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TTIP, Game Over : désobéir pour (enfin) gagner

Numéro 6 - 2016 par TTIP Game Over

octobre 2016

Beau­coup d’analystes disent que la socié­té civile va gagner contre le TTIP, mais encore fau­dra-t-il bien gagner. Si c’est l’argument de la récu­pé­ra­tion du cham­pagne par les Cali­for­niens ou du pou­let au chlore dans nos assiettes qui est déter­mi­nant, alors nous pas­se­rions à côté du pro­blème, qui est en réa­li­té bien plus large. En effet, le TTIP n’est que la pointe de l’iceberg d’un sys­tème capi­ta­liste néo­li­bé­ral et donc incom­pa­tible avec l’idée de jus­tice sociale, de jus­tice envi­ron­ne­men­tale, la fin du patriar­cat et de toute forme d’exploitation. Notre volon­té est de mon­trer que le TTIP, le Ceta, le Tisa et les autres accords com­mer­ciaux s’inscrivent dans une dyna­mique his­to­rique d’abaissement des bar­rières à la cir­cu­la­tion des mar­chan­dises, des ser­vices, des capi­taux et de poli­tiques néo­li­bé­rales qui favo­risent les plus riches. Si nous par­ve­nons à chas­ser le TTIP par la porte, veillons à ce qu’il ne revienne pas par la fenêtre[efn_note]Ce qui semble déjà être le cas puisque l’UE est en train de négo­cier des trai­tés com­mer­ciaux bila­té­raux avec plu­sieurs pays d’Asie.[/efn_note].

Le Mois

TTIP Game Over porte un mes­sage contre le libre-échange, en l’inscrivant dans le long terme et dans une approche sys­té­mique. Cette volon­té s’ajoute à la néces­si­té de poin­ter les désastres que pour­raient pro­duire à très court terme le TTIP et le Ceta : abais­se­ment des normes sociales, envi­ron­ne­men­tales et sani­taires ; créa­tion de tri­bu­naux d’arbitrage d’investissement (ICS) devant les­quels les entre­prises pour­raient obte­nir une com­pen­sa­tion finan­cière si des régu­la­tions éta­tiques les empêchent de réa­li­ser le retour sur inves­tis­se­ment espé­ré ; et ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion de la place des lob­bys dans la pro­duc­tion de normes via la créa­tion d’un méca­nisme de coopé­ra­tion règlementaire.

TTIP et Ceta
Le TTIP (Par­te­na­riat trans­at­lan­tique pour le com­merce et l’investissement) et le Ceta (Accord éco­no­mique et com­mer­cial glo­bal) sont des accords de libre-échange, négo­ciés entre l’Union euro­péenne et, res­pec­ti­ve­ment, les États-Unis et le Cana­da. Ces accords ont pour but d’ouvrir les mar­chés de mar­chan­dises aux entre­prises en rédui­sant les bar­rières règle­men­taires entre les pays concer­nés. Le Tisa (Accord sur le com­merce des ser­vices) est, quant à lui, un accord entre vingt-trois membres de l’Organisation mon­diale du com­merce (OMC) dont l’Union euro­péenne, visant à libé­ra­li­ser le com­merce des ser­vices en ouvrant les mar­chés de services.

Pourquoi la désobéissance civile ?

Dans le cadre des TTIP Game Over, mais éga­le­ment dans le com­bat per­ma­nent contre les inéga­li­tés et pour l’émancipation sociale et la démo­cra­tie, nous consi­dé­rons que la déso­béis­sance civile est un moyen d’action légi­time, néces­saire et pertinent.

Il faut com­men­cer par rap­pe­ler que le cadre juri­dique d’une socié­té n’est pas immuable, étant don­né qu’il est le pro­duit d’un rap­port de forces exis­tant à un moment don­né de l’histoire. Dès lors, les règles qui régissent une socié­té tendent à repro­duire ce rap­port de forces. Afin de sor­tir d’une obéis­sance aveugle à des lois contin­gentes, nous devons réaf­fir­mer l’autonomie d’action de chaque citoyen par rap­port aux lois qui lui sont impo­sées, et le droit de déso­béir lorsqu’une loi est injuste ou met en dan­ger la démo­cra­tie (Cer­ve­ra Mar­zal, 2016 ; Tho­reau, 1997). La déso­béis­sance civile est donc légi­time et peut alors être uti­li­sée dans le but de « com­bler la brèche qui sépare la loi de la jus­tice, dans un pro­ces­sus infi­ni de déve­lop­pe­ment de la démo­cra­tie » (Zinn, 1968 p. 119). Ce mode d’action est par­ti­cu­liè­re­ment légi­time dans le cadre du com­bat contre le TTIP, car ce trai­té est négo­cié à l’écart de l’espace public et qu’il attaque direc­te­ment les prin­cipes démo­cra­tiques en pla­çant les droits des mul­ti­na­tio­nales au-des­sus des droits sociaux et environnementaux.

Par ailleurs, dès le départ dans la lutte contre le TTIP, les moyens d’action légaux de la socié­té civile (péti­tion ras­sem­blant plus de trois mil­lions de signa­tures à tra­vers l’Union euro­péenne, mani­fes­ta­tions, pro­cé­dures ins­ti­tu­tion­nelles via les pou­voirs com­mu­naux…) n’ont pas été enten­dus. De façon pré­vi­sible, ils se sont révé­lés insuf­fi­sants pour mettre fin aux négo­cia­tions du trai­té. La déso­béis­sance civile est donc néces­saire, en rai­son du conte­nu du TTIP, et de la forme que prend le débat autour de sa négo­cia­tion. En effet, si l’opposition à cet accord de libre-échange est si forte, c’est aus­si parce qu’il consti­tue un symp­tôme de notre sys­tème poli­tique oli­gar­chique, au sens où une classe éco­no­mique et poli­tique décide pour la majo­ri­té, selon ses logiques et ses inté­rêts propres (Kempf, 2011).

De façon géné­rale, les inéga­li­tés sociales et la confis­ca­tion du pou­voir des citoyens sont à la source d’une vio­lence sociale trop sou­vent mas­quée dans nos socié­tés. Ces trai­tés de libre-échange, en met­tant en dan­ger les droits poli­tiques, éco­no­miques et sociaux des citoyens, se situent dans la conti­nui­té de logiques éco­no­miques sources de cette vio­lence sociale. Face à la machine ins­ti­tu­tion­nelle et éco­no­mique de grande ampleur mise en place pour légi­ti­mer et faire abou­tir le TTIP, la déso­béis­sance civile oblige l’opinion publique à se ques­tion­ner et à prendre posi­tion sur la légi­ti­mi­té de ces trai­tés. Elle peut alors émer­ger comme un nou­vel acteur et faire pas­ser un conflit bidi­men­sion­nel empreint d’un rap­port de forces net­te­ment inégal en faveur de ceux qui sou­tiennent et négo­cient ces trai­tés, à un conflit tri­an­gu­la­ri­sé (Mul­ler, 2011). De plus, l’action directe per­met de mettre une pres­sion effec­tive sur les déten­teurs du pou­voir et leurs res­sources. Le recours à ces modes d’action est donc per­ti­nent car en pro­vo­quant un débat public et en déran­geant l’ordre éta­bli, il change ce rap­port de forces.

L’action directe et la déso­béis­sance civile se sont d’ailleurs sou­vent révé­lées déci­sives dans l’histoire des acquis de nos droits sociaux et poli­tiques ain­si que des mobi­li­sa­tions col­lec­tives, à côté d’autres modes d’action plus ins­ti­tu­tion­na­li­sés. Elles ont notam­ment joué un rôle cru­cial au cours de la lutte pour l’obtention du droit de vote des femmes, de celle pour les droits civiques des Noirs amé­ri­cains aux États-Unis, ou encore de la mise en échec des négo­cia­tions de l’OMC à Seat­tle en 1999. Ici encore, nous croyons qu’elles ont un rôle com­plé­men­taire aux orga­ni­sa­tions de la socié­té civile qui se battent contre ces traités.

Quels sont les objectifs de TTIP Game Over ?

Faut-il être naïf pour pen­ser que quelques groupes d’actions, agis­sant de manière décen­tra­li­sée sans aucun moyen finan­cier et sur la seule base d’engagement volon­taire, puissent réus­sir à stop­per les négo­cia­tions et mettre un holà à l’idéologie libre-échan­giste, pilier du sys­tème-monde capi­ta­liste néo­li­bé­ral ? Les reven­di­ca­tions de TTIP Game Over se résument par « Pas de négo­cia­tions. Pas d’accord de libre-échange. Pas­sons à l’action ». En réa­li­té, les actions per­mettent de se ras­sem­bler autour de débats qui divisent, pour les appro­fon­dir et trou­ver des réponses communes.

Une carac­té­ris­tique des grands ras­sem­ble­ments alter­mon­dia­listes (Camps action cli­mat, les camps No Bor­der, les contre-som­mets de type Blo­cku­py…) est d’être mar­qués par une volon­té forte de res­pec­ter l’autonomie d’action et de vision des groupes qui y prennent part. Se situant en com­plé­men­ta­ri­té du tra­vail des orga­ni­sa­tions, la rédac­tion de longs textes sur les objec­tifs qu’ils pour­suivent n’est donc pas la règle et TTIP Game Over n’y déroge pas. Cela rejoint une autre spé­ci­fi­ci­té du mou­ve­ment alter­mon­dia­liste qui est d’agir direc­te­ment et de tirer des réflexions en cours de route plu­tôt que de théo­ri­ser long­temps avant de pas­ser à l’action. Cette simul­ta­néi­té de l’«agir » et du « pen­ser » (Fou­cault, 1972), le « pre­gun­tan­do cami­na­mos » des zapa­tistes, a ses forces et ses fai­blesses, mais per­met d’enrichir mutuel­le­ment la pen­sée et la pra­tique, sans pré­tendre avoir des réponses toutes faites.

Une inten­tion non annon­cée des ini­tia­teurs des TTIP Game Over était en effet de ras­sem­bler, de poli­ti­ser les gens et de leur faire prendre conscience de leur capa­ci­té à agir sur leur monde. D’autres pla­te­formes existent déjà, mais notre ini­tia­tive se veut com­plé­men­taire : nous nous voyons comme un pion sur l’échiquier d’un mou­ve­ment social qui nous dépasse. Aus­si, nos objec­tifs sont mul­tiples, et le pre­mier est de concou­rir à la mobi­li­sa­tion des citoyens. Il n’y a pas une seule bonne manière d’agir contre le TTIP, mais il importe que cha­cun trouve une manière épa­nouis­sante de se mobi­li­ser. En offrant la pos­si­bi­li­té d’agir sous des formes d’interventions ludiques, poé­tiques, créa­tives et sub­ver­sives, TTIP Game Over a le mérite d’avoir accueilli de nom­breuses per­sonnes qui n’étaient pas encore pas­sées à l’action directe. Beau­coup de jeunes se retrouvent à nos côtés, cer­tains ne sont même pas pas­sés par la case « mani­fes­ta­tion » avant de déso­béir. La pos­si­bi­li­té offerte de s’engager dans un pro­jet où la forme d’organisation tend à l’horizontalité, où les contraintes liées à l’engagement sont plus souples qu’ailleurs, où il est pos­sible d’agir en son nom propre et pas celui d’une struc­ture et où il est per­mis d’innover et expé­ri­men­ter de nou­velles formes d’interventions dans l’espace public explique en grande par­tie que des citoyens se mettent en mou­ve­ment. Per­mettre à des indi­vi­dus de pas­ser à l’action directe et à la déso­béis­sance civile, et si ce n’était que cela TTIP Game Over ? Ce serait déjà pas mal.

Le second objec­tif est de vou­loir se frot­ter au plus près de nos adver­saires au tra­vers d’actions directes, d’où le « Pas­sons à l’action » qui conclut notre slo­gan. De nom­breuses per­sonnes impli­quées dans le mou­ve­ment anti-TTIP com­men­çaient à nour­rir des frus­tra­tions à force de réunions, de mani­fes­ta­tions, d’interpellations poli­tiques dont les résul­tats ne les satis­fai­saient pas. Sans être sûrs de pou­voir faire mieux, il s’agit avant tout de lais­ser libre cours à notre indi­gna­tion, d’exprimer une colère juste, de déran­ger, de créer du désordre, d’être un grain de sable de plus dans la chaus­sure des oli­garques. Et si ce n’était que cela TTIP Game Over ? Ce serait déjà pas mal.

Troi­siè­me­ment, TTIP Game Over a le mérite de sen­si­bi­li­ser une frange de la popu­la­tion qui pour­rait res­ter insen­sible aux enjeux sou­le­vés par le TTIP parce que les formes uti­li­sées se dis­tinguent des cam­pagnes clas­siques de sen­si­bi­li­sa­tion. En pro­po­sant une pla­te­forme sur laquelle on peut retrou­ver les vidéos et rap­ports d’actions, TTIP Game Over s’adresse éga­le­ment à des per­sonnes qui ne prennent pas part aux actions, espé­rant qu’un jour peut-être elles se join­dront à des actions ou à des mani­fes­ta­tions. Ain­si, cer­tains n’auraient jamais enten­du par­ler du TTIP si un groupe d’activistes dégui­sés en ani­maux (l’Ensemble zoo­lo­gique de libé­ra­tion de la nature) n’avaient pas créé le buzz avec leurs actions un peu étranges. Les actions menées lors des TTIP Game Over visaient sou­vent à per­tur­ber les négo­cia­tions, mais tout le tra­vail de com­mu­ni­ca­tion qui s’y greffe cherche éga­le­ment à faire de chaque spec­ta­teur, un futur allié actif lors des pro­chains ren­dez-vous. Et si ce n’était que cela TTIP Game Over ? Ce serait déjà pas mal.

Enfin, TTIP Game Over a été pen­sé aus­si à par­tir du constat d’un manque d’articulation entre la sphère des acti­vistes auto­nomes et la sphère asso­cia­tive. En effet, beau­coup d’activistes à l’origine de TTIP Game Over ont par­ti­ci­pé aux actions directes lors de la COP 21 qui pre­nait place à Paris en décembre 2015. Deux semaines d’actions décen­tra­li­sées, les Cli­mate Games, s’étaient conclues par une action de masse cen­tra­li­sée, le D12. L’évaluation de cette mobi­li­sa­tion avait débou­ché sur cette obser­va­tion. Quant à la mobi­li­sa­tion contre les trai­tés de libre-échange, elle était por­tée depuis 2013 par l’Alliance D19-20 qui regroupe agri­cul­teurs, syn­di­ca­listes, ONG et orga­ni­sa­tions de jeu­nesse et qui a orga­ni­sé de nom­breuses actions de masse avec un carac­tère déso­béis­sant assu­mé. Pour chan­ger la donne, une meilleure arti­cu­la­tion entre les formes d’actions (plai­doyer poli­tique, sen­si­bi­li­sa­tion, action directe, mise en place d’alternatives) est par­fois plus por­teuse que de cher­cher sans arrêt à aug­men­ter notre nombre.

Dès lors, TTIP Game Over a lan­cé un appel à des actions décen­tra­li­sées et a cher­ché à avoir le sou­tien de plu­sieurs orga­ni­sa­tions, qui a pris la forme d’une décla­ra­tion écrite et signée par ces der­nières et montre bien la com­plé­men­ta­ri­té d’initiatives et d’acteurs dif­fé­rents qui luttent ensemble pour une même cause. Afin de sou­li­gner encore cette com­plé­men­ta­ri­té, TTIP Game Over a fait le choix de relayer les ana­lyses des asso­cia­tions par­te­naires. Par ailleurs, une fai­blesse de la sphère acti­viste est de ne pas tou­jours réus­sir à trans­for­mer ses essais. Si nos actions lors de la COP21 ont tou­ché beau­coup de monde, nous avons eu comme retour que nos moti­va­tions poli­tiques n’étaient pas tou­jours lisibles. C’est pour cela qu’au tra­vers de son site inter­net, TTIP Game Over a déci­dé de mettre en valeur les cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion et de plai­doyer por­tées par la sphère asso­cia­tive. Et si ce n’était que cela TTIP Game Over, mettre en place des actions au ser­vice de cam­pagnes d’ONG ? Ah non, ce n’est vrai­ment pas ça ! Mais le fait d’avoir accor­dé du temps et de l’importance au tra­vail en vue de faire murir un mou­ve­ment social qui nous dépasse, c’est déjà pas mal.

TTIP Game Over


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