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Trumponomics. Trump président : l’improbable rencontre entre Lindbergh et la téléréalité

Numéro 8 - 2016 par Carlos Crespo

décembre 2016

Mais qui est donc ce Donald Trump qui vient d’être élu pré­sident et qui fait de prime abord pen­ser à un mélange peu avan­ta­geux entre le per­son­nage de Charles Fors­ter Kane dans Citi­zen Kane et celui de Steve Sti­fler dans Ame­ri­can Pie ? Et de quoi est-il le nom ? Trump est avant tout le pro­duit d’une époque marquée […]

Mais qui est donc ce Donald Trump qui vient d’être élu pré­sident et qui fait de prime abord pen­ser à un mélange peu avan­ta­geux entre le per­son­nage de Charles Fors­ter Kane dans Citi­zen Kane et celui de Steve Sti­fler dans Ame­ri­can Pie ? Et de quoi est-il le nom ?

Trump est avant tout le pro­duit d’une époque mar­quée par l’essor de la télé­réa­li­té, spec­tacle catho­dique se dis­tin­guant notam­ment par la recherche et la valo­ri­sa­tion des outrances lan­ga­gières et les exhi­bi­tions médiatiques.

Trump doit en effet une bonne par­tie de sa noto­rié­té à son pas­sage dans une émis­sion de télé­réa­li­té appe­lée The Appren­tice en 2004. Éton­nam­ment, l’homme qui ira douze ans plus tard cher­cher les voix de nombre de déclas­sés et de chô­meurs de longue durée s’est fait connaitre dans les foyers amé­ri­cains par sa phrase de conclu­sion des entre­tiens avec les per­dants de l’émission : « You are fired ! ».

Il y a quelques mois, Barack Oba­ma avait d’ailleurs ten­té de jouer sur le pas­sé de Trump comme acteur et pro­duc­teur de télé­réa­li­té pour essayer de le dis­cré­di­ter. « Ce n’est pas du diver­tis­se­ment. Ce n’est pas une émis­sion de télé­réa­li­té », avait dit alors le pré­sident sor­tant lors d’une confé­rence de presse. Vou­lant dis­sua­der les élec­teurs de ten­ter l’aventure Trump, Oba­ma avait asse­né : « Nous tra­ver­sons des moments dif­fi­ciles et (la Mai­son Blanche) c’est vrai­ment une fonc­tion sérieuse1»… avec le suc­cès fort rela­tif que l’on sait.

En 2016, le pro­ces­sus, à l’œuvre depuis des décen­nies aux États-Unis et ailleurs, de dépo­li­ti­sa­tion du peuple et de peo­po­li­sa­tion de la poli­tique est fort bien avan­cé, et l’élection de Trump en est sans doute une illus­tra­tion flagrante.

Discours de haine

Trump attise la haine chez ses conci­toyens. La cam­pagne du can­di­dat Trump fut une suite d’approximations, d’insultes, d’incohérences et de men­songes, mar­quée d’une rare vio­lence ver­bale. Au point que dif­fé­rents cadres du Par­ti répu­bli­cain prirent leurs dis­tances avec le tru­blion can­di­dat du Great Old Par­ty. Les femmes et les mino­ri­tés (lati­nos, musul­mans, homo­sexuels…) furent dure­ment atta­quées par celui qui affir­mait « vou­loir rendre l’Amérique grande à nou­veau ». Les com­men­ta­teurs n’ont pas man­qué de poser la ques­tion sui­vante : « est-il vrai­ment vis­cé­ra­le­ment miso­gyne et raciste ou ses pro­pos rele­vaient-ils d’un cal­cul élec­to­ra­liste pour faire le plein des voix à l’extrême droite ? » À vrai dire, cette ques­tion n’a sans doute pas grand inté­rêt. En effet, que ce soit par convic­tion ou par oppor­tu­nisme, flat­ter les plus vils pré­ju­gés de son élec­to­rat, au risque d’attiser la dis­cri­mi­na­tion, le rejet ou la vio­lence envers cer­tains conci­toyens s’inscrit de toute façon dans une logique cra­pu­leuse qui pro­duit d’ores et déjà des effets très concrets par la mul­ti­pli­ca­tion des actes de vio­lence notam­ment à l’égard des musul­mans américains.

Notons cepen­dant que le fait que son père ait été naguère arrê­té lors d’une mani­fes­ta­tion du Klux Klux Klan ou que l’ancien diri­geant de cette orga­ni­sa­tion supré­ma­ciste ait sou­te­nu publi­que­ment le can­di­dat Trump n’accrédite pas fran­che­ment la thèse que ce der­nier soit un paran­gon de tolé­rance. Ses attaques outran­cières, voire ordu­rières, à l’égard de diverses com­po­santes de la popu­la­tion lui ont vrai­sem­bla­ble­ment valu le sou­tien d’un élec­to­rat qui se recon­nais­sait dans son rejet assu­mé de cer­tains autres. On peut même légi­ti­me­ment se deman­der si les rangs des élec­teurs de Trump ne sont pas davan­tage com­po­sés d’individus pour qui le vote est un moyen d’empirer les condi­tions de vie des autres que de citoyens pour qui le vote est un moyen d’améliorer leurs propres condi­tions de vie. Cette ques­tion, cru­ciale, mérite un exa­men d’autant plus atten­tif qu’elle n’est pas éloi­gnée de la scha­den­freude qui fait le suc­cès de la téléréalité…

America first ?

Vu ses convic­tions à tout le moins fluc­tuantes, il n’est guère évident de faire une ana­lyse pré­cise de l’idéologie de Donald Trump. Sa réfé­rence à la doc­trine « Ame­ri­ca First » lui a valu le sou­tien de nombre d’adeptes de l’isolationnisme, cou­rant de pen­sée qui eut son heure de gloire dans l’Amérique d’avant Pearl Har­bor. Ain­si, quand Charles Lind­bergh, après ses prouesses d’aviateur qui le ren­dirent mon­dia­le­ment célèbre, s’essaya à la poli­tique, il fut une des figures mar­quantes de ce mou­ve­ment. Cou­tu­mier lui aus­si de déra­pages xéno­phobes, dans une allo­cu­tion radio­dif­fu­sée, il dési­gnait d’ailleurs en 1941 ceux qui d’après lui vou­laient entrai­ner l’Amérique dans la Seconde Guerre mon­diale : « Qui sont les agi­ta­teurs bel­li­cistes ? Les Bri­tan­niques, les Juifs et l’administration Roo­se­velt ». Lind­bergh, dont on dénon­ça éga­le­ment les accoin­tances avec l’extrême droite, consti­tue donc une réfé­rence pour Trump, tant au niveau de la teneur des idées que de ses pro­vo­ca­tions stig­ma­ti­santes. Petit détail amu­sant : dans le roman uchro­nique de Phi­lippe Roth, Le com­plot contre l’Amérique, l’isolationniste Lind­bergh est élu pré­sident des États-Unis en 1940 face à Roo­se­velt et le cours de l’histoire de la Seconde Guerre mon­diale s’en trouve chan­gé. Plu­tôt qu’une uchro­nie, l’accession de Donald Trump à la pré­si­dence des États-Unis peut donc être vue comme une sorte d’anachronisme : la ren­contre impro­bable entre Charles Lind­bergh et la téléréalité.

Une par­tie du suc­cès de Trump tient sans doute dans sa pro­messe de cam­pagne d’apaisement des rela­tions exté­rieures, lemme de la pro­po­si­tion iso­la­tion­niste. Certes, la pers­pec­tive de voir les États-Unis lan­cer ou par­ti­ci­per à moins d’opérations mili­taires voire de guerres que dans les trente der­nières années peut sem­bler en soi inté­res­sante et a cer­tai­ne­ment trou­vé un écho impor­tant au sein de la classe moyenne amé­ri­caine. Tou­te­fois, est-ce cré­dible de pen­ser qu’un indi­vi­du sans réelle colonne ver­té­brale idéo­lo­gique comme Trump pour­ra impo­ser un chan­ge­ment de cap en la matière ? Si le pré­sident Oba­ma, qui avait tout de même une tout autre consis­tance idéo­lo­gique, a dû recu­ler devant l’opposition de la NRA à toute res­tric­tion au port d’armes mal­gré sa volon­té affi­chée d’avancer sur le dos­sier, com­ment pen­ser que le pré­sident Trump pour­ra impo­ser sa volon­té aux lob­bys et groupes d’intérêt sur­puis­sants de l’armement et de la sécu­ri­té pri­vée ? Dans son dis­cours de départ de la Mai­son Blanche en 1961, le pré­sident Eisen­ho­wer met­tait déjà en garde : « Dans les conseils du gou­ver­ne­ment, nous devons prendre garde à l’acquisition d’une influence illé­gi­time, qu’elle soit recher­chée ou non, par le com­plexe mili­ta­ro-indus­triel. Le risque d’un déve­lop­pe­ment désas­treux d’un pou­voir usur­pé existe et per­sis­te­ra2 ». Croire que Trump aura la constance et l’habilité néces­saire pour chan­ger signi­fi­ca­ti­ve­ment de cap semble plus que naïf : ses pre­mières déci­sions en matière de nomi­na­tions sont d’ailleurs net­te­ment moins sub­ver­sives que sa cam­pagne. Ain­si, après avoir bro­car­dé Wall Street pen­dant des mois, Trump a fina­le­ment déci­dé de nom­mer comme secré­taire au Tré­sor un ancien res­pon­sable de la banque Gold­man Sachs, Ste­ven Mnuchin.

La volon­té expri­mée dans le dis­cours qu’il a pro­non­cé au len­de­main de sa vic­toire d’aller vers davan­tage de mul­ti­la­té­ra­lisme doit éga­le­ment être sujette à cau­tion. S’il a dit « Nous nous enten­drons avec tous les autres pays qui ont la volon­té de s’entendre avec nous […] Nous cher­che­rons des par­te­na­riats plu­tôt que des conflits », il ne faut tout de même pas oublier que lors de sa cam­pagne, l’un des seuls enjeux de poli­tique étran­gère sur lequel il s’est expri­mé clai­re­ment est l’accord signé avec l’Iran, un acquis diplo­ma­tique de l’administration Oba­ma, qu’il a remis en ques­tion avec la véhé­mence qui le carac­té­rise. De plus, alors qu’il n’est même pas encore en fonc­tion, il a fait mon­ter d’un cran les ten­sions avec la Chine en pro­vo­quant Pékin déli­bé­ré­ment3. Comme paci­fiste, on a déjà connu plus convaincant…

Les effets de Trump

Ain­si, ceux qui se réjouissent ou se consolent de son élec­tion parce qu’il s’est pro­fi­lé comme moins bel­li­ciste que sa concur­rente Hil­la­ry Clin­ton devront peut-être bien vite déchan­ter par la confron­ta­tion de leurs illu­sions avec la réalité.

À contra­rio, ceux qui voient en lui « l’Hitler du XXIe siècle » sont éga­le­ment dans l’excès, car pour tenir sa majo­ri­té pré­si­den­tielle au Congrès et au Sénat, il devra don­ner des gages à l’aile modé­rée de son par­ti. Il s’agirait plu­tôt d’un nou­vel Orban (que Trump a en pas­sant d’ores et déjà invi­té aux États-Unis4)… doté du bou­ton nucléaire !

Pour nos démo­cra­ties, le dan­ger le plus sérieux et le plus immi­nent incar­né par Trump se trouve davan­tage dans l’encouragement à l’actuelle libé­ra­tion de la parole raciste que son acces­sion au pou­voir sup­pose et per­met. En effet, il sera de plus en plus com­pli­qué de com­battre les dis­cours xéno­phobes de qui­dams s’exprimant dans la rue ou sur les réseaux sociaux puisqu’en défi­ni­tive, ils ne feront que reprendre à leur compte la logor­rhée ver­bale hai­neuse de l’homme appe­lé à assu­mer le « lea­deur­ship du monde libre ».

  1. [La Libre Belgique)>http://bit.ly/2gfv9yY], 6 mai 2016.
  2. Eisen­ho­wer D. E., Fare­well adress, 17 jan­vier 1961.
  3. Le Soir, 5 décembre 2016.
  4. 7 sur 7, 25 novembre 2016.

Carlos Crespo


Auteur

secrétaire général de l’asbl ProJeuneS (Fédération des organisations de jeunesse progressistes et socialistes) et président du Mrax