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Travail en prison, qu’en pensent les détenus ?

Numéro 6 - 2015 par Blanche Amblard Manuel Lambert Damien Scalia

septembre 2015

Si les pres­crits légaux en matière de tra­vail péni­ten­tiaire laissent pen­ser que ce der­nier per­met d’atteindre les objec­tifs légi­times qui lui sont attri­bués (finan­ciers, occu­pa­tion­nels, de réin­ser­tion), la pra­tique semble s’en écar­ter. Face à cette situa­tion, la Ligue des droits de l’homme a sou­hai­té connaitre l’avis des déte­nus au tra­vers d’un ques­tion­naire qu’elle a dis­tri­bué dans cinq éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires. Il en res­sort un para­doxe inquié­tant : si le tra­vail joue un rôle social et occu­pa­tion­nel majeur (pour ceux qui y ont accès), il est per­çu à la fois comme une exploi­ta­tion et comme une faveur qu’il faut obtenir.

Dossier

Une des fonc­tions prin­ci­pales de la pri­son est la reso­cia­li­sa­tion des déte­nus. C’est du moins ce que pos­tule l’article 9 de la loi de prin­cipes du 12 jan­vier 2005 concer­nant l’administration péni­ten­tiaire ain­si que le sta­tut juri­dique des déte­nus (ci-des­sous, loi de prin­cipes). En effet, com­ment envi­sa­ger une socié­té viable si l’on y réin­jecte bru­ta­le­ment des per­sonnes qui ont été cou­pées du monde exté­rieur pen­dant la durée de leur déten­tion, que ce soit d’un point de vue­fa­mi­lial, social, mais aus­si pro­fes­sion­nel ? Dans ce cadre, le tra­vail en pri­son tient un rôle pri­mor­dial, dès lors qu’il contri­bue à ouvrir les éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires vers l’extérieur. Le tra­vail en pri­son doit inté­grer le déte­nu dans le monde éco­no­mique, le réin­sé­rer dans la vie sociale, lui don­ner une forme de digni­té. C’est d’ailleurs ce qui est mis en avant par les déte­nus eux-mêmes lorsqu’ils sont inter­ro­gés sur le tra­vail en pri­son, ne fût-ce que parce qu’il per­met de main­te­nir un rythme de vie sem­blable à celui qui pou­vait exis­ter à l’extérieur.

« Ce qu’il y a d’intéressant, c’est pas le tra­vail en lui-même, c’est le sta­tut et le bon équi­libre men­tal que ça apporte, sans par­ler du conte­nu plus que ça. […] On a l’impression d’une cer­taine auto­no­mie. On a plu­tôt l’impression d’être… de tra­vailler plus pour avoir un sta­tut pour soi, se lever tous les matins, ça donne un rythme, un peu comme dehors. Après ta jour­née de tra­vail, tu vas faire ton sport ou moi avant je fai­sais du théâtre, j’ai retrou­vé un rythme proche d’avant mon incar­cé­ra­tion. […] Pour moi c’est impor­tant de conser­ver ça et c’est pos­sible à tra­vers le tra­vail » (déte­nu, trente ans, sep­tième année de déten­tion). « Pour moi c’est très béné­fique […] je vien­drais tra­vailler tous les jours, pour moi c’est un sup­port psy­cho­lo­gique énorme […] ça me règle ma vie » (déte­nu, qua­rante-cinq ans, condam­né à vingt ans, dou­zième année de déten­tion, troi­sième incar­cé­ra­tion). « Au tra­vail, on s’investit, ça ouvre des pers­pec­tives. C’est extrê­me­ment impor­tant de nous confier des res­pon­sa­bi­li­tés, ça prouve de la recon­nais­sance et on devient plus cré­dible » (déte­nu, trente-cinq ans, trei­zième année de détention).

Face à ces ques­tions cen­trales, la Ligue des droits de l’homme (LDH) a sou­hai­té connaitre le point de vue des déte­nus, au tra­vers d’un ques­tion­naire qu’elle a dis­tri­bué dans cinq éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires situés à Bruxelles et en Wal­lo­nie : Forest, Saint-Gilles, Ittre, Dinant et Mar­neffe. Même si les résul­tats de cette démarche ne peuvent être géné­ra­li­sés à l’ensemble des éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires, ils donnent un aper­çu de l’avis des déte­nus sur le tra­vail en pri­son et per­mettent d’entrevoir des ten­dances. Les résul­tats seront com­men­tés et ana­ly­sés dans un pro­chain rap­port. Nous en pré­sen­tons ici une pre­mière esquisse.

Les normes en vigueur

Le tra­vail en pri­son est jus­ti­fié par l’occupation des déte­nus, le fait d’obtenir une rému­né­ra­tion, la (re)socialisation, la nor­ma­li­sa­tion, la res­pon­sa­bi­li­sa­tion et la for­ma­tion des déte­nus. Ces fonc­tions res­tent néan­moins assez illu­soires puisque le tra­vail en pri­son est sou­vent peu rému­né­ré, répé­ti­tif, peu for­ma­teur, voire avi­lis­sant. En effet, comme l’illustre cette enquête, le tra­vail en pri­son se rap­proche par­fois, voire sou­vent, d’une exploi­ta­tion indigne de la force de tra­vail des déte­nus (qua­si-inexis­tence de rému­né­ra­tion, non-res­pect des droits fon­da­men­taux du tra­vail et de la sécu­ri­té sociale, non-res­pect des normes de base de sécu­ri­té et d’hygiène, etc.).

La Consti­tu­tion belge garan­tit un droit au tra­vail et à la sécu­ri­té sociale à tous les citoyens (article 23). Le fon­de­ment juri­dique du tra­vail en pri­son se trouve dans la loi de prin­cipes : « La mise au tra­vail du déte­nu dans la pri­son a lieu dans des condi­tions qui, pour autant que la nature de la déten­tion ne s’y oppose pas, se rap­prochent autant que pos­sible de celles qui carac­té­risent des acti­vi­tés iden­tiques dans la socié­té libre. » (art. 83, § 1er). Force est de consta­ter que ce pres­crit légal n’est qu’un vœu pieu, tant les condi­tions sur le ter­rain s’y opposent.

L’accès au travail

Le pro­blème prin­ci­pal réside dans le fait qu’il y a très peu de tra­vail dis­po­nible : une petite mino­ri­té de déte­nus y a donc accès : en mars 2014, seuls 4.715 déte­nus tra­vaillaient en Bel­gique sur un total de 11.769 (en ce com­pris les per­sonnes en déten­tion pré­ven­tive, au nombre de 3.610, qui n’ont aucun accès au travail).

En ver­tu de la loi de prin­cipes, la pro­cé­dure de can­di­da­ture devrait être juri­di­que­ment enca­drée : « Le direc­teur veille à l’attribution du tra­vail dis­po­nible dans la pri­son aux déte­nus qui en ont fait la demande. Cette demande doit être actée dans un for­mu­laire éta­bli par le Roi. » Tou­te­fois, cet arrê­té royal n’a pas été adop­té, et les pro­cé­dures d’attribution d’un emploi semblent extrê­me­ment floues et arbitraires.

La rémunération

Quant à la rému­né­ra­tion du tra­vail en pri­son, la loi de prin­cipes sti­pule que « le mon­tant des reve­nus pour le tra­vail offert dans la pri­son est fixé par un arrê­té royal déli­bé­ré en Conseil des ministres ». Tou­te­fois, ce texte n’ayant jamais été adop­té, le flou et l’arbitraire règnent là encore.

L’État belge n’accorde, comme prix du tra­vail, que des gra­ti­fi­ca­tions, qui ne s’inscrivent dans aucune rela­tion orga­ni­sée de tra­vail. Elles sont fixées dans l’arrêté minis­té­riel du 1er octobre 2004 déter­mi­nant les mon­tants des gra­ti­fi­ca­tions payées aux déte­nus. Elles sont les sui­vantes : « 1° étu­diants, manœuvres ou domes­tiques : mini­mum 0,62 euros de l’heure ; 2° ouvriers expé­ri­men­tés ou qua­li­fiés : mini­mum 0,69 euros de l’heure ; 3° ouvriers d’élite : mini­mum 0,79 euros de l’heure. » Sur ces sommes est en plus opé­rée une rete­nue de quatre dixièmes au pro­fit de l’État, à titre de frais de gestion.

La part de rému­né­ra­tion lais­sée à la dis­po­si­tion des déte­nus est donc extrê­me­ment faible : en fonc­tion du type d’activité menée, elle varie entre quelques dizaines de cen­times et deux euros de l’heure. Offi­ciel­le­ment, en moyenne, les déte­nus conservent envi­ron 42% de l’argent ver­sé à l’administration péni­ten­tiaire par l’entreprise exté­rieure ; les 58% res­tants reve­nant à l’administration. Une opa­ci­té cer­taine semble exis­ter quant à l’utilisation exacte de cet argent.

La sécurité et la santé au travail

Les acci­dents du tra­vail et les mala­dies pro­fes­sion­nelles ne sont pas cou­verts : si la loi de prin­cipes pré­voit l’«octroi d’une indem­ni­té aux déte­nus vic­times d’un acci­dent du tra­vail en pri­son », l’arrêté royal devant faire entrer en vigueur cette dis­po­si­tion n’a jamais été adop­té. Quant aux condi­tions de tra­vail, la loi de prin­cipes éta­blit que « la durée et les horaires de tra­vail sont fixés par le règle­ment d’ordre inté­rieur. La durée du tra­vail ne peut en aucun cas excé­der celle qui est fixée par ou en ver­tu de la loi pour des acti­vi­tés cor­res­pon­dantes dans la socié­té libre ». Selon ce même article, les déte­nus béné­fi­cient d’un repos heb­do­ma­daire, mais ils n’ont pas le droit à des congés payés annuels. Aus­si, la méde­cine du tra­vail n’existe pas en pri­son tout comme les ser­vices d’inspection du tra­vail ; il semble n’y avoir aucun contrôle.

La sécurité sociale

Le 1er juillet 2013, la loi de prin­cipes a été modi­fiée afin de pré­voir que le tra­vail en pri­son ne fait pas l’objet d’un contrat de tra­vail. Cette mesure, à prio­ri ano­dine, a des consé­quences impor­tantes sur le tra­vail péni­ten­tiaire puisqu’elle exclut les tra­vailleurs déte­nus de toute la pro­tec­tion du droit du tra­vail et de la sécu­ri­té sociale consé­cu­tive à un contrat de tra­vail conforme à la loi du 3 juillet 1978. C’est ce qu’a rele­vé le Conseil d’État, qui a sou­le­vé que « Cette dis­po­si­tion n’apporte cepen­dant pas encore de réponse à la ques­tion de savoir quelle est alors la nature juri­dique du rap­port de droit entre l’autorité péni­ten­tiaire et le déte­nu lorsque celui-ci effec­tue un tra­vail en pri­son, ni à celle de savoir quelle légis­la­tion sur le tra­vail autre que la loi du 3 juillet 1978 s’applique au tra­vail péni­ten­tiaire ». Tou­te­fois, ces pré­oc­cu­pa­tions sont res­tées sans réponse, aucun régime juri­dique n’ayant été fixé par le légis­la­teur pour com­bler cette carence.

Par ailleurs, les déte­nus tra­vailleurs ne sont pas sou­mis à la sécu­ri­té sociale. Comme ils ne signent pas de contrat de tra­vail, ils ne sont pas pro­té­gés contre les risques sociaux asso­ciés au tra­vail. Les per­sonnes incar­cé­rées ne peuvent faire valoir le tra­vail qu’elles ont pres­té en pri­son pour l’assurance-chômage ni pour la coti­sa­tion de la pen­sion. De plus, elles peuvent perdre leur tra­vail du jour au len­de­main, sans motif ni expli­ca­tion. En outre, récem­ment, le gou­ver­ne­ment a annon­cé son inten­tion de sup­pri­mer l’indemnité mutuelle des déte­nus. Aus­si, comme le sou­ligne l’Observatoire inter­na­tio­nal des pri­sons (OIP), « dès la pri­va­tion de liber­té, les déte­nus perdent l’intégralité de leur reve­nu d’intégration, de leurs allo­ca­tions de chô­mage, de leur cou­ver­ture mala­die, ou encore de leurs allo­ca­tions pour per­sonnes han­di­ca­pées. Cer­tains d’entre eux conti­nuent pour­tant à assu­mer des res­pon­sa­bi­li­tés fami­liales. […] [L]e tra­vail péni­ten­tiaire n’ouvre à son tour aucun droit aux allo­ca­tions sociales et […] la gra­ti­fi­ca­tion offerte aux déte­nus tra­vailleurs demeure géné­ra­le­ment déri­soire ». Cela illustre l’urgence de mettre en place un sys­tème de pro­tec­tion sociale des déte­nus et de leur famille dans une pers­pec­tive de jus­tice sociale et de réinsertion.

De plus, il n’existe aucun motif ni pro­cé­dure de sus­pen­sion ou de rup­ture de la rela­tion de tra­vail qui soit expres­sé­ment pré­vu juri­di­que­ment. Les prin­ci­pales causes de la rup­ture de la rela­tion de tra­vail sont dis­ci­pli­naires ou bien tiennent à l’arbitraire de l’administration ou des surveillants.

Constats relatifs à la population carcérale

En Bel­gique, il y avait 11.769 déte­nus (hommes et femmes) en 2014 dont, selon la régie du tra­vail péni­ten­tiaire, 4.715 tra­vailleurs ; ce qui ne repré­sente qu’environ 40% des déte­nus (la moi­tié d’entre eux étant des pré­ve­nus en déten­tion pré­ven­tive, n’ayant aucune forme d’accès au travail).

D’une part, la plu­part des déte­nus viennent d’un milieu éco­no­mi­que­ment défa­vo­ri­sé et connaissent un par­cours de vie pré­caire : rup­tures fami­liales, décro­chages sco­laires pré­coces, pré­ca­ri­tés maté­rielles et dénue­ment affec­tif, absence de pers­pec­tives d’emploi, pas­sages répé­tés dans la délin­quance, consom­ma­tion d’alcool ou de drogue, etc.

D’autre part, leur déten­tion se déroule dans des condi­tions de vie et d’occupation de l’espace sou­vent pré­caires, qu’il s’agisse de l’insalubrité des cel­lules, de la pro­mis­cui­té extrême, des carences ali­men­taires consé­cu­tives au régime car­cé­ral ou du manque criant d’accès aux soins de san­té. Si les déte­nus sont nour­ris et logés, il faut ache­ter papier hygié­nique en suf­fi­sance, nour­ri­ture saine et équi­li­brée, pos­si­bi­li­té de contact par écrit ou télé­phone avec l’extérieur. L’incarcération dis­tord et dis­tend les liens sociaux. Elle rend le main­tien des rela­tions fami­liales par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile. Elle donne un faible accès aux tra­vail et loi­sirs, à la culture et la for­ma­tion, à l’hygiène et à la san­té de base1, ce qui n’est fina­le­ment qu’une accen­tua­tion de la situa­tion à l’extérieur. Enfin, la pau­vre­té au sein du monde car­cé­ral se marque éga­le­ment par la dimen­sion tem­po­relle : la grande majo­ri­té des déte­nus sont inac­tifs. Le tra­vail est un bien rare en pri­son et les acti­vi­tés manquent, mal­gré les besoins en for­ma­tion de base, en alpha­bé­ti­sa­tion et en sport2.

L’accès au tra­vail en pri­son pour­rait être l’un des leviers d’action face à la pré­ca­ri­té de la popu­la­tion car­cé­rale. C’est pour­quoi la LDH a sou­hai­té connaitre le point de vue des détenus.

Analyse du questionnaire

Au sein de la popu­la­tion ques­tion­née, 65% des répon­dants ont entre 26 et 45 ans. Seuls 5,5% ont moins de 26 ans. Plus de 60% des per­sonnes ayant répon­du au ques­tion­naire avaient un emploi avant leur incar­cé­ra­tion. Sur les déte­nus inter­ro­gés, 95 sont de natio­na­li­té belge, les autres étant étran­gers (15 natio­na­li­tés en tout). Les déte­nus ayant répon­du à ce ques­tion­naire se répar­tissent de la manière sui­vante : la pri­son d’Ittre avec 70 déte­nus, Mar­neffe 33 déte­nus, Dinant 20 déte­nus, Saint-Gilles 12 déte­nus et Forest 11 détenus.

L’accès au travail

La grande majo­ri­té des per­sonnes qui ont répon­du au ques­tion­naire disent avoir deman­dé à tra­vailler, un tiers seule­ment des répon­dants disant que le tra­vail leur a été pro­po­sé. Leurs prin­ci­pales moti­va­tions sont à la fois finan­cières et occu­pa­tion­nelles : « Si vous ne tra­vaillez pas, vous res­tez enfer­mé en cel­lule vingt-deux heures par jour» ; « Je n’ai pas de visites ni de famille. Rien» ; « Finan­cière : je n’ai per­sonne à l’extérieur pour m’envoyer de l’argent pour pou­voir can­ti­ner» ; « Pour ma famille, pour les contac­ter et les aider» ; « Éga­le­ment pour payer les par­ties civiles, les frais de jus­tice» ; « Occu­pa­tion­nel dans un pre­mier temps. Finan­ciè­re­ment par la suite pour les dif­fé­rentes charges (TV, fri­go, can­tine…)»; « Réin­ser­tion et réadap­ta­tion aux horaires» ; « Pour m’aider à sor­tir d’une grave dépres­sion et d’un impor­tant enfer­me­ment », etc. figurent par­mi les réponses reçues.

Le tra­vail a voca­tion à faire sor­tir les déte­nus de leur cel­lule, à « tuer le temps », à éco­no­mi­ser un peu, mais aus­si à voir d’autres per­sonnes, à occu­per leur jour­née et à gar­der un cer­tain rythme de vie. Il a une indé­niable fonc­tion sociale.

Pour un tiers des répon­dants, l’accès au tra­vail est dû aux bonnes rela­tions qu’ils ont avec les agents ou bien au fait qu’ils sont là depuis suf­fi­sam­ment long­temps ; par­fois les deux. Envi­ron 40% des répon­dants estiment que c’est sur­tout à la suite d’un com­por­te­ment exem­plaire que l’on obtient un tra­vail en pri­son. Le ques­tion­naire a per­mis de révé­ler le manque de clar­té en ce qui concerne l’obtention d’un tra­vail en pri­son. Les remarques des déte­nus à cet égard illus­trent par­fai­te­ment cette situa­tion : « Favo­ri­tisme» ; « Au petit bon­heur la chance quand la liste d’attente est res­pec­tée» ; « Cer­tains déte­nus sont pri­vi­lé­giés », etc. 80% des déte­nus qui ont répon­du à ce ques­tion­naire consi­dèrent qu’il s’agit d’un passe-droit.

La sélec­tion des déte­nus se fait en fonc­tion d’une liste d’attente. En prin­cipe, celui qui est en haut de la liste obtient prio­ri­tai­re­ment du tra­vail : « Le déte­nu qui s’est ins­crit pour une acti­vi­té déter­mi­née (tra­vail, for­ma­tion, sport…), et qui est absent sans jus­ti­fi­ca­tion peut être pla­cé au bas de la liste d’attente3. » Il faut noter que lorsqu’un déte­nu est sanc­tion­né dis­ci­pli­nai­re­ment ou est envoyé au cachot (mesure de sécu­ri­té par­ti­cu­lière indi­vi­duelle), il perd son tra­vail et se retrouve en bas de la liste. Les déte­nus ne sont par ailleurs pas infor­més de leur place sur la liste d’attente.

Quant à la pri­va­tion du tra­vail pour des rai­sons dis­ci­pli­naires, celle-ci est confir­mée par 65% répon­dants. Cer­tains se voient en outre pri­vés de leur tra­vail en rai­son d’une audience ou en cas de transfert.

La rémunération

Pour l’un des répon­dants, la rému­né­ra­tion du tra­vail en pri­son peut se résu­mer à des « caca­houètes équi­valent au salaire du Ban­gla­desh ». Cet avis est lar­ge­ment par­ta­gé. Les réponses sou­lignent éga­le­ment le fait que l’argent don­né par les entre­prises ne leur revient pas en tota­li­té. Plu­sieurs déte­nus se demandent où va l’argent. Dans la pra­tique, la rému­né­ra­tion est allouée soit à la pièce, soit à l’heure, soit à la jour­née, soit à la semaine ou au mois selon les déte­nus et selon les tâches effec­tuées. Par exemple, dans l’établissement péni­ten­tiaire de Forest, la rému­né­ra­tion est de plus ou moins 85 cen­times de l’heure.

En paral­lèle, les déte­nus se plaignent éga­le­ment des prix exor­bi­tants de la can­tine. Nous avons dès lors effec­tué une com­pa­rai­son entre la can­tine et l’enseigne dans laquelle se four­nit l’administration : un kilo de bananes coute en pri­son 2,20 euros pour 1,09 euro au super­mar­ché. De même, la baguette est à 1,06 euro pour 0,79 euro à l’extérieur ; le sucre à 1,33 euro contre 0,75 euro à l’extérieur ; le kilo de café à 2,28 euros pour 1,99 euro à l’extérieur, etc.

La sécurité et la santé au travail

En ce qui concerne les condi­tions de tra­vail, cer­tains éta­blis­se­ments ne pré­sentent pas les condi­tions de salu­bri­té mini­males. Par exemple, à Saint-Gilles, l’atelier est vétuste et humide. Les bâti­ments sont enva­his par « la moi­sis­sure et la ver­mine » et il y a un évident manque d’hygiène.

Quant à la sécu­ri­té, les répon­dants se divisent en deux par­ties : une moi­tié estime que la sécu­ri­té est res­pec­tée sur le lieu de tra­vail, tan­dis que l’autre est d’un avis contraire. L’environnement de tra­vail semble ne pas être adap­té aux besoins des tra­vailleurs : « Pas de bon maté­riel» ; « Insa­lu­bri­té» ; « Des sou­ris et des rats» ; « Pas de chaus­sures de sécu­ri­té adap­tées» ; « Pro­duit chi­mique, acide sans puri­fi­ca­tion de l’air» ; « Pas de pro­tec­tion audi­tive» ; « Pous­sière et masques inadap­tés », etc.

Ain­si les normes de sécu­ri­té et d’hygiène mini­males semblent loin d’être acquises dans le milieu du tra­vail carcéral.

La sécurité sociale

Les tra­vailleurs peuvent faci­le­ment perdre leur tra­vail sur la seule appré­cia­tion d’un agent, qui peut don­ner pour seul motif : « inapte pour le poste» ; aucun recours n’est pos­sible puisqu’il n’existe aucun contrat.

Pour les déte­nus, il existe un impor­tant flou concer­nant l’existence ou non d’un contrat de tra­vail ou d’un règle­ment de tra­vail. 60% disent n’avoir ni l’un ni l’autre et, pour les déte­nus res­tants, cer­tains ne savent pas — et d’autres disent avoir signé une « sorte de contrat », voire un contrat.

Il n’existe pas non plus de repré­sen­ta­tion des tra­vailleurs dans la majo­ri­té des pri­sons où le ques­tion­naire a été dif­fu­sé : seules Mar­neffe et Ittre semblent pos­sé­der des repré­sen­tants des déte­nus dans leur ensemble.

Les horaires semblent tout aus­si flous puisque 45% des déte­nus disent être pré­ve­nus de leur horaire la veille et 15% la semaine qui précède.

Conclusion

Le ques­tion­naire a enfin posé la ques­tion de savoir com­ment les déte­nus per­ce­vaient le tra­vail. Si cer­tains déte­nus de la pri­son de Mar­neffe, Ittre et Forest ont répon­du que le tra­vail en pri­son peut être posi­tif (« Ins­truc­tif» ; « Occu­pa­tion­nel» ; « Valo­ri­sant »), la plu­part ont cepen­dant qua­li­fié de façon très néga­tive le tra­vail actuel­le­ment mis en œuvre : « Escla­vage pour le déte­nu» ; « On vous prend pour de la merde» ; « Exploi­ta­tion» ; « Pitoyable» ; « Honte» ; « Illé­gal» ; « Pénible» ; « Sous-payé» ; « Abus»…, sont les termes qui reviennent le plus sou­vent. En outre, ils se plaignent du fait que les tra­vaux pro­po­sés ne per­mettent pas leur réin­ser­tion. Ain­si la grande majo­ri­té estime que le tra­vail en pri­son est une exploi­ta­tion, mais aus­si une faveur qu’il faut obtenir.

Ain­si, en don­nant la parole aux déte­nus, il res­sort qu’il existe un fos­sé abys­sal entre les normes natio­nales et inter­na­tio­nales et leur appli­ca­tion concrète. De plus, est une nou­velle fois confir­mée la tache (indé­lé­bile?) que laisse le sys­tème car­cé­ral sur le bilan du res­pect des droits fon­da­men­taux par l’État belge. Prise cette fois sous l’angle du tra­vail, cette enquête révèle que les droits fon­da­men­taux des déte­nus sont vio­lés sur au mini­mum cinq points (l’accès au tra­vail, le droit à une rému­né­ra­tion décente, le droit à des condi­tions de tra­vail décentes, le droit à la sécu­ri­té sociale et la non-dis­cri­mi­na­tion) sus­cep­tibles de faire l’objet d’un recours auprès des ins­tances inter­na­tio­nales com­pé­tentes. La LDH deman­de­ra sans doute des comptes devant ces instances…

  1. OIP, sec­tion belge, Notice de l’état du sys­tème car­cé­ral belge, 23 aout 2013, p. 57.
  2. Ber­trand M. et Cli­naz S., L’offre de ser­vice faite aux per­sonnes déte­nues dans les éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires de Wal­lo­nie et de Bruxelles, Ana­lyse 2013 – 2014, Coor­di­na­tion des asso­cia­tions actives en pri­son, mars 2015.
  3. Règle­ment d’ordre inté­rieur de l’établissement péni­ten­tiaire de Saint-Gilles, p. 4.

Blanche Amblard


Auteur

stagiaire juriste à la Ligue des droits de l’homme (LDH)

Manuel Lambert


Auteur

conseiller juridique, membre de la commission Prison (LDH)

Damien Scalia


Auteur

docteur en droit, chercheur et enseignant, membre de la commision Prison (LDH)