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Théo Hachez (1957 – 2008)

Numéro 11 Novembre 2008 - Revue nouvelle (La) par Michel Molitor

novembre 2008

Théo Hachez, direc­teur de La Revue nou­velle de 1993 à 2007 est mort le 9 octobre der­nier. Il avait cin­quante et un ans. Il n’est jamais facile de par­ler publi­que­ment d’un ami décé­dé. Sa mémoire appar­tient à ses proches et il ne convient pas d’u­ti­li­ser le pré­texte de sa mort pour frac­tu­rer ce qui doit res­ter de l’ordre […]

Théo Hachez, direc­teur de La Revue nou­velle de 1993 à 2007 est mort le 9 octobre der­nier. Il avait cin­quante et un ans. Il n’est jamais facile de par­ler publi­que­ment d’un ami décé­dé. Sa mémoire appar­tient à ses proches et il ne convient pas d’u­ti­li­ser le pré­texte de sa mort pour frac­tu­rer ce qui doit res­ter de l’ordre de l’in­time. Néan­moins, sou­vent à son corps défen­dant, Théo Hachez a été une figure publique comme auteur et comme direc­teur de la revue, et c’est à ce titre que nous sou­hai­tons saluer ici sa mémoire.

À la revue, Théo a d’a­bord été un auteur qui a écrit avec la même élé­gance et la même per­ti­nence sur des sujets divers. Quand il par­lait de lui, Théo disait par­fois qu’il se consi­dé­rait comme un « publi­ciste ». Ce terme qui n’est plus guère uti­li­sé aujourd’­hui qua­li­fiait autre­fois les écri­vains poli­tiques, des hommes ou des femmes uti­li­sant l’é­cri­ture dans le com­men­taire ou le com­bat poli­tique. Cela le carac­té­rise assez jus­te­ment. De par sa for­ma­tion et ses goûts, Théo était un lit­té­raire, pas­sion­né par sa langue, qu’il écri­vait bien et dont il fai­sait un outil de com­mu­ni­ca­tion et d’a­na­lyse appli­qué avec le même talent à la lit­té­ra­ture, à la poli­tique belge, aux médias et à l’en­sei­gne­ment. Féru de cri­tique lit­té­raire, il appli­quait avec le même bon­heur l’a­na­lyse des signes et la recherche de leurs sens à Flau­bert ou à Her­gé, mais aus­si aux faits poli­tiques. Il attri­buait beau­coup d’im­por­tance à l’é­cri­ture, qui était chez lui pré­cise, soi­gnée, quel­que­fois com­plexe, mais tou­jours au ser­vice d’une intel­li­gence fine. Son écri­ture était celle d’un intel­lec­tuel au sens le plus com­plet du terme, pas­sion­né et enga­gé. Ses convic­tions étaient solides et n’ont jamais fait de conces­sions aux idées à la mode. Il fal­lait bien d’autres qua­li­tés aux idées pour que Théo les fasse siennes.

Il était un esprit libre, enga­gé, mais rebelle à tout embri­ga­de­ment par­ti­san. Enne­mi des vul­gates, comme il l’a mon­tré très sou­vent. Natu­rel­le­ment bien­veillant, il détes­tait la suf­fi­sance, la lâche­té et les gros­siè­re­tés bru­tales et, face à elles, le ton comme l’é­cri­ture deve­naient cin­glants. En une ving­taine d’an­nées, il a beau­coup écrit dans la revue ; ses com­men­taires de l’ac­tua­li­té, ses articles de fond, ses mul­tiples édi­to­riaux consti­tuent aujourd’­hui une œuvre qui ne doit rien à l’é­phé­mère, mais qui tra­duit une intel­li­gence aiguë de son temps.

Ses col­lègues l’a­vaient choi­si comme direc­teur de La Revue nou­velle en 1993 parce qu’ils avaient mesu­ré toute l’im­por­tance que revê­tait, aux yeux de Théo, l’acte d’é­crire et de publier une revue. Il s’est tota­le­ment inves­ti dans cette tâche, en assu­mant dif­fé­rents rôles : l’a­ni­ma­teur d’une équipe, le res­pon­sable d’une rédac­tion et aus­si l’au­teur se par­ta­geant désor­mais entre l’é­cri­ture qui rap­porte une syn­thèse construite par le débat et des textes aux accents plus per­son­nels. Il a été un direc­teur qui écri­vait beau­coup et bien. Il assu­rait l’a­ni­ma­tion de la revue et y a fait coexis­ter des géné­ra­tions et des sen­si­bi­li­tés dif­fé­rentes. Enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, il a assu­ré avec Joëlle Kwa­schin, la rédac­trice en chef, la sur­vie maté­rielle de la revue. Ce tra­vail avait sans doute quelque chose d’é­pui­sant et il l’a par­fois usé phy­si­que­ment et mora­le­ment, mais sans jamais enta­mer son enthou­siasme, ni la vision très nette de ses res­pon­sa­bi­li­tés à la tête de la revue. Quand il est arri­vé au terme de son man­dat en mai 2007, l’é­quipe de La Revue nou­velle lui a redit sa gra­ti­tude d’a­voir, pen­dant qua­torze années, semaine après semaine, assu­ré la direc­tion de la revue avec per­sé­vé­rance, opi­niâ­tre­té et talent. Avec le recul, nous mesu­rons com­bien cet hom­mage pour­rait être mul­ti­plié aujourd’hui.

La mala­die l’a frap­pé il y a dix-huit mois. Sa par­ti­ci­pa­tion aux acti­vi­tés de la revue en a été ralen­tie, mais il ne l’a jamais inter­rom­pue. Récem­ment, il s’est encore inves­ti dans le débat consa­cré aux Bien­veillantes publié dans le numé­ro de juillet-août. À cette occa­sion, il a mon­tré une nou­velle fois com­bien son intel­li­gence conju­guait luci­di­té et cha­leur, élé­gance et pertinence.
Par­mi une quan­ti­té impres­sion­nante d’ar­ticles, nous avons choi­si de repu­blier trois textes. Issu de la rubrique Rose des Vents, « Pou­ja­disme. La peau de Moha­med Del­haize », paru en novembre 1992, don­nait, au-delà de l’a­nec­dote, un coup de griffe iro­nique au « soleil radieux de l’é­co­no­mie libé­rale ». Dans un registre plus sérieux, « L’é­co­no­misme trans­cen­dan­tal » (Le Mois, juin-juillet 1995) dénon­çait la « natu­ra­li­sa­tion » de l’é­co­no­mie, consi­dé­rée à l’ins­tar d’une science de la nature, où le poli­tique et le social s’é­va­nouissent, et garde toute son actua­li­té et sa per­ti­nence à l’heure de la crise finan­cière. Enfin, Théo a tou­jours été un obser­va­teur atten­tif de la vie poli­tique belge. « La fin du tun­nel ins­ti­tu­tion­nel » (Le Mois, octobre 1996) est pré­mo­ni­toire de la situa­tion actuelle et appe­lait déjà à un large débat francophone.

Il reste aujourd’­hui d’autres très belles pages, non écrites, celles-là, qui nous parlent de lui ; elles ne seront pas publiées dans La Revue nou­velle, mais res­te­ront dans nos mémoires, lumineuses.

Michel Molitor


Auteur

Sociologue. Michel Molitor est professeur émérite de l’UCLouvain. Il a été directeur de {La Revue nouvelle} de 1981 à 1993. Ses domaines d’enseignement et de recherches sont la sociologie des organisations, la sociologie des mouvements sociaux, les relations industrielles.