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Une année européenne inespérée

Numéro 4 Avril 2004 par Théo Hachez

avril 2004

La construc­tion de l’Eu­rope poli­tique a‑t‑elle absor­bé trop d’éner­gies ou a‑t‑elle été trop peu inves­tie par des res­pon­sables fri­leux ? Est-elle en retard sur les enjeux ou en avance sur les consciences encore cloi­son­nées des citoyens qu’elle agrège ? Fal­­lait-il l’é­lar­gir avant de l’ap­pro­fon­dir ? Tous ces débats sont aujourd’­hui dépas­sés par les faits : l’an­née 2004 comp­te­ra comme […]

La construc­tion de l’Eu­rope poli­tique a‑t-elle absor­bé trop d’éner­gies ou a‑t-elle été trop peu inves­tie par des res­pon­sables fri­leux ? Est-elle en retard sur les enjeux ou en avance sur les consciences encore cloi­son­nées des citoyens qu’elle agrège ? Fal­lait-il l’é­lar­gir avant de l’ap­pro­fon­dir ? Tous ces débats sont aujourd’­hui dépas­sés par les faits : l’an­née 2004 comp­te­ra comme une étape déci­sive dans les manuels d’histoire.

Au cours de ce prin­temps, les évè­ne­ments signi­fi­ca­tifs vont se mul­ti­plier et leur conjonc­tion ren­for­ce­ra leur por­tée. Le 1er mai, le pro­ces­sus d’adhé­sion de dix nou­veaux pays sera arri­vé à son terme. Avec eux, c’est l’Eu­rope cen­trale qui fait son entrée offi­cielle dans une donne trans­for­mée qui sanc­tionne leur libé­ra­tion de l’emprise soviétique.
Un bon mois plus tard, la com­mé­mo­ra­tion du débar­que­ment de juin 44 rap­pel­le­ra une autre libé­ra­tion. Pour la pre­mière fois, le chan­ce­lier alle­mand par­ti­ci­pe­ra à la céré­mo­nie. Cette pré­sence inédite conso­li­de­ra, en le par­ache­vant, le socle sym­bo­lique sur lequel s’est édi­fiée la pre­mière Europe poli­tique, tant il est vrai que les deux guerres mon­diales de la pre­mière moi­tié du XXe siècle ont han­té les consciences et déter­mi­né les volon­tés des fondateurs.

Cette conjonc­tion est un signe : ce n’est pas dans un oubli consen­suel des repères his­to­riques, pas même dans des espoirs consu­mé­ristes de crois­sance infi­nie que les deux Europes trou­ve­ront une voie com­mune, mais bien dans la recon­nais­sance mutuelle de leur expé­rience his­to­rique. Même lors­qu’ils induisent des dif­fé­rences de sen­si­bi­li­té, ces héri­tages ne doivent pas être occul­tés, mais res­pec­tés comme des ressources.

Consi­dé­ré, il y a trois ans à peine, comme une dan­ge­reuse chi­mère par nombre d’Eu­ro­péens soi-disant convain­cus, le pro­jet d’une Consti­tu­tion connai­tra dans les mois qui viennent son achè­ve­ment. Les oppo­si­tions de prin­cipe des uns, le manque de cou­rage des autres, les dis­cus­sions dif­fi­ciles de la Conven­tion ont déjà été sur­mon­tés. Et aujourd’­hui, on doit bien consta­ter que les der­niers obs­tacles de taille sont levés : le déchi­re­ment sur l’I­rak et les freins que consti­tuaient les gou­ver­ne­ments espa­gnols et polo­nais sont en passe de prendre une valeur péda­go­gique, notam­ment pour Sil­vio Ber­lus­co­ni. Reste à orga­ni­ser une pro­cé­dure et un calen­drier pour les rati­fi­ca­tions, en tenant compte des contin­gences nationales.

Vers un pay­sage poli­tique conti­nen­tal

Dans un tel contexte, l’é­lec­tion, à l’é­che­lon du conti­nent, d’une nou­velle assem­blée par­le­men­taire devrait consti­tuer une occa­sion pro­pice pour que pro­gresse, dans la conscience des citoyens-élec­teurs, l’i­dée que des choix poli­tiques fon­da­men­taux s’o­pèrent à ce niveau de pou­voir qu’est l’U­nion euro­péenne. Entre le dés­in­té­rêt et la désaf­fec­tion du poli­tique à l’é­che­lon natio­nal et le mes­sia­nisme éthé­ré et sou­vent incon­sis­tant de l’al­ter­mon­dia­lisme, un levier per­ti­nent se pré­sente dont il serait mal­heu­reux de ne pas se sai­sir pour se mesu­rer au réel. On ne peut se conten­ter de regret­ter le carac­tère très impar­fait de la future Consti­tu­tion, notam­ment dans les domaines éco­no­miques et sociaux. Quand le début du match est sif­flé, il n’est plus temps de se plaindre que le ter­rain est trop lourd et que la pluie tombe encore. 

Dans une démo­cra­tie, la Consti­tu­tion ne peut, à elle seule, tenir lieu de pro­jet poli­tique. Elle déli­mite un ter­rain et fixe les règles dans les­quels se meuvent les acteurs ; elle pré­voit aus­si sa propre évo­lu­tion. Quels que soient ses manques ou ses silences pré­vi­sibles, ce n’est sans doute pas du texte de cette future Consti­tu­tion que vien­dra la dif­fi­cul­té pour l’é­lec­teur du 13 juin, mais plu­tôt de la lisi­bi­li­té et de la cohé­rence des offres qui lui seront faites. La fai­blesse des par­tis euro­péens, leurs contra­dic­tions internes et leur impré­vi­si­bi­li­té ne les mettent pas en mesure de sur­mon­ter la per­plexi­té de citoyens confron­tés à de nou­veaux enjeux. Le pay­sage poli­tique euro­péen exige une mise en ordre qui prenne en compte l’exis­tence de cette Consti­tu­tion et le carac­tère obso­lète des débats qu’elle tranche pour mettre en lumière ceux qu’elle ouvre.

Théo Hachez


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