ni à nous ache­ter… Voi­là un ordre du monde qui nous convient fort bien, sauf que… Sauf que nous ne vivons plus en un temps où il suf­fit de lais­ser quelques diplo­mates retran­chés der­rière les murs invio­lables de leur ambas­sade, dans l’attente que se décide le sort des armes ou des urnes, pour aller pré­sen­ter les hom­mages de nos vieilles nations au nou­vel occu­pant du palais présidentiel.

La mon­dia­li­sa­tion est pas­sée par là et, avec elle, de pro­fondes muta­tions sociales. Le tra­vailleur euro­péen est désor­mais sur­me­né : heures sup­plé­men­taires, horaires flexibles, dif­fi­cile conci­lia­tion des sphères pri­vée et pro­fes­sion­nelle, for­ma­tions en tout genre, mise à jour per­ma­nente de son mur Face­book, pré­sence conti­nue sur Twit­ter… La vie est dure en Occi­dent. Sans même par­ler de la météo.

Heu­reu­se­ment, la mon­dia­li­sa­tion, c’est aus­si une mul­ti­tude de clubs de vacances all in à deux ou trois heures d’avion de Bruxelles : soleil, alcool, danse du club, bre­vets de plon­gée, le bon­heur ! Parce que la bonne marche du monde repose sur ses épaules, le tra­vailleur euro­péen mérite bien quelque repos. Et il compte en pro­fi­ter, lui qui réserve d’habitude son séjour dès le mois de novembre, pour béné­fi­cier de sub­stan­tielles réduc­tions et dila­pi­der son trei­zième mois.

Mais voi­là que l’angoisse l’étreint : et si le dic­ta­teur qui lui assure la ponc­tua­li­té des vols vers l’Afrique du Nord et l’approvisionnement de son club pré­fé­ré venait à être ren­ver­sé ? Et si le nou­veau pou­voir en place refu­sait de ral­lier le com­pro­mis dic­ta­to­rial-démo­crate (pro­duc­tion au Nord, loi­sirs au Sud)? Il n’est certes pas ques­tion de prendre par­ti pour ou contre les révo­lu­tion­naires avant de savoir qui l’emportera, mais il faut être conscient des consé­quences d’une éven­tuelle remise en ques­tion de l’archipel du club. La bonne marche du monde pour­rait s’en trou­ver com­pro­mise, l’équilibre cos­mo­lo­gique per­tur­bé et la fra­ter­ni­té entre les peuples hypothéquée.

Aus­si faut-il que la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale prenne le pro­blème à bras-le-corps. Elle qui aida à poli­cer les rela­tions entre États en consa­crant l’inviolabilité des ambas­sades doit sans délai accor­der aux clubs de vacances un sta­tut simi­laire. Et recon­naitre les bagages des tou­ristes comme valises diplomatiques.

Nous ne vou­drions plus devoir inter­ve­nir sur place pour garan­tir le res­pect de notre droit à un insou­ciant repos. Et au cous­cous à volon­té du mer­cre­di soir.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.