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Une Belgique décomplexée
Le fait est trop rare pour ne pas être souligné, la proposition de création d’une circonscription fédérale, portée par les universitaires du groupe Pavia, a créé un début de débat d’idées sur le fédéralisme en Belgique, y compris au sein du monde politique. C’est que, tout d’abord, le dispositif avancé n’est pas un gadget institutionnel de plus, […]
Le fait est trop rare pour ne pas être souligné, la proposition de création d’une circonscription fédérale, portée par les universitaires du groupe Pavia, a créé un début de débat d’idées sur le fédéralisme en Belgique, y compris au sein du monde politique. C’est que, tout d’abord, le dispositif avancé n’est pas un gadget institutionnel de plus, visant plus ou moins adroitement à bricoler de nouveaux modus vivendi pour gérer le moins mal possible le conflit dit « communautaire ». Son point de départ est une question de démocratie. La proposition veut en effet répondre au réel déficit démocratique sur lequel a débouché la construction progressive du fédéralisme belge. Élus dans leur seule Communauté, les responsables politiques n’ont dans les faits jamais de compte à rendre directement à leurs concitoyens vivant de l’autre côté de la frontière linguistique, ce qui les conduit et les incite à ignorer ce qu’ils pensent.
Comme l’expliquent Kris Deschouwer (VUB) et Philippe Van Parijs (UCL), les deux coordinateurs du groupe, dans leur contribution à ce dossier, la proposition Pavia vise à créer une réelle dynamique fédérale. Elle cherche à inciter une partie des candidats aux élections fédérales à se faire également élire dans l’autre Communauté ; et parallèlement, en l’absence de partis fédéraux en Belgique, à renforcer l’efficacité de la gestion de l’État en incitant les formations politiques à renouer des liens plus structurels avec leurs formations « sœurs ».
Tout occupés à nous servir du fédéralisme pour gérer les conflits inhérents à notre État pluriculturel, nous ne nous sommes jusqu’à présent jamais réellement préoccupés de le construire comme projet démocratique. À la veille d’élections fédérales qui vont selon toute probabilité être suivies de négociations institutionnelles particulièrement ardues, une prise de conscience de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons commence à émerger : sans un réel approfondissement de la logique fédérale, l’État belge ne pourra plus naviguer difficilement qu’entre deux écueils délétères : les blocages répétés et/ou la réduction à l’état de coquille vide. D’où un appel non pas à dépasser nos conflits, mais bien à les assumer. L’intérêt de la proposition Pavia tient donc aussi à cette nouvelle disposition d’esprit « post-conflictuelle » qu’elle suppose ou entend anticiper. C’est là aussi sa faiblesse.
Pour mettre en place le mécanisme destiné à nourrir cette nouvelle approche, encore faut-il que les partis la partagent un tant soit peu. Encore faut-il également qu’ils y aient intérêt… Ce n’est certainement pas gagné. Mais on ne peut tout attendre d’un tel dispositif de technique électorale. Pour mettre en place l’espace public que contribuerait à alimenter une telle circonscription fédérale, les sociétés civiles ne sont pas sans ressource comme le montrent, par exemple, les réflexions bruxelloises d’Aula Magna. Les médias, surtout, ont un rôle essentiel à jouer dans le suivi et l’explication des points de vue en débat dans l’autre Communauté (voir à cet égard l’article de Benoît Lechat, « Une Flandre entre deux pays » et son entretien avec Liesbeth Van Impe, journaliste au Morgen). Un rôle que la presse quotidienne ne se donne pas les moyens d’assumer structurellement, comme le montre l’article de David d’Hondt.
Le débat pré- et post-électoral s’était initialement présenté de la manière la plus figée et caricaturale : les politiques flamands en bloc veulent vider l’État fédéral de ses compétences (et visent même l’indépendance pour reprendre le « canular » de la RTBF), à l’encontre même de l’avis d’une majorité de Flamands ; les francophones unis dans la résistance ne sont « demandeurs de rien ». À la suite d’initiatives comme celle de Pavia, on commence à voir succéder à ce tableau crispé un univers plus riche et plus ouvert de potentialités, où se découvrent des questions de fond sur notre modèle, où les réalités diverses sont prises en compte, où l’histoire prend du sens au-delà d’une sorte de fatalité construite des intérêts matériels et des représentations croisées des uns et des autres. Bref, la réflexion s’émancipe du cadre médiatico-politique où on l’avait mal engagée.
C’est à cette aération que ce dossier de La Revue nouvelle entend participer, avec et au-delà de Pavia.