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Ukraine : une alternance attendue

Numéro 4 Avril 2010 par Alexandra Goujon

avril 2010

L’élection pré­si­den­tielle de jan­­vier-février 2010 en Ukraine a por­té au pou­voir Vik­tor Ianou­ko­vitch, le can­di­dat per­dant de l’élection de 2004 dont était sor­ti vain­queur Vik­tor Ioucht­chen­ko après plu­sieurs semaines de mobi­li­sa­tion poli­tique connue sous le nom de Révo­lu­tion orange. La vic­toire de Ianou­ko­vitch, lea­deur du Par­ti des régions, majo­ri­tai­re­ment implan­té dans les régions indus­tria­li­sées du Don­bass (à […]

L’élection pré­si­den­tielle de jan­vier-février 2010 en Ukraine a por­té au pou­voir Vik­tor Ianou­ko­vitch, le can­di­dat per­dant de l’élection de 2004 dont était sor­ti vain­queur Vik­tor Ioucht­chen­ko après plu­sieurs semaines de mobi­li­sa­tion poli­tique connue sous le nom de Révo­lu­tion orange1. La vic­toire de Ianou­ko­vitch, lea­deur du Par­ti des régions, majo­ri­tai­re­ment implan­té dans les régions indus­tria­li­sées du Don­bass (à l’est de l’Ukraine) était atten­due : l’ensemble des son­dages d’opinion menés pen­dant la cam­pagne élec­to­rale le don­nait vain­queur au second tour face à sa rivale, Iou­lia Timo­chen­ko, Pre­mier ministre sor­tante, égé­rie de la Révo­lu­tion orange et ancienne alliée de Ioucht­chen­ko. Ianou­ko­vitch obtient fina­le­ment 48,95% des voix contre 45,47% pour son adver­saire. La prin­ci­pale rai­son de cette alter­nance est à cher­cher dans la décep­tion des citoyens face à l’équipe orange.

Un bilan orange très mitigé

La pré­si­dence Ioucht­chen­ko se solde par un bilan plus que miti­gé. Lors du cin­quième anni­ver­saire de la Révo­lu­tion orange, le pré­sident a pré­sen­té le res­pect de la liber­té d’expression et l’augmentation des inves­tis­se­ments étran­gers comme les prin­ci­pales avan­cées de son man­dat. La liber­té des médias consti­tue sans nul doute une rup­ture avec l’autoritarisme des diri­geants pré­cé­dents. Mais elle est éga­le­ment à l’origine de révé­la­tions sur les lea­deurs poli­tiques dont l’image s’est pro­gres­si­ve­ment ter­nie. La défiance à l’égard de la classe poli­tique est pour­tant prin­ci­pa­le­ment liée à l’instabilité poli­tique et aux pro­messes non tenues.

Quelques mois après son ins­tal­la­tion, la Pre­mière ministre Iou­lia Timo­chen­ko démis­sionne à la demande du pré­sident. C’est le début d’une riva­li­té per­son­nelle qui va affai­blir le pou­voir et bri­ser l’élan des réformes. En 2006, une coha­bi­ta­tion déli­cate s’installe au som­met de l’État lorsque, à la faveur d’élections par­le­men­taires et d’une réforme consti­tu­tion­nelle, Vik­tor Ianou­ko­vitch devient Pre­mier ministre. Fin 2007 Iou­lia Timo­chen­ko rem­porte à nou­veau le poste de chef du gou­ver­ne­ment grâce à une alliance prag­ma­tique, mais de courte durée avec le par­ti du pré­sident, plon­geant à nou­veau le pays dans une insta­bi­li­té poli­tique chronique.

Dans ce contexte, les pro­messes élec­to­rales ont du mal à être res­pec­tées. Plu­sieurs affaires cri­mi­nelles de l’ancien régime n’ont pas été clai­re­ment élu­ci­dées, que ce soit l’assassinat du jour­na­liste Geor­gi Gon­gadze en 2001 ou le propre empoi­son­ne­ment de Ioucht­chen­ko en 2004. Par ailleurs, la dés­union du poli­tique et de l’économie, pro­mise par le pré­sident, n’a pas eu lieu : les oli­garques ukrai­niens sont tou­jours sur le devant de la scène en sié­geant au Par­le­ment et en finan­çant les par­tis poli­tiques. Enfin, contrai­re­ment aux attentes, les chan­ge­ments inces­sants d’alliance poli­tique ont entrai­né un déve­lop­pe­ment de la cor­rup­tion et une poli­ti­sa­tion exa­cer­bée des juridictions.

Comme d’autres pays d’Europe de l’Est, l’Ukraine a été for­te­ment tou­chée par la crise finan­cière inter­na­tio­nale entrai­nant une déva­lua­tion sans pré­cé­dent de sa devise natio­nale. Le FMI a alors alloué, en novembre 2008, un prêt de 16,4 mil­liards de dol­lars, mais a sus­pen­du son aide en 2009 en rai­son du non-res­pect des condi­tions fixées à l’origine. Début jan­vier 2010, il a tou­te­fois auto­ri­sé l’Ukraine à uti­li­ser ses réserves de change pour régler sa fac­ture de gaz russe et évi­ter, inci­dem­ment, une cou­pure des appro­vi­sion­ne­ments de l’Union euro­péenne comme en 2009. Quelques jours plus tôt, l’Ukraine trou­vait éga­le­ment un accord avec la Rus­sie sur une aug­men­ta­tion de 30% du tarif du tran­sit du pétrole russe à des­ti­na­tion de l’Union euro­péenne. Les enjeux éner­gé­tiques, pério­di­que­ment uti­li­sés par le pou­voir russe pour faire pres­sion sur Kiev, n’ont ain­si pas bou­le­ver­sé la cam­pagne élec­to­rale ukrai­nienne. Contrai­re­ment à 2004, les diri­geants russes se sont gar­dés de sou­te­nir offi­ciel­le­ment un quel­conque candidat.

Une compétition électorale assurée

Le bilan du man­dat de Ioucht­chen­ko s’est tra­duit par un désen­chan­te­ment pro­gres­sif de la popu­la­tion à son égard : celui-ci n’obtient que 5,45% des suf­frages au pre­mier tour (17 jan­vier). La décep­tion des Ukrai­niens n’a pour­tant pas empê­ché une par­ti­ci­pa­tion impor­tante des élec­teurs (près de 70% au second tour). Les res­sources admi­nis­tra­tives qu’elles soient régio­nales ou sec­to­rielles aus­si bien que le clien­té­lisme ont été uti­li­sés par les dif­fé­rents can­di­dats, mais n’ont pas per­ver­ti le scru­tin : les fraudes ont été évi­tées grâce notam­ment à la mise en place d’une liste har­mo­ni­sée d’électeurs. Avec cette cin­quième élec­tion pré­si­den­tielle depuis l’indépendance du pays, la scène poli­tique ukrai­nienne se révèle être par­mi les plus com­pé­ti­tives de l’espace post­so­vié­tique avec une pro­cé­dure élec­to­rale par­mi les plus trans­pa­rentes comme l’atteste notam­ment le rap­port de l’OSCE. Le pre­mier tour qui, sans sur­prise, a vu les deux can­di­dats favo­ris arri­ver en tête du scru­tin, a éga­le­ment été mar­qué par le bon score de Ser­gueï Tigip­ko, ancien gou­ver­neur de la Banque cen­trale et ancien ministre de l’Économie, qui rem­porte la troi­sième place avec 13,06% des voix.

Béné­fi­ciant d’une avance de dix points au pre­mier tour sur sa rivale, Ianou­ko­vitch a mené une cam­pagne cen­trée sur les pré­oc­cu­pa­tions sociales du pays au détri­ment de ses thèmes de cam­pagne pri­vi­lé­giés que sont la défense de la langue russe ou le rap­pro­che­ment avec la Rus­sie. Bien que refu­sant un débat poli­tique avec son adver­saire, il a vive­ment cri­ti­qué sa ges­tion de la crise éco­no­mique et de la grippe H1N1. De fait, la cam­pagne de Timo­chen­ko est ter­nie par un bilan de gou­ver­ne­ment peu glo­rieux dont elle a la charge depuis deux ans, mais dont elle n’assume pas com­plè­te­ment la res­pon­sa­bi­li­té accu­sant Ioucht­chen­ko, Ianou­ko­vitch et leurs alliés d’empêcher la mise en place des réformes. Timo­chen­ko pré­tend, elle seule, défendre les inté­rêts de l’Ukraine à laquelle elle s’identifie per­son­nel­le­ment dans ses affiches de campagne.

Au soir de son élec­tion, Vik­tor Ianou­ko­vitch a pla­cé sa vic­toire sous le signe de l’unité et de la sta­bi­li­té. Pour­tant, la pola­ri­sa­tion régio­nale du scru­tin demeure : le nou­veau pré­sident l’emporte, haut la main, à l’est et au sud de l’Ukraine, avec des pics de popu­la­ri­té dans les régions de Donetsk (90,44%) ou de Lou­gansk (88,96%) alors que Timo­chen­ko fait de très bons scores à l’ouest et au centre, avec 86,2% des voix à Lviv ou 88,89% à Iva­no-Fran­kivsk. Avec un écart d’environ 890.000 suf­frages avec son rival (près de 3,5 points), Timo­chen­ko ne s’est pas rési­gnée faci­le­ment au suc­cès de son adver­saire : elle a appe­lé, pen­dant plu­sieurs jours, à l’invalidation du scru­tin en inten­tant un recours juri­dique pour fraudes avant de se rétracter.

Consolidation et activisme de la nouvelle présidence

Face à la téna­ci­té de son adver­saire, Ianou­ko­vitch a cher­ché à conso­li­der sa pré­si­dence aus­si vite que pos­sible. Quelques jours après son inau­gu­ra­tion (25 février), une motion de cen­sure contraint le gou­ver­ne­ment de Timo­chen­ko à la démis­sion. Le 11 mars, une nou­velle coa­li­tion pro-pré­si­den­tielle est for­mée au Par­le­ment autour de dépu­tés du Par­ti des régions, du Par­ti com­mu­niste, du petit Bloc Lit­vine aux­quels se sont ral­liés des dépu­tés de l’ancienne coa­li­tion orange à titre indi­vi­duel par le biais d’un chan­ge­ment de pro­cé­dure adop­té pour la cause. Le Conseil consti­tu­tion­nel doit se pro­non­cer sur la léga­li­té de ce chan­ge­ment de pro­cé­dure pou­vant, en cas d’invalidation, entrai­ner une nou­velle phase d’instabilité politique.

La nou­velle coa­li­tion appe­lée « Réformes et sta­bi­li­té » a choi­si Miko­la Aza­rov au poste de Pre­mier ministre. Ayant déjà occu­pé les fonc­tions de vice-Pre­mier ministre et de ministre de l’Économie sous des gou­ver­ne­ments Ianou­ko­vitch, Aza­rov est consi­dé­ré comme un tech­no­crate sans ambi­tion poli­tique, mais aus­si comme un repré­sen­tant de la poli­tique pro-russe du nou­veau pré­sident. C’est d’ailleurs lui qui a été envoyé à Mos­cou le 24 mars pour ten­ter d’obtenir une réduc­tion du prix du gaz russe payé par l’Ukraine alors que la Rus­sie sou­haite pro­fi­ter de la nou­velle pré­si­dence pour obte­nir des gages en termes de trans­port gazier vers l’Europe. Pour­tant, la volon­té de réta­blir des rela­tions ami­cales avec la Rus­sie ne semble pas se faire au détri­ment des rela­tions avec l’Union euro­péenne : Ianou­ko­vitch a choi­si Bruxelles pour sa pre­mière visite à l’étranger et a assu­ré que l’intégration euro­péenne demeu­rait une prio­ri­té de poli­tique exté­rieure. La ques­tion d’une éven­tuelle adhé­sion à l’Otan a par contre été écar­tée par le nou­veau pré­sident qui a par­lé de son pays comme d’un « État euro­péen non aligné ».

Cet acti­visme gou­ver­ne­men­tal et pré­si­den­tiel dans les rela­tions exté­rieures doit aus­si res­pec­ter les enjeux de poli­tique éco­no­mique interne. C’est dans ce contexte que le nou­veau Pre­mier ministre a évo­qué la reprise du dia­logue avec le FMI tout comme la moder­ni­sa­tion de l’industrie ukrai­nienne même s’il n’est pas connu pour être un grand réfor­ma­teur. La nou­velle équipe au pou­voir sait qu’elle sera jugée sur sa capa­ci­té à enrayer la crise éco­no­mique et sociale, une pro­messe de cam­pagne à laquelle seront atten­tifs les élec­teurs ukrai­niens dans leurs futurs choix élec­to­raux. Des élec­tions locales se pro­filent pour novembre 2010 et d’éventuelles élec­tions par­le­men­taires anti­ci­pées ne sont pas à exclure.

  1. Gou­jon Alexan­dra, Révo­lu­tions poli­tiques et iden­ti­taires en Ukraine et en Bié­lo­rus­sie, Belin, 2009.

Alexandra Goujon


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