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Tensions et contradictions
En 2004, le décret Bologne a rassemblé les universités belges francophones en trois académies. Aujourd’hui, le ministre Marcourt veut modifier ce paysage institutionnel en cassant la logique des réseaux et de la liberté d’association, et en favorisant une logique territoriale. Cette centralisation de l’enseignement supérieur et de la recherche au profit de la Communauté française a suscité des réactions diverses selon que les institutions d’enseignement supérieur privilégient la liberté d’association ou le rapprochement géographique. Si tous s’accordent sur la nécessité d’un pilotage global afin de réduire l’éclatement de l’enseignement supérieur, chaque institution exprime sa volonté d’en maintenir la diversité, c’est-à-dire que chacune veut conserver sa spécificité. La déclaration de politique communautaire, qui prévoyait la mise en place d’une table ronde, évoquait déjà la préférence pour une logique de rassemblement géographique. La concertation aura tout au plus permis de dégager clairement les positions de chacun par rapport au projet du ministre.
Le 31 mars 2004 a été promulgué le décret dit « de Bologne » en Communauté française de Belgique. Ce texte a réorganisé l’enseignement universitaire et la recherche en rassemblant l’ensemble des universités belges francophones au sein de trois académies, chacune étant structurée autour d’une université complète (ULB, UCL, ULg). Il s’agit de l’académie Wallonie-Bruxelles (ULB, UMons); de l’académie uclouvain (UCL, FUNDP, FUSL) et de l’académie Wallonie-Europe (ULg). L’objectif de ces regroupements est, d’une part, d’augmenter la visibilité internationale de nos universités en les inscrivant dans l’Espace européen de l’enseignement supérieur défini par le processus de Bologne auquel a adhéré la Communauté française en 1999, et, d’autre part, de renforcer les collaborations entre leurs membres en matière de recherche et d’enseignement ainsi que d’assurer les possibilités de fusion entre eux. Ces regroupements universitaires ont été faits sur une base volontaire, à partir de collaborations déjà existantes et d’affinités institutionnelles.
Six années seulement après cette réforme, le ministre Marcourt a pour volonté de modifier ce paysage institutionnel. Son objectif est d’opérer un regroupement de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur (universités, hautes écoles, écoles supérieures d’art et écoles d’enseignement supérieur de promotion sociale) autour de cinq pôles géographiques (Bruxelles, Brabant wallon, Namur, Hainaut, Liège-Luxembourg) et de cinq universités (ULB, UCL, FUNDP, UMons, ULg). La mission principale des pôles serait d’harmoniser et d’intégrer l’enseignement supérieur à l’intérieur de chaque pôle géographique. D’autre part, le ministre veut fédérer les pôles et les activités de recherche autour d’une académie unique à l’échelle de la Communauté française. De cette manière, alors que les académies existantes sont fondées sur une logique de liberté d’association, le projet du ministre entend faire basculer l’enseignement supérieur dans une logique territoriale.
À cet effet, le ministre a rédigé en juin 2011 une « Note au gouvernement de la Communauté française, enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles », dite la « note Marcourt ». Ce texte s’appuie sur différentes sources : le processus de Bologne, la déclaration de politique communautaire 2009 – 2014, la table ronde de l’enseignement supérieur qui s’est tenue de janvier à mai 2010 et plusieurs contributions écrites ultérieures des différents partenaires institutionnels ayant participé à la table ronde. Dans sa note, le ministre indique que « près de cent-vingt personnes se sont mobilisées six mois durant pour évaluer l’état de santé du système d’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles, recueillir et synthétiser les avis en la matière de l’ensemble de la communauté éducative et dresser, tous ensemble, au-delà des clivages, des divergences et des concurrences, les pistes et les lignes directrices pour demain ». Cette table ronde, prévue par la déclaration de politique communautaire 2009 – 2014, a été divisée en six groupes de travail thématiques : la démocratisation, le paysage de l’enseignement supérieur en Communauté française, les statuts des personnels, l’offre d’enseignement, l’ouverture à la société et le financement. Toutefois, la note Marcourt ne fait explicitement référence qu’aux conclusions du deuxième groupe de travail chargé de réfléchir sur le paysage institutionnel, ce qui révèle le véritable enjeu de cette note, à savoir casser la logique des réseaux et de la liberté d’association au profit d’une logique territoriale, ce qui est une manière de centraliser davantage l’enseignement supérieur et la recherche au profit de la Communauté française, et ce qui suscite des réactions diverses au sein des institutions d’enseignement supérieur selon que celles-ci soient plutôt favorables à la liberté d’association ou au rapprochement géographique. En effet, une telle reconfiguration implique également une reconfiguration des rapports de force entre institutions.
Le groupe de travail « paysage de l’enseignement supérieur en Communauté française » est composé de quarante intervenants et coordonné par deux coprésidents. Vingt personnes proviennent d’établissements d’enseignement supérieur : universités, hautes écoles (HE) et établissements d’enseignement supérieur des arts (ESA). Neuf personnes représentent des universités (trois de l’UCL, une des FUSL, une de l’UMons, trois de l’ULg dont un coprésident, une de l’ULB), huit appartiennent à des HE (trois du réseau officiel subventionné, deux du réseau officiel de la Communauté française, trois du réseau libre confessionnel) et trois viennent d’ESA (une du réseau libre confessionnel, deux du réseau officiel de la Communauté française). Cela donne au total sept représentants de l’enseignement supérieur libre confessionnel, un représentant du réseau libre non confessionnel, sept représentants du réseau officiel de la Communauté française et trois représentants du réseau officiel subventionné.
Le Segec (Secrétariat général de l’enseignement catholique), représenté par deux personnes (dont un coprésident) est le seul pouvoir organisateur présent autour de la table.
Trois personnes parlent au nom des deux organisations étudiantes : deux de la FEF (Fédération des étudiants francophones) et une de l’Unécof (Union des étudiants de la Communauté française).
Huit personnes représentent le monde syndical. Deux d’entre elles sont affiliées à des syndicats socialistes (CFSP et Sel-Setca appartenant à la FGTB). Trois personnes sont liées au syndicat chrétien (CSC). Trois autres personnes représentent deux cellules du syndicat libéral CGSLB (SLFP et Appel).
On trouve également deux membres du Conseil supérieur de l’enseignement supérieur de promotion sociale, un membre de la Commission de concertation de l’enseignement de promotion sociale, un membre de l’Agers (Administration générale de l’enseignement et de la recherche scientifique), deux commissaires du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et un membre du cabinet du ministre de l’Enseignement supérieur.
Les intervenants se sont réunis cinq fois. Six procès-verbaux, parmi lesquels un rapport intermédiaire, précèdent la rédaction du rapport final. Dix-huit personnes ont assisté à une majorité des débats, c’est-à-dire à un minimum de trois réunions sur cinq. À la lecture des différents procès-verbaux, on constate que les discussions ont été menées essentiellement entre deux représentants de l’ULg, un de la Fédération de l’enseignement supérieur catholique (Segec-Fédesuc), un de l’ULB, un de l’UMons, un de la CGSP-enseignement, un du syndicat Sel-Setca et un de l’Ensav. Il faut préciser que la FEF s’est retirée de la table ronde, estimant que « plus d’un mois après l’inauguration de la table ronde de l’enseignement supérieur par le ministre Marcourt, la Fédération des étudiants francophones ne voit pas l’ombre d’une avancée. Les promesses faites aux étudiants, dans l’accord de gouvernement, semblent avoir été oubliées dans les discussions des groupes de travail » (www.fef.be/2010/01/table-ronde-arretons-de-tourner-autour-du-pot/).
En d’autres termes, aucun des représentants des universités catholiques n’a participé de façon significative à la discussion, alors même qu’ils étaient les plus nombreux. Seul un membre de l’UCL a assisté à l’une des réunions. Pour ce qui est des ESA, seul le réseau officiel de la Communauté française était bien présent. Dans une moindre mesure, un représentant du réseau catholique a participé à la discussion. Les syndicats libéraux et l’Unécof sont également les grands absents des débats. Les membres du gouvernement ainsi que ceux du cabinet ministériel n’ont jamais pris la parole, en ayant soin de laisser le débat se dérouler entre les autres partenaires institutionnels.
La lecture des procès-verbaux ne permet pas une analyse fine du degré d’intervention des participants et de leur prise de position. Un membre du groupe de travail a attiré notre attention « sur la manière dont ces documents ont été rédigés : c’est le cabinet qui rédigeait pv et rapport. Certes, nous les approuvions, mais certaines idées émises l’étaient d’une manière consensuelle, alors que d’autres ne l’étaient que par un seul participant. Il n’est pas possible, à la lecture des PV, de faire cette distinction, pourtant essentielle, me semble-t-il ». Cela ne retire pas pour autant l’intérêt d’analyser ces documents, qui ont servi de base à la note du ministre.
Le rapport intermédiaire
L’enseignement supérieur en Belgique francophone, aussi bien en ce qui concerne les types d’institutions que les secteurs, est très éclaté. Cet éclatement a diverses conséquences : jeu de concurrence entre les institutions et secteurs afin de recruter un maximum d’étudiants, manque de lisibilité de l’offre d’enseignement aussi bien pour nos étudiants que vis-à-vis de l’étranger, absence d’une orientation globale et commune. C’est pourquoi les objectifs principaux présentés dans le rapport intermédiaire sont de réduire l’éclatement de l’enseignement supérieur tout en préservant sa diversité, d’améliorer la lisibilité de l’offre d’enseignement et de recherche tout en réduisant la concurrence et en maintenant la spécificité des institutions, d’éviter les rapprochements et les fusions au coup par coup en dégageant une logique générale et un pilotage global.
L’objectif de rapprocher les institutions est largement partagé par les hautes écoles et les universités ; il l’est moins au sein des ESA et de l’enseignement supérieur de promotion sociale qui craignent de perdre leurs spécificités. Parmi les propositions avancées, on trouve l’idée d’une coupole, de plus en plus appelée « pôle ». Il est précisé qu’aucune institution ne pourra rester en dehors de la logique générale des regroupements. Il faudra donc être attentif au respect de la spécificité des ESA et de l’enseignement supérieur de promotion sociale, tout en évitant leur marginalisation au sein des nouvelles structures de rapprochement.
Le rassemblement peut être opéré à partir d’une logique territoriale, sur la base d’un ancrage local et d’une proximité géographique des institutions, ou à partir d’une logique de réseau ou de caractère (institutions officielles, libres non confessionnelles, libres confessionnelles). Mais quelle que soit la logique de rassemblement qui sera adoptée, le rapport intermédiaire insiste pour que les rapprochements se fassent prioritairement sur une base volontaire (liberté d’association), autour d’un projet commun.
Si les nouvelles structures rencontrent les missions des académies actuelles, celles-ci pourront être supprimées. Les pôles devront être coordonnés par une structure faitière : une fédération ou une confédération.
Le groupe de travail présente plusieurs scénarios pour le nombre de pôles à envisager. Un pôle sur toute la Communauté française, deux pôles sur la base d’un rapprochement philosophique, trois pôles à partir des académies actuelles ou quatre pôles autour des « quatre futures universités » ULg, UCLouvain, ULB, UMons. Les deux dernières propositions sont considérées comme étant les plus réalistes au regard de la situation actuelle. Il faut préciser qu’au moment des discussions de la table ronde, un projet de fusion des quatre universités catholiques (UCL, Fucam, FUNDP, FUSL) était en cours pour former l’université UCLouvain. Cette fusion aurait réduit à quatre le nombre d’universités en Belgique francophone. Les Fundp ayant refusé la fusion, celle-ci a avorté. Les Fucam et l’UCL ont repris peu de temps après les discussions et ont fusionné le 15 septembre 2011. Les Fucam sont devenues UCL Mons.
Parmi les avantages attendus d’une structure faitière, on trouve une offre d’enseignement élargie et intégrée, où la complémentarité prend le pas sur la concurrence. Réduire la concurrence peut passer par exemple par la mise en commun d’un enseignement pour deux institutions proches géographiquement ou philosophiquement, afin d’éviter des « doublons » de cursus. Cela aurait pour effet de réduire la concurrence en renforçant les collaborations entre institutions. Il s’agit également de faciliter les parcours d’étudiants en améliorant par exemple le système des passerelles qui permet un changement d’orientation en cours d’études et d’éviter ainsi à l’étudiant de perdre du temps en recommençant un cycle complet d’études. La structure faitière permettrait également de maintenir l’autonomie de gestion de chaque institution d’enseignement supérieur et d’en conserver les spécificités. Certains étudiants préfèrent par exemple étudier dans une haute école plutôt que dans une université car l’enseignement y est plus individualisé étant donné le moindre nombre d’étudiants. Enfin, une structure faitière assurerait une meilleure visibilité de l’enseignement belge francophone au niveau international.
La préoccupation est grande d’assurer à tous les étudiants, quelle que soit leur condition, la possibilité de poursuivre des études supérieures. Or, il faut parfois se déplacer relativement loin, ce qui implique un cout plus ou moins important. L’enseignement de proximité doit autoriser les étudiants de condition modeste à fréquenter l’enseignement supérieur en diminuant le cout des études. Toutefois, cet enseignement de proximité ne pourra pas être assuré partout. Il s’agira donc d’assurer une utilisation optimale des ressources.
Les pôles devront faciliter les collaborations entre institutions, qui sont aujourd’hui freinées par la rigidité de la législation actuelle. Par exemple, le système des académies exclut les autres établissements d’enseignement supérieur, à moins que ceux-ci ne soient intégrés dans les structures universitaires par effet de fusion entre institutions.
Le rapport final
Les points mis en avant dans le rapport intermédiaire sont repris dans le rapport final qui précise les missions des deux grandes structures de rassemblement que sont les pôles académiques et le dispositif confédérateur ou confédération. Les premiers s’occuperont prioritairement des matières liées à l’enseignement supérieur, avec l’étudiant au centre des préoccupations. Le second se concentrera sur la recherche, les relations internationales et la coopération au développement.
Les pôles académiques
Le texte définit le pôle académique « comme étant le regroupement de plusieurs établissements d’enseignement supérieur (universités, hautes écoles, écoles supérieures des arts et établissements d’enseignement supérieur de promotion sociale) se reconnaissant dans un projet commun autour d’une ou de plusieurs universités avec pour objectif d’améliorer l’offre d’enseignement supérieur en Communauté française au bénéfice de l’étudiant ». Cette définition insiste bien, à partir de la reconnaissance autour d’un projet commun, sur le principe de la liberté d’association.
En matière de gouvernance des pôles, le groupe de travail entend maintenir l’autonomie des établissements, leur statut, leur gouvernance interne et leurs habilitations. Les habilitations signifient que les établissements d’enseignement supérieur ne peuvent ouvrir à leur guise une faculté. Les habilitations sont accordées par décret. Ainsi, l’UCL est la seule université qui comprend une faculté de théologie, comme le prévoit le décret Bologne.
Par ailleurs, les pouvoirs organisateurs contribueront à la gouvernance du pôle. C’est pourquoi celui-ci devra jouir d’une personnalité juridique propre et distincte des institutions qui le composent, avec un conseil de gouvernance.
La logique de rassemblement peut être territoriale et/ou de réseau ou caractère, mais doit impérativement se baser sur le principe de la liberté d’association et de l’adhésion volontaire autour d’un projet commun. Aucune institution ne peut rester à l’écart des rapprochements. Ceux-ci revêtent dès lors un caractère obligatoire. Les fusions éventuelles doivent rester possibles à l’intérieur d’un pôle.
Le texte rappelle que les alternatives les plus réalistes résident dans la constitution de trois pôles à partir des trois académies ou de quatre pôles à partir des quatre futures universités. Ces alternatives se fondent sur « la situation actuelle de l’enseignement supérieur en Communauté française, l’influence de son histoire et la nécessité de concilier une logique géographique et une logique de rapprochement sur une base volontaire et de projet commun ». Le rapport précise que ces alternatives laissent la possibilité d’une coexistence de plusieurs pôles sur un même territoire.
Le dispositif confédérateur ou Confédération
Cette structure transversale aux pôles académiques aura pour objectif de promouvoir toutes les formes de recherche et d’accroitre la visibilité nationale et internationale de l’enseignement supérieur.
Là encore, plusieurs scénarios sont envisagés sans toutefois accorder la préférence à l’un ou l’autre. Le groupe de travail imagine soit un nombre non spécifié de structures transversales, mais rassemblant les pôles sur une base volontaire, à partir d’un projet commun et autour d’une université, soit une structure unique qui regrouperait toutes les institutions qui assumeraient une mission de recherche, soit la construction de « structures confédératives ad hoc, en fonction des thématiques, des besoins et des opportunités ».
À la recherche d’un équilibre improbable
La lecture des procès-verbaux et des rapports intermédiaire et final met en évidence toute une série d’oppositions avec lesquelles il a fallu composer pour aboutir à un relatif consensus.
Si tous s’accordent sur la nécessité de réduire l’éclatement de l’enseignement supérieur, les intervenants expriment leur volonté d’en maintenir la diversité. Cette volonté traduit le désir de chaque institution de conserver sa spécificité. Il s’agit alors de transformer les concurrences et les rivalités en une complémentarité qui tendrait vers une plus grande cohérence de l’offre d’enseignement. Cette cohérence doit être soutenue par une vision globale de l’enseignement supérieur en Belgique francophone, dont le politique doit être le chef d’orchestre. Si un accord relatif se dégage à propos d’un rapprochement des établissements sur une base géographique, les intervenants soulignent que la liberté d’association autour d’un projet commun doit rester prioritaire. Cet équilibre traduit le souci d’éviter à la fois des rapprochements « au coup par coup » (liberté d’association) et ceux issus d’une imposition générale (logique territoriale). Par ailleurs, bien que la liberté d’association soit prônée, tous les établissements doivent s’insérer dans un processus de regroupement. Dans cette perspective, la coexistence de plusieurs pôles au sein d’un même territoire est imaginable.
Au-delà des modalités de rapprochement (nombre de pôles, dispositif confédérateur ou confédération, logique de rapprochement) et des grands objectifs (réduction de l’éclatement, élargissement et plus grande cohérence de l’offre d’enseignement, articulation entre recherche et enseignement, entre ancrage local et collaborations internationales), les contradictions deviennent insurmontables. Peut-être les rapprochements réduiront-ils la concurrence entre établissements au sein d’un même pôle, mais la coexistence de plusieurs pôles sur une même zone géographique risque de déplacer le problème à l’échelle « interpolaire ». Tous les établissements veulent conserver leur liberté d’association, leur autonomie, leur statut et leur spécificité, et éviter tout effet centralisateur, alors que tous doivent obligatoirement s’inscrire dans une logique de rapprochement qui suit une vision globale de l’enseignement supérieur orchestrée par le politique et encadrée juridiquement.
L’impression générale qui se dégage est celle d’un exercice auquel ont bien voulu se plier les différents intervenants, mais qui n’a aucune chance d’aboutir à la profonde restructuration du paysage institutionnel que le ministre Marcourt appelle de ses vœux. Chacun s’accorde sur les grands problèmes de notre enseignement supérieur — problèmes interprétés à l’aune des intérêts spécifiques de chacun —, mais aucun ne semble vouloir céder ses acquis pour aboutir à un projet global, préférant sans doute que les autres lâchent du lest afin de renforcer ou de maintenir sa position propre. Or, une profonde restructuration, dans la mesure où elle est réellement souhaitée, demande de profonds changements qui auront pour effet de reconfigurer les rapports de forces, aussi bien entre institutions qu’entre établissements.
Les conclusions de la table ronde ont abouti à la rédaction d’un non-paper par le cabinet ministériel de l’Enseignement supérieur qui préfigure la note finale du ministre. Différents partenaires institutionnels ont réagi par écrit à ce texte, exprimant des prises de positions plus tranchées que celles dont font état les procès-verbaux et les rapports. Une bonne partie des institutions catholiques défend avec force le principe de la liberté d’association contre le rassemblement forcé par zone géographique. L’UMons, le Conseil interréseaux de concertation (CIC) et l’ULB se prononcent en faveur d’un rapprochement géographique, l’ULB insistant sur la nécessité de faire sauter la logique des réseaux. Il serait intéressant de mettre ici en perspective le lien entre la prise de position de chaque institution et la reconfiguration des rapports de force qu’induit le rapprochement par zone géographique.
Utilisation des conclusions du groupe de travail dans la note Marcourt
Conformément aux conclusions du groupe de travail, la note prévoit que les « établissements d’enseignement supérieur […] conserveront leur statut, leur spécificité et leur autonomie ».
Parmi les différents scénarios proposés par le groupe de travail à propos d’un dispositif confédérateur ou d’une confédération, le ministre a retenu la confédération unique : l’académie de recherche et d’enseignement supérieur (Ares) « dont les rôles principaux seront la représentation de notre système d’enseignement supérieur comme une seule entité comparable aux autres structures étrangères […] et la coordination d’activités ».
L’idée des pôles académiques et d’une structure transversale aux pôles a bien été reprise. Cependant, la logique de rassemblement qui a été prévue est celle du rapprochement géographique. Le ministre propose que soient constitués cinq « pôles académiques d’enseignement supérieur » (PAES) recouvrant les zones géographiques de Liège-Luxembourg, de Namur, du Brabant wallon, du Hainaut et de Bruxelles-Capitale.
Il s’agit là de la différence la plus notable avec les conclusions du groupe de travail qui avait suggéré, comme scénario le plus réaliste par rapport à la situation actuelle de l’enseignement supérieur, la constitution de trois ou quatre pôles académiques, selon que l’on se base sur les académies ou sur les quatre futures universités. Par ailleurs, plus important sans doute que le nombre de pôles ou la logique de rassemblement elle-même, il y avait un consensus autour de l’adhésion volontaire sur la base d’un projet commun. Or, ce principe de base n’a pas été repris dans la note qui, pour légitimer sa proposition, prend appui sur la Déclaration de politique communautaire 2009 – 2014. Celle-ci prévoyait une évaluation de l’enseignement supérieur et, « sur la base de cette évaluation, le gouvernement organisera durant la première année de la législature une table ronde de l’enseignement supérieur avec les acteurs concernés. Les résultats de l’évaluation et du débat inspireront un dispositif décrétal, le cas échéant, et un plan d’action qui garantiront une évolution de l’enseignement supérieur respectueuse de tous ses acteurs. Sur la base de cette table ronde, le gouvernement arrêtera les balises positives qui garantiront les objectifs et conditions des rapprochements. […] Le gouvernement estime, en effet, qu’il est indispensable de fixer un cadre qui notamment balise les processus de fusions, afin d’éviter entre autres une diminution de l’offre et de l’accès à l’enseignement supérieur. Il faut rappeler que la proximité est un facteur extrêmement important dans l’accès des plus démunis aux études supérieures, notamment en raison des couts qu’engendre le fait de suivre une formation loin du domicile familial et de l’obstacle psychologique et culturel que cela représente. Il faut également faire en sorte que les fusions suivent davantage une logique géographique qu’une logique de réseaux ».
Si les membres du groupe de travail partageaient l’avis qu’il faut éviter le « coup par coup », ils estimaient également qu’il ne fallait pas d’imposition générale. Or, il semble que le ministre n’ait pas tenu compte de cette deuxième condition, parlant d’un « principe de collaboration renforcée ». Il n’est donc pas question ici d’une coexistence de plusieurs pôles sur un même territoire. En revanche, une institution appartiendra aux différents pôles au sein desquels l’une de ses implantations sera placée. Un établissement sera « membre à titre principal du pôle de référence quand son siège social ou son implantation principale est situé dans la zone géographique correspondant au pôle » et il sera « membre à titre complémentaire quand son siège social ou son implantation principale est situé en dehors de la zone géographique du pôle, mais qu’il y dispose déjà d’une implantation fonctionnelle ». Par exemple, l’UCL Mons serait membre à titre principal du PAES du Brabant wallon où se trouve l’UCL et membre à titre complémentaire du PAES du Hainaut. De la sorte, « tous les établissements d’enseignement supérieur ou implantations de ceux-ci situées sur une même zone géographique devront nécessairement collaborer pour assurer la cohérence de l’enseignement supérieur sur cette zone. Et si, sur une zone géographique donnée, un établissement d’enseignement supérieur ou une de ses implantations non-membre à titre principal du pôle de référence possède des habilitations ou en reçoit de nouvelles, elle devra nécessairement collaborer avec le pôle de référence et coorganiser l’enseignement avec lui, ce qui impliquera de facto que le pôle de référence recevra également l’habilitation ». On le voit, nous sommes bien loin de la libre association sur une base volontaire.
Un semblant de concertation, pour quel résultat ?
Les points qui ont été les plus discutés au cours des différentes réunions sont les logiques de rassemblement, le nombre de pôles et de dispositifs confédérateurs ou confédération, ainsi que les missions que chacune de ces structures devrait idéalement remplir. Les avis étaient partagés, certains aboutissant à des consensus, d’autres non. Or, le rapport final tendait à présenter tous les avis de manière équivalente, ce qui est une manière commode pour le cabinet ministériel de sélectionner l’avis qui correspond le plus à sa propre idée du paysage de l’enseignement supérieur. En effet, la déclaration de politique communautaire, qui prévoyait la mise en place d’une table ronde, évoquait déjà, de façon prudente, la préférence pour une logique de rassemblement géographique.
Si les avis étaient partagés sur la question, laissant entrevoir un jeu de tensions et de contradictions permettant de douter d’une réelle volonté de suivre le projet de réforme du ministre, un large consensus, qui n’a pas été pris en compte dans la note du ministre, se dégageait autour du principe de la liberté d’association à partir d’un projet commun, ce qui peut s’interpréter comme l’expression de la volonté de chacun de conserver ses acquis, même si les contributions ultérieures ont permis de montrer les prises de position de certaines institutions. Ainsi, l’UMons est entièrement favorable à un rapprochement géographique, même selon une adhésion forcée sous réserve de certaines conditions. L’ULB manifeste sa volonté de casser la logique des réseaux alors que l’UCL, les Fucam et cinq HE insistent sur la liberté d’association dont on peut supposer qu’elle est sous-tendue par la logique des réseaux. Il est d’ailleurs frappant de constater que les FUNDP et les FUSL, ainsi que les sept autres HE liées au pôle universitaire Louvain n’ont pas cosigné cette lettre. Cela laisse entrevoir que les avis sont partagés au sein de la constellation catholique. On se souviendra, pour attester ce point de vue, de la fusion avortée des quatre universités de l’académie UCLouvain.
On aura constaté que les acteurs institutionnels ne sont pas prêts à une reconfiguration des rapports de force si celle-ci affaiblit leur position. Par ailleurs, le ministre et son cabinet ayant pris soin, d’une part, de présenter de manière équivalente les différents points de vue, même s’ils n’étaient pas consensuels et, d’autre part, de multiplier les sources d’inspiration de la note finale, notamment la déclaration communautaire et les contributions ultérieures, la sélection d’arguments ad hoc prend appui sur une légitimité plutôt fragile. Dans ces conditions, il semble peu probable qu’une réforme d’une telle envergure ait une chance de se concrétiser. Tout au plus cette concertation aura-t-elle permis de dégager clairement les positions de chacun par rapport au projet du ministre, une manière peut-être de mieux les instrumentaliser par la suite.