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Trébucher sur le malentendu
Combien de problèmes pourraient être plus vite et mieux résolus, combien de petits drames et de grands malheurs pourraient être évités, combien nos relations avec nos semblables seraient plus simples et plus agréables, bref combien la vie serait moins compliquée si nos propos, nos décisions, nos actions et notre compréhension des autres et des choses […]
Combien de problèmes pourraient être plus vite et mieux résolus, combien de petits drames et de grands malheurs pourraient être évités, combien nos relations avec nos semblables seraient plus simples et plus agréables, bref combien la vie serait moins compliquée si nos propos, nos décisions, nos actions et notre compréhension des autres et des choses n’étaient parfois contaminés par des malentendus !
Toutefois, dans la grande majorité des situations, le malentendu ne reste-t-il pas un phénomène relativement rare et un incident mineur ? Ne peut-il pas être assez aisément évité et, s’il advient, vite dissipé avec un peu de bonne volonté ?
Illusion ! Le malentendu est au contraire un phénomène très répandu, qui s’observe dans tous les domaines de la vie collective : la culture, l’économique, la politique, l’enseignement, la justice, la vie familiale notamment, jusques et y compris les relations intimes. Pour diverses raisons qui relèvent de la dynamique même de la vie psychique, relationnelle et sociale, le malentendu, pour peu qu’il soit identifié d’ailleurs, n’est ni facile à éviter ni facile à lever.
Ce n’est pas un hasard si l’intrigue de tant de romans (pas seulement Le Malentendu de Camus où il conduit au meurtre) repose sur le malentendu. La trame dramatique des Misérables de Victor Hugo, par exemple, est entièrement construite sur une succession de malentendus, qui s’enchevêtrent à tous les niveaux de l’existence psychique, relationnelle et collective.
Il est incontestable que le malentendu a souvent des conséquences néfastes (une méchante dispute, un échec à un examen, une atmosphère détestable dans un milieu professionnel, la perte d’un client, un accident ménager, une déconvenue amoureuse, une catastrophe aérienne, le fiasco d’une politique publique, de profondes tensions sociales…). Pour cette raison, il est considéré, en lui-même, comme intrinsèquement néfaste, à éviter à tout prix, à fortiori dans le contexte culturel ambiant où la transparence des communications est considérée comme un idéal. De là, il n’y a qu’un pas à penser que sans malentendus le monde tournerait plus rond.
Mais, si le malentendu est inhérent à la vie relationnelle et collective, s’il participe à son cours et de ses turbulences, peut-être n’est-ce pas toujours et systématiquement pour le pire. Peut-être est-il judicieux d’examiner de plus près comment il s’inscrit dans les processus d’interaction, ce qui le fait advenir, quels sont ses ressorts et ses effets. En partant, non d’une théorie à priori, mais de situations concrètes et diversifiées.
Le malentendu n’est pas seulement un objet d’étude en lui-même. La notion même de malentendu se révèle un outil conceptuel précieux pour analyser et comprendre les situations et problèmes de la vie collective les plus variés ; un angle de vue pour une exploration inhabituelle et éclairante, un analyseur dirions-nous en langage savant. C’est exactement ce qui sera réalisé dans ce dossier. Six auteur·rices traitent, cha- cun·e, d’un sujet qu’iel maitrise bien, mais, une fois n’est pas coutume, sous le prisme du malentendu.
Examiner en quoi et comment le malentendu est inhérent à toute vie collective nécessitait de diversifier au maximum les champs d’observation. Sont ici abordés les relations pédagogiques, les interactions langagières, le consentement entre partenaires sexuels, les négociations institutionnelles en Belgique, l’intégration des immigrés et le communautarisme et même les rapports des humains aux animaux.
Indépendamment de son insertion dans ce dossier, chaque texte présente un intérêt en lui-même. L’enseignant·e, le parent d’élève ou l’étudiant·e qui se préoccupe de la réussite scolaire en apprendra beaucoup en lisant « Heurs et malentendus pédagogiques » d’Azzedine Hajji. Quiconque est sensible au sort des animaux et à leur place dans nos vies ouvrira grand les yeux en lisant « Des malentendus, aussi avec les animaux » de Jean Nizet. Celui ou celle qui souhaite mieux saisir l’implicite et la subtilité des échanges entre humains, ce qui fait la capacité de nous entendre et, le cas échéant de régler les polémiques, gagnera à lire « Sur un malentendu, ça peut marcher. Y a‑t-il un bon usage du malentendu ? » de Laurence Rosier. Le·la citoyen·ne désireux·euse de saisir pourquoi les incessantes discussions institutionnelles n’aboutissent pas comprendra bien mieux en se plongeant dans « Les réformes institutionnelles belges et les logiques du malentendu » de Michel Molitor. Celle ou celui qui souhaite pour lui·elle et ses enfants une société où il fait bon vivre avec d’autres qui sont différent·es de lui·elle apprendra comment penser avec justesse l’idée de communauté avec « Un malentendu qui dure : l’immigration et le communautarisme » d’Albert Bastenier. Celle ou celui que préoccupent l’égalité dans la relation sexuelle ainsi que la fonction de la norme légale à cet égard lira avec intérêt « Le consentement dans le nouveau Code pénal sexuel. Le retrait du malentendu-alibi » de Jacques Marquet.
Toutefois, l’insertion de chaque texte dans ce dossier lui apportera une plus-value pour le·la lecteur·rice car chaque article contribue, de manière originale, à la production d’un ensemble d’enseignements sur le processus même du malentendu. L’essentiel de ce que nous enseignent ces textes, non plus sur la question concrète qu’ils traitent, mais sur le malentendu lui-même, est synthétisé dans un texte de conclusion en fin de dossier.
Mais il serait dommage de s’y plonger avant la lecture des six textes, d’abord parce que c’est en eux que les idées clés se sont développées, ensuite parce qu’il se pourrait que le·la lecteur·rice en fasse une autre lecture que nous, en tout cas plus appropriée à sa propre expé- rience, à ses propres intérêts, travaux ou projets, aux situations d’interactions concrètes dont iel est lui·elle-même partie prenante.