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UE : l’urgence d’un autre modèle pour l’égalité, l’emploi et le climat

Numéro 10 Octobre 2011 par Dock

octobre 2011

Depuis trente-six mois, les diri­geants de l’Union euro­péenne sont en effer­ves­cence. Les réunions de crise se mul­ti­plient : membres de l’Eurogroupe, ministres des Finances, chefs d’État. Après avoir sau­vé les éta­blis­se­ments finan­ciers, il s’agit main­te­nant d’éviter la noyade du pro­jet de mon­naie unique. Et plus sou­vent qu’à leur tour, les diri­geants euro­péens doivent revê­tir leur panoplie […]

Le Mois

Depuis trente-six mois, les diri­geants de l’Union euro­péenne sont en effer­ves­cence. Les réunions de crise se mul­ti­plient : membres de l’Eurogroupe, ministres des Finances, chefs d’État. Après avoir sau­vé les éta­blis­se­ments finan­ciers, il s’agit main­te­nant d’éviter la noyade du pro­jet de mon­naie unique. Et plus sou­vent qu’à leur tour, les diri­geants euro­péens doivent revê­tir leur pano­plie de pom­pier. Il s’agit d’éteindre des incendies.

En même temps, l’orientation des débats est net­te­ment néo­li­bé­rale1. Et il appa­rait que le repère clé soit à nou­veau celui de la crois­sance. Comme l’écrivent Chris­tophe Degryse et David Nata­li2, « le chan­ge­ment de para­digme paraît relé­gué au second plan, loin der­rière cette prio­ri­té : crois­sance, crois­sance, crois­sance. Une crois­sance à tout prix dont les gou­ver­ne­ments, dans le contexte de crise de la dette sou­ve­raine, espèrent qu’elle leur per­met­tra d’assainir rapi­de­ment leurs finances publiques ». Il faut relan­cer l’activité éco­no­mique. C’est encore et tou­jours l’alpha et l’oméga des poli­tiques éco­no­miques. Est-ce la bonne voie ? Il est per­mis d’en dou­ter. Car les défis sont com­plexes. Et ils exigent une approche appro­priée. C’est un autre modèle de déve­lop­pe­ment dont l’Europe et ses régions ont besoin.

Bien sûr, il est essen­tiel de sau­ver l’euro. Mais beau­coup plus fon­da­men­ta­le­ment, c’est notre pla­nète qui est en dan­ger. Et qu’il faut sau­ver. Au moins trois défis majeurs sont à relever.

Sauver notre planète

Le pre­mier défi, c’est la limi­ta­tion du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Les rap­ports du giec estiment que la tem­pé­ra­ture moyenne sur terre devrait aug­men­ter de 1,8 à 4 degrés Cel­sius d’ici 2100. Comme le montre de manière remar­quable le prix Nobel de la paix Al Gore3, les consé­quences et les dégâts cau­sés par le réchauf­fe­ment cli­ma­tique sont déjà visibles aujourd’hui, avec la mul­ti­pli­ca­tion de catas­trophes « natu­relles ». Et ce sont les pays les plus pauvres qui sont et seront les plus affec­tés par cette menace.

Les États ont conve­nu que la hausse des tem­pé­ra­tures mon­diales devait être limi­tée à 2 degrés Cel­sius par rap­port aux niveaux pré­in­dus­triels. Pour ren­con­trer cet objec­tif, d’après le giec, les émis­sions de gaz à effets de serre devraient être réduites de moi­tié d’ici 2050 par rap­port à leur niveau de 1990. Pour les pays indus­tria­li­sés, la baisse de leur émis­sion glo­bale d’ici le milieu du siècle devrait être de 80%. Au-delà des inten­tions, les résul­tats se font attendre. Durant la période 1990 – 2008, les émis­sions de CO2 n’ont pas bais­sé dans les pays indus­tria­li­sés. Et dans les pays en déve­lop­pe­ment, elles ont for­te­ment aug­men­té. Au total, les émis­sions de co2 affichent une hausse de 45% entre 1990 et 20084.

Le deuxième défi a trait à l’épuisement des res­sources natu­relles. Depuis le milieu des années quatre-vingt, la bio­ca­pa­ci­té de la Terre est dépas­sée. La demande pour les res­sources excède la capa­ci­té de la pla­nète à les recons­ti­tuer d’environ 20%5. Le WWF estime que l’humanité consomme aujourd’hui envi­ron l’équivalent d’une pla­nète et demie. Et en 2030, ce devrait être deux pla­nètes. Cette situa­tion a déjà des consé­quences que le consom­ma­teur occi­den­tal peut res­sen­tir et qui sont très concrètes. Pen­sons au plan ali­men­taire à l’évolution des prix du pois­son. Sur le ter­rain éner­gé­tique, l’ère du pétrole et des car­bu­rants bon mar­ché appar­tient défi­ni­ti­ve­ment au pas­sé. Et comme le montre Oli­vier Der­ruine à par­tir du rap­port du pro­gramme des Nations unies pour l’Environnement6, « Si la ques­tion du pic pétro­lier revient régu­liè­re­ment dans les débats publics, il ne s’agit fina­le­ment que de l’arbre qui cache la forêt car c’est bel et bien un large éven­tail de res­sources que nous uti­li­sons quo­ti­dien­ne­ment sans même le savoir qui est en voie de raré­fac­tion ». Un indi­ca­teur inté­res­sant est celui de l’empreinte éco­lo­gique. Selon celui-ci, la situa­tion est très contras­tée d’une région du monde à l’autre. En Amé­rique du Nord, un habi­tant consomme en moyenne l’équivalent de quatre pla­nètes. En Europe occi­den­tale, nous en sommes à deux pla­nètes. La popu­la­tion d’Asie cen­trale et orien­tale est en forte expan­sion. Elle compte envi­ron 3 mil­liards et demi d’êtres humains, soit plus de dix fois l’équivalent de la popu­la­tion nord amé­ri­caine. À l’heure actuelle, l’empreinte éco­lo­gique de cette popu­la­tion asia­tique est infé­rieure à l’équivalent d’une pla­nète. Mais le pou­voir d’achat et de consom­ma­tion aug­mente dans ces régions… On ima­gine la catas­trophe si le repère à venir pour les habi­tants orien­taux était le mode de vie de l’Américain moyen, ou même de l’Européen.

La pres­sion sur les res­sources conduit aus­si à une perte impor­tante de bio­di­ver­si­té. Si aux yeux du grand public, cette évo­lu­tion est moins spec­ta­cu­laire que la fonte des glaces, elle repré­sente à terme une menace impor­tante pour nos condi­tions de vie. Selon les scien­ti­fiques, une espèce sur cin­quante mille s’éteint natu­rel­le­ment chaque siècle. Avec l’activité humaine, ce rythme s’est embal­lé et pour­rait atteindre d’ici le milieu du siècle un rythme de cent à mille fois supé­rieuR7.

Le troi­sième défi qui se pose est celui de l’approvisionnement futur en éner­gie. Il est lié aux deux pre­miers. Les don­nées de base sont connues. Par­mi celles-ci, nom­breux sont les spé­cia­listes qui consi­dèrent que nous avons dépas­sé le pic de la pro­duc­tion du pétrole conven­tion­nel. Et que l’exploitation d’autres types de pétrole (sables bitu­meux, huiles extra-lourdes) n’est en aucune manière une option inté­res­sante pour l’environnement. Avec la catas­trophe de Fuku­shi­ma, l’énergie nucléaire a fait une nou­velle fois l’étalage des risques qu’elle repré­sen­tait pour l’humanité.

Il n’y a pas trente-six options pos­sibles. La consom­ma­tion éner­gé­tique doit pou­voir être consi­dé­ra­ble­ment réduite, cer­tai­ne­ment dans nos pays indus­tria­li­sés. Et il convient de maxi­mi­ser la pro­duc­tion et la consom­ma­tion de sources d’énergies renouvelables.

Le monde syn­di­cal ne reste pas aveugle par rap­port à ces dif­fé­rents défis. Et pas seule­ment au niveau belge. Lors du der­nier congrès de la confé­dé­ra­tion syn­di­cale inter­na­tio­nale à Van­cou­ver en juin 2010, la réso­lu­tion sui­vante a été votée : « Le congrès constate que la dégra­da­tion envi­ron­ne­men­tale et le chan­ge­ment cli­ma­tique ont déjà de graves réper­cus­sions sur les moyens de sub­sis­tance de mil­lions de tra­vailleuses et de tra­vailleurs et sur la sur­vie d’un grand nombre de com­mu­nau­tés8…» En d’autres mots, et pour le dire sim­ple­ment, il ne s’agit pas uni­que­ment de s’inquiéter de la qua­li­té des eaux de bai­gnade et de la sur­vie des gre­nouilles. Le monde du tra­vail est lui aus­si for­te­ment concerné.
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Les mirages du marketing vert

Comme écrit plus haut, la stra­té­gie euro­péenne est à nou­veau plei­ne­ment orien­tée vers la recherche de la crois­sance. Dans l’esprit du grand public, les infor­ma­tions sont régu­liè­re­ment dis­til­lées pour sug­gé­rer que crois­sance rime avec mieux-être. Qu’avoir une crois­sance forte per­met­trait de résoudre tous les pro­blèmes, et de rendre les gens plus heu­reux. Mais est-ce bien ce qui se passe et ce qui est obser­vé ? Cer­tains éco­no­mistes9 ont ces der­niers temps réa­li­sé dif­fé­rents tra­vaux remar­quables où ils mettent en évi­dence une don­née simple, mais pour­tant fon­da­men­tale : plus ne signi­fie pas néces­sai­re­ment mieux. Et que la crois­sance n’est pas une condi­tion néces­saire ou suf­fi­sante pour tendre vers la pros­pé­ri­té. L’étymologie nous apprend que ce der­nier mot vient du latin et est consti­tué de « pro » qui signi­fie « en faveur de », et de « spes » qui désigne l’espoir. On peut donc défi­nir la pros­pé­ri­té comme la confiance por­tée dans l’avenir.

Les tra­vaux de Tim Jack­son sont par­ti­cu­liè­re­ment ins­truc­tifs. Dans son ouvrage Pros­pé­ri­té sans crois­sance, il croise la variable de la richesse pro­duite10 avec d’autres don­nées, telles que l’espérance de vie à la naissance.

L’espérance de vie à la nais­sance est uti­li­sée comme indi­ca­teur per­met­tant d’approcher le bien-être. Les constats que l’on peut éta­blir à par­tir du tableau ci-des­sus sont de divers ordres. Jusqu’à un cer­tain niveau (com­pris entre dix et quinze mille dol­lars), l’augmentation de la richesse s’accompagne d’un accrois­se­ment de l’espérance de vie. Au-delà de ce seuil, ce n’est plus le cas. Et par exemple, une nation comme Malte a une espé­rance de vie plus éle­vée qu’aux États-Unis alors que dans ce der­nier pays, le PIB par habi­tant y est deux fois plus impor­tant. Et nous pour­rions mul­ti­plier les exemples. D’autres indi­ca­teurs per­mettent de mettre en évi­dence des constats simi­laires et donnent à réflé­chir. La crois­sance, parée par la majo­ri­té des déci­deurs de toutes les ver­tus, ne fait pas le bonheur.

Plu­tôt que le pro­duit inté­rieur brut, il est indis­pen­sable de mesu­rer autre­ment le bien-être. En uti­li­sant d’autres indi­ca­teurs. L’idée sous-jacente est d’utiliser la bonne bous­sole, le bon outil de navi­ga­tion pour exer­cer au mieux le pilo­tage des poli­tiques éco­no­miques et sociales. Dans la tête du grand public, et des déci­deurs, il semble essen­tiel d’opérer une muta­tion cultu­relle et de trans­for­mer la concep­tion du pro­grès, en par­ti­cu­lier en remet­tant en ques­tion le culte de la crois­sance éco­no­mique. À nos yeux, la concep­tion du pro­grès doit fon­da­men­ta­le­ment inté­grer dif­fé­rentes dimen­sions : la qua­li­té de vie, les couts engen­drés pour l’environnement et la répar­ti­tion du bien-être.

Pour cer­tains, il n’est pas néces­saire d’abandonner la stra­té­gie de la recherche de la crois­sance. Il suf­fit de la rendre plus verte. C’est la concep­tion domi­nante qui pré­vaut notam­ment dans les cénacles euro­péens. Les entre­prises et les concep­teurs de cam­pagnes de mar­ke­ting s’engouffrent plei­ne­ment dans cette voie. Aujourd’hui, entre les pro­duc­teurs de voi­tures ou les socié­tés pétro­lières, c’est à celui qui sera le plus vert. Le plus sou­vent, il s’agit pure­ment d’un embal­lage, d’un dis­cours. Mais plus fon­da­men­ta­le­ment, la cri­tique est la sui­vante. Quel est le sens d’avoir le même modèle qu’avant : celui du tou­jours plus, avec des inéga­li­tés qui s’accroissent, même s’il est un peu plus vert ? D’autant que le décou­plage entre PIB et consom­ma­tion des res­sources n’est pas véri­fié, ain­si que le montre de manière convain­cante Tim Jackson.

Le gra­phique ci-des­sous montre très bien que la consom­ma­tion de dif­fé­rentes res­sources (pétrole, gaz natu­rel…) est en crois­sance constante à mesure que le PIB mon­dial aug­mente. Bien sûr, il y a un décou­plage rela­tif, mais il n’est pas abso­lu. En d’autres mots, pour pro­duire une uni­té de richesse sup­plé­men­taire, il faut moins de pétrole en 2005 qu’en 1980. Il y a donc décou­plage rela­tif. Mais par contre, les pro­grès tech­niques ne sont pas suf­fi­sants pour que l’augmentation de la richesse pro­duite s’accompagne d’une dimi­nu­tion de la consom­ma­tion des res­sources. Le décou­plage n’est donc pas abso­lu. C’est vrai éga­le­ment pour les émis­sions de gaz car­bo­nique. Elles aug­mentent certes moins vite que le PIB mon­dial, mais il n’en reste pas moins qu’elles conti­nuent à gon­fler, alors que les études scien­ti­fiques sont una­nimes pour affir­mer qu’elles devraient dras­ti­que­ment bais­ser pour évi­ter une catas­trophe climatique.

Ca ne veut pas dire qu’à l’avenir, des pro­grès tech­niques signi­fi­ca­tifs ne per­met­tront pas de stop­per la ten­dance d’une consom­ma­tion tou­jours plus impor­tante des res­sources. Mais il est per­mis d’en dou­ter. En tout cas, jusqu’à aujourd’hui, l’humanité n’a pas réus­si à fran­chir ce pas. Mener des poli­tiques pour enre­gis­trer de la crois­sance, même verte, ne semble pas être une solution.

Par contre, ver­dir l’économie a un véri­table inté­rêt. Et pré­sente des oppor­tu­ni­tés essen­tielles en terme d’emplois qui ont du sens.

Miser sur les emplois verts

Long­temps a pré­va­lu l’idée dans l’esprit de la majeure par­tie des indi­vi­dus que la pro­mo­tion de l’environnement était anta­go­niste avec la créa­tion d’emplois. Des études récentes montrent qu’il n’en est rien. Et qu’au contraire, la conver­sion éco­lo­gique de l’économie via la tran­si­tion vers une socié­té bas car­bone per­met­trait de sti­mu­ler la créa­tion d’emplois. C’est la thèse mise en avant notam­ment dans une recherche menée à l’initiative de la confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats11. L’étude de la CES cherche à mesu­rer quel serait l’impact sur l’emploi si des poli­tiques étaient mises en place pour réduire de 30 à 50% les émis­sions de CO2 à l’horizon 2030. Les prin­ci­paux résul­tats de cette recherche sont les sui­vants. Tout d’abord, la mise en place de poli­tiques cli­ma­tiques devrait conduire à un solde posi­tif en termes d’emplois. La hausse du nombre de postes de tra­vail devrait être de l’ordre de 1,5%. Et seconde conclu­sion majeure de l’étude, la redis­tri­bu­tion des emplois qui devrait s’opérer sera davan­tage intra­sec­to­rielle plu­tôt qu’intersectorielle. En d’autres mots, avec la mise en place de poli­tiques cli­ma­tiques, des sec­teurs ne sont pas condam­nés à dis­pa­raitre. Mais au sein même des branches, des métiers devraient sen­si­ble­ment se transformer.

La démons­tra­tion repose sur un argu­ment puis­sant. L’intensité en emplois dans les sec­teurs verts est beau­coup plus forte que dans les acti­vi­tés tra­di­tion­nelles. Les exemples sont nom­breux et par­ti­cu­liè­re­ment révé­la­teurs. Pour n’en citer que deux, l’isolation des bâti­ments est une acti­vi­té beau­coup plus riche en emplois que l’importation de pétrole. On estime ain­si qu’un mil­lion de chiffre d’affaires génère seize emplois dans l’isolation des bâti­ments, et seule­ment trois emplois dans le raf­fi­nage du pétrole. De même, le sou­tien aux trans­ports en com­mun per­met bien davan­tage la créa­tion de postes de tra­vail en com­pa­rai­son avec la fabri­ca­tion de voi­tures particulières.

Le sou­tien aux emplois verts et à l’économie verte est un enjeu majeur pour l’Union euro­péenne. Il s’agit de ne pas rater le train de la tran­si­tion vers l’économie bas car­bone. Car d’autres régions du globe ne sont pas en reste. La Chine par exemple a une poli­tique indus­trielle ambi­tieuse qui lui a par exemple per­mis de détrô­ner l’Allemagne comme pre­mier pro­duc­teur mon­dial de pan­neaux solaires en 2010. Outre la néces­si­té de res­pec­ter davan­tage l’environnement, les inno­va­tions vertes sont indis­pen­sables pour assu­rer un ave­nir aux acti­vi­tés indus­trielles en Europe. C’est très clai­re­ment la dyna­mique que le plan Mar­shall 2.vert cherche à insuf­fler en Wallonie.

Syn­di­ca­le­ment, les enjeux sont énormes. Outre l’exploitation maxi­male du poten­tiel des défis éco­lo­giques pour créer des emplois verts, il s’agit aus­si d’agir pour que ces nou­veaux postes de tra­vail soient de qua­li­té. Ce qui n’est pas tou­jours le cas. Pen­sons notam­ment aux acti­vi­tés dans le tri et le recy­clage des déchets. Il s’agit éga­le­ment de faire en sorte que les nou­veaux postes de tra­vail per­mettent d’offrir des alter­na­tives aux tra­vailleurs occu­pés aujourd’hui dans des acti­vi­tés tra­di­tion­nelles et qui sont mena­cées par la tran­si­tion vers une socié­té bas car­bone. Syn­di­ca­le­ment, l’idée qui est mise en avant est celle d’une tran­si­tion qui doit être juste. Plus pré­ci­sé­ment, les tra­vailleurs ne peuvent être vic­times et exclus de l’évolution vers des acti­vi­tés vertes. Le rôle syn­di­cal est mul­tiple et la concer­ta­tion sociale doit per­mettre de ren­con­trer dif­fé­rents enjeux : accom­pa­gner les tra­vailleurs en veillant à ce que les pré­ju­dices pour cha­cun d’entre eux soient limi­tés au maxi­mum. Encou­ra­ger le recy­clage et pro­mou­voir la for­ma­tion per­met­tant aux per­sonnes l’occupation de nou­veaux postes de travail.

Stop à la surconsommation

Lors du der­nier congrès de la csc en octobre 2010, une réso­lu­tion forte a été votée à l’unanimité. Ce sont les jeunes qui ont été à l’initiative du texte adop­té, et c’est plus qu’un sym­bole. Cette réso­lu­tion affirme que « Notre modèle éco­no­mique mène à des impasses sociales et envi­ron­ne­men­tales. Nous devons repen­ser fon­da­men­ta­le­ment ce modèle basé sur la sur­con­som­ma­tion de biens maté­riels et le faire évo­luer vers un modèle qui remet l’humain et l’intérêt géné­ral au cœur du sys­tème, dans le res­pect du cli­mat et de l’environnement ».

C’est une remise en ques­tion fon­da­men­tale du maté­ria­lisme. Au-delà de l’adoption d’une telle réso­lu­tion, la ques­tion est main­te­nant de savoir com­ment concré­ti­ser une pareille orien­ta­tion. Le pos­tu­lat de base est lar­ge­ment par­ta­gé. Avec une ampli­tude dif­fé­rente selon les acteurs, ils sont nom­breux à consi­dé­rer aujourd’hui que vu les défis envi­ron­ne­men­taux, la conver­sion éco­lo­gique de nos éco­no­mies est deve­nue indis­pen­sable. Au-delà, les orien­ta­tions divergent. Selon l’approche capi­ta­liste, sou­te­nue par la plu­part des diri­geants euro­péens, il faut une crois­sance qui soit verte. Comme nous l’avons mon­tré plus haut, il s’agit de gar­der le modèle tra­di­tion­nel, en lui ajou­tant sim­ple­ment une petite touche de couleur.

Avec d’autres, nous plai­dons pour une autre approche. Où la conver­sion éco­lo­gique doit per­mettre de mettre l’accent sur la qua­li­té de vie plu­tôt que sur la quan­ti­té de biens pro­duits et consom­més. En effet, et pour ne don­ner qu’une illus­tra­tion, même si les pro­grès tech­no­lo­giques per­met­tront aux voi­tures pri­vées d’être moins pol­luantes demain, quel sens y a‑t-il d’en pro­duire tou­jours plus si c’est pour voir chaque année les files s’allonger sur les routes ?

Selon nous, une des fon­da­tions d’une alter­na­tive est la sti­mu­la­tion d’emplois dans des ser­vices à forte uti­li­té sociale. Et les exemples concrets sont nom­breux. Pen­sons aux sec­teurs de la san­té, de l’enfance, de l’éducation, de la mobi­li­té durable. Bien enten­du, cette orien­ta­tion néces­site que des finan­ce­ments puissent être trou­vés et que des pro­grès soient réa­li­sés vers une fis­ca­li­té plus juste.

Nous pen­sons éga­le­ment que le che­min vers l’économie verte implique de rou­vrir le débat sur la réduc­tion du temps de tra­vail tout au long de la vie. Et de consi­dé­rer avec Gorz par exemple que puisque ça n’a pas de sens de pro­duire tou­jours plus, alors soyons plus nom­breux à tra­vailler, et tra­vaillons moins. Et ayons plus de temps pour pro­fi­ter de la vie et par­ti­ci­per à des acti­vi­tés sociales, cultu­relles, syn­di­cales ou politiques.

L’égalité comme repère et condition

L’avancée vers cette alter­na­tive ne sera pos­sible qu’à une condi­tion fon­da­men­tale. Elle néces­site de poser de manière forte la ques­tion de l’égalité. Les socio­logues montrent bien quels sont quelques-uns des prin­ci­paux res­sorts de la consom­ma­tion. Sou­vent, un indi­vi­du veut consom­mer pour se rap­pro­cher du stan­dard qu’il per­çoit chez celui qui a un peu ou beau­coup plus que lui. « Mon voi­sin a fait ins­tal­ler une pis­cine dans son jar­din, ou part trois fois en vacances sur l’année. Et bien, moi aus­si, je vou­drais faire de même. » Dans une socié­té où les inéga­li­tés ne cessent d’augmenter, c’est un cercle infer­nal qui a des consé­quences dévas­ta­trices pour la planète.

Une socié­té sobre en car­bone implique une réduc­tion des inéga­li­tés. Dit autre­ment, l’économie de demain ne sera verte que si elle est aus­si sociale.

  1. Voir notam­ment Cécile Bar­bier, « Gou­ver­nance éco­no­mique euro­péenne, pour­quoi tant de hâte à adop­ter le paquet légis­la­tif », dans Démo­cra­tie, n° 13 – 14, 1er juillet 2011.
  2. « Une sor­tie de crise plus sociale et plus durable pour l’Union euro­péenne », dans Bilan social de l’Union euro­péenne 2010, p. 11, OSE-ETUI, 2011.
  3. Une véri­té qui dérange, Para­mount, 2006.
  4. Béla Gal­goc­zi, « Le chan­ge­ment cli­ma­tique et le déve­lop­pe­ment durable après la crise », dans Bilan social de l’Union euro­péenne 2010, p. 78, OSE-ETUI, 2011.
  5. Secré­ta­riat de la conven­tion sur la diver­si­té bio­lo­gique (2006), « Pers­pec­tives mon­diales de la diver­si­té bio­lo­gique », Montréal.
  6. Oli­vier Der­ruine, « Lorsque les Nations unies plaident pour le décou­plage…», dans La Revue nou­velle, juillet-aout 2011.
  7. Manuel Domergue, « Bio­di­ver­si­té : la faune et la flore en chute libre », dans Alter­na­tives éco­no­miques, hors-série n° 86, p. 84, « Les chiffres de l’économie », www.alternatives-économiques.fr/chiffres2011.
  8. CSI, congrès de Van­cou­ver, juin 2010, réso­lu­tion cli­mat et tran­si­tion juste, point 6.
  9. Voir notam­ment Tim Jack­son, Pros­pé­ri­té sans crois­sance, De Boeck, 2010 ; Jean Gadrey, « Adieu à la crois­sance », Alter­na­tives éco­no­miques, 2010 ; Isa­belle Cas­siers et alii, Redé­fi­nir la pros­pé­ri­té-jalons pour un débat public, édi­tions de l’Aube, avril 2011.
  10. Mesu­rée à par­tir du pro­duit inté­rieur brut par tête, en pari­té de pou­voir d’achat.
  11. Confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats, « Étude sur le chan­ge­ment cli­ma­tique et emploi », 2007, acces­sible sur le site www.etuc.org.