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The experiment
Fin juin 2014, la prison de Leuze-en-Hainaut souhaite tester les fonctionnalités du nouvel établissement pénitentiaire avant l’arrivée réelle des détenus un mois plus tard. Quarante-cinq volontaires participent à l’exercice, chacun endosse des rôles différents, c’est « The experiment ». En dépit des innovations techniques de cette prison moderne, notamment Prison Cloud, un « internet encadré », l’enfermement reste une expérience traumatisante, déshumanisante. L’expérience de deux des volontaires.
Cellule 1001 : Je m’avance vers la vitre blindée qui me sépare de mon interlocuteur. Un agent pénitentiaire. « Quel est votre nom ? Combien voulez-vous mettre sur votre Prison Cloud ? » Sans trop savoir, je mets dix euros pour les appels téléphoniques et dix euros pour les films. Je ne dépenserai certainement pas autant en vingt-quatre heures, me dis-je. « Veuillez déposer vos effets personnels dans le sas, s’il vous plait. » Je dépose alors mes papiers d’identité, mon téléphone portable, mon trousseau de clés ainsi que mon portefeuille contenant quelques billets, mes cartes bancaires, des cartes de fidélité que je n’ai jamais demandées, surement quelques photos et d’autres souvenirs.
En un instant, je n’ai plus rien. Je me sens dépouillée. Je prends alors conscience de l’utilité de ces objets que l’on a toujours sur soi. Dépossédée, je ne vais plus pouvoir prouver mon identité, communiquer avec mes proches, ni payer quoi que ce soit. Je passe à travers le détecteur de métaux. Mes affaires autorisées contenues dans un sac en plastique sont emportées pour vérification, une partie sera éventuellement laissée aux « prohibés ». On colle une étiquette dessus avec mon nom et on me demande de patienter. Dorénavant, on viendra toujours me chercher. Je ne vais plus pouvoir ni me mouvoir ni ouvrir une seule porte sans y être explicitement autorisée, invitée et accompagnée. C’est évidemment là l’essence de la prison : la privation de la liberté. L’expérience a donc commencé. Pour vingt-quatre heures, je serai détenue, cellule 1001, « servante de section ».
Cellule 1012 : Il est treize heures trente quand je me présente à l’entrée de l’établissement ; le personnel de l’accès qui nous « accueille » se montre froid et distant ; il joue le jeu ou son rôle. Une fois tous les acteurs « entrants de transferts » présents, nous nous rendons jusqu’au parking de la prison où un fourgon nous attend et où débute l’expérience. Nos sacs sont embarqués par les agents pénitentiaires dans le coffre du véhicule. Nous sommes fouillés un à un, puis menottés, les mains devant. Nous montons chacun à notre tour dans le fourgon, je suis installée dans un « cagibi » vitré, dont on fermera la porte derrière moi après qu’un autre détenu m’a rejointe et que l’on a attaché nos ceintures de sécurité. L’habitacle dans lequel je suis ne s’ouvre pas de l’intérieur. Un agent pénitentiaire accède à l’unique poignée qui ouvre les trois cagibis où nous sommes enfermés. Il y a de la musique dans le fourgon, mais nous ne l’entendons que de très loin, tout est calfeutré. Le véhicule sort du parking de la prison et roulera durant quelques minutes sur la route, pour ensuite revenir à la prison. J’observe et je suis surtout à l’affut du moindre bruit qui me donnera un indice de ce qui nous attend. Le personnel pénitentiaire, quant à lui, ne dit mot et est concentré sur sa tâche. L’ambiance se fait pesante. Rien ne nous est dit quant au déroulement de la suite de l’expérience…
Cellule 1001 : Je passerai douze portes avant d’arriver au panoptique, immense, impressionnant, le centre névralgique de la prison. Je me dirige vers ma section. On me fouille. « Vous êtes notre servante de section, vous n’irez pas très loin, votre cellule est déjà ici. » Juste à côté du bureau des agents de section. J’entre à moitié. Mon regard se pose sur la fenêtre. Deux vitres blindées, des barreaux et un store découpent la vue qui donne sur une petite cour intérieure vide. Cette fenêtre ne s’ouvre pas. À sa gauche se trouve une étroite plaque en métal percée de minuscules trous censés permettre l’aération. Je vais étouffer ici. Il n’y a pas d’air. En voyant ma tête, le gardien me dit avec empathie « Oui, moi aussi j’ai eu cette impression de manquer d’air en entrant en cellule la première fois. Apparemment, on s’y habitue. » Silence. « Est-ce que vous avez des questions ? » J’en ai mille, mais ce qui m’inquiète le plus est de savoir ce qui va se passer après. On me parle de Prison Cloud. J’y trouverai beaucoup de réponses et je suis invitée de toute façon à tester un maximum de ses fonctionnalités. Je fais des petits allers-retours sur le pas de ma porte, je parle avec les gardiens, je ne connais même pas leurs noms. Cela ne semble pas important. Eux connaissent le mien.
J’entre ensuite dans ma cellule. Un lit en métal fixé au mur avec un deuxième au-dessus, on ne sait jamais. Une chaise en plastique et un bureau, avec un ordinateur, câbles apparents. Une étagère, un petit frigo et une autre pièce à ma droite. Je me retourne. La lourde porte de ma cellule s’est refermée derrière moi. Je ne m’en suis pas rendu compte. Maintenant, je suis enfermée. Avec une drôle de sensation, je continue à observer les lieux : une petite salle de bains derrière des portes va-et-vient, une cuvette nue, un petit évier, un pommeau de douche fixé au plafond et un miroir incassable. Tout est sécurisé. J’entends au loin les bruits de la section. Quand est-ce que l’on m’a dit que je pourrais sortir pour assurer mon travail de servante ? Dans une heure environ ? Quelle heure est-il ? Je n’ai pas encore récupéré mon sac plastique contenant mes effets personnels. J’y ai laissé ma montre. Je ne mesure pas le temps qui passe.
Cellule 1012 : Le fourgon klaxonne et la porte du sas s’ouvre. Le fourgon passe une première porte, puis une deuxième, pour arriver dans une vaste cour. Une troisième porte s’ouvre, le fourgon se gare. Les agents nous font sortir un à un, à l’intérieur de l’établissement où le personnel de la prison nous attend. On passe le portique, encore et encore, en enlevant petit à petit nos ceintures, bijoux, jusqu’à ce que l’appareil ne sonne plus. Tous mes biens sont mis de côté… mes bijoux, que je ne quitte jamais, mais aussi ma montre, qui va bien me manquer. Il doit être quinze heures lorsque je suis conduite dans une grande salle toute blanche, avec des bancs vissés au mur. Un agent pénitentiaire ferme la porte derrière moi, sans rien me dire.
Pas de fenêtre, mais la climatisation. J’apprendrai plus tard que je suis restée deux heures dans cette pièce de trois mètres sur cinq. Une autre détenue me rejoint environ trente minutes plus tard, les hommes sont dans une salle similaire juste à côté. On entend les autres détenus « entrants de transfert » sortir au fur et à mesure du fourgon, passer le même dispositif que nous, l’un après l’autre, puis être placés dans une salle d’attente pour hommes. Heureusement que je ne suis pas seule dans cette salle. On entend les pas des agents pénitentiaires passer devant notre porte. À chaque pas, je pense que quelqu’un vient nous ouvrir la porte…, le temps est long. Un employé du greffe vient chercher ma codétenue, je me retrouve de nouveau seule, l’attente est pesante. Le silence est omniprésent et en devient angoissant. L’idée que l’on m’oublie m’effleure même. Mais, en tendant l’oreille, je perçois au loin des voix derrière la porte, des discussions ; ces échanges vagues et diffus me rassurent. Enfin, on vient me chercher pour me mener dans une autre pièce toute proche, où des employés du greffe m’accueillent. On prendra successivement mes empreintes digitales, une photo, mes coordonnées personnelles, noms et professions des parents. Il m’est remis une clé USB Prison Cloud ainsi qu’un papier portant mon mot de passe.
Cellule 1001 : Mon code d’accès à Prison Cloud ne fonctionne pas. Je me dirige vers le parlophone de ma cellule. Une voix me répond. Je dois patienter. Plusieurs autres détenus ont rencontré des problèmes techniques du même ordre. On m’envoie un technicien. J’attends sans savoir quoi faire ni comment me tenir. J’hésite entre la chaise de bureau et le lit. Je me tiens droite. Je sais qu’on me regarde. Je tourne la tête vers la porte, toutes les cinq minutes. Quand va-t-elle s’ouvrir ? Au centre de celle-ci, à hauteur d’homme, se trouve l’œilleton. Des yeux inconnus y apparaissent parfois, je leur fais signe que tout va bien au début, je leur souris parfois, la situation parait absurde. Je scrute les bruits. Je commence à me lasser. Je pars dans mes pensées, je laisse mon corps se détendre et finis par ignorer ces yeux qui me scrutent. Je les laisse pénétrer mon intimité. Étendue sur mon lit, je suis plongée dans la brochure de la prison, seule distraction que je me suis trouvée, lorsque deux hommes entrent dans ma cellule : « Excusez-nous mademoiselle, on aurait pu frapper », me dit l’un d’eux « oui c’est vrai, mais le faites-vous avec les détenus ? ». Ils ne disent rien. Ils me demandent quel est le problème avec mon Prison Cloud. Ils sont là pour ça.
Cellule 1012 : Immédiatement, une fois entrée dans ma cellule, je m’approche de l’écran pour y changer le mot de passe, comme demandé. « Prison Cloud : connect to build our future »: de quel futur parle-t-on ? Je tapote sur cet ordinateur qui me semble être un compagnon, mais qui s’avèrera au fur et à mesure de l’expérience être bien plus que cela : une machine indispensable, par laquelle tout passe. Plusieurs icônes s’offrent à moi, relativement instinctives, mais le clavier azerty et le langage français ou néerlandais me paraissent très limités pour les détenus étrangers ou parlant l’arabe, par exemple. Je tapote sur les icônes : « Règlements » (règlement d’ordre intérieur, cantines…), « Mon programme », « Internet » (internet limité : bibliothèque de Leuze, quelques sites de journaux…), « Billets de rapport » (demande de voir un psychologue, le service psychosocial, le directeur…), « Téléphone », « Télévision », mais aussi « Mes demandes » où l’on peut voir les réponses à nos multiples demandes telles que participer à une activité… si l’on daigne me répondre. Tout est ordonné, chaque demande est cadenassée sous une icône…
Dans mon programme je découvre enfin ce qu’il est prévu pour les heures à venir. Personne n’est jamais venu me parler directement pour m’expliquer la suite, je trouverai la réponse à mes interrogations sur cet écran ! Je m’inscris donc à l’activité sportive et, pour le lendemain, à une formation Prison Cloud et à un cours de tennis de table. Un « préau » est également prévu dans mon programme. Dans ce qui ressemble à mon bureau, qui décrit et décide de ce qu’il adviendra de moi, je m’inscris donc à tout ce qui m’est accessible. Du moment que je sors… En attendant, je scrute et attends que la porte de la cellule s’ouvre. Je veux voir un visage humain, parler à quelqu’un… Dans ce qui est dorénavant mon « chez moi », je ne me sens pas bien. Je me surprends ainsi à ranger mon nouvel espace, à installer la nappe sur la table, y poser les couverts afin d’être prête quand le repas sera servi, à ranger mes produits d’hygiène et serviettes dans le coin douche, je m’installe.
Cellule 1001 : La prison, bien que statique vit au rythme des mouvements. Depuis ma cellule, j’entends les agents dans la pièce d’à côté les commenter : « On lance le mouvement sport ? Non, on attend le retour de la formation. » Lorsqu’un mouvement est lancé, tout le reste de la prison arrête de respirer. Ensuite seulement, un autre mouvement peut débuter. « Mouvement préau ! » Les heures de préau peuvent tomber en même temps que d’autres activités. En tant que « servante de section », je n’ai pas pu beaucoup sortir de la section que je devais nettoyer, mais, contrairement aux autres participants, ma cellule est restée plus souvent ouverte. Cela dit, de dix-huit heures à six heures du matin, je n’ai eu de contact avec personne. Alors que les autres participants étaient au sport, je mangeais mon repas en regardant la télévision. Je suis longtemps restée aux aguets. On m’avait dit que je sortirais dans la soirée, mais personne n’est jamais venu me chercher. J’ai fini par m’endormir malgré le bruit infernal du frigo. Beaucoup d’autres participantes l’auront éteint durant la nuit. Ce matin, je nettoie le couloir central de la section lorsque l’on nous autorise à abandonner nos tâches ménagères afin de sortir au préau.
Sortir. De l’air ! Pour la promenade, on a le droit de s’habiller en civil. J’abandonne avec plaisir mes habits de servante et me tiens devant ma porte, prête. Il faut toujours être prêt quelques minutes avant l’ouverture de la porte si l’on veut pouvoir sortir. Elle s’ouvre, en même temps que toutes celles de ceux qui sont autorisés à sortir. Je croise le regard des autres détenus. Cela fait longtemps que je n’ai plus vu autant de personnes sans costumes bleus. Mes camarades et moi, nous nous sourions. On nous fouille. On passe tous au détecteur. Il sonne. Re-fouille. Re-détecteur. « C’est bon, allez‑y ! ». Il faut régler le détecteur qui n’est apparemment pas au point. Un à un, nous passons dans un sas de sécurité puis par un petit tourniquet et me voilà, avec les autres, dans la cour, entourée de hautes grilles et de murs ; même l’accès vers le ciel est sécurisé par des câbles (électriques?). Il fait couvert, il pleuvine. Je sens l’air frais emplir mes poumons. Je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour tous ces détenus qui ne sortent jamais au préau par crainte de la violence. Est-ce que ça veut dire qu’ils ne sentiront plus un courant d’air sur leur visage pendant toute la durée de leur peine ? Au centre se trouve un abri, en dessous, une fontaine à eau potable. Il y a des bancs au design moderne, deux goals de foot en métal, des urinoirs accrochés aux grilles. Au sol, des espaces herbeux, un peu de vie au milieu du béton et du métal. Un recouvrement de sol semblable à ceux des terrains d’athlétisme est disposé près des grilles et forme une sorte de piste de course sur lequel on ne met pas dix minutes avant de s’engager. Nous commençons à marcher en cercle, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre… pour changer l’ordre des choses. Bouger. On en a tous besoin. Sentir nos muscles fonctionner. Après seulement vingt heures en prison dont douze heures d’affilée en cellule, certaines adaptations marquantes s’imposent à chacun. « J’ai l’impression que je peux toujours être pris au dépourvu », m’explique mon « co-servant » de section, tout en marchant à mes côtés. Plusieurs sont impressionnés par leur propre docilité. « Il faut être prêt, sinon on ne sort pas ! »
Cellule 1012 : Depuis ma cellule, j’observe le préau et vois les détenus tourner en rond. Pourrais-je enfin parler à quelqu’un ? Si seulement… Je vois une connaissance qui arrive enfin à hauteur de ma cellule, à travers les minuscules petits trous de la plaque d’aération, je l’appelle. M’entend-elle seulement ? Après plusieurs interpellations, je la vois s’arrêter, enfin. Elle n’ose pas me parler, elle chuchote dans le col de sa veste, me tournant le dos, de manière à ce que personne ne puisse remarquer nos échanges. « On me surveille ! », me dit-elle, « On nous écoute ! »
De cette même manière on devient la personne qu’ils veulent qu’on soit… Ainsi, je me tiens prête quinze minutes avant les activités, droite devant la porte de ma cellule. Lors des mouvements, je me tais, et me comporte de manière à ce que les agents ne me fassent aucune remarque, je veux être confondue avec les autres, ne pas me faire remarquer… Le temps prend une autre dimension dans cette expérience, une place prédominante sur toutes les autres. À moins d’avoir une montre ou de scruter l’écran de l’ordinateur nous indiquant l’heure, je suis à l’affut de ce qui pourrait me donner une idée des minutes qui passent.
J’ai, pendant un moment, fait l’expérience de ne pas porter de montre, de ne pas allumer mon écran, et d’être seule avec moi-même, et l’angoisse me submerge. Le temps s’est-il arrêté ? Suis-je seule au monde ? Seule dans cette prison ? Je suis seule avec moi-même… De ma cellule, je scrute l’extérieur et je vois une éolienne (située derrière le mur de la prison) qui m’est alors apparue comme une source de bien-être, comme si elle aussi, avec ses pales tournantes, cherchait à se mettre au diapason du temps qui passe. Je la regarderai souvent, elle m’apaisera, comme si je n’étais plus seule avec ce temps qui m’échappe, nous échappe et ne nous appartient plus, qui fait qu’on est à l’affut d’on ne sait pas trop quoi… on attend quelque chose, mais quoi ? Un agent qui viendrait nous chercher pour une activité ? Une visite ? Un préau?, c’est ainsi que l’on scrute… le moindre son, même une vibration.
Assise sur mon lit, j’entends du bruit au loin, des pas… je me suis inscrite pour une activité sur Prison Cloud ; on devrait venir me chercher… Je suis donc prête, au cas où… Je mets donc ma tenue beige, et j’attends. On ouvre la porte de ma cellule, je suis debout, prête, ceux qui ne le seront pas s’entendront dire « Vous n’êtes pas prêt, pas de sortie sportive ! ». La violence que je perçois dans la porte fermée au nez du détenu, renforcera ce sentiment déjà présent que l’on doit être prêt.
À l’issue de cette expérience, les participants sont invités à un débriefing afin de faire part de leurs impressions et remarques. Prison Cloud est évidemment au centre des discussions. Outre les soucis techniques, d’autres questions sont soulevées. Comment permettre aux détenus une utilisation efficace de cet outil ? Comment contourner les problèmes de langue et l’analphabétisme de certains ? La crainte de voir cet outil technique remplacer complètement les rapports humains au sein de la prison est omniprésente. Prison Cloud est conçu de telle manière à être le nœud central. L’architecture de ces établissements modernes, où chaque cellule comporte une douche, un écran et ce programme, réduit les mouvements au maximum1. Toutes ces innovations techniques ne vont-elles pas amener à isoler de plus en plus le détenu ? N’allons-nous pas vers une déshumanisation grandissante de nos institutions carcérales ?
Outre cela, les sensations ressenties à la suite de cette expérience renvoient aux problèmes trop souvent décriés et liés à l’enfermement. Comme l’écrit Anne-Marie Fixot : « La peur est entretenue, voire accrue, avec la dépossession d’un espace privé, la fin de la maitrise personnelle du temps, la position de subordination permanente, la réduction de l’aire d’intimité, voire l’impossibilité de la préserver quand plusieurs détenus doivent partager la même cellule2 ». Mais le plus impressionnant dans cette expérience est certainement d’observer avec quelle rapidité nous nous sommes adaptés à ce nouvel environnement. Les rythmes et les mouvements imposés ont fait en sorte que l’on ne puisse plus que nous y fondre et être prêts, coute que coute. En laissant ainsi de l’autre côté des murs de la prison notre véritable identité, pour endosser le « rôle » approprié dans ce nouveau cadre imposé.
« Le mot qui vient spontanément à la bouche est aberrations3 », écrit Anne-Marie Marchetti. Nous aussi, après cette expérience, nous restons sidérées face à ce système qui semble oublier qu’il doit également préparer la réinsertion future des détenus, qui ne sont pas seulement privés de la liberté de se mouvoir, mais de bien d’autres libertés. Malgré la normalisation des prisons et la volonté d’en réduire au maximum les effets néfastes supplémentaires, il est primordial de rappeler que l’enfermement en lui-même est une expérience traumatisante et que les alternatives à celui-ci doivent être privilégiées et toujours réinventées.
- Les concepteurs de Prison Cloud ont émis l’idée de mettre en place des rencontres par un logiciel tel que skype. De cette manière, les familles ne devraient plus se rendre en visite à la prison, mais dans un autre endroit à définir. Les détenus seraient donc en contact skype avec leurs proches, depuis leur programme Prison Cloud.
- Fixot A.-M., « Sortir de la sinistrose carcérale », Revue du MAUSS, 2012/2, n° 40, p. 103 – 123.
- Marchetti A.-M., Perpétuités : le temps infini des longues peines, Plon, 2001, p. 456.