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Une loi pénitentiaire en Belgique, pour quoi faire ?
En 2005, pour la première fois dans son histoire, la Belgique se dotait d’une loi pénitentiaire. Porteuse en apparence de principes généreux, elle consacrait un ambitieux projet : faire entrer le droit en prison. Dix ans plus tard, on peut s’interroger tant sur les contours du projet lui-même que sur la possibilité de son application. Et si l’objectif annoncé de normalisation de la prison cachait une chaussetrappe ?
Comme dans tout État moderne, la prison est chez nous au centre de l’arsenal des peines. Elle y est depuis les origines de notre État, lequel reprit alors le Code pénal français, puis conçut le sien propre en 1867 autour de la trilogie « peine capitale-enfermement-amende ». Encore, chez nous, la peine de mort fut-elle appliquée avec fort peu d’enthousiasme, nos ministres de la Justice ayant tôt pris l’habitude de la commuer en emprisonnement à vie. C’est dire l’importance de la prison, non seulement dans les pratiques, mais également dans les imaginaires répressifs.
Pourtant, la Belgique n’adopta jamais de loi pénitentiaire et régla le fonctionnement de la prison au travers d’un fouillis de directives et circulaires administratives, d’arrêtés royaux et de décisions discrétionnaires — voire arbitraires — de l’administration pénitentiaire1.
Le récent regain d’intérêt pour les questions pénales et, sans doute, le nombre de condamnations de la Belgique par des instances internationales pour l’ensemble de son œuvre carcérale, l’incitèrent cependant à corriger cette aberration. Une commission « loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus » fut créée. Composée de spécialistes des questions carcérales placés sous la houlette du professeur Lieven Dupont (KUL), elle accoucha d’un volumineux rapport proposant à la fois une réflexion sur la prison du XXIe siècle et un texte législatif.
Le résultat de ce travail fut avalisé par le législateur qui s’empara du dossier, fit de l’avant-projet une proposition de loi qu’il discuta, amenda et adopta. Un ambitieux projet arrivait ainsi à bon port et le règne de la loi allait pouvoir s’étendre sur la prison. C’était malheureusement pécher par optimisme que de penser cela.
Matières concernées
La loi du 12 janvier 2005 dite de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus (ci-dessous « loi de principes » ou « loi pénitentiaire ») règle l’ensemble de la gestion interne de la prison. Elle traite d’un nombre considérable de questions allant des droits fondamentaux des détenus aux procédures disciplinaires, en passant par le régime de vie, les visites, les communications avec l’extérieur, le travail et sa rémunération, le plan de détention, les formations et loisirs, l’aide sociale, le contrôle des établissements, etc.
Au-delà du prescrit légal, le rapport de la commission, versé au dossier législatif et faisant à ce titre partie des travaux préparatoires, regorge de considérations sur ce qu’est la prison et, surtout, sur ce qu’elle devrait être demain. Des principes directeurs sont dégagés qui permettent de tracer les contours d’une prison idéale pour notre temps. Car, alors que cette institution vieille de deux siècles — l’emprisonnement comme peine naissant avec la modernité politique — craque de toutes parts, alors que le constat de son échec a été dressé dès la fin du XIXe siècle, alors que le rêve de la remplacer par des interventions curatives scientifiquement calibrées2 a été déçu depuis longtemps, la prison semble demeurer suffisamment indispensable pour qu’on se soucie de lui forger un nouveau visage et une nouvelle légitimité. C’est la partie des travaux préparatoires consacrée à cette réflexion fondamentale qui va nous intéresser tout particulièrement ici.
On notera que les parlementaires se sont explicitement approprié les conclusions de la commission. De ce fait, nous ne distinguerons pas les positions des uns et de l’autre. Nous nous attacherons du reste aux intentions déclarées dans les documents préparatoires et n’essayerons pas d’en évaluer le caractère réaliste. L’on sait qu’il y a souvent plus qu’une nuance entre ce que le politique met en avant pour justifier ses projets et les buts qu’il poursuit réellement, mais il n’est pas possible d’entrer ici dans une question aussi complexe.
Une prison normale
L’objectif central de la loi, proclamé maintes fois au cours des travaux préparatoires, est la limitation des effets néfastes de l’incarcération. Au fondement de cet objectif négatif — en forme de « ne pas » —, on trouve l’idée selon laquelle il serait illusoire d’attendre quoi que ce soit de positif d’une incarcération si l’on ne met pas tout en œuvre pour en limiter les effets négatifs « supplémentaires ». Ce supplément est celui qui s’ajoute aux effets de la seule privation de liberté.
La principale manière d’obtenir cette réduction des effets néfastes est la normalisation de la prison, laquelle vise à ce que les situations vécues en prison correspondent au mieux à celles qui ont cours hors de ses murs ; du moins pour les positives, la normalisation ne paraissant pas impliquer la reproduction des situations de violence, de sans-abrisme, de consommation de stupéfiants ou de misère extrême que vivent souvent les délinquants avant d’être écroués.
Dans la prison « normale » que le législateur appelle de ses vœux, les principes de respect et de responsabilisation seraient absolument centraux. Largement associés au point qu’ils semblent souvent procéder l’un de l’autre, ils semblent impliquer, plus qu’un respect des droits fondamentaux, un maintien d’une certaine autonomie et, donc, de la capacité à continuer de jouer certains rôles sociaux vis-à-vis de soi (formation, capacité à faire des projets, projection dans l’avenir) ou d’autrui (famille, victime, acteurs extérieurs de soutien à la réinsertion, etc.).
Un dernier point essentiel est mis en exergue par le professeur Dupont : le principe de participation, selon lequel le détenu doit se voir offrir la possibilité de participer activement à la vie et à l’organisation de la prison — en ce compris à l’exécution de la peine — notamment via la prise d’initiatives à l’égard de la victime ou la mise en place d’un plan de détention établissant un projet à réaliser au cours du temps passé derrière les barreaux.
Ouvrez la cage aux oiseaux
Ces options fondamentales du législateur ont d’importantes conséquences quant au projet carcéral. C’est ainsi que la normalisation commande que la prison soit un espace le plus ouvert possible. Or, traditionnellement, la prison est non seulement retranchée du monde derrière ses murs, mais également intérieurement cloisonnée par un plan « cellulaire » visant, théoriquement, l’isolement de chaque détenu au sein d’un espace de confinement personnel. Il est bien entendu que l’impératif de sécurité est abondamment mobilisé pour justifier ces fermetures.
Ainsi, visites facilitées des proches (en ce compris des visites dans l’intimité), possibilité de recevoir des courriers, disponibilité en prison des services dispensés à l’extérieur (soutien psychosocial, formation, soins médicaux, etc.) sont quelques-uns des points qui indiquent que l’on entend désenclaver la prison. Il s’agit d’ouvrir non seulement l’espace physique — en permettant des entrées et des sorties —, mais également l’espace social — en encourageant notamment le maintien des relations sociales et affectives avec l’extérieur. Du projet de couper le détenu de son milieu — nécessairement criminogène —, on est passé à la volonté de maintenir des relations indispensables à la réinsertion après la libération. De l’idée de sécuriser par le retrait du délinquant du corps social, on en est venu à celle de la protection par la préservation des capacités d’action et d’interaction du condamné.
Pour ce qui est du cloisonnement interne, la loi pénitentiaire passe officiellement d’un régime d’isolement à un régime communautaire. Certes, il sera possible pour un détenu de s’isoler dans un espace de vie personnel, mais la règle est désormais la vie en communauté. On voit que l’on passe d’un système dans lequel il était avant tout question d’éviter la contagion criminelle en isolant les individus à une vision où la prison doit être un espace social.
Au-delà de ces ouvertures, les idées de participation et de responsabilisation vont se concrétiser dans un dispositif particulier : celui du plan de détention. Il est prévu que chaque détenu entrant en prison soit soumis — sauf exceptions — à une enquête portant sur sa personne et sa situation, ce afin d’individualiser la lutte contre les effets préjudiciables et les objectifs de la privation de liberté. Cette enquête doit servir de base à la constitution d’un plan de détention individuel.
Il s’agit d’inviter le détenu à participer à l’exécution de sa peine en définissant un projet. Il n’est plus question pour lui d’attendre que le temps passe, mais bien de mettre à profit son temps derrière les barreaux pour atteindre des objectifs en matière d’indemnisation de la victime, de modalités d’exécution de la peine, de formation, de travail, d’encadrement psychosocial ou de traitements médicaux, etc.
Le détenu peut refuser de se plier à l’exercice, mais il est encouragé à se responsabiliser et à participer à l’exécution de sa peine. On voit ici une évolution fondamentale par rapport à un système antérieur dans lequel l’emprise sur le condamné justifiait que l’on contraigne son comportement. Il n’était pas question de lui demander son avis, à lui qui était un pur objet de la peine qui lui était infligée. Le bon détenu, aujourd’hui, est celui qui prend son destin en main.
Cet exemple est le plus marquant, mais il n’est qu’une des déclinaisons des principes de participation et de responsabilisation. Ainsi les travaux préparatoires invitent-ils à considérer l’ensemble des acteurs de la prison comme les partenaires d’un projet collectif : une prison participative. Même lorsqu’il est question de la cantine — magasin de la prison où les détenus peuvent se procurer des produits venant de l’extérieur —, c’est la participation qui est évoquée pour garantir que la disponibilité et les prix des marchandises soient raisonnables par rapport à la situation de la société libre.
Il est bien évident que cette façon de procéder est susceptible d’aboutir à l’identification du détenu comme source de l’incapacité de la prison à le réformer. N’étant plus un objet aux mains d’une institution totale, il est responsabilisé… et devra donc rendre compte d’éventuels échecs et dérives liés à sa privation de liberté.
Une peine ? Non, un projet !
On notera que, lorsqu’il sollicitera sa libération conditionnelle, le détenu se verra demander un plan de réinsertion. La logique de projet est donc omniprésente, elle qui se fonde sur l’appel à se fixer des objectifs, à se mettre en mouvement et à poursuivre, quelles que soient les circonstances, une action visant à améliorer son sort. On retrouve ici une logique déjà à l’œuvre dans les rapports aux allocataires sociaux, appelés à se responsabiliser et à adopter une attitude active vis-à-vis de leur situation.
Cette vision prend place dans un contexte très particulier pour ce qui est de la détermination des objectifs de l’incarcération. La première raison d’être de la prison, traditionnellement, est bien entendu la punition. On parle de « peine privative de liberté » car l’objectif du traitement infligé est de faire souffrir le condamné en rétorsion de l’infraction qu’il a commise. Or, cette dimension afflictive est très largement absente des considérations sur l’incarcération et, lorsqu’elle émerge au cours des débats, c’est pour être très nettement rejetée.
Ainsi, alors que Bart Laeremans, député Vlaams Belang, évoque cet objectif, Hugo Coveliers (Open-VLD) affirme que : « La théorie du caractère punitif et dissuasif de l’emprisonnement est erronée et dépassée. La personne qui veut enfreindre la loi, le fera quelle que soit la sanction. »
La dimension punitive, même si elle nous semble rester essentielle dans les représentations profanes de la prison et dans le désir d’incarcération qui hante notre société, est donc largement passée sous silence, voire niée dans les travaux préparatoires. Pourtant, elle est reconnue dans la loi elle-même, plus précisément dans son article 9, ainsi libellé :
§ 1er. Le caractère punitif de la peine privative de liberté se traduit exclusivement par la perte totale ou partielle de la liberté de mouvement et les restrictions à la liberté qui y sont liées de manière indissociable.
§ 2. L’exécution de la peine privative de liberté est axée sur la réparation du tort causé aux victimes par l’infraction, sur la réhabilitation du condamné et sur la préparation, de manière personnalisée, de sa réinsertion dans la société libre.
§ 3. Le condamné se voit offrir la possibilité de collaborer de façon constructive à la réalisation du plan de détention individuel visé au titre IV, chapitre II, lequel est établi dans la perspective d’une exécution de la peine privative de liberté qui limite les effets préjudiciables, est axée sur la réparation et la réinsertion, et se déroule en sécurité.
On le voit, le paragraphe 2 de l’article 9 indique des objectifs de réparation du dommage subi par la victime, de réhabilitation et de préparation de la libération. Cela dit, l’exposé des motifs de la loi précise qu’il ne s’agit que de buts poursuivis à l’occasion de l’incarcération, le but direct de celle-ci n’étant autre que la simple exécution d’une condamnation pénale (1076/001, 64). Cette conception fait de la peine de prison un vecteur, une circonstance qui permet de profiter du fait qu’un individu passe par la case prison pour se soucier d’atteindre certains objectifs. La prison, en elle-même, de manière générale, ne semble pas se justifier autrement que par elle-même. Explicitement, l’établissement pénitentiaire y est qualifié de « lieu de dépôt ». Les objectifs précisés à l’article 9, §2, ne sont donc que des buts poursuivis à l’occasion de la détention.
On peut dès lors s’interroger sur le sens collectivement, politiquement, donné à la peine privative de liberté. Interrogé à ce propos, le professeur Dupont répond que, pour lui, le §3 de l’article 9 « dispose que le condamné est responsable du sens à donner à la détention car, après tout, il s’agit de “sa” peine. Le condamné obtient voix au chapitre en ce qui concerne le contenu de la peine3 ».
Voilà donc la responsabilisation et la participation poussées au paroxysme, jusqu’à charger le détenu de la tâche de trouver un sens à sa peine et à en décharger corrélativement la collectivité qui la lui impose. La prison apparait alors comme une page blanche sur laquelle les personnes sont enjointes de tracer les contours de leurs projets. Qu’avez-vous l’intention de faire de ce temps que l’on vous confisque et auquel il faudra bien que vous donniez un sens, un sens positif, qui plus est ?
Dans ce cadre, logiquement, les travaux préparatoires ne présentent plus l’aide au détenu comme une prise en charge, mais comme une offre de service, le condamné étant de facto responsable du recours qu’il y fera (ou pas) et des résultats qui en seront issus. De son côté, l’administration n’est pas tenue de lui offrir de service particulier.
Gérer la population
Nous pourrions poursuivre longtemps le tour du propriétaire tant la loi règle de domaines, ce n’est malheureusement pas possible. Il en est cependant encore un qui ne peut être passé sous silence : celui de la limitation stricte de la population carcérale. Face à cet obstacle récurrent à toute politique pénitentiaire digne de ce nom, la commission Dupont avait intégré un article 15 à son avant-projet, lequel disposait que « Le roi détermine la capacité d’occupation maximale de chaque prison ou de chaque section de prison » et que « La capacité maximale d’un établissement pénitentiaire ou d’une section […] ne peut être dépassée ».
Il s’agissait donc de rendre impossible la surpopulation carcérale afin « d’assurer la transparence autour de l’existence d’un problème qui doit pouvoir être résolu si chacun assume ses responsabilités, ce qui doit permettre d’éviter que la problématique de la surpopulation ne fasse peser une hypothèque si lourde sur les principes de base contenus dans le projet de loi que la mise en œuvre de la loi devienne impossible4 ». De l’aveu de la commission elle-même, c’était donc l’ensemble de l’applicabilité de la loi de principes qui était en jeu.
De manière surprenante ou non, le gouvernement a introduit un amendement, voté par la majorité, qui a abouti à la suppression de cet article 15. La surpopulation carcérale reste donc endémique et rien ne semble pouvoir en venir à bout, et certainement pas la détermination des autorités à agir sur elle de manière directe et vigoureuse.
Concrètement, l’entrée en vigueur de la loi
Dans un tel contexte, on peut s’interroger sur le statut de la loi de principes. Au-delà d’une entreprise d’énonciation d’un projet de prison légitime pour les temps actuels, y a‑t-il la moindre chance qu’elle débouche sur une réelle modification de la manière dont la peine privative de liberté est appliquée dans notre pays ?
Cette question est d’autant plus cruciale que la loi, alors qu’elle fête ses dix ans, n’est toujours pas entièrement entrée en vigueur, notamment du fait de l’opposition farouche de certaines catégories de travailleurs carcéraux — au premier rang desquels les surveillants — à certaines de ses dispositions, notamment celles qui donnent aux prisonniers les moyens de faire respecter leurs droits.
C’est ainsi que les dispositions comprenant des principes généraux sont entrées en vigueur, ainsi que celles relatives aux conditions de vie matérielles, aux contacts avec l’extérieur, à la pratique religieuse ou à l’accès à l’aide sociale. De même, les règles répressives portant sur la « mise au secret » durant la détention préventive, sur le placement en régime de sécurité, sur les mesures de contrôle ou sur les sanctions disciplinaires sont désormais applicables.
De manière peu surprenante sont restées dans les limbes, notamment, les normes relatives au plan individuel de détention, à la surveillance des prisons, aux soins de santé ou aux plaintes et réclamations des détenus5.
Si, donc, des principes très généraux favorables sont bien d’application, c’est aussi le cas de l’ensemble des dispositions permettant à l’administration pénitentiaire de peser sur les détenus. Les droits concrets de ces derniers et les garde-fous imaginés par le législateur, eux, continuent de rencontrer une forte opposition… et de faire l’objet de peu d’intérêt de la part des ministres de la Justice qui se sont succédé depuis 2005.
La dilution de la prison ?
Dans l’état actuel des choses, la loi de principes, première loi pénitentiaire belge, ne semble pas vouée à changer radicalement la gestion des prisons ni à donner corps à l’ambition de faire entrer le droit en prison au bénéfice des détenus.
Elle constitue cependant bien une tentative de produire un discours justificatif, traçant les contours d’une prison relégitimée à l’aune des valeurs du XXIe siècle. Elle prend alors, dans les discours produits à l’occasion de l’adoption de la loi, l’apparence d’une prison normalisée et ouverte, dans laquelle les détenus, non seulement bénéficieraient de droits, mais seraient également respectés, responsabilisés et mobilisés. En charge de la gestion de leur temps de privation de liberté, invités à élaborer des projets, conviés à participer au fonctionnement de la prison, ils seraient des consommateurs de services devant faire un usage optimal des ressources à leur disposition pour améliorer leur situation.
On ne peut cependant s’empêcher de penser que ce projet fut élaboré, adopté et partiellement appliqué parallèlement à d’autres, comme le Masterplan, vaste entreprise de construction de prisons et d’accroissement du nombre de places disponibles, la banalisation du recours à la surveillance électronique (comme modalité de libération conditionnelle, mais aussi comme alternative à la détention préventive et comme peine autonome), le développement spectaculaire de la peine de travail (sans effet sur la population pénitentiaire), etc.
C’est dans ce contexte qu’on peut être amené à s’interroger sur le projet de normalisation de la prison. S’il semble de prime abord indiscutablement positif de vouloir faire de la prison un espace aussi « normal » que possible dans le but de supprimer ses effets délétères, on ne peut s’empêcher de songer que cela aboutit à une alternative. La première possibilité est que la prison soit supprimée en tant que telle et, se diluant dans la société, elle devienne normale en disparaissant. Une prison ne peut en effet être réellement normale, tant est exorbitant le pouvoir de s’emparer du corps d’autrui pour l’enfermer. Cependant, les théories abolitionnistes sont passées de mode — c’est le moins qu’on puisse dire — et il y a peu de chances que la normalisation mène à la progressive disparition de la prison.
L’autre terme de l’alternative est, bien entendu, de faire en sorte que la prison soit normale en faisant régner hors d’elle bon nombre des normes qui la constituent. La carcéralisation du monde libre via des entreprises de limitation de la liberté comme la surveillance électronique6, la généralisation du traçage des individus, la restriction du droit à la vie privée, l’usage massif de la privation de liberté hors prison à destination des « illégaux », la généralisation d’un contrôle fortement invasif vis-à-vis de catégories de population perçues comme problématiques (comme les allocataires sociaux) et la soumission d’un nombre croissant de personnes à des impératifs de responsabilité, de planification et d’inclusion dans des projets contraignants sont autant d’indices qui donnent à craindre que la prison ne devienne normale tant les règles qui y règnent pourraient nous paraitre comme banales.
La question est dès lors de savoir si nous souhaitons cette normalisation carcérale.
- La situation était largement identique pour ce qui était de la régulation de l’exécution de la peine de prison elle-même. Voyez à ce sujet la contribution de Marie-Aude Beernaert dans ce dossier.
- Ce mouvement dit, en Belgique, de défense sociale a abouti à la loi du même nom, laquelle régit l’internement des délinquants malades mentaux. Des mêmes conceptions est également issu le traitement spécifique réservé aux mineurs délinquants et aux mineurs en danger, concernés par des mesures éducatives plutôt que par des peines, ainsi que l’incarcération pour vagabondage (aujourd’hui abrogée).
- Proposition de résolution relative au rapport final de la commission « loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus », rapport fait au nom de la commission par M. Tony Van Parijs, Doc. Parl., Chambre, 2003, 2317/002, 49.
- Rapport final de la commission « loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus ». Rapport fait au nom de la commission de la Justice par Vincent Decroly et Tony Van Parys, Doc. Parl., Chambre, 2001, 1076/001, 127.
- À propos de l’entrée en vigueur de la loi, voyez Tom Daems et al., « De basiswet van 12 januari 2005 betreffende het gevangeniswezen en de rechtspositie van de gedetineerden : een status quaestionis », Tijdschrift voor Strafrecht. Jurisprudentie, nieuwe wetgeving en doctrine voor de praktijk, n°1 (2014), p. 2‑46.
- À ce sujet, nous renvoyons à un billet que nous avons récemment publié dans la revue. Chr. Mincke, « Cellule familiale ».