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TTIP, arme de destruction massive du climat
Le traité de libre-échange atlantique (TTIP), en négociation entre les États-Unis et l’Union européenne, prévoit la création d’une zone de libre-échange transatlantique. Son chapitre consacré au développement durable vient d’être récemment discuté. Déclaration d’intentions, il n’impose aucune obligation aux entreprises qui en sont les principales bénéficiaires. Si tels accords augmentent généralement les émissions de carbone, le TTIP met en péril la transition énergétique enclenchée en Europe en 2008, grâce notamment à son principe de « neutralité technologique » qui, par exemple, ne distingue pas le solaire du nucléaire. Il risque en outre de servir de modèle à d’autres accords, notamment avec la Chine et l’Inde.

En novembre dernier, la Commission européenne rendait public un nouveau document en lien avec les négociations sur le projet de traité transatlantique. Il s’agissait d’une proposition de chapitre sur le développement durable soumise au partenaire américain lors du onzième tour de négociations qui se tenait à Miami du 19 au 23 octobre. Ainsi, quelques semaines après sa proposition modifiée de règlement des différends lorsqu’il y a un litige entre une entreprise et un État (ISDS), ce chapitre constitue une nouvelle tentative de la Commission de répondre aux critiques de ceux qui sont le plus hostiles au TTIP.
Ce chapitre ne comprend pas moins de dix-sept pages et vint-et-un articles. Il contient des choses intéressantes comme le fait que les parties au Traité doivent progressivement ratifier et mettre en œuvre les accords multilatéraux sur l’environnement et les normes fondamentales de l’Organisation internationale du travail dont seulement deux (sur huit) ont été ratifiées par les États-Unis. Mais, ces dispositions destinées à regagner la confiance de l’opinion publique européenne risquent bien d’être inacceptables pour les États-Unis, toujours rétifs aux « machins onusiens » et à leurs dérivés multilatéraux.
Ce chapitre a la valeur d’une déclaration d’intentions, d’autant qu’il ne s’adresse qu’aux parties, c’est-à-dire les États-Unis, l’Union européenne et ses États membres. Il ne crée donc aucun droit ou aucune obligation nouvelle dans le chef des entreprises qui sont les premières bénéficiaires du traité. Celles-ci ne sont mentionnées qu’à deux endroits. Tout d’abord, lorsqu’il est question de « responsabilité sociale des entreprises » qui, ainsi qu’il l’est bien rappelé, ne peut être que volontaire. Ensuite, lorsque les parties s’engagent à les consulter (ainsi que les ONG) à toutes les étapes du processus de décision de mesures ayant pour finalité de protéger l’environnement et les conditions de travail et toutes les autres qui pourraient avoir des répercussions en la matière.
Ces pages ne prévoient rien1 quant à la hiérarchie des normes, ce qui tend à signifier que, par exemple, en cas de litige portant sur un sujet lié au développement durable, la clause ISDS (même dans la proposition de formule remaniée récemment) utilisée par une entreprise l’emportera sur les dispositions de ce chapitre. Les entreprises qui ont fait des combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz) leur business ou qui estiment que les politiques sociales ou climatiques des gouvernements « vont trop loin » pourront contester celles-ci… Comme elles le font déjà depuis un certain nombre d’années. Le professeur de droit international, Gus Van Harten, a passé en revue 196 procédures. Quelque 34 cas renvoyaient à des litiges sur les ressources naturelles et 40 autres à des contestations de décisions gouvernementales visant à protéger la santé publique et l’environnement.
En 2012, le Bureau fédéral du Plan estimait le cout des « charges administratives » subies par les entreprises et induites par les règlementations fiscales, environnementales et de l’emploi à 1,4% du PIB belge, soit un peu plus de 5 milliards d’euros. 8% de ce total incomberait aux dispositions environnementales (400 millions). Cela fait un cout moyen par employé de 200 à 500 euros selon la Région du pays. À l’échelle de l’UE, ces couts seraient de l’ordre de 12 milliards d’euros. Ces chiffres donnent une idée du potentiel d’économies que des entreprises pourraient être tentées de réaliser en attaquant ce type de normes.
De plus, même sans attendre une offensive du secteur privé, le texte n’interdit pas les parties contractantes d’«affaiblir ou [de] réduire les niveaux de protections contenues dans leurs lois environnementales ou du travail de manière à encourager le commerce ou les investissements ». Il se contente d’affirmer que ce type de comportement serait « inapproprié »
Au-delà de cette rapide analyse du chapitre, le TTIP constitue-t-il une entrave sérieuse et concrète aux objectifs climatiques et aux ambitions environnementales des deux puissances économiques ? Ou cette crainte n’est-elle qu’un fantasme gonflé par les opposants au traité afin de diversifier leurs arguments ?
La limite des chiffres
Les études de l’Organisation mondiale du commerce et des Nations unies portant sur le commerce et l’environnement ont montré que, en règle générale, de tels accords tendent à augmenter les émissions de carbone. La profusion d’accord au cours des vingt dernières années a miné la réalisation des objectifs du protocole de Kyoto : en délocalisant les activités les plus polluantes, les pays liés par le protocole ont pu présenter un beau bulletin puisque les émissions de gaz à effet de serre sont calculées en fonction de ce qui est produit sur le territoire national. Cette méthodologie ne tient donc pas compte des importations, une part étant liée à des biens produits avec des techniques polluantes jadis à l’intérieur des frontières, mais qui proviennent désormais d’autres pays. L’approche par la « consommation » permet de les réintégrer dans l’équation.
Cela ne rend que plus préoccupantes encore, les projections à long terme de l’OCDE selon lesquelles le principal moteur de croissance économique serait la conclusion de tels accords afin de surfer sur le dynamisme de marchés étrangers qui contraste avec l’atonie des nôtres en raison de la maturité des produits et la satiété des consommateurs.
Le TTIP ne fera pas exception à cette règle.
L’étude d’Ecorys, une des sources utilisées par les partisans du TTIP pour justifier son bienfondé, projette que le traité augmentera les émissions de gaz à effet de serre de 11 millions de tonnes cubiques sur une période de vingt ans (à titre de comparaison, la Belgique en émet chaque année 10 fois plus), soit un surplus de 0,07% par rapport à un scénario « business as usual ». Les professeurs Porterfield et Gallagher, qui ont décortiqué ce résultat, estiment le cout de ces émissions additionnelles à environ 1,3 milliard d’euros par an. Mais, plus encore, ils affirment que l’étude d’Ecorys donne un aperçu seulement partiel dans la mesure où elle ne s’attache uniquement qu’aux effets directs et quantifiables induits par une croissance des exportations, importations et investissements. Elle ignore les effets environnementaux du démantèlement des « barrières non tarifaires » comme certaines subventions nationales aux renouvelables qui sont dans la ligne de mire du TTIP.
Or, c’est justement ce type de subventions nationales qui permet de lancer un secteur et de réorienter une politique, en l’occurrence une politique énergétique. Dans son dernier livre Tout peut changer, Naomi Klein rend compte de l’importance de cette politique pour la transition énergétique : « Le Danemark dispose d’une des politiques énergétiques les plus abouties du monde et tire 40% de son électricité de sources renouvelables, essentiellement éoliennes. Fait significatif, le programme danois a été mis en œuvre dans les années 1980, avant l’ère du libre-échange, à une époque où personne n’aurait songé à contester les généreuses subventions accordées par l’État danois à des projets de construction d’éoliennes contrôlés par les collectivités locales (en 1980, les nouvelles installations pouvaient bénéficier de subsides allant jusqu’à 30%).»
La transition énergétique en péril
La directive promouvant les énergies renouvelables est une pierre angulaire de la transition énergétique enclenchée en Europe en 2008 avec l’adoption du paquet énergie-climat. Elle doit aider à atteindre « une part de 20% de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation totale d’énergie de la Communauté d’ici à 2020 et une part minimale de 10% de biocarburants dans la consommation totale d’essence et de gazole destinés au transport, cet objectif devant être réalisé d’ici à 2020 par tous les États membres, et ce à un cout raisonnable ».
Dans les faits, la production d’énergies renouvelables est encouragée par le biais de prix préférentiels (supérieurs à ceux pratiqués par le marché) payés par l’État aux consommateurs qui se sont dotés d’équipements permettant d’en générer. Par exemple, les certificats verts en Région wallonne. Un certain nombre d’entreprises dont l’activité repose sur les énergies fossiles voit ce soutien d’un mauvais œil puisqu’il érode leurs profits : le géant suédois du nucléaire, Vattenfall, a ainsi entamé une procédure d’ISDS contre l’Allemagne qui avait annoncé après Fukushima renoncer au nucléaire pour en obtenir des dédommagements ! Comme l’indique non sans ironie Gus Van Harten, l’ISDS confère des droits préférentiels aux acteurs occupant le terrain économique depuis longtemps, au détriment des nouveaux arrivants sur le marché. Aussi, l’ISDS est contraire au principe de « pollueur payeur » puisque les opérateurs les plus anciens qui sont généralement les moins propres pourraient grâce à ce dispositif, soutirer aux États des compensations au motif que ceux-ci veulent amorcer ou accélérer la transition énergétique. Face à ce risque de sanction financière (qui n’est d’ailleurs pas plafonnée, ce qui accroit encore davantage ce risque), les gouvernements seront découragés d’entreprendre quoi que ce soit qui puisse mécontenter les investisseurs étrangers, surtout en période d’austérité budgétaire. On se situe donc aux antipodes de la doctrine libérale, de la destruction créatrice de Schumpeter et de la prise en compte des couts sociaux et environnementaux.
Le représentant américain au Commerce, Michael Froman, assimile cette directive à une « barrière technique au commerce » parce que la définition donnée aux biocarburants ne donne pas de place aux germes de soja dont les exportations américaines seraient lésées.
Le chercheur Frank Ackerman relève que la question des biocarburants n’est pas nouvelle et a déjà fait l’objet d’un contentieux entre les deux puissances économiques : l’UE a pris des mesures de rétorsions commerciales (antidumping) à l’égard des exportations de bioéthanol et de biodiesel en provenance des États-Unis et d’autres pays au motif qu’elles induisent une concurrence biaisée avec les producteurs européens. C’est dire que le sujet est sensible et ne doit pas être pris à la légère.
Un autre indice vient corroborer le fait que cette directive au cœur de la transition énergétique embryonnaire de l’Europe est et restera la cible d’attaques, paradoxalement avec la complicité de gouvernements européens : au moment même où à peu près tout ce que le monde compte de pays se réunissait à Paris pour mettre au point un accord climatique, un certain nombre de ministres se retrouvaient à cinq-cents kilomètres de là, à Genève, pour faire avancer le TISA, autre grand traité secret et qui est en fait une resucée de l’Accord multilatéral sur l’investissement, lequel fut déjoué à la fin des années 1990 grâce à une forte mobilisation citoyenne. L’objet de leur attention : le chapitre énergétique. « Le texte sur la table “réduirait la souveraineté des États sur les ressources énergétiques en exigeant qu’ils ouvrent leurs marchés aux fournisseurs étrangers de services liés à l’énergie”, rapporte Victor Menotti, auteur de l’analyse [de la fédération de syndicats Public Services International]. Mais surtout, il consacre le principe de “neutralité technologique” en matière énergétique. Une clause qui “priverait les régulateurs [nationaux] du droit de distinguer le solaire du nucléaire, l’éolien du charbon, ou la géothermie de la fracturation”, dénonce PSI. De ce fait, poursuit la fédération syndicale, le traité en discussion pourrait encourager l’exploitation d’énergies fossiles et freiner la création d’emplois dans le secteur des énergies propres. »2 La neutralité technologique est, de fait, dans le contexte du TTIP, un concept clé que les Américains essaient de faire reconnaitre…
Si le TTIP et le TISA devaient advenir, alors la fracturation hydraulique, source de dégâts environnementaux considérables et souvent irréversibles et qui sont le revers de la médaille des gaz de schiste, ne connaitrait plus d’obstacles. Le litige qui oppose le Québec à une entreprise pétrolière canadienne dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena, conclu entre les États-Unis, le Canada et le Mexique) préfigurerait ce qui nous attendrait, l’entreprise privée attaquant la province pour lui demander des compensations à la suite de l’interdiction de cette pratique qu’elle qualifie d’«arbitraire, capricieuse et illégale ».
Directive sur la qualité des carburants
La directive sur les énergies renouvelables fut doublée d’une directive sur la qualité des carburants pour limiter l’intensité en carbone des combustibles utilisés pour le transport. En vertu de celle-ci, les fournisseurs de combustibles doivent réduire de 10% d’ici 2020 les émissions générées tout au long du cycle de vie des combustibles. Cela doit se réaliser grâce à des biocarburants et des carburants de substitution moins polluants et en favorisant les processus d’extraction moins polluants. Les détails de la méthodologie permettant un contrôle des progrès furent précisés ultérieurement.
Cette directive qui, en réalité, en amende une autre, vieille d’une décennie, est également dans le collimateur de Michael Froman. Le négociateur en chef pour les États-Unis voudrait utiliser le TTIP pour mettre la pression sur l’UE afin qu’elle revoie à la baisse les normes en matière d’intensité de carbone de cette directive européenne, laquelle constitue aujourd’hui un frein sérieux à l’exportation de pétrole à haute intensité de carbone. Bien que la Commission européenne ait par la suite modifié cette proposition de directive pour l’accommoder au pétrole plus polluant, les négociations du TTIP pourraient affaiblir encore ce qu’il reste de cette directive.
Frank Ackerman note que le problème pour les Américains est que le pétrole tiré des sables bitumineux ne rencontre pas les exigences de la directive. C’est pourquoi, comme ils le font dans d’autres secteurs, notamment l’agroalimentaire, ils insistent pour mettre en avant la neutralité technologique évoquée ci-dessus, principe en vertu duquel seul compte le fait qu’une technique permet de produire du pétrole brut, peu importe la manière et donc, les dommages environnementaux.
Sécurité d’approvisionnement énergétique
Les Européens, eux aussi, sont à l’offensive dans ce chapitre énergétique, surtout après le refroidissement des relations avec la Russie. Ils considèrent que le TTIP offre l’opportunité de diversifier leur approvisionnement en gaz naturel et de se dégager de l’emprise de la Russie d’où sont originaires 40% de nos importations, près de la moitié des États membres étant dépendants à plus de 75%. Ainsi, l’un des principaux objectifs de l’UE est de créer un processus « automatique » et « expéditif » pour l’exportation de pétrole brut américain et de gaz naturel. Bien que le gaz naturel soit généralement perçu comme une alternative bas carbone à d’autres combustibles fossiles comme le pétrole ou le charbon, des exportations accrues de gaz naturel liquéfié pourraient, selon les professeurs Porterfield et Gallagher, en réalité émettre davantage de GES pour les raisons suivantes.
La liquéfaction, le transport et la re-gazéification du gaz naturel sont hautement énergivores. Dès lors, l’exportation de gaz naturel liquéfié serait environ 15% plus intensive en carbone que le gaz naturel qui est utilisé à l’intérieur des frontières européennes.
Cela élèverait le prix du gaz naturel aux États-Unis si bien qu’il pourrait en résulter un regain d’intérêt pour le charbon pour produire de l’électricité !
Enfin, cela pourrait encourager un plus grand recours à la fracturation hydraulique pour la production de gaz naturel, ce qui pourrait causer un plus grand nombre de fuites accidentelles de gaz naturel, d’«émissions fugitives de méthane » comme les qualifient les experts. Étant donné que le méthane est un gaz à effet de serre beaucoup plus nocif que le CO2 (cf. potentiel de réchauffement global), « le moindre bénéfice climatique résultant d’une plus grande utilisation du gaz naturel au niveau international serait contrebalancé par un réchauffement accéléré causé par les émissions fugitives de méthane ».
Gaz HFC
Dans un autre registre, Frank Akerman rappelle que des normes climatiques européennes prescrivent l’utilisation de gaz HFC dans les systèmes de réfrigération, d’air conditionné, etc. Ces gaz présentent un potentiel de réchauffement global (indicateur traduisant leur nocivité en termes de réchauffement de la planète) de loin supérieur à celui du CO2. Le représentant au Commerce américain y voit également une barrière technique au commerce qu’il s’agirait de lever afin de rassurer les industriels outre-Atlantique qui recourent toujours aux HFC. Neutralité technologique toujours.
Pollution de l’air
Les débats contradictoires sur le TTIP ont parfois contribué à caricaturer les deux partenaires, les États-Unis étant dépeints comme le pays de la dérégulation qui ferait peser un risque de nivèlement par le bas dans tous les domaines. Or, les normes en vigueur sont parfois plus élevées qu’en Europe (comme dans le secteur financier où les États-Unis ont réagi beaucoup plus vigoureusement que les Européens à la crise financière). Mais c’est aussi le cas en ce qui concerne la pollution liée au dioxyde de soufre, au plomb, aux particules fines, etc. qui sont émises en même temps que le dioxyde de carbone. Cela a contribué à réduire le poids — certes toujours très élevé — des centrales thermiques au charbon dans la production d’électricité aux États-Unis au cours des dernières années.
Mais, il ne s’agit pas seulement de fixer des normes, il faut encore veiller à leur respect. Or, le dieselgate, du nom du scandale de la tricherie de Volkswagen qui, en utilisant un logiciel frauduleux, a pu contourner les normes européennes, a révélé que les procédures américaines de test et de certification étaient bien plus fiables que les européennes, ce qui revient de facto à rendre les règlementations plus strictes car plus opérantes.
Pourrait-on alors imaginer que, dans ce domaine de la pollution de l’air, des entreprises européennes, cette fois, contestent les normes américaines par le biais de la clause ISDS ?
Le TTIP, c’est comme l’énergie ou les déchets : le meilleur est celui qui n’est pas produit
Alors que la France s’enorgueillit d’un tout frais « accord de Paris », les Européens ont veillé à ce que le commerce ne soit pas affecté, ou le moins possible, par les engagements pris. La direction générale du climat de la Commission européenne a déposé une note censée ne pas circuler largement, mais dévoilée par Corporate Europe Observatory, une note dans laquelle on peut lire que l’UE entend « continuer à s’opposer aux discussions sur les mesures commerciales qui auraient lieu sous la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques » bien que « beaucoup de pays [en développement] ont poussé en faveur de telles discussions ».
Et c’est bien dans cette optique que s’inscrit l’accord de Paris. À cet égard, les transports aériens et maritimes — qui, s’ils étaient un pays, seraient le dixième pays le plus polluant du monde, produisant autant de GES que la France et l’Italie réunies — ne font pas partie de l’accord. Or, la stimulation du commerce bilatéral entre les États-Unis et l’Europe occasionnera nécessairement un transport accru de marchandises !
Globalement, les prévisions à long terme établies par le Forum international des transports auprès de l’OCDE tablent sur une multiplication par 4,3 des volumes de fret international d’ici 2050 si bien que les émissions de CO2 imputables au commerce international augmenteraient de 290%. Le fret deviendrait la principale source d’émission de CO2 pour le transport de surface, remplaçant dans ce rôle le transport de passagers. Certes, ces chiffres préoccupants ne seraient pas entièrement imputables au TTIP, mais considérant les volumes considérables en jeu, celui-ci contribuerait à cette tendance.
Au-delà de cette dimension, la clause ISDS même dans sa nouvelle formulation de même que la convergence règlementaire voulue par les deux partenaires sont de nature à fragiliser, voire stopper la transition énergétique ainsi que leurs ambitions environnementales et climatiques. Et le soi-disant nouveau chapitre « développement durable », encore faut-il que les États-Unis acceptent son insertion dans le traité!, n’offrirait qu’une illusion de rempart à ces risques.
Depuis 1820, les Européens et les Américains ont émis respectivement 20% et 27% des émissions cumulées mondiales de gaz à effet de serre alors qu’ils n’ont représenté ensemble qu’entre 16% (aujourd’hui) et 24% (1850) de la population mondiale (avec un pic à presque 30% en 1900). Le principe de différenciation des efforts pour contenir et réduire les émissions consacré par la COP21 devrait par conséquent conduire les deux grandes puissances à fournir le plus d’efforts. Or, le TTIP jouera dans le sens contraire en anéantissant les efforts qu’ils devraient normalement fournir s’ils prenaient au sérieux ce principe reconnu de longue date.
Cela ne peut donc que nous inquiéter d’autant que le TTIP pourrait servir de « modèle » pour les futurs accords commerciaux qui, selon l’OCDE, recèlent le plus gros potentiel de croissance pour les décennies à venir. Dès lors, si, d’emblée, le TTIP ne balise pas correctement la relation entre le commerce, les entreprises privées et les ambitions climatiques et environnementales, les autres accords (notamment ceux avec la Chine et l’Inde) risquent également d’emprunter la mauvaise direction. Cette condition est à ce point forte et irréaliste que la planète et les générations futures nous seraient certainement reconnaissantes si le TTIP ne voyait jamais le jour.
Il faut mesurer pour pouvoir appliquer des politiques. Le hic est que tout ce qui a de la valeur ne se mesure pas et que les effets d’accords tels que le TTIP, le CETA ou le TISA sont largement incertains, tant ils font intervenir de paramètres.
- Certes, un passage stipule que : « The Parties acknowledge that nothing in the Agreement should prevent either Party from adopting or maintaining measures to implement the Multilateral Environmental Agreements to which it is a party, provided that such measures are not applied in a manner that would constitute a means or arbitrary or unjustifiable discrimination between the Parties or a disguised restriction on trade. » Cependant, à nouveau, il ne s’agit que d’une déclaration d’intentions comme en atteste l’usage du conditionnel (« should »).
- Frédéric Rohart, « À Genève, l’autre négociation qui compromettrait la COP21 », L’Écho, 4 décembre 2015.