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Une biologie de la mort
L’existence est une longue danse entre la vie et la mort. La mort agit à tous les niveaux du vivant. À l’échelle de la cellule, un mode particulier fascine : l’apoptose, évoquant la chute des feuilles. Elle permet une « sculpture du vivant ». Ce mécanisme permet le ciselage des doigts, le choix des organes sexuels, la sélection des réseaux nerveux et des agents immunitaires qui se seront révélés utiles. Mais au niveau de l’individu humain, déterminer la mort est crucial. Au centre de la définition de la mort : la reconnaissance d’une irréversibilité. Souvent le moment validé fait l’objet d’une décision humaine. Des vivants peuvent-ils être éternels, immortels ? Que promet l’avenir : régénération, cryogénisation, états comateux qui reportent la mort… ? Quels imaginaires ouvre la science-fiction ?
Pourquoi un regard de biologiste dans ce dossier sur la mort ? Dans la complémentarité de rôles sur les questions vivant et société, le biologiste occupe une place spécifique. Sans préoccupation à court terme, il est moins dépendant de l’émotion de l’instant. Il considère l’ensemble des êtres et travaille sur le vivant en sa qualité de vivant. Pourtant ce concept n’a pas de frontières claires. Les virus, les prions sont-ils des êtres vivants ? Lorsque le biologiste est amené à réfléchir sur la fin de vie, il touche du pied la ligne blanche qui balise son domaine. En effet, la réflexion sur la fin de la vie est aussi morale et politique
L’existence, mort et vie : un « pas de deux »
Comme la vie, la mort appartient à l’existence, elle en est un ressort essentiel. Longtemps on eut beaucoup de mal à définir cette relation tumultueuse et néanmoins féconde. Il y a eu la tentation de ne voir en la mort que la négation de la vie. Mais d’autres visions du monde ont relevé le défi d’intégrer la mort dans la dynamique de l’être. Au cours de l’histoire des derniers siècles, l’observation, la pratique et la réflexion des biologistes ont contribué à définir une alliance paradoxale.
Bichat (1771 – 1882), médecin, mais aussi excellent biologiste, définit la vie comme l’« ensemble des fonctions qui résistent à la mort ». Bichat, vitaliste, réagit contre une science physique conquérante, un matérialisme auquel il oppose les forces vitales. « La science des corps organisés doit être traitée d’une manière toute différente de celles qui ont les corps inorganiques pour objets. » Bichat donne sa force de frappe à un courant vitaliste qui imprègnera longtemps les sciences de la vie.
À la même époque, Jean-Baptiste de Lamarck (1744 – 1829), un des précurseurs de la théorie de l’évolution (mais dans sa version transformiste) et un des premiers utilisateurs du mot biologie, récuse ce vitalisme. Les mêmes lois physiques régissent matières vivante et non vivante. Contrairement à Bichat, il pense que dans les corps vivants se trouvent des forces qui conduisent à la mort. Perce l’idée que la mort fait partie de la vie.
Moins encore que Lamarck, Claude Bernard (1813 – 1878), médecin et physiologiste, ne pense à des forces de mort qui s’attaqueraient de l’extérieur à des forces de vie. Pour lui, le corps est à la recherche d’équilibre, d’homéostasie, à la fois interne et avec l’extérieur. On peut rendre compte du milieu intérieur en termes physico-chimiques, récusant ainsi le vitalisme. L’être vivant permet la création organique et en même temps héberge la destruction par des mécanismes qui relèvent de la physicochimie. Vie et mort sont impliqués dans un cycle de composition et de décomposition dont la putréfaction est un des moments.
Ceux qui ont vécu l’éducation chrétienne autour de la Deuxième Guerre mondiale se souviendront d’Alexis Carrel (1873 – 1944), figure emblématique de la problématique de la vie et de la mort. Carrel a plusieurs visages. D’abord, celui du prix Nobel de physiologie-médecine en 1912, extraordinaire artisan en points de suture, instruit par une brodeuse lyonnaise. Pionnier de la transplantation d’organes chez l’animal, dès 1908, auteur de l’expérience du cœur de poulet battant dans un liquide nutritif, hors du corps de l’animal, pendant une trentaine d’années (entre vingt-sept et trente-huit ans selon les auteurs). Cette expérience le conduira à considérer le cœur comme vivant indéfiniment, voire comme immortel dans certaines conditions. Carrel aurait dit : « Une cellule bien hydratée, bien nourrie, bien débarrassée de ses déchets se renouvèle perpétuellement. » En 1935, Carrel publie un livre qui aura un énorme succès : L’Homme cet inconnu sera toujours un bestseller dans les années 1950. Hélas, comme Konrad Lorenz, il se laissera aller à des dérives eugénistes.
Ainsi, tant dans les théories scientifiques que dans les hommes qui les portent se déroule ce jeu de la vie et de la mort. « Pas de deux » entre bios et thanatos, danse guidée tour à tour par chacun des partenaires et dont le morceau ultime est un dernier tango.
Mort à tous les étages
La mort se joue à tous les niveaux de la vie.
La décomposition de molécules. La destruction d’organites intracellulaires comme les mitochondries qui sont les « poumons » de la cellule. Le démantèlement au niveau de la cellule, brique de l’organisation du vivant. Nos contemporains sont aussi attentifs à la disparition de populations. Ils sont sensibles à la médiatisation autour d’espèces ou variétés menacées, voire condamnées, ils craignent pour l’espèce humaine et reçoivent des appels visant à la préserver ou les exhortant à remplir leurs devoirs envers elle. Plus largement, on assiste à l’anéantissement d’écosystèmes. Sur le plan des ères géologiques, l’histoire de la Terre nous révèle qu’elle a progressé à coup d’extinctions massives au cours desquelles disparait une part importante des espèces terrestres. Tout le monde connait la célèbre chute de météorite qui, il y a 65 millions d’années, accompagna la disparition des dinosaures et favorisa l’évolution des mammifères. Il y aurait eu six extinctions et nous participons peut-être à la septième. On ne peut exclure la perte totale de la vie sur la Terre tout en se rassurant : il existerait dix-mille-milliards-de-milliards de planètes habitables. L’Univers lui-même est-il appelé à disparaitre ? La vie n’aurait qu’un temps.
La mort cellulaire pour le plus grand bien de l’individu : la « sculpture du vivant »
Un niveau crucial est celui de la cellule. Selon Rudolf Virchow, omnis cellula e cellula, toute cellule provient de cellules. Si le décès de l’individu, de l’organisme, est au cœur de ce dossier, celui-ci nait et transmet la vie à travers une cellule. Mieux connaitre les mécanismes de destruction propres à la cellule ouvre de nouvelles pistes sur le rôle de la mort à l’intérieur du vivant. La première image de la mort cellulaire, c’est la nécrose. Des tissus se détruisent au milieu d’organes sains. La nécrose est souvent causée par une blessure ou une autre agression. La mort cellulaire prend la forme d’une destruction violente. Elle s’étend de proche en proche comme un feu de forêt. Et lorsqu’on est arrivé à la circonscrire, elle laisse de lourdes marques, des cicatrisations mal suturées, des trous dans des organes.
La découverte de l’apoptose, en 1972, grâce au microscope électronique, a changé à jamais le visage de la mort. L’apoptose, qui évoque la chute automnale des feuilles, est une autodestruction programmée. Mais nul dommage ne s’étend aux cellules avoisinantes. C’est une chute de la cellule à l’intérieur d’elle-même, chute aux étapes programmées. On a parlé à son propos de suicide cellulaire. Condensation du noyau et du cytoplasme, découpe de l’ADN en fragments importants, empaquetage rigoureux des produits dans des petits ballonnets. Les cellules voisines vont recueillir ces petites poubelles rigoureusement normalisées et les intégrer sans que cela perturbe leur propre fonctionnement. Ce mécanisme ne se déclenche pas seulement en réaction à un traumatisme extérieur. Il fait partie du développement normal de l’organisme. Des dizaines de milliards de cellules disparaissent. Tout se referme proprement comme un trou dans l’eau. C’est propre, c’est net.
À côté de la nécrose et de l’apoptose, on connait un troisième phénomène : l’autophagie. Une cellule s’avale elle-même de l’intérieur. C’est un phénomène qui se déclenche, par exemple, dans des cas de manque de nourriture ou d’oxygène.
Parmi les trois modes de destruction cellulaire, l’apoptose est le plus paradoxal. Jean-Claude Ameisen, médecin à Paris, a donné à son action un nom évocateur la « sculpture du vivant ». À partir du bloc de marbre non dégrossi que constitue le fœtus, va se former un homme. Nos mains ne sont d’abord qu’une masse que couvrirait une moufle. Puis les doigts se dessinent progressivement et acquièrent l’autonomie qui va permettre des mouvements fins tels ceux du violoniste. Les organes génitaux aussi ont besoin de l’apoptose. Le corps construit d’abord les deux modèles possibles : masculin et féminin. Et ce sont les influences hormonales qui vont faire régresser le modèle non choisi. C’est vrai aussi pour notre système immunitaire et notre système nerveux. On se demandait comment avec si peu de gènes, nous en aurions environ 30 000, créer l’extraordinaire mise en réseau de nos neurones ? Impossible à programmer avec si peu d’instructions ! Comment créer l’indéfinie variété de cellules qui vont répondre à la diversité des agresseurs possibles ? Créer un maximum de modèles et ensuite éliminer progressivement ceux qui ne se sont pas rendus utiles.
Avec un tel système d’autodestruction dans les cellules, comment éviter un déclenchement intempestif ? La sécurité est assurée par deux types de molécules : des molécules tueuses et des molécules gardes du corps. En cas d’absence de gardes, les tueuses ont le champ libre. Tout se joue dans un délicat équilibre entre cellules voisines, un balancement mort-vie, au service de l’être vivant. Des cancers pourraient être le résultat du dérèglement de cette balance de forces. Faute de molécules tueuses, des cellules se multiplient de façon anarchique. Le mot d’ordre de suicide collectif n’est plus transmis, et la population se développe sans retenue. Sculpture du vivant, la mort cellulaire peut servir une vie abondante.
L’affinement du corps humain, sa réponse adéquate aux aléas de notre développement, tout cela ne nous fera pas oublier que l’aventure humaine se termine inéluctablement à long terme par la mort de l’individu. L’homme ancien s’était adapté à l’idée qu’il participait au grand jeu du prédateur et de la proie, que son corps pourrait servir de nourriture à d’autres espèces. Certains rites funéraires signifiaient le retour à la terre nourricière ou l’offrande aux oiseaux de proie. Mais dans nos pays apaisés, où les famines, les épidémies et les guerres ne sont plus d’inlassables pourvoyeuses de mort, la mort corporelle est toujours au rendez-vous avec en prémices le vieillissement généralisé.
Engendrer, c’est mourir
Les humains, comme leurs cousins vivants, ne se reproduisent pas, ils engendrent. Seuls leurs gènes se reproduisent. Leurs corps vont susciter de nouveaux êtres auxquels ils transfèrent de l’information et un réceptacle de base dans lequel cette information pourra s’exprimer. Classiquement les biologistes distinguaient le germen et le soma. Pour la transmission des caractéristiques d’un vivant, l’essentiel est le germen. Au départ, quelques cellules s’isolent rapidement dans le développement embryonnaire et pourront donner ovules ou spermatozoïdes. Le reste c’est le soma, emballage perdu, recyclable. La plupart des cellules de notre corps ne participent pas directement à la transmission de la vie.
Entretemps, c’est la guerre du sexe et de la mort. La « Nature » ne craint pas le gaspillage. Pour un couple, des milliards de gamètes peuvent être produits (chez un homme vigoureux ce peut être des centaines de millions par semaine). Des milliers d’œufs peuvent être fécondés. Des centaines de nouveau-nés peuvent être mis au monde. Des dizaines de petits peuvent grandir. Tout cela pour produire en moyenne deux adultes reproducteurs dans une population stable. Pour arriver à ce résultat, peu importent les étapes les plus vulnérables. Les œufs et les nouveau-nés sont les mets de choix pour les prédateurs.
Dans La logique du vivant, François Jacob affirmait que la mort est arrivée avec l’invention du sexe. Jacques Ruffié développait cette thématique dans Le sexe et la mort. Mais en 2000, André Klarsfeld et Frédéric Revah osaient une Biologie de la Mort (le titre de cet article en est une déclinaison) et remettaient en cause la force de cette nécessité. Ce type de recherche se poursuit. Une étude récente à laquelle a participé l’université de Namur semble bien montrer que le vivant peut assurer stabilité et diversité à travers des lignées sans échanges sexuels. Le sexe n’est pas indispensable à la diversité génétique d’une espèce.
Critères de la mort individuelle
Même si la mort est présente à tous les niveaux du vivant, c’est à propos des individus que les humains sont sensibles à la mort. Individu est ce qui ne peut se diviser. Il est pertinent d’en parler à partir du moment où un groupe de cellules détaché d’un préembryon n’est plus susceptible de donner un nouvel individu, un jumeau vrai.
Les interventions susceptibles d’être pratiquées au cours de l’émergence d’un nouvel individu humain ouvrent un important problème de société. Quel est le statut d’un être biologiquement et personnellement en devenir ? Si la reconnaissance comme personne est la rencontre d’une base biologique et d’une intention, quel comportement adopter envers cet être ? Il est difficile d’assigner avec précision un moment au début de l’individu, et encore plus de la personne.
Il en va de même avec la mort. Dans bien des cas, il n’existe pas un moment précis où un individu humain passe de la vie à la mort. Cette recherche qui a passionné des générations avec la légende de peseur d’âme est-elle pertinente ?
Pourtant le besoin de déterminer que quelqu’un est bien mort est réel. Avant tout pour des motifs pragmatiques : éviter d’enterrer un vivant. Les fossoyeurs et les médecins légistes ont leurs histoires de cadavre soudain réveillé. Au-delà de la vérification de la mort, il y a aussi l’attention que l’on veut porter au moment du trépas. Peut-on encore parler, tenir la main, écouter, caresser, tenter de réchauffer ?
Les premiers constats relèvent des représentations fondamentales : le mort est blême, froid, rigide, il ne respire plus, son cœur ne bat plus, son œil est éteint et noir, il ne bouge plus, il sent mauvais… Ce n’est pas seulement un verdict de thermomètre, de test mécanique, de tensiomètre, d’électrocardiogramme, de lampe dans les yeux révélant la mydriase. Au-delà du constat il y a l’image de la personne.
Cœur, poumons, cerveau
L’attention se concentre sur trois organes capitaux : le cœur, les poumons, le cerveau. Le cœur : pas seulement parce qu’il serait le siège des sentiments, mais surtout parce qu’il envoie vers l’ensemble du corps un sang nourricier jusque dans les plus petits recoins et répartit la chaleur. Il n’y a pas si longtemps lorsque quelqu’un reprenait vie après un long arrêt cardiaque, on le disait ressuscité et on lui demandait des nouvelles d’au-delà de la mort. On prenait des nouvelles des anges, des habitants du purgatoire ou du ciel, du bonheur. Les poumons : pas uniquement parce qu’ils portent le souffle. On guette le dernier et on tente de l’observer chez un enfant alité et pour lequel on craint. Petit à petit, déjà dans les années 1950, on a pris conscience de la relativité de ces deux organes par rapport au support biologique de la spécificité humaine : le cerveau. On a constaté un point de non-retour, une limite au-delà de laquelle on ne retrouverait plus la communication, l’écoute, le langage… À tâtons, on a cherché les instruments qui pourraient déterminer en profondeur la perte d’aptitude cérébrale : l’électroencéphalogramme, la vérification par angiographie de l’absence de toute circulation sanguine même lente. On a déterminé des temps, des protocoles, des gages d’objectivité des observateurs… La partie de l’encéphale prise en compte dans différentes législations peut être différente. Des pays comme l’Inde privilégient l’activité du tronc cérébral, responsable de la régulation de la respiration et du rythme cardiaque, carrefour de voies nerveuses et lieu de contrôle de la douleur. D’autres pays se focalisent sur le cortex et les fonctions supérieures.
Chaque fois qu’on fait des déclarations sur un mort, on s’aperçoit qu’on engage une décision humaine. Le mot crucial pour la mort, c’est l’irréversibilité. Le jugement se base sur des critères biologiques, mais il y a souvent un saut dans le risque, volontairement assumé. Lorsque dans une salle d’urgence le médecin jette les gants et dicte « heure de la mort : … », c’est une décision qu’il prend. Dans beaucoup de parcours de mort, on assiste à la rencontre d’une observation objective, partageable, et d’une décision volontaire, en conscience. Le mot « irréversibilité » fait partie de la définition de la mort. Et sans doute doit-on introduire dans la définition les conditions de vie vers lesquelles une réanimation peut ramener.
La biologie ne donne de limite précise ni au début ni à la fin d’un individu, à fortiori pas pour la personne humaine, ce mot de personne n’appartenant pas à son vocabulaire. Elle peut proposer des seuils objectifs parmi lesquels choisir. Et il faut constater que la pratique des greffes a modifié ces seuils. Les minutes comptent. Le paradoxe est de vouloir vérifier que le corps ne reviendra plus à une vie de communication et en même temps qu’il reste dans un état où tous les organes demeurent fonctionnels, qu’il garde une peau rose, chaude, celle d’un paisible endormi. Certains proposent un critère pragmatique. On coupe tous les accès à des stimulateurs externes de rythme, tant pour le cœur que pour les poumons. Et si le corps ne reprend pas spontanément après plusieurs minutes, il est considéré comme disponible pour les prélèvements en vue de greffes. D’une certaine façon la définition de la mort est lourde des impératifs de solidarité et de gestion de ressources rares, y compris les ressources économiques.
Les familles s’inquiètent de cette situation. Elles font leur deuil de la communication avec leur proche. Mais elles ne voudraient pas que soient coupés ses rêves, sa conscience, sa perception même voilée de ce qui se passe. Quels instruments peuvent attester qu’un cerveau n’a plus de rêves ? Quel statut donner à ces états où la vie est comme suspendue ? Dans une hypothermie, un coma artificiel et ses déclinaisons, voire une cryogénisation.
Des animaux sont des spécialistes de ces états de vie suspendue. De petites bêtes de gouttière se recroquevillent sur elles-mêmes en temps de sècheresse, mais peuvent repartir, même après des années, si on les réhydrate. Des tardigrades et des rotifères sont des sujets d’étude privilégiés de cette mort retardée. Des bactéries et des spores pourraient survivre sans limite connue même dans des lieux extrêmes.
Vie éternelle ? Vie immortelle ? Vie pérenne
On connait des séquoias de 3 000 à 4 000 ans. On dit d’espèces de conifères, des pins, des cèdres, des épicéas, qu’elles sont éternelles. Ces mots « éternels » et « immortels » attribués à des vivants sont bien imprudents. Si des végétaux semblent être des individus ou des clones d’arbres très anciens, ils restent mortels. Ne vaut-il pas mieux parler de pérenne pour exprimer leur caractère longévif ? Déjà en 1939, dans La vie et ses problèmes, Jean Rostand attirait l’attention sur l’usage inconsidéré du mot immortel. « Un infusoire se divise périodiquement en deux individus égaux […]. Ce mode de reproduction par bipartitions successives peut, en théorie, se prolonger sans terme, en sorte qu’on est fondé à tenir l’infusoire pour potentiellement immortel. Il ne l’est que potentiellement, car, en fait, rien n’est plus fragile, plus sujet à mourir, que ces êtres microscopiques… ».
Sommes-nous programmés pour mourir à un âge déterminé par notre espèce ? Le système des télomères a été invoqué comme régulateur de notre durée. Des techniques ne pourront-elles pas faire franchir ces limitations ?
Avatars médicaux et clés USB
La science-fiction appartient à la littérature, mais aussi à la science. Elle ouvre parfois des pistes pour ce que seraient un jour des modes de survie. Quelques-uns rêvent de créer un double d’eux-mêmes. Un clone, réserve de pièces pour celles qui seraient un jour à remplacer, une mise en banque de cellules souches, proches des premières générations de cellules embryonnaires, et qui permettrait de lancer le développement de tout type de cellule, un avatar biomédical qui fonctionnerait comme un modèle de chaque corps en permettant d’y tester approches chirurgicales et même médicaments. Les femmes du début du XXe>/sup> avaient encore un mannequin reproduisant leurs formes. Si ces avatars se perfectionnent, des romanciers rêvent d’y trouver un jour refuge. En prenant garde auparavant de posséder une copie de tout le logiciel de leur corps au meilleur de son parcours de vie. Un backup du génome, un backup des souvenirs, et comme en informatique un backup « de la dernière version fonctionnelle et des modifications récentes » !
Les développements de la médecine régénérative laissent espérer que des organes lésés puissent se reconstituer. Les humains ne possèdent pas les capacités de la salamandre, mais ils ne sont pas dépourvus de cette fonction de réparation-régénération par exemple pour cicatriser la peau. Et les nouveaux iPS (cellules souches pluripotentes induites) ouvrent un avenir fascinant.
Comment s’exprimerait alors la permanence d’un individu ? Comment garder ou restituer la mémoire du passé et la projection dans l’avenir ? Quelles sont les possibilités de reprise de contact vers des organes déconnectés pour refaire un seul corps ?
L’être humain n’est pas biologiquement obligé de mourir. Pourtant statistiquement, s’il survit assez longtemps, il va mourir, peut-être d’un bête accident, comme le célèbre « pot de fleurs » de Jacques Monod.
Peut-on parler de mort naturelle ? Serait-ce celle du vieillissement ou de la probabilité d’accident ? Dès que l’homme apparait dans l’histoire, il n’y a plus de mort naturelle. Toutes les morts ne sont-elles pas culturelles ? Et ici l’homme est en continuité avec de grands animaux chez lesquels on a décrit, photographié, filmé des signes d’accompagnement de la mort. L’existence de cimetières de pachydermes n’a jamais été prouvée, mais on a observé des comportements d’éloignement de la troupe. Une étude parue en 2005 dans Biology Letters montre que des éléphants demeurent quelque temps auprès de la dépouille de leurs proches. Des comportements d’accompagnement de la mort sont connus chez des dauphins, des grands singes, même des hippopotames. Perception de la mort ou persistance du lien de compagnonnage ?
Pour les évolutionnistes, la sélection naturelle ne devrait pas être efficace pour des animaux et des humains qui ont fini de se reproduire. Le saumon mourant épuisé à la source d’une rivière après avoir accompli sa destinée parentale en est un exemple. Pourtant, le soutien à des individus âgés et dont la denture montre qu’ils ne pouvaient plus s’alimenter par eux-mêmes est prouvé par des découvertes préhistoriques. L’être est accompagné dans la préparation de sa mort et un peu au-delà. Dans notre culture, le moment de la mort n’est plus seulement dépendant des aléas du corps. Le temps de la mort est influencé par des choix volontaires de la personne, d’intervenants, de proches. Cela aussi entre dans la nouvelle définition de la mort humaine.
Une fois que le corps est retourné à la terre, au feu, à l’air, à l’eau, le biologiste se tait. Comme scientifique, il ne peut exclure qu’il existe aussi une autre face de l’existence, un au-delà, un ailleurs. Il est moins à l’aise dans des expressions spatiotemporelles comme l’après-mort, là-haut ou la descente aux enfers. Il se méfie des mots naturel, immortel, éternel. Comme le disait Woody Allen « L’éternité c’est bien long. Surtout vers la fin. » Et au fond, l’immortalité, est-ce vraiment nécessaire ?