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Un répit de courte durée

Numéro 11 Novembre 2011 par Lechat Benoît

octobre 2011

Plus de seize mois après les élec­tions, les huit par­tis enga­gés dans des négo­cia­tions ins­ti­tu­tion­nelles ont fina­le­ment obte­nu un accord glo­bal sur la réforme de l’État. De très courts moments d’autocongratulation satis­faite ont à chaque fois accom­pa­gné les appro­ba­tions suc­ces­sives des accords par­tiels, sur bhv, la loi spé­ciale de finan­ce­ment, le volet judi­ciaire de la scission […]

Plus de seize mois après les élec­tions, les huit par­tis enga­gés dans des négo­cia­tions ins­ti­tu­tion­nelles ont fina­le­ment obte­nu un accord glo­bal sur la réforme de l’État. De très courts moments d’autocongratulation satis­faite ont à chaque fois accom­pa­gné les appro­ba­tions suc­ces­sives des accords par­tiels, sur bhv, la loi spé­ciale de finan­ce­ment, le volet judi­ciaire de la scis­sion de l’arrondissement de bhv et les trans­ferts de com­pé­tences avant de très vite faire place à de nou­veaux bras de fer autour de la com­po­si­tion et du pro­gramme de gouvernement.

Ces longs mois de dis­cus­sions minées en per­ma­nence par la stra­té­gie délé­tère de la N‑VA ont lais­sé des traces pro­fondes. Mais c’est en réa­li­té bien avant 2007 que les rela­tions entre Com­mu­nau­tés se sont iné­luc­ta­ble­ment dégra­dées, en l’occurrence depuis que notre « culture du com­pro­mis » et notre sys­tème de réso­lu­tion des conflits appro­fon­dissent les contra­dic­tions, les mal­en­ten­dus et les impasses de l’«union dans la sépa­ra­tion », pour nour­rir à chaque fois l’étape sui­vante du pro­ces­sus infi­ni de réforme de l’État belge.

On n’épiloguera pas sur l’«incohérente cohé­rence » du FDF dont la radi­ca­li­té mène néces­sai­re­ment à l’impasse qu’il dénonce, mais on convien­dra qu’il a rai­son de poin­ter non seule­ment les diver­gences d’interprétation (et non pas seule­ment de pré­sen­ta­tion) des accords entre leurs négo­cia­teurs, mais aus­si l’absence de dif­fu­sion publique des textes, signes de la fra­gi­li­té des consen­sus obtenus…

Pas d’euphorie publique

Pas plus d’euphorie dans l’opinion publique où les réac­tions tiennent plus du sou­la­ge­ment scep­tique. Aus­si esti­mable qu’il soit, le renou­vè­le­ment flam­boyant des tac­tiques de plom­bier menées par Elio Di Rupo ne sou­lè­ve­ra pas plus l’enthousiasme des foules que la méthode Dehaene. On aura beau, sans vrai­ment y croire, se gar­ga­ri­ser de « miracle belge » et de « renou­veau poli­tique », il n’y aura pas de grandes mani­fes­ta­tions de masse ponc­tuées de décla­ra­tion d’amour entre Com­mu­nau­tés. Si l’on des­cend dans la rue dans les mois et semaines qui viennent, ce sera plus que pro­ba­ble­ment pour dénon­cer, syn­di­cats en tête, les pro­grammes d’austérité que l’on nous pro­met de mettre en œuvre pour épon­ger les trous créés par l’inconséquence par­ta­gée des milieux finan­ciers et des gou­ver­nants poli­tiques européens.

Si les accords engran­gés n’ont en aucun cas éteint ces pro­grammes, il est dif­fi­cile de dire aujourd’hui si les longs mois de crise com­mu­nau­taire auront ali­men­té dura­ble­ment les res­sen­ti­ments des Fla­mands, des Bruxel­lois et des Wal­lons, voire des ger­ma­no­phones, les uns envers les autres. Il est mal­heu­reu­se­ment pro­bable qu’une part impor­tante des Belges fran­co­phones conti­nue­ra à regar­der « Place royale » et « C’est du belge » en se per­sua­dant qu’il s’agit là des reflets de la réa­li­té d’une Bel­gique « tou­jours grande et belle » que nous cache­raient et nous gâche­raient des « poli­ti­ciens » dont la plu­part per­sis­te­ront pour­tant à flat­ter le bel­gi­ca­nisme des « gens ». Les uns et les autres le feront avec juste un peu moins de convic­tion, et encore un peu plus de nos­tal­gie mal pla­cée. Il est encore plus pro­bable que la télé­vi­sion de ser­vice public des fran­co­phones de Wal­lo­nie et de Bruxelles conti­nue­ra à leur ser­vir cette mau­vaise soupe, y com­pris dans des jour­naux télé­vi­sés construits sur une ligne rédac­tion­nelle tou­jours plus improbable.

L’inconnue N‑VA

Il est plus aven­tu­reux de pré­dire les mou­ve­ments de l’opinion publique fla­mande. Com­ment va-
t‑elle réagir aux accords ? Com­ment cela se tra­dui­ra-t-il poli­ti­que­ment ? Sur le plan com­mu­nau­taire, on sent bien la N‑VA for­te­ment ten­tée par une radi­ca­li­sa­tion : des mani­fes­ta­tions conjointes avec l’extrême droite au déra­page de Bart De Wever sur la mise en place de « juges maro­cains à Bor­ghe­rout ». Mais elle risque d’être peu payante élec­to­ra­le­ment, à moins que son objec­tif ne soit de ramas­ser en une seule force tout l’électorat popu­liste et d’extrême droite de Flandre. C’est plus que pro­ba­ble­ment en dénon­çant la poli­tique socioé­co­no­mique d’un gou­ver­ne­ment trop à gauche et/ou pas assez fla­mand que le par­ti ten­te­ra de dépas­ser son rela­tif échec. À ce titre, la N‑VA devient le prin­ci­pal et para­doxal sou­tien impli­cite de la par­ti­ci­pa­tion verte au gou­ver­ne­ment : sans Groen ! pas de majo­ri­té fla­mande et donc pas plus de légi­ti­mi­té aux yeux de Bart de Wever, de nombre de ses élec­teurs et bien au-delà ; avec Groen!, une orien­ta­tion poli­tique contra­dic­toire avec le cou­rant majo­ri­taire en Flandre… La ques­tion déci­sive est de savoir si cela per­met­tra à la N‑VA de construire un ancrage local durable dans le pay­sage poli­tique fla­mand aux pro­chaines élec­tions communales.

Plus impré­vi­sible encore sera le com­por­te­ment tou­jours aus­si ambi­va­lent du CD&V. Assu­me­ra-t-il sa rup­ture avec le par­ti natio­na­liste, comme un léger regain dans les son­dages l’y incite ou conti­nue­ra-t-il à faire le lit de son suc­cès ? Les dérives de la N‑VA l’aident à s’en distancier.

Une étape dans un long processus

Mais plu­sieurs ténors, Kris Pee­ters et Jean-Luc Dehaene en tête, ont sou­li­gné que cette nou­velle réforme de l’État ne pou­vait être décem­ment qua­li­fiée de « révo­lu­tion coper­ni­cienne », mais que si elle res­tait en deçà du pro­gramme de 1999 adop­té par le Par­le­ment fla­mand, elle n’entrait pas en contra­dic­tion avec lui. Bref, il s’agit d’une étape, et la Flandre mili­tante pré­pare les sui­vantes. C’est cer­tai­ne­ment la pres­sion de la situa­tion éco­no­mique finan­cière et poli­tique euro­péenne, maté­ria­li­sée par l’effondrement de Dexia, plus que les pres­sions du Palais royal, qui auront per­mis que le par­ti accepte de ren­trer une nou­velle fois dans la logique du com­pro­mis temporaire.

En Wal­lo­nie et à Bruxelles, on aura donc plus que jamais inté­rêt à s’autodéterminer sans attendre que les ten­sions internes à la socié­té et à la scène poli­tique fla­mandes ne nous dictent notre agen­da, d’autant plus que la situa­tion est fina­le­ment assez para­doxale. Alors qu’ils ont défen­du le prin­cipe régio­nal dans les négo­cia­tions, les par­tis fran­co­phones ont obte­nu une loi de finan­ce­ment semble-t-il plu­tôt favo­rable à la Com­mu­nau­té fran­çaise puisque liée à ses « besoins » et non à la pro­duc­tion de richesse dans les Régions où elle agit. Pour­tant ses chan­ge­ments impro­bables de nom et de logo sou­lignent une fois de plus les inter­ro­ga­tions exis­ten­tielles de cette ins­ti­tu­tion à désor­mais dénom­mer semi-offi­ciel­le­ment « Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles ». Soyons de bons comptes, l’enseignement aurait pu se voir plus mal ser­vi par cette nou­velle réforme. Les marges de manœuvre finan­cières y res­te­ront pro­ba­ble­ment limi­tées, mais les coupes claires que nous crai­gnions ne se repro­dui­ront nor­ma­le­ment pas. L’école en pro­fi­te­ra-t-elle pour se ques­tion­ner en pro­fon­deur, notam­ment à Bruxelles où les besoins sont immenses et les réponses de la Com­mu­nau­té fran­çaise trop faibles ?

La Wallonie au défi

Les Régions vont par contre connaitre un nou­veau régime de res­pon­sa­bi­li­sa­tion et d’autonomie fis­cale enca­drées et amor­ties par des méca­nismes de soli­da­ri­té qui dure­ront dix ans et pren­dront dix années de plus pour s’éteindre. Bruxelles reçoit par ce biais un bal­lon d’oxygène vital et a évi­té le sys­tème des sous-natio­na­li­tés, mais la Région ne voit pas ses ins­ti­tu­tions fon­da­men­ta­le­ment réfor­mées. Elles res­te­ront com­plexes, notam­ment à cause de la per­sis­tance d’institutions com­mu­nau­taires au cœur de son fonc­tion­ne­ment sur des com­pé­tences cru­ciales pour son avenir.

C’est la Wal­lo­nie qui paraît aujourd’hui fra­gi­li­sée. La fgtb wal­lonne pré­dit un défi­cit de finan­ce­ment de 150 mil­lions d’ici 2025, sem­blant ain­si enté­ri­ner que son redres­se­ment n’aura pas lieu et que les Wal­lons ne sau­ront pas s’emparer à leur pro­fit de ces nou­veaux méca­nismes. Il serait évi­dem­ment naïf de croire qu’aucune enti­té ne sor­ti­rait per­dante d’une réforme du mode de finan­ce­ment du fédé­ra­lisme belge et de plans de rigueur com­bi­nés. Sur ce plan, c’est de la via­bi­li­té du niveau fédé­ral auquel il fau­dra être atten­tif. Mais pour le reste, le choix stra­té­gique face auquel se trouvent les Wal­lons et les Bruxel­lois est une fois de plus de conti­nuer à « jouer la montre » ou d’utiliser les dix ans de répit pour enfin se réfor­mer et se redéployer.

Plus que jamais, les Wal­lons (comme les Bruxel­lois) ont inté­rêt à aug­men­ter radi­ca­le­ment la qua­li­té de leur ges­tion publique et à remettre à plat l’ensemble de leurs ins­ti­tu­tions. Mais une approche pure­ment mana­gé­riale de la poli­tique, se conten­tant d’insister sur la néces­si­té de la bonne gou­ver­nance, ne sau­rait suf­fire à sus­ci­ter l’élan col­lec­tif dont nous avons besoin. La pro­gres­si­vi­té de l’entrée en vigueur du ren­for­ce­ment de la res­pon­sa­bi­li­sa­tion pour­rait avoir le même effet que l’eau du bocal de la gre­nouille d’Al Gore. Il ne fau­drait pas que le batra­cien fran­co­phone s’endorme pen­dant que le méca­nisme de soli­da­ri­té Nord-Sud se rédui­ra presque insensiblement…

Le pari démocratique du G 1000

Pour l’heure, les par­tis fran­co­phones peuvent se dire qu’ils ont accom­pli leur devoir. Mais sont-ils équi­pés pour remo­bi­li­ser les Régions wal­lonne et bruxel­loise ? Com­ment relan­cer une dyna­mique citoyenne et sociale qui ne soit pas seule­ment défen­sive ? L’apathie de la popu­la­tion face au huis clos par­ti­cra­tique ne doit ras­su­rer per­sonne. C’est la rai­son pour laquelle il faut saluer le pro­ces­sus du G 1000 et sou­hai­ter que le 11 novembre marque une date impor­tante dans l’histoire de la démo­cra­tie belge. Ce jour-là, un mil­lier de citoyens belges choi­sis au hasard par un bureau de mar­ke­ting se réuni­ront à Tour et Taxis à Bruxelles pour par­ti­ci­per au plus grand exer­cice de démo­cra­tie déli­bé­ra­tive jamais lan­cé en Bel­gique. Il s’agira de débattre de trois thèmes poli­tiques qui auront été choi­sis sur une liste de vingt-cinq (elle-même éta­blie sur la base de cen­taines de contri­bu­tions envoyées aux orga­ni­sa­teurs). Ces vingt-cinq ques­tions ne ren­voient pas toutes direc­te­ment à la ques­tion ins­ti­tu­tion­nelle. Mais elles attestent d’une volon­té de ne pas lais­ser le mono­pole de la déli­bé­ra­tion aux par­tis qui n’en est sans doute qu’à ses balbutiements.

L’initiative témoigne moins d’une volon­té de « sau­ver la Bel­gique » ou de refon­der un pacte entre tous les Belges que d’identifier la désaf­fec­tion civique au cœur de la crise poli­tique inter­mi­nable qui semble pro­vi­soi­re­ment s’achever. Autre­ment dit, le pari sous-jacent qui est fait, c’est que la Bel­gique est plus malade de son sys­tème de par­tis que de ses sous-natio­na­lismes. Mais peut-on son­ger à ré-enchan­ter la démo­cra­tie sans débattre et sans choi­sir préa­la­ble­ment le cadre natio­nal ou régio­nal dans lequel elle se pose ? Ne fau­drait-il pas com­men­cer par orga­ni­ser des G 1000 au niveau des Régions avant de voir com­ment réin­ven­ter démo­cra­ti­que­ment la Bel­gique ? Ces ques­tions ne sont pas seule­ment théoriques. 

7 octobre 2011

Lechat Benoît


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