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Trumponomics. Donald Trump. Un isolationnisme en trompe l’œil ?
Le 8 novembre 2016, Donald John Trump devenait le quarante-cinquième président des États-Unis d’Amérique. Qu’il s’agisse du mur censé garantir l’imperméabilité des frontières américaines avec le Mexique, un projet aussi délirant que sinistre, ou de la lutte contre la finance dérégulée, on constatait que, quelques jours après les élections déjà, le president elect Trump semblait balayer […]
Le 8 novembre 2016, Donald John Trump devenait le quarante-cinquième président des États-Unis d’Amérique. Qu’il s’agisse du mur censé garantir l’imperméabilité des frontières américaines avec le Mexique, un projet aussi délirant que sinistre1, ou de la lutte contre la finance dérégulée, on constatait que, quelques jours après les élections déjà, le president elect Trump semblait balayer d’un revers de la main les promesses du candidat Trump. Alors Trump, business as usual ? C’est la thèse défendue par certains journaux à grand tirage2. Il faut au minimum nuancer cette lecture des évènements.
Commençons par le commerce international, qui a occupé une place de choix dans la campagne de Trump. En effet, le nouveau président républicain a clairement indiqué, en date du 22 novembre 2016, son intention de revenir sur le traité de Partenariat transpacifique (TPP) visant à organiser une zone de libre-échange entre l’Amérique du Nord et la partie de l’Asie bordée par l’océan Pacifique, à l’exception notable de la Chine. De plus, Donald Trump semblerait également désireux d’enterrer ou, à tout le moins, de renégocier en profondeur le projet de TTIP entre l’Union européenne et les États-Unis3.
Revirement ?
À l’été 2016, le Wall Street Journal pronostiquait qu’il s’agissait là d’un point essentiel du « programme » trumpiste dans la course à la Maison-Blanche car il permettait de capter les votes d’électeurs de la classe ouvrière « ayant vu leurs emplois disparaitre dans une économie de plus en plus globalisée4 ». En effet, la justification qu’apporte le président Trump, qui confirme en cela le discours du candidat Trump, à ce changement doctrinal majeur en matière de commerce international de la part des États-Unis réside dans le fait que la libéralisation des échanges est susceptible d’entrainer des suppressions d’emplois aux États-Unis et d’entamer les parts de marché des compagnies américaines. Dans la foulée, Donald Trump compte bien redéfinir, sinon démanteler, l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) conclu en 1992 et qui institue le libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique5.
Il existe donc clairement une doctrine Trump qui, en matière de commerce international, tourne le dos à l’orthodoxie du Parti républicain. À l’heure où ces lignes étaient écrites, il semble établi que les États-Unis s’engageront à plus ou moins brève échéance dans une guerre commerciale avec la Chine car rien n’indique que le président Trump souhaite se départir de ses promesses de campagne visant à taxer lourdement les importations chinoises6. Les montants en jeu sont énormes. Ces taxes pourraient, dans certains cas, s’élever à 45%. L’impact de cette décision sur le commerce mondial serait potentiellement explosif. En effet, 35% des exportations de la Chine consistent en des produits issus d’activités d’assemblage nécessitant des importations de produits semi-finis d’autres pays de la région (Corée du sud, Japon, Taïwan). Ce segment spécifique des exportations de l’Empire du Milieu équivalait, en 2015, à 169 milliards de dollars d’exportations à destination des États-Unis sur un total de 483 milliards7.
Donald Trump sera-t-il le président de la démondialisation8 ? Si tant est que ce terme puisse revêtir une signification univoque (ce qui nous semble, en l’occurrence, loin d’être le cas, mais c’est un autre débat), il nous semble au contraire que de bien gênantes contradictions minent l’action à venir du président Trump qui se présente, pour l’heure, comme protectionniste. Ces contradictions proviennent des orientations fiscales qui devraient caractériser les États-Unis à l’avenir. Nous verrons qu’elles ne permettent pas d’identifier l’élection de Donald Trump à « une victoire de la vie réelle sur la vie virtuelle9 » tant les premières orientations du Trumpism en matière économique montrent une prédilection pour le secteur financier.
Contradictions trumpistes
La réforme fiscale annoncée urbi et orbi par Donald Trump ne souffre d’aucune ambigüité. Elle se situe dans le droit fil des cadeaux fiscaux à destination des entreprises et des ménages fortunés qui accompagnent classiquement chaque élection d’un président républicain. C’est ainsi que l’impôt des sociétés devrait passer à 15% dans la version hard du projet trumpiste. « Plus économes, les républicains du Congrès plaident, eux, pour des coupes moins radicales avec un taux d’impôt sur les sociétés ramené à 20%10. » La réforme de l’impôt sur le revenu proposée par Donald Trump avantage outrageusement les ménages les plus fortunés. 47% des bénéfices escomptés de la réforme proposée par Trump durant sa campagne profiteront au centile supérieur des ménages américains. On fera remarquer que, outre-Atlantique, les ménages favorisés, lorsque leur pouvoir d’achat s’accroit, en consacre une partie plus qu’appréciable à l’économie casino.
La finance au centre du jeu
Poursuivons l’analyse. Trump ne sera pas le président de Main Street contre Wall Street. Bien au contraire, la (re)dérégulation bancaire constituera la priorité de la présidence Trump. L’objectif est de favoriser le crédit à destination des classes populaires comme c’était le cas avant que n’éclate la crise financière11. Or, il se trouve que pour parvenir à ses fins, Donald Trump entend démanteler le timide début de régulation de la loi Dodd-Frank de juillet 2010.
Celle loi limite, par exemple, la possibilité pour les banques américaines de titriser leurs prêts, c’est-à-dire de distribuer inconditionnellement leurs risques au public sous forme d’obligations. Il se trouve qu’en obligeant les banques américaines à garder au moins 5% des crédits titrisés à leurs bilans, le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act les empêche de facto de prendre trop de risques dans leur activité de prêts. Ce faisant, elle tente de les empêcher de trop gonfler leurs bilans. La réforme proposée par Donald Trump aura l’effet inverse. Les banques américaines devront dès lors écouler leurs titres en organisant des canaux de diffusion à grande échelle, comme avant la crise.
La loi Dodd-Frank dispose, par ailleurs, que les banques commerciales ne pourront plus se couvrir par des opérations présentant un haut niveau de risque à moins d’investir aux côtés d’un client. De plus, les banques états-uniennes doivent, depuis l’adoption des dispositions règlementaires Dodd-Frank, limiter leurs participations aux hedge funds et aux fonds de capital-investissement (dont les business models impliquent un haut niveau de risque) à hauteur de 3% seulement de leurs fonds propres12.
À la suite de l’abrogation de la loi Dodd-Frank, les banques américaines vont pouvoir accroitre leurs bilans et prendre du risque comme bon leur semblera en titrisant à tour de bras, comme au bon vieux temps. Cette évolution s’accompagnera d’une demande de titres des ménages fortunés qui bénéficieront d’une réforme fiscale sur mesure.
Donald Trump entend donc être à la fois le président du protectionnisme commercial et de la dérèglementation financière. C’est là un tour de passepasse qui s’avèrera difficile à réaliser.
Imaginons que les promesses protectionnistes de la campagne soient appliquées. Ces dernières auront un effet inflationniste évident puisqu’elles participent du projet d’annuler par une augmentation du niveau général des prix l’avantage compétitif des importations chinoises. Avant d’aller plus loin dans l’analyse, posons quelques faits. En octobre 2016, l’inflation en base annuelle aux États-Unis était de 1,636% et les taux d’intérêt à court terme, pour 2016, ont été de 0,879%13.
Isolationnisme de façade ?
C’est sur la base de ces taux à court terme que tout l’édifice de la circulation du capital entre établissements bancaires et partant, sa valorisation, peut s’effectuer dans le cadre de la finance de marché. Habituellement, lorsqu’en termes réels (c’est-à-dire défalqués de l’inflation), les taux d’intérêt à court terme sont négatifs, on assiste à une sortie des capitaux d’un pays. Jusqu’à présent, un élément majeur a préservé l’économie américaine d’une telle évolution. La conjoncture sur les taux n’est pas plus enthousiasmante ailleurs dans les pays de l’OCDE qui travaillent étroitement avec les États-Unis et les émergents sont entrés en crise. La légère augmentation des taux d’intérêt attendue de la part de la Fed en décembre de cette année14 ne suffira vraisemblablement pas à endiguer la dynamique de dégradation du taux d’intérêt réel qui résulterait d’une montée de l’inflation aux États-Unis.
En cas d’augmentation du taux d’intérêt nominal aux États-Unis (une réponse classique aux pressions inflationnistes), d’autres soucis risquent de se pointer à l’horizon. Le candidat Trump sera, de plus, jugé sur sa célérité à mettre en œuvre un programme de grands travaux publics qui s’avère incompatible, du moins dans un premier temps, avec une augmentation des taux d’intérêt. L’ensemble des contradictions précédemment décrites n’a rien d’inextricable si Donald Trump envisage une sortie via le recours au bâton de la pression extérieure pour ouvrir de nouveaux marchés en ciblant plus particulièrement la Chine.
Une position strictement isolationniste des États-Unis apparait aujourd’hui bien illusoire. Il est parfaitement inconcevable que le premier budget militaire mondial reste gentiment au balcon des affaires mondiales. Pour mémoire, en 2015, la défense aux États-Unis représentait 35,6% du total mondial des dépenses publiques dans le secteur (soit, en l’espèce, 596 milliards de dollars)15. Par ailleurs, Donald Trump n’a jamais caché ses intentions de procéder à un vaste plan de réarmement dans la lignée du keynésianisme militaro-industriel de l’ère Reagan.
La cible de Donald Trump sera donc la Chine. Cette dernière n’a pas encore ouvert son compte de capital aux investisseurs étrangers. La chose gêne évidemment aux entournures la finance américaine. On devrait donc, dans les années à venir, assister à une concentration des forces américaines sur sa zone pacifique. Ce qui impliquera un relatif désengagement en Europe, mais aussi un rapprochement avec la Russie de Poutine. Cette dernière fait, en effet, structurellement office de bras armé de la Chine en cas de tensions avec les États-Unis. Dès lors, se rapprocher de la Russie participe du désir de déforcer la Chine afin de tenter de lui imposer des mesures de libéralisation financière qui la placeraient directement dans l’orbite de Wall Street16. Cette ouverture à de nouveaux marchés permettrait de compenser les poussées inflationnistes outre-Atlantique qui sont contenues en germe dans ce qui semble constituer le volet commercial de la nouvelle administration présidentielle.
Gageons donc que Donald Trump ne sera ni un président « normal » ni non plus un isolationniste. Wait and see…
- On signalera tout de même, à ce sujet, que la construction de ce mur a commencé sous Bill Clinton en 1992 et qu’elle a continué durant l’ère Obama. En la matière, il semble que les différences entre l’establishment politique et Donald Trump soient de degré et non de nature. Alors que sous la présidence de Barack Obama, 2,5 millions de clandestins ont été expulsés du territoire des États-Unis, Donald Trump avait promis de faire passer ce chiffre à 3 millions. La différence ne sautait pas franchement aux yeux. Après son élection Trump revoyait, d’ailleurs, ses ambitions à la baisse et promettait d’expulser entre 2 et 3 millions de Mexicains par an. Soit un score plus ou moins identique à celui d’Obama…
- La Libre Belgique, 24 novembre 2016.
- The Daily Telegraph, 22 novembre 2016.
- Wall Street Journal, 28 juin 2016.
- The Guardian, 9 novembre 2016.
- Fortune, 10 novembre 2016.
- Ibid.
- Sapir J., « Donald Trump, président de la démondialisation ? », Le Figaro, 10 novembre 2016.
- Ibid. Le lyrisme de Jacques Sapir ne laisse pas de surprendre depuis quelque temps. Nous éviterons, à ce sujet, les procès d’intention. Ce qui, pour autant, ne nous empêchera pas de faire remarquer que les audaces poétiques font rarement bon ménage avec le registre de l’analyse froide et lucide.
- Les Échos, 21 novembre 2016.
- La Tribune, 14 novembre 2016.
- U.S. Securities and exchange commission, 22 octobre 2014.
- OCDE, décembre 2016.
- Wall Street Journal, 22 novembre 2016.
- Grip, « Les dépenses militaires des quinze pays les plus dépensiers en 2015 », novembre 2016.
- À ceux qui trouveraient cette approche par trop économiciste et unilatérale, on recommandera vivement la lecture du libéral britannique John Atkinson Hobson, plus particulièrement son ouvrage intitulé Imperialism : A Study (1902) ainsi qu’en parallèle, les chapitres d’un manuel de cinquième année du secondaire consacré à la Première Guerre mondiale. Ils auront tout loisir de vérifier que l’économicisme d’Hobson avait une bonne décennie d’avance sur son temps.