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Ukraine : une alternance attendue
L’élection présidentielle de janvier-février 2010 en Ukraine a porté au pouvoir Viktor Ianoukovitch, le candidat perdant de l’élection de 2004 dont était sorti vainqueur Viktor Iouchtchenko après plusieurs semaines de mobilisation politique connue sous le nom de Révolution orange. La victoire de Ianoukovitch, leadeur du Parti des régions, majoritairement implanté dans les régions industrialisées du Donbass (à […]
L’élection présidentielle de janvier-février 2010 en Ukraine a porté au pouvoir Viktor Ianoukovitch, le candidat perdant de l’élection de 2004 dont était sorti vainqueur Viktor Iouchtchenko après plusieurs semaines de mobilisation politique connue sous le nom de Révolution orange1. La victoire de Ianoukovitch, leadeur du Parti des régions, majoritairement implanté dans les régions industrialisées du Donbass (à l’est de l’Ukraine) était attendue : l’ensemble des sondages d’opinion menés pendant la campagne électorale le donnait vainqueur au second tour face à sa rivale, Ioulia Timochenko, Premier ministre sortante, égérie de la Révolution orange et ancienne alliée de Iouchtchenko. Ianoukovitch obtient finalement 48,95% des voix contre 45,47% pour son adversaire. La principale raison de cette alternance est à chercher dans la déception des citoyens face à l’équipe orange.
Un bilan orange très mitigé
La présidence Iouchtchenko se solde par un bilan plus que mitigé. Lors du cinquième anniversaire de la Révolution orange, le président a présenté le respect de la liberté d’expression et l’augmentation des investissements étrangers comme les principales avancées de son mandat. La liberté des médias constitue sans nul doute une rupture avec l’autoritarisme des dirigeants précédents. Mais elle est également à l’origine de révélations sur les leadeurs politiques dont l’image s’est progressivement ternie. La défiance à l’égard de la classe politique est pourtant principalement liée à l’instabilité politique et aux promesses non tenues.
Quelques mois après son installation, la Première ministre Ioulia Timochenko démissionne à la demande du président. C’est le début d’une rivalité personnelle qui va affaiblir le pouvoir et briser l’élan des réformes. En 2006, une cohabitation délicate s’installe au sommet de l’État lorsque, à la faveur d’élections parlementaires et d’une réforme constitutionnelle, Viktor Ianoukovitch devient Premier ministre. Fin 2007 Ioulia Timochenko remporte à nouveau le poste de chef du gouvernement grâce à une alliance pragmatique, mais de courte durée avec le parti du président, plongeant à nouveau le pays dans une instabilité politique chronique.
Dans ce contexte, les promesses électorales ont du mal à être respectées. Plusieurs affaires criminelles de l’ancien régime n’ont pas été clairement élucidées, que ce soit l’assassinat du journaliste Georgi Gongadze en 2001 ou le propre empoisonnement de Iouchtchenko en 2004. Par ailleurs, la désunion du politique et de l’économie, promise par le président, n’a pas eu lieu : les oligarques ukrainiens sont toujours sur le devant de la scène en siégeant au Parlement et en finançant les partis politiques. Enfin, contrairement aux attentes, les changements incessants d’alliance politique ont entrainé un développement de la corruption et une politisation exacerbée des juridictions.
Comme d’autres pays d’Europe de l’Est, l’Ukraine a été fortement touchée par la crise financière internationale entrainant une dévaluation sans précédent de sa devise nationale. Le FMI a alors alloué, en novembre 2008, un prêt de 16,4 milliards de dollars, mais a suspendu son aide en 2009 en raison du non-respect des conditions fixées à l’origine. Début janvier 2010, il a toutefois autorisé l’Ukraine à utiliser ses réserves de change pour régler sa facture de gaz russe et éviter, incidemment, une coupure des approvisionnements de l’Union européenne comme en 2009. Quelques jours plus tôt, l’Ukraine trouvait également un accord avec la Russie sur une augmentation de 30% du tarif du transit du pétrole russe à destination de l’Union européenne. Les enjeux énergétiques, périodiquement utilisés par le pouvoir russe pour faire pression sur Kiev, n’ont ainsi pas bouleversé la campagne électorale ukrainienne. Contrairement à 2004, les dirigeants russes se sont gardés de soutenir officiellement un quelconque candidat.
Une compétition électorale assurée
Le bilan du mandat de Iouchtchenko s’est traduit par un désenchantement progressif de la population à son égard : celui-ci n’obtient que 5,45% des suffrages au premier tour (17 janvier). La déception des Ukrainiens n’a pourtant pas empêché une participation importante des électeurs (près de 70% au second tour). Les ressources administratives qu’elles soient régionales ou sectorielles aussi bien que le clientélisme ont été utilisés par les différents candidats, mais n’ont pas perverti le scrutin : les fraudes ont été évitées grâce notamment à la mise en place d’une liste harmonisée d’électeurs. Avec cette cinquième élection présidentielle depuis l’indépendance du pays, la scène politique ukrainienne se révèle être parmi les plus compétitives de l’espace postsoviétique avec une procédure électorale parmi les plus transparentes comme l’atteste notamment le rapport de l’OSCE. Le premier tour qui, sans surprise, a vu les deux candidats favoris arriver en tête du scrutin, a également été marqué par le bon score de Sergueï Tigipko, ancien gouverneur de la Banque centrale et ancien ministre de l’Économie, qui remporte la troisième place avec 13,06% des voix.
Bénéficiant d’une avance de dix points au premier tour sur sa rivale, Ianoukovitch a mené une campagne centrée sur les préoccupations sociales du pays au détriment de ses thèmes de campagne privilégiés que sont la défense de la langue russe ou le rapprochement avec la Russie. Bien que refusant un débat politique avec son adversaire, il a vivement critiqué sa gestion de la crise économique et de la grippe H1N1. De fait, la campagne de Timochenko est ternie par un bilan de gouvernement peu glorieux dont elle a la charge depuis deux ans, mais dont elle n’assume pas complètement la responsabilité accusant Iouchtchenko, Ianoukovitch et leurs alliés d’empêcher la mise en place des réformes. Timochenko prétend, elle seule, défendre les intérêts de l’Ukraine à laquelle elle s’identifie personnellement dans ses affiches de campagne.
Au soir de son élection, Viktor Ianoukovitch a placé sa victoire sous le signe de l’unité et de la stabilité. Pourtant, la polarisation régionale du scrutin demeure : le nouveau président l’emporte, haut la main, à l’est et au sud de l’Ukraine, avec des pics de popularité dans les régions de Donetsk (90,44%) ou de Lougansk (88,96%) alors que Timochenko fait de très bons scores à l’ouest et au centre, avec 86,2% des voix à Lviv ou 88,89% à Ivano-Frankivsk. Avec un écart d’environ 890.000 suffrages avec son rival (près de 3,5 points), Timochenko ne s’est pas résignée facilement au succès de son adversaire : elle a appelé, pendant plusieurs jours, à l’invalidation du scrutin en intentant un recours juridique pour fraudes avant de se rétracter.
Consolidation et activisme de la nouvelle présidence
Face à la ténacité de son adversaire, Ianoukovitch a cherché à consolider sa présidence aussi vite que possible. Quelques jours après son inauguration (25 février), une motion de censure contraint le gouvernement de Timochenko à la démission. Le 11 mars, une nouvelle coalition pro-présidentielle est formée au Parlement autour de députés du Parti des régions, du Parti communiste, du petit Bloc Litvine auxquels se sont ralliés des députés de l’ancienne coalition orange à titre individuel par le biais d’un changement de procédure adopté pour la cause. Le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur la légalité de ce changement de procédure pouvant, en cas d’invalidation, entrainer une nouvelle phase d’instabilité politique.
La nouvelle coalition appelée « Réformes et stabilité » a choisi Mikola Azarov au poste de Premier ministre. Ayant déjà occupé les fonctions de vice-Premier ministre et de ministre de l’Économie sous des gouvernements Ianoukovitch, Azarov est considéré comme un technocrate sans ambition politique, mais aussi comme un représentant de la politique pro-russe du nouveau président. C’est d’ailleurs lui qui a été envoyé à Moscou le 24 mars pour tenter d’obtenir une réduction du prix du gaz russe payé par l’Ukraine alors que la Russie souhaite profiter de la nouvelle présidence pour obtenir des gages en termes de transport gazier vers l’Europe. Pourtant, la volonté de rétablir des relations amicales avec la Russie ne semble pas se faire au détriment des relations avec l’Union européenne : Ianoukovitch a choisi Bruxelles pour sa première visite à l’étranger et a assuré que l’intégration européenne demeurait une priorité de politique extérieure. La question d’une éventuelle adhésion à l’Otan a par contre été écartée par le nouveau président qui a parlé de son pays comme d’un « État européen non aligné ».
Cet activisme gouvernemental et présidentiel dans les relations extérieures doit aussi respecter les enjeux de politique économique interne. C’est dans ce contexte que le nouveau Premier ministre a évoqué la reprise du dialogue avec le FMI tout comme la modernisation de l’industrie ukrainienne même s’il n’est pas connu pour être un grand réformateur. La nouvelle équipe au pouvoir sait qu’elle sera jugée sur sa capacité à enrayer la crise économique et sociale, une promesse de campagne à laquelle seront attentifs les électeurs ukrainiens dans leurs futurs choix électoraux. Des élections locales se profilent pour novembre 2010 et d’éventuelles élections parlementaires anticipées ne sont pas à exclure.
- Goujon Alexandra, Révolutions politiques et identitaires en Ukraine et en Biélorussie, Belin, 2009.