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Traductrices du monde entier, levez-vous !

Numéro 1 – 2023 par Cristal Huerdo Moreno July Robert

février 2023

Tra­duire, c’est trans­mettre. Tra­duire, c’est par­ta­ger. Tra­duire, c’est, d’une cer­taine manière par­ti­ci­per au récit. Une tra­duc­trice passe un texte par le filtre de sa pen­sée et de son expé­rience. Tra­duire, c’est aus­si échan­ger, dif­fu­ser et véhi­cu­ler des idées, des his­toires d’une région à d’autres du vaste monde comme contri­bu­tion à son évo­lu­tion. Mais est-ce tra­hir ? Jusqu’où peut-on […]

Dossier

Tra­duire, c’est trans­mettre. Tra­duire, c’est par­ta­ger. Tra­duire, c’est, d’une cer­taine manière par­ti­ci­per au récit. Une tra­duc­trice passe un texte par le filtre de sa pen­sée et de son expé­rience. Tra­duire, c’est aus­si échan­ger, dif­fu­ser et véhi­cu­ler des idées, des his­toires d’une région à d’autres du vaste monde comme contri­bu­tion à son évo­lu­tion. Mais est-ce tra­hir ? Jusqu’où peut-on aller dans la réécri­ture d’un pro­pos, dans la diges­tion d’un texte pour le rendre intel­li­gible dans une langue étran­gère. Les autrices et l’auteur de ce dos­sier sont toutes tra­duc­trices. Pour évo­quer les nou­veaux enjeux de la tra­duc­tion, il nous a sem­blé indis­pen­sable d’offrir une réflexion située, menée par des per­sonnes dont la tra­duc­tion est le métier mais sur­tout, et c’est essen­tiel dans un métier de plume, dont c’est la pas­sion. À l’heure où d’aucun.es ne jurent que par les tra­duc­tions auto­ma­ti­sées qu’offrent les intel­li­gences arti­fi­cielles, nous avons sou­hai­té remettre la balle au centre pour vous, pour nous rap­pe­ler que les émo­tions, les expé­riences vécues, la pra­tique, les his­toires per­son­nelles, la recherche, les contacts sont autant d’éléments qui poussent une tra­duc­trice à s’emparer d’un texte pour le don­ner à voir à un lec­to­rat plus large.

Le pré­sent dos­sier a été pen­sé et construit à par­tir de la sin­gu­la­ri­té des expé­riences per­son­nelles et donc depuis une cer­taine sub­jec­ti­vi­té enga­gée. La pre­mière per­sonne y est volon­tai­re­ment pré­sente, car il s’agit de don­ner à entendre des voix bien sou­vent muettes, de mettre en lumière des per­sonnes fré­quem­ment invisibilisées. 

Geor­gia Fro­man coiffe deux cas­quettes, celle d’éditrice et celle de tra­duc­trice. Tant dans la mai­son d’édition où elle tra­vaille, Wild­pro­ject, que dans son tra­vail de tra­duc­trice free­lance, elle a à cœur de se décen­trer, de lais­ser place aux autres cultures en fai­sant un pas de côté pour évi­ter le piège de l’ethnocentrisme. Elle nous raconte com­ment, dans ses deux métiers, elle par­vient à conju­guer ses pra­tiques pour assu­rer que ne soit invi­si­bi­li­sées ni la tra­duc­tion ni l’altérité des textes étran­gers sur les­quels elle est ame­née à tra­vailler. Une démarche où humi­li­té et pro­fes­sion­na­lisme se croisent pour mieux se nour­rir et offrir aux lec­trices une vision plu­rielle de notre monde.

Tra­duire en féministe/s, en voi­là une démarche ambi­tieuse ! July Robert s’est pen­chée sur l’ouvrage de la tra­duc­trice Noé­mie Gru­nen­wald inti­tu­lé Sur les bouts de la langue pour nous en livrer l’essence. Pro­fon­dé­ment tou­chée, remise en ques­tion par sa lec­ture, elle s’en est empa­rée pour ten­ter de bous­cu­ler ses pra­tiques et de recen­trer son tra­vail sur l’essentiel : l’action col­lec­tive, l’échange avec les autrices et avec les édi­trices enga­gées. Les mots figent une pen­sée, mais de nou­velles pra­tiques tra­duc­tives peuvent les remettre en mou­ve­ment et leur don­ner une nou­velle por­tée. Pour résis­ter face à l’individualisme ambiant et lut­ter pour s’émanciper des codes andro­lec­taux1 qui nous enferment dans un monde patriar­cal à déconstruire.

Mah­dis Sade­ghi­pouya vit à Paris depuis quelques années. Cher­cheuse et tra­duc­trice, elle est ori­gi­naire d’Iran, un pays en proie à une vaste révolte dont on nous parle depuis plu­sieurs mois, mais qui dure en réa­li­té depuis plus de 115 ans. Alors qu’elle s’est lan­cée dans la tra­duc­tion en far­si d’un ouvrage pour le moins enga­gé, In the Name of Women’s Rights. The Rise of Femo­na­tio­na­lism, elle par­tage avec nous sa démarche de tra­duc­trice acti­viste et les menaces qui ont pesé (et pèsent tou­jours) sur elle tout au long de son travail. 

Dans leur article, Anne Deli­zée et Alek­sey Yudin s’interrogent sur les pra­tiques de tra­duc­tion des noms propres, et plus spé­ci­fi­que­ment dans un contexte de guerre, en l’occurrence celui de l’invasion de l’Ukraine par la Rus­sie. Iels nous offrent un pano­ra­ma his­to­rique des langues slaves avant de mettre en lumière les pra­tiques lan­ga­gières comme construc­tion iden­ti­taire. Au début de ce conflit, de nom­breux médias se sont inter­ro­gés sur leur propre uti­li­sa­tion de l’onomastique notam­ment concer­nant la capi­tale ukrai­nienne. Anne Deli­zée et Alek­sey Yudin viennent éclai­rer cette ques­tion de leur propre expérience. 

La lit­té­ra­ture jeu­nesse est le parent pauvre de la tra­duc­tion… mais pas dans ce dos­sier. Anne Cohen Beu­cher, recon­ver­tie dans la tra­duc­tion après une car­rière dans les banques et les assu­rances nous parle de sa pas­sion pour cette soi-disant « petite lit­té­ra­ture » et de l’importance que revêt à ses yeux la dif­fu­sion d’histoires et de récits pour les enfants. Pas­seuse de mots pas­sion­née, son inter­view exprime sa foi dans l’importance du par­tage de cultures diverses pour construire les esprits des plus jeunes. 

Enfin, le dos­sier se clôt par une pré­sen­ta­tion de Tra­du­Q­tiV, une asso­cia­tion belge très active en matière de visi­bi­li­sa­tion de la tra­duc­tion et des tra­duc­trices lit­té­raires, ani­mée, entre autres, par Anne Cas­ter­man. Vous pour­rez d’ailleurs conti­nuer de suivre leur action via les réseaux sociaux.

  1. La langue est por­teuse de marques de la domi­na­tion mas­cu­line. Les codes andro­lec­taux sont ceux du « par­ler homme » et des codes de lan­gage androcentrés.

Cristal Huerdo Moreno


Auteur

Cristal Huerdo Moreno est maitre de langue principal à l’Université Saint-Louis—Bruxelles, maitre de langue à l’UMONS et traductrice. Elle travaille sur l’écriture féminine engagée (Espagne 1920-1975), sur la fictionnalisation de la guerre civile dans la littérature du XXIe siècle et sur l’hétérolinguisme. Elle encadre la rubrique Italique de La Revue nouvelle.

July Robert


Auteur

July Robert est autrice et traductrice. Elle est également chroniqueuse littéraire pour divers médias belges. Elle a notamment publié Au nom des femmes. Fémonationalisme : les instrumentalisations racistes du féminisme (traduction de In the Name of Women's Rights de la chercheuse Sara Farris) aux éditions Syllepse en décembre 2021 et Pour une politique écoféministe (traduction de Ecofeminism as Politics de la sociologue Ariel Salleh) aux éditions Wildproject et Le Passager clandestin en mai 2024.