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Trumponomics. Trump président : l’improbable rencontre entre Lindbergh et la téléréalité
Mais qui est donc ce Donald Trump qui vient d’être élu président et qui fait de prime abord penser à un mélange peu avantageux entre le personnage de Charles Forster Kane dans Citizen Kane et celui de Steve Stifler dans American Pie ? Et de quoi est-il le nom ? Trump est avant tout le produit d’une époque marquée […]
Mais qui est donc ce Donald Trump qui vient d’être élu président et qui fait de prime abord penser à un mélange peu avantageux entre le personnage de Charles Forster Kane dans Citizen Kane et celui de Steve Stifler dans American Pie ? Et de quoi est-il le nom ?
Trump est avant tout le produit d’une époque marquée par l’essor de la téléréalité, spectacle cathodique se distinguant notamment par la recherche et la valorisation des outrances langagières et les exhibitions médiatiques.
Trump doit en effet une bonne partie de sa notoriété à son passage dans une émission de téléréalité appelée The Apprentice en 2004. Étonnamment, l’homme qui ira douze ans plus tard chercher les voix de nombre de déclassés et de chômeurs de longue durée s’est fait connaitre dans les foyers américains par sa phrase de conclusion des entretiens avec les perdants de l’émission : « You are fired ! ».
Il y a quelques mois, Barack Obama avait d’ailleurs tenté de jouer sur le passé de Trump comme acteur et producteur de téléréalité pour essayer de le discréditer. « Ce n’est pas du divertissement. Ce n’est pas une émission de téléréalité », avait dit alors le président sortant lors d’une conférence de presse. Voulant dissuader les électeurs de tenter l’aventure Trump, Obama avait assené : « Nous traversons des moments difficiles et (la Maison Blanche) c’est vraiment une fonction sérieuse1»… avec le succès fort relatif que l’on sait.
En 2016, le processus, à l’œuvre depuis des décennies aux États-Unis et ailleurs, de dépolitisation du peuple et de peopolisation de la politique est fort bien avancé, et l’élection de Trump en est sans doute une illustration flagrante.
Discours de haine
Trump attise la haine chez ses concitoyens. La campagne du candidat Trump fut une suite d’approximations, d’insultes, d’incohérences et de mensonges, marquée d’une rare violence verbale. Au point que différents cadres du Parti républicain prirent leurs distances avec le trublion candidat du Great Old Party. Les femmes et les minorités (latinos, musulmans, homosexuels…) furent durement attaquées par celui qui affirmait « vouloir rendre l’Amérique grande à nouveau ». Les commentateurs n’ont pas manqué de poser la question suivante : « est-il vraiment viscéralement misogyne et raciste ou ses propos relevaient-ils d’un calcul électoraliste pour faire le plein des voix à l’extrême droite ? » À vrai dire, cette question n’a sans doute pas grand intérêt. En effet, que ce soit par conviction ou par opportunisme, flatter les plus vils préjugés de son électorat, au risque d’attiser la discrimination, le rejet ou la violence envers certains concitoyens s’inscrit de toute façon dans une logique crapuleuse qui produit d’ores et déjà des effets très concrets par la multiplication des actes de violence notamment à l’égard des musulmans américains.
Notons cependant que le fait que son père ait été naguère arrêté lors d’une manifestation du Klux Klux Klan ou que l’ancien dirigeant de cette organisation suprémaciste ait soutenu publiquement le candidat Trump n’accrédite pas franchement la thèse que ce dernier soit un parangon de tolérance. Ses attaques outrancières, voire ordurières, à l’égard de diverses composantes de la population lui ont vraisemblablement valu le soutien d’un électorat qui se reconnaissait dans son rejet assumé de certains autres. On peut même légitimement se demander si les rangs des électeurs de Trump ne sont pas davantage composés d’individus pour qui le vote est un moyen d’empirer les conditions de vie des autres que de citoyens pour qui le vote est un moyen d’améliorer leurs propres conditions de vie. Cette question, cruciale, mérite un examen d’autant plus attentif qu’elle n’est pas éloignée de la schadenfreude qui fait le succès de la téléréalité…
America first ?
Vu ses convictions à tout le moins fluctuantes, il n’est guère évident de faire une analyse précise de l’idéologie de Donald Trump. Sa référence à la doctrine « America First » lui a valu le soutien de nombre d’adeptes de l’isolationnisme, courant de pensée qui eut son heure de gloire dans l’Amérique d’avant Pearl Harbor. Ainsi, quand Charles Lindbergh, après ses prouesses d’aviateur qui le rendirent mondialement célèbre, s’essaya à la politique, il fut une des figures marquantes de ce mouvement. Coutumier lui aussi de dérapages xénophobes, dans une allocution radiodiffusée, il désignait d’ailleurs en 1941 ceux qui d’après lui voulaient entrainer l’Amérique dans la Seconde Guerre mondiale : « Qui sont les agitateurs bellicistes ? Les Britanniques, les Juifs et l’administration Roosevelt ». Lindbergh, dont on dénonça également les accointances avec l’extrême droite, constitue donc une référence pour Trump, tant au niveau de la teneur des idées que de ses provocations stigmatisantes. Petit détail amusant : dans le roman uchronique de Philippe Roth, Le complot contre l’Amérique, l’isolationniste Lindbergh est élu président des États-Unis en 1940 face à Roosevelt et le cours de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale s’en trouve changé. Plutôt qu’une uchronie, l’accession de Donald Trump à la présidence des États-Unis peut donc être vue comme une sorte d’anachronisme : la rencontre improbable entre Charles Lindbergh et la téléréalité.
Une partie du succès de Trump tient sans doute dans sa promesse de campagne d’apaisement des relations extérieures, lemme de la proposition isolationniste. Certes, la perspective de voir les États-Unis lancer ou participer à moins d’opérations militaires voire de guerres que dans les trente dernières années peut sembler en soi intéressante et a certainement trouvé un écho important au sein de la classe moyenne américaine. Toutefois, est-ce crédible de penser qu’un individu sans réelle colonne vertébrale idéologique comme Trump pourra imposer un changement de cap en la matière ? Si le président Obama, qui avait tout de même une tout autre consistance idéologique, a dû reculer devant l’opposition de la NRA à toute restriction au port d’armes malgré sa volonté affichée d’avancer sur le dossier, comment penser que le président Trump pourra imposer sa volonté aux lobbys et groupes d’intérêt surpuissants de l’armement et de la sécurité privée ? Dans son discours de départ de la Maison Blanche en 1961, le président Eisenhower mettait déjà en garde : « Dans les conseils du gouvernement, nous devons prendre garde à l’acquisition d’une influence illégitime, qu’elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d’un développement désastreux d’un pouvoir usurpé existe et persistera2 ». Croire que Trump aura la constance et l’habilité nécessaire pour changer significativement de cap semble plus que naïf : ses premières décisions en matière de nominations sont d’ailleurs nettement moins subversives que sa campagne. Ainsi, après avoir brocardé Wall Street pendant des mois, Trump a finalement décidé de nommer comme secrétaire au Trésor un ancien responsable de la banque Goldman Sachs, Steven Mnuchin.
La volonté exprimée dans le discours qu’il a prononcé au lendemain de sa victoire d’aller vers davantage de multilatéralisme doit également être sujette à caution. S’il a dit « Nous nous entendrons avec tous les autres pays qui ont la volonté de s’entendre avec nous […] Nous chercherons des partenariats plutôt que des conflits », il ne faut tout de même pas oublier que lors de sa campagne, l’un des seuls enjeux de politique étrangère sur lequel il s’est exprimé clairement est l’accord signé avec l’Iran, un acquis diplomatique de l’administration Obama, qu’il a remis en question avec la véhémence qui le caractérise. De plus, alors qu’il n’est même pas encore en fonction, il a fait monter d’un cran les tensions avec la Chine en provoquant Pékin délibérément3. Comme pacifiste, on a déjà connu plus convaincant…
Les effets de Trump
Ainsi, ceux qui se réjouissent ou se consolent de son élection parce qu’il s’est profilé comme moins belliciste que sa concurrente Hillary Clinton devront peut-être bien vite déchanter par la confrontation de leurs illusions avec la réalité.
À contrario, ceux qui voient en lui « l’Hitler du XXIe siècle » sont également dans l’excès, car pour tenir sa majorité présidentielle au Congrès et au Sénat, il devra donner des gages à l’aile modérée de son parti. Il s’agirait plutôt d’un nouvel Orban (que Trump a en passant d’ores et déjà invité aux États-Unis4)… doté du bouton nucléaire !
Pour nos démocraties, le danger le plus sérieux et le plus imminent incarné par Trump se trouve davantage dans l’encouragement à l’actuelle libération de la parole raciste que son accession au pouvoir suppose et permet. En effet, il sera de plus en plus compliqué de combattre les discours xénophobes de quidams s’exprimant dans la rue ou sur les réseaux sociaux puisqu’en définitive, ils ne feront que reprendre à leur compte la logorrhée verbale haineuse de l’homme appelé à assumer le « leadeurship du monde libre ».
- [La Libre Belgique)>http://bit.ly/2gfv9yY], 6 mai 2016.
- Eisenhower D. E., Farewell adress, 17 janvier 1961.
- Le Soir, 5 décembre 2016.
- 7 sur 7, 25 novembre 2016.