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Un acharnement thérapeutique qui ne dit pas son nom
L’acharnement thérapeutique ne concerne pas seulement les personnes plongées dans un coma profond, mais accompagne trop souvent la fin de la vie. Il est à situer dans le contexte de la médicalisation de la santé, la technicisation croissante de la médecine et l’espérance d’une vie toujours plus longue. Malgré le fait que la loi belge sur les droits du patient pose des balises intéressantes, une très grande vigilance reste de mise. Il en va de notre responsabilité à tous.
[/« Il s’agit de susciter, dans un peuple de consommateurs de la santé, la prise de conscience que seul le profane a la compétence et le pouvoir nécessaires pour renverser une prêtrise sanitaire qui impose une médecine morbide. Il s’agit de démontrer que seule l’action politique et juridique peut maitriser ce fléau contagieux qu’est l’invasion médicale, qu’elle se manifeste sous la forme d’une dépendance personnelle ou d’une médicalisation de la société. » Ivan Illich/]
Si l’on parle beaucoup de la loi belge sur la dépénalisation de l’euthanasie et si l’on connait l’existence des soins palliatifs (dont on sait moins qu’ils ont également fait l’objet d’une loi dans notre pays), en revanche, la loi qui concerne les droits du patient est bien souvent méconnue parce qu’on n’en parle ni dans les médias ni dans les chaumières. Cette loi a‑t-elle quelque chose à voir avec l’acharnement thérapeutique ?
Personne ne souhaite à priori subir d’acharnement thérapeutique. Et, par ailleurs, l’acharnement thérapeutique « doit être évité » selon le code de déontologie médicale belge[Nouvel article 97 du Code de déontologie médicale belge, adopté par le Conseil national de l’Ordre des médecins le 18 mars 2006, alinéa 2 (Bulletin du Conseil national, n° 112, juin 2006).]] : dès lors, la question mérite-t-elle que l’on s’y attarde ? Il semble bien que oui. L’accompagnement de plusieurs de mes proches dans les derniers mois de leur vie m’a montré que, dans cinq cas sur six — dont quatre cancers — un acharnement thérapeutique avait bel et bien eu lieu.
La notion d’acharnement thérapeutique
Dans le Dictionnaire permanent Bioéthique et biotechnologies, l’acharnement thérapeutique est défini comme « une attitude qui consiste à poursuivre une thérapie lourde à visée curative alors même qu’il n’existe aucun espoir réel d’obtenir une amélioration de l’état du malade et qui a pour résultat de prolonger simplement la vie ».
Si cette définition paraît claire et d’une certaine évidence à première vue, elle l’est beaucoup moins dans la réalité des situations. Prolonger la vie ou non, c’est aborder la question grave du rapport à la mort, tant pour la personne malade et son entourage que pour le corps médical. Et leurs positions respectives sont loin d’être toujours convergentes. La mission de guérir du médecin et la fréquente demande des proches que « l’on fasse tout ce qui est possible » vont-elles de concert avec la position d’un patient âgé ou qui se sent au bout du rouleau et qui ne souhaite pas nécessairement prolonger sa vie au prix de traitements lourds, interventions chirurgicales, alimentation par sonde, ou même rééducation ? Particulièrement dans le cas où le diagnostic, avec son inévitable part d’incertitude, prévoit un espoir de guérison mince, voire inexistant.
Néanmoins, il semble bien que ce soit l’avis du patient (ou de la personne de confiance qu’il a désignée) qui devrait primer en dernier ressort. La loi belge du 22 aout 2002 relative aux droits du patient pose en effet dans son article 8 § 1er « le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable » ainsi que § 4 « le droit de refuser ou de retirer son consentement pour une intervention ». Ce consentement doit être donné explicitement, et non plus tacitement comme jadis. Dans certains pays, comme la France, l’acharnement thérapeutique est prohibé (loi Leonetti de 2005), car contraire au respect du patient et à l’exigence de son consentement aux examens et aux soins. Selon le Comité consultatif national d’éthique français (CCNE), il consiste en une « obstination déraisonnable, refusant par un raisonnement buté de reconnaitre qu’un homme est voué à la mort et qu’il n’est pas curable ».
Il n’est pas toujours aisé d’avoir la certitude que les traitements pratiqués sur une personne en fin de vie sont ou non de l’acharnement thérapeutique, car c’est souvent à postériori que la chose devient évidente pour l’entourage. Bon nombre de pacemakeurs, par exemple, ne sont-ils pas placés chez des patients âgés en début d’hospitalisation en urgence et avant examen complet de leur santé dans le seul but, jamais reconnu comme tel, de permettre des interventions chirurgicales postérieures ou autres traitements, et de prolonger la vie, ou plus exactement l’agonie, avec son lot de souffrances et de dépendance ? L’exigence d’informations se révèle donc essentielle à cet égard.
Une information claire et complète : un droit pour les patients
Dans son article 7, la loi sur les droits du patient stipule que :
§ 1. « Le patient a droit, de la part du praticien professionnel, à toutes les informations qui le concernent et peuvent lui être nécessaires pour comprendre son état de santé et son évolution probable. »
§ 2. « La communication avec le patient se déroule dans une langue claire. »
Et l’article 8 ajoute, § 2 : « Les informations fournies au patient, en vue de la manifestation de son consentement visé au § 1, concernent l’objectif, la nature, le degré d’urgence, la durée, la fréquence, les contre-indications, effets secondaires et risques inhérents à l’intervention et pertinents pour le patient, les soins de suivi, les alternatives possibles et les répercussions financières. »
C’est donc la loi qui exige que le praticien informe le patient et qui définit la teneur de cette information. Force est de constater que dans un très grand nombre de situations, des informations claires et complètes font largement défaut. Alors qu’elles sont indispensables pour que le patient puisse consentir à un traitement, elles s’avèrent être très difficiles à obtenir. Le plus souvent, le patient hospitalisé est dans un état de faiblesse et de souffrance. Alité, il espère ne plus souffrir et guérir, et est prêt à accepter beaucoup de choses dans ce but. Il voit le médecin comme « celui qui a le savoir » et qui ne peut dès lors qu’avoir raison. Tout ce qui lui sera proposé par le corps médical dans un but positif (réel ou non) pour lui a beaucoup de chances d’être accepté.
Le corps médical de son côté n’a pas de temps à perdre et donne l’impression d’aller à l’essentiel : obtenir le consentement du patient. L’information fournie n’est-elle pas généralement orientée dans ce sens et ne fait-elle pas fi des effets secondaires, des alternatives, etc. ? Dans des cas très fréquents, les informations ne sont-elles pas incomplètes, voire biaisées ?
Rôle indispensable de l’entourage
C’est la raison pour laquelle le rôle de l’entourage est primordial au moment où un proche doit être hospitalisé dans l’état décrit plus haut. Sans être le moins du monde inconscient, le malade n’est souvent plus en état de poser les bonnes questions, d’insister si les réponses ne sont pas satisfaisantes, de s’enquérir sur les conséquences (positives et négatives) du traitement proposé, d’envisager des alternatives et leurs conséquences, d’avoir pensé anticipativement à la possibilité de subir un acharnement thérapeutique. C’est ce qui le rend extrêmement vulnérable face à un médecin qui est debout (alors que lui est couché sur un lit), en blouse blanche (signe d’un savoir souvent considéré comme incontestable), dans l’univers qui est le sien et où il jouit de reconnaissance et de pouvoir, et est suffisamment habitué à côtoyer des patients (c’est-à-dire souffrants) pour pouvoir continuer son travail.
C’est, sachant tout cela que, dès le tout début de l’hospitalisation d’un proche, l’entourage — supposé bienveillant à son égard — doit, non pas se substituer au patient, mais s’enquérir auprès de ce dernier de ce qu’il souhaite, rencontrer le médecin responsable, poser les questions nécessaires et obtenir cette « information » à laquelle tout patient (ou toute personne désignée par lui) a droit, et surtout, chercher à rester tout le temps de l’hospitalisation, informé et vigilant.
Car l’expérience révèle que l’on rencontre bien des obstacles lorsque l’on cherche à obtenir ces informations : médecins présents le matin dans les services hospitaliers alors que les visites ne sont acceptées que l’après-midi, secrétariats drillés à postposer les rendez-vous pour des motifs divers et lorsque le rendez-vous est finalement pris (après un délai de plusieurs jours parfois) l’impression de déranger le médecin ne donne guère l’envie de recommencer l’expérience, information parfois biaisée, voire mensongère, réticence enfin du corps médical à donner la liste des médicaments pris par le patient, etc. Nous devons le dire, il arrive que le patient semble vraiment « à la merci » du corps médical.
Position du médecin
Le médecin a choisi de mettre son savoir et ses compétences au service des malades, dans le but de les soigner, les soulager et, si possible, les guérir. Certains d’entre eux le font avec beaucoup d’intelligence, d’humanisme et font preuve d’un réel savoir faire. On ne peut que s’en réjouir.
Cela étant, en milieu hospitalier tout particulièrement, le médecin responsable du service ne ressent-il pas souvent la mort d’un malade comme un échec professionnel, voire un échec personnel ? N’est-ce pas la raison pour laquelle il a tendance à faire le maximum pour prolonger la vie (dans certaines situations, il s’agit de véritable acharnement thérapeutique), et finalement, pour le « malade pour lequel il n’y a vraiment plus rien à faire », à le transférer vers un autre service ou vers les soins palliatifs. N’est-ce que de l’ironie lorsque l’on affirme que les statistiques de décès dans un service ne font jamais bon effet ?
Certes, le médecin a vocation de soigner, mais pas n’importe comment ni à n’importe quel prix pour le patient (dans tous les sens du terme). L’acharnement thérapeutique est-il jamais considéré comme tel par le médecin ? Ne lui apparait-il pas trop souvent comme la seule issue possible face à la mort et ne témoigne-t-il pas d’une façon de concevoir son rôle qui laisse peu de place à toute autre considération, par exemple une éventuelle vision divergente de la part de son patient ? Or « Nul ne devrait donc pouvoir décider pour autrui si la mort est “acceptable” ou s’il est nécessaire de continuer à se battre pour maintenir le corps en vie grâce à une assistance médicale. Ce n’est ni aux proches, ni au corps médical de prendre une telle décision. Chacun a le droit de revendiquer son rôle d’acteur, tant au cours de sa vie que face à sa mort. Pourtant, dans certaines situations, il arrive que nous ne soyons plus capables de faire respecter notre volonté. C’est ce qui arrive, par exemple, dans les cas d’inconscience tels que le coma ou de maladies causant une perte de lucidité, voire la démence. Dans ces conditions, c’est généralement aux proches et à l’équipe soignante que revient la lourde décision. Se pose alors la question de savoir si les soins sont appropriés1… »
Par ailleurs, les études de médecine, essentiellement focalisées sur la physiologie et sur une technicité et une médicalisation de la santé toujours plus grandes, forment-elles les médecins à avoir avec leurs futurs patients les rapports humains, respectueux et suffisamment empathiques auxquels tout malade pourrait prétendre ?
Un autre élément concerne la position des médecins au sein de l’institution hospitalière dans laquelle ils travaillent. Celle-ci n’est pas seulement une œuvre de bienfaisance, mais doit elle-même rendre des comptes à l’État dans la mesure où elle est subventionnée via la sécurité sociale. Et les exigences de meilleure rentabilité ne s’imposent-elles pas de plus en plus ? Sans entrer dans plus de détails, la complexification, la haute technicité et le prix croissant de machines de plus en plus performantes ne doivent-ils pas trouver justification et rentabilité de leur investissement ? Est-elle si rare la tentation de les utiliser à outrance ?
La situation ne semble pas être identique partout, mais il nous revient que des différences existent à cet égard entre les hôpitaux et cliniques de Bruxelles par rapport à ceux de la province, ainsi qu’entre les hôpitaux de tendance libérale et les autres. Le médecin, s’il n’a pas pu choisir l’institution dans laquelle il travaille, peut subir certaines pressions de la part de son institution.
Les formes multiples de l’acharnement thérapeutique
L’acharnement thérapeutique ne concerne pas seulement les personnes dans le coma que l’on maintient en vie plus ou moins longtemps. Il revêt des formes diverses selon les pathologies et les types de thérapie. Ainsi un gavage plus ou moins forcé « il vous faut reprendre des forces » (sic) peut être considéré comme tel chez un patient qui se sent au bout du rouleau ; ou des examens inutiles étant donné l’état sans issue de la maladie (exemple : 155 radiographies et 2 colonoscopies en une semaine chez un malade atteint d’un cancer du foie en phase terminale) ; pire encore, la prescription d’une « thérapie de confort » (sic) — expression ô combien rassurante — consistant chez des cancéreux très avancés en l’administration d’une radiothérapie (parfois à but antalgique) et/ou d’une chimiothérapie — « il ne s’agit que d’une petite pilule et vous vous sentirez mieux ensuite » (sic) — qui n’apporte en réalité qu’inconfort, effets secondaires importants et souffrances supplémentaires inutiles jusqu’au décès.
La chose est si fréquente qu’un nombre grandissant de médecins refuse de se faire hospitaliser eux-mêmes en cas de maladie, tant ils redoutent la « forme de torture que représentent certains traitements » (sic).
À défaut d’une « médecine inoffensive2 »
Une loi n’a jamais empêché quoi que ce soit, elle pose des balises, ce qui permet d’introduire une plainte et recevoir d’éventuels dommages et intérêts. Par ailleurs, les médiations prévues dans les hôpitaux suffisent rarement à empêcher un acharnement thérapeutique, puisqu’elles n’interviennent la plupart du temps qu’à posteriori.
Une lueur d’espoir réside dans l’étude actuelle d’un « projet thérapeutique3 ». Il s’agit d’un document écrit spécifique et cosigné qui permettrait de définir l’attitude de traitement et de soins adaptés à chaque patient, sur la base d’un échange entre le patient, le médecin, les proches et l’équipe soignante. L’idée est intéressante si le malade (et/ou l’entourage) et le corps médical ont et prennent le temps de le réaliser. Il est à remarquer qu’actuellement, les documents d’admission en milieu hospitalier ne permettent que d’y signaler des préférences ou intolérances alimentaires, mais ne comportent aucun espace concernant les traitements.
Aujourd’hui, où seulement un quart des décès a lieu hors institution hospitalière ou de repos et de soins, le risque de subir un acharnement thérapeutique en fin de vie n’est pas mince. Une enquête récente de la VUB et de l’UGent constate le transfert trop tardif des malades incurables vers les soins palliatifs, en conséquence de quoi, en phase terminale, ces patients reçoivent une quantité de médicaments visant la guérison ou la prolongation de la vie4. Dans l’immédiat, la vigilance reste donc de mise, de même que la volonté active d’interroger et de dialoguer avec le corps médical, si l’on veut éviter, tant pour soi que pour ses proches, un acharnement thérapeutique qui ne dit jamais son nom.
- Acharnement thérapeutique. Quand se pose la question du juste soin, Service éducation permanente Question Santé, p. 6.
- Expression reprise à Cécile Wéry.
- Acharnement thérapeutique. Quand se pose la question du juste soin, Service éducation permanente Question Santé, p. 6.
- La Libre Belgique du 18 septembre 2013.