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Un si précieux rendez-vous

Numéro 06/7 Juin-Juillet 2007 par Luc Van Campenhoudt

juin 2007

Luc Van Campenhoudt, sociologue et professeur aux facultés
universitaires Saint-Louis et à l’université catholique de Louvain, vient d’accepter d’assumer la direction de La Revue nouvelle, prenant ainsi le relais de Théo Hachez.

Jusqu’ici, j’étais un lecteur relativement fidèle. Chaque mois, je découvrais, avec mon courrier, le dernier numéro de La Revue nouvelle. Je trouvais plaisant ce rendezvous mensuel au contenu imprévisible. N’exagérons rien, je ne guettais pas impatiemment l’arrivée du facteur. Occupé, comme chacun, par d’autres choses plus pressantes, je découvrais chaque numéro comme une surprise inattendue, qui me rappelait que j’étais abonné. J’aimais bien cette temporalité : à peine le temps d’oublier le numéro précédent, plus ou moins lu, voici que le nouveau pointait son nez, scandant les mois, comme les quotidiens scandent les jours. Nous avons besoin de rythmes.

Seule une petite proportion d’articles concernait directement mes préoccupations professionnelles et sociales. L’actualité qui avait attiré mon attention était commentée quand elle n’était déjà plus tout à fait l’actualité. La plupart des papiers n’avaient donc, du moins en apparence, qu’un lien ténu avec mes centres d’intérêt, mais c’était là, précisément, leur intérêt : cette double distance du temps et du sujet qui m’entrainait, une fois par mois, dans des domaines que d’autres avaient choisis pour moi, pour traiter de questions qu’ils avaient décidé de poser dans leurs termes et pour suivre leurs propres raisonnements. Nous avons besoin de recul.

J’accrochais surtout aux textes embarrassants qui, regardant les choses en face, obligent et aident à construire une position. Démocratie, justice, égalité, liberté, gauche, développement, progrès, humanité et société mêmes… quels sens pratiques donner à ces mots aujourd’hui ? Quel horizon géographique leur dessiner ? Dans quel projet politique, socioéconomique et culturel les inscrire ? Une revue qui n’engagerait pas à repenser nos programmes en fonction des tensions de notre temps ne mériterait pas une minute de lecture. Pour prendre position et nous impliquer, nous avons besoin de débats.

Lire à tête reposée n’est donc pas de tout repos. Si cet exercice a valu son pesant d’heures, c’est, pour une large part, parce que Théo Hachez se tenait, depuis quatorze années, derrière le rideau, aux commandes d’une équipe de talentueux tempéraments. Avec lui, l’honnêteté intellectuelle a toujours prévalu contre l’opportunisme, l’intelligence contre l’habilité, la responsabilité contre le relativisme, le respect contre l’indifférence. Ce n’est pas très « mode », mais nous avons besoin de consistance et de vérité.

Voilà La Revue nouvelle qu’aimait ce lecteur relativement fidèle, qui passe aujourd’hui de l’autre côté du rideau : un rendez-vous mensuel précieux et un peu exigeant avec soi-même, comme citoyen, comme acteur social et comme sujet.

Ce n’est pas le moindre mérite de Théo Hachez que d’avoir laissé d’aussi bonnes clés sur les portes de l’honorable demeure et d’avoir souhaité, en passant le relais, que La Revue nouvelle redéfinisse son projet éditorial. Actuellement en cours, cette redéfinition fait l’objet d’un travail collectif qui se concrétisera dans les pages de la revue d’ici quelques mois, par étapes successives. Notre intention est d’impliquer davantage encore La Revue nouvelle dans le débat public et la conflictualité démocratique nécessaires au dessein d’une société plus juste, non défensive, ouverte aux autres et à l’avenir. Dans ce but, nous souhaitons accueillir dans La Revue nouvelle une plus grande diversité de pensées et d’expériences progressistes, de manière à mieux anticiper les transformations qui traversent les différents secteurs d’activité et à ouvrir des voies, sans esquiver les sujets les plus délicats et controversés.

Pour réaliser ce programme, nous comptons sur les suggestions, les critiques et les contributions de nos lecteurs, avec lesquels nous souhaitons un dialogue soutenu. Celui-ci devrait porter, pour une bonne part, sur le commentaire politique en vue de mieux décoder l’actualité et de suivre, mois après mois, les fils conducteurs et les traits saillants de notre vie démocratique et des débats sociétaux, ici et ailleurs.

Luc Van Campenhoudt


Auteur

Docteur en sociologie. Professeur émérite de l’Université Saint-Louis – Bruxelles et de l’Université catholique de Louvain. Principaux enseignements : sociologie générale, sociologie politique et méthodologie. Directeur du Centre d’études sociologiques de l’Université Saint-Louis durant une quinzaine d’années, jusqu’en 2006, il a dirigé ou codirigé une quarantaine de recherches, notamment sur l’enseignement, les effets des politiques sécuritaires, les comportements face au risque de contamination par le VIH et les transformations des frontières de la Justice pénale. Ces travaux ont fait l’objet de plusieurs dizaines d’articles publiés dans des revues scientifiques, de nombreux ouvrages, et de plusieurs invitations et chaires dans des universités belges et étrangères. À travers ces travaux, il s’est intéressé plus particulièrement ces dernières années aux problématiques des relations entre champs (par exemple la justice et la médecine), du pouvoir dans un système d’action dit « en réseau » et du malentendu. Dans le cadre de ces recherches il a notamment développé la « méthode d’analyse en groupe » (MAG) exposée dans son ouvrage La méthode d’analyse en groupe. Applications aux phénomènes sociaux, coécrit avec J.-M. Chaumont J. et A. Franssen (Paris, Dunod, 2005). Le plus connu de ses ouvrages, traduit en plusieurs langues, est le Manuel de recherche en sciences sociales, avec Jacques Marquet et Raymond Quivy (Paris, Dunod, 2017, 5e édition). De 2007 à 2013, il a été directeur de La Revue Nouvelle.