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Une Belgique décomplexée

Numéro 4 Avril 2007 par Théo Hachez

avril 2007

Le fait est trop rare pour ne pas être sou­li­gné, la pro­po­si­tion de créa­tion d’une cir­cons­crip­tion fédé­rale, por­tée par les uni­ver­si­taires du groupe Pavia, a créé un début de débat d’i­dées sur le fédé­ra­lisme en Bel­gique, y com­pris au sein du monde poli­tique. C’est que, tout d’a­bord, le dis­po­si­tif avan­cé n’est pas un gad­get ins­ti­tu­tion­nel de plus, […]

Le fait est trop rare pour ne pas être sou­li­gné, la pro­po­si­tion de créa­tion d’une cir­cons­crip­tion fédé­rale, por­tée par les uni­ver­si­taires du groupe Pavia, a créé un début de débat d’i­dées sur le fédé­ra­lisme en Bel­gique, y com­pris au sein du monde poli­tique. C’est que, tout d’a­bord, le dis­po­si­tif avan­cé n’est pas un gad­get ins­ti­tu­tion­nel de plus, visant plus ou moins adroi­te­ment à bri­co­ler de nou­veaux modus viven­di pour gérer le moins mal pos­sible le conflit dit « com­mu­nau­taire ». Son point de départ est une ques­tion de démo­cra­tie. La pro­po­si­tion veut en effet répondre au réel défi­cit démo­cra­tique sur lequel a débou­ché la construc­tion pro­gres­sive du fédé­ra­lisme belge. Élus dans leur seule Com­mu­nau­té, les res­pon­sables poli­tiques n’ont dans les faits jamais de compte à rendre direc­te­ment à leurs conci­toyens vivant de l’autre côté de la fron­tière lin­guis­tique, ce qui les conduit et les incite à igno­rer ce qu’ils pensent.

Comme l’ex­pliquent Kris Des­chou­wer (VUB) et Phi­lippe Van Pari­js (UCL), les deux coor­di­na­teurs du groupe, dans leur contri­bu­tion à ce dos­sier, la pro­po­si­tion Pavia vise à créer une réelle dyna­mique fédé­rale. Elle cherche à inci­ter une par­tie des can­di­dats aux élec­tions fédé­rales à se faire éga­le­ment élire dans l’autre Com­mu­nau­té ; et paral­lè­le­ment, en l’ab­sence de par­tis fédé­raux en Bel­gique, à ren­for­cer l’ef­fi­ca­ci­té de la ges­tion de l’É­tat en inci­tant les for­ma­tions poli­tiques à renouer des liens plus struc­tu­rels avec leurs for­ma­tions « sœurs ».

Tout occu­pés à nous ser­vir du fédé­ra­lisme pour gérer les conflits inhé­rents à notre État plu­ri­cul­tu­rel, nous ne nous sommes jus­qu’à pré­sent jamais réel­le­ment pré­oc­cu­pés de le construire comme pro­jet démo­cra­tique. À la veille d’é­lec­tions fédé­rales qui vont selon toute pro­ba­bi­li­té être sui­vies de négo­cia­tions ins­ti­tu­tion­nelles par­ti­cu­liè­re­ment ardues, une prise de conscience de l’im­passe dans laquelle nous nous trou­vons com­mence à émer­ger : sans un réel appro­fon­dis­se­ment de la logique fédé­rale, l’É­tat belge ne pour­ra plus navi­guer dif­fi­ci­le­ment qu’entre deux écueils délé­tères : les blo­cages répé­tés et/ou la réduc­tion à l’é­tat de coquille vide. D’où un appel non pas à dépas­ser nos conflits, mais bien à les assu­mer. L’in­té­rêt de la pro­po­si­tion Pavia tient donc aus­si à cette nou­velle dis­po­si­tion d’es­prit « post-conflic­tuelle » qu’elle sup­pose ou entend anti­ci­per. C’est là aus­si sa faiblesse.
Pour mettre en place le méca­nisme des­ti­né à nour­rir cette nou­velle approche, encore faut-il que les par­tis la par­tagent un tant soit peu. Encore faut-il éga­le­ment qu’ils y aient inté­rêt… Ce n’est cer­tai­ne­ment pas gagné. Mais on ne peut tout attendre d’un tel dis­po­si­tif de tech­nique élec­to­rale. Pour mettre en place l’es­pace public que contri­bue­rait à ali­men­ter une telle cir­cons­crip­tion fédé­rale, les socié­tés civiles ne sont pas sans res­source comme le montrent, par exemple, les réflexions bruxel­loises d’Au­la Magna. Les médias, sur­tout, ont un rôle essen­tiel à jouer dans le sui­vi et l’ex­pli­ca­tion des points de vue en débat dans l’autre Com­mu­nau­té (voir à cet égard l’ar­ticle de Benoît Lechat, « Une Flandre entre deux pays » et son entre­tien avec Lies­beth Van Impe, jour­na­liste au Mor­gen). Un rôle que la presse quo­ti­dienne ne se donne pas les moyens d’as­su­mer struc­tu­rel­le­ment, comme le montre l’ar­ticle de David d’Hondt.

Le débat pré- et post-élec­to­ral s’é­tait ini­tia­le­ment pré­sen­té de la manière la plus figée et cari­ca­tu­rale : les poli­tiques fla­mands en bloc veulent vider l’É­tat fédé­ral de ses com­pé­tences (et visent même l’in­dé­pen­dance pour reprendre le « canu­lar » de la RTBF), à l’en­contre même de l’a­vis d’une majo­ri­té de Fla­mands ; les fran­co­phones unis dans la résis­tance ne sont « deman­deurs de rien ». À la suite d’i­ni­tia­tives comme celle de Pavia, on com­mence à voir suc­cé­der à ce tableau cris­pé un uni­vers plus riche et plus ouvert de poten­tia­li­tés, où se découvrent des ques­tions de fond sur notre modèle, où les réa­li­tés diverses sont prises en compte, où l’his­toire prend du sens au-delà d’une sorte de fata­li­té construite des inté­rêts maté­riels et des repré­sen­ta­tions croi­sées des uns et des autres. Bref, la réflexion s’é­man­cipe du cadre média­ti­co-poli­tique où on l’a­vait mal engagée.
C’est à cette aéra­tion que ce dos­sier de La Revue nou­velle entend par­ti­ci­per, avec et au-delà de Pavia.

Théo Hachez


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