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Jeune : école de la rue, rue de l’école
Malgré des avancées importantes dans divers domaines des droits de la jeunesse, certains sujets restent problématiques : accès à l’enseignement, garanties d’une formation de qualité, émancipation, liberté de se mouvoir et de vivre sa vie de jeune. Pas facile d’être jeune en 2010… d’autant moins quand le terme semble être désormais associé à celui de « délinquance ».
Temps couvert pour les jeunes
Carla Nagels
Deux phénomènes, parmi d’autres, témoignent d’une conception particulière du « vivre ensemble » dans lesquelles les jeunes sont considérés à priori comme perturbant l’espace public et où la réaction institutionnelle semble non seulement disproportionnée, mais, en outre, elle-même créatrice d’insécurité : il s’agit des thématiques des bandes urbaines et des couvrefeux.
La question des « bandes urbaines » a fait son apparition dans le débat public belge dans les années nonante. En réaction à diverses infractions graves, une prise en charge ciblée, judiciaire et sociale, s’est progressivement mise en place. Dans ce contexte, de nombreux jeunes ont été fichés par la police. Ce recours au fichage est disproportionné au regard du problème considéré et des jeunes effectivement concernés. En effet, il existe au sein de la banque de données nationale générale de la police fédérale une base de données spécifique aux bandes urbaines (DBSBU) alimentée par les procès-verbaux envoyés par les zones de police. Plusieurs centaines (il est malaisé d’obtenir des chiffres précis) de jeunes Bruxellois sont ainsi fichés. Ce fichage se fait sur la base d’une circulaire du parquet datant de 1999, la « circulaire BU », qui cible toute personne ayant commis avec un complice deux des quatorze infractions énumérées dans la circulaire au cours des six derniers mois. Ces infractions sont très diverses : des coups et blessures au vandalisme… Cet étiquetage a comme conséquence que le jeune sera plus souvent contrôlé par les forces de l’ordre, soumis à des fouilles, alors qu’il n’est pas amené à savoir qu’il porte l’étiquette « BU ». Et qu’en cas de condamnation, il en sera tenu compte comme circonstance « aggravante ».
Au regard d’un phénomène des bandes urbaines somme toute assez limité, l’arsenal répressif est non seulement disproportionné, mais surtout « rate » sa cible puisqu’il circonscrit mal le phénomène et qu’il est, de ce fait, contreproductif, voire source d’insécurité pour les jeunes, leurs familles, mais aussi les citoyens en général.
Cette remarque peut s’appliquer mot à mot au phénomène des couvrefeux.
Le feu couve-t-il ?
La pratique des couvrefeux est associée à des périodes de troubles extrêmes (guerres, émeutes…). Pourtant, ceux-ci fleurissent depuis quelques années en Communauté française. En 2010, les jeunes de Bernissart, Bassenge, La Louvière et Seraing y ont été soumis. Les textes instaurant cette mesure, votés sans réel débat au sein des instances concernées, sont hautement variables quant à leur contenu. En effet, les bourgmestres se trouvent face à un dilemme juridique. Au regard du critère de proportionnalité manié par le Conseil d’État, la mesure doit être extrêmement bien délimitée (qui, quand, où, pourquoi) puisqu’elle porte indubitablement atteinte aux libertés individuelles. Mais plus ces critères sont respectés, plus ils sont discriminants. La lecture des différents règlements communaux instaurant des couvrefeux matérialise le problème. Soit ils font explicitement référence aux mineurs d’âge ou à une classe d’âge, soit ils font référence à un « groupe », de deux à cinq personnes en général. Mais, dans ce dernier cas, une lecture attentive montre clairement qu’il s’agit de viser des jeunes. L’argumentaire développé pour justifier leur instauration fait référence, par exemple, aux « diverses mesures socioéducatives destinées à prévenir ces phénomènes qui se révèlent infructueuses ». Ce qui témoigne également du fait que ces mesures ont pour objectif de lutter contre l’insécurité et la délinquance et non d’œuvrer à l’émancipation des jeunes…
Mais les jeunes sont-ils encore considérés comme des citoyens à part entière ayant le droit de se mouvoir, comme tous les autres, dans l’espace public ? On peut en douter à la lecture de certains règlements communaux : « Considérant que la population […] porte régulièrement à la connaissance de la police la présence nocturne dans les rues, lieux et édifices publics, de mineurs d’âge qui […] dérangent la quiétude des habitants par des bruits, des “petites incivilités” et par la création d’un sentiment d’insécurité. » En fait, « certains » jeunes semblent visés de manière privilégiée : ceux qui « en dehors de toute raison liée à des activités “normales” (familiales, sportives, scolaires, culturelles, associatives)» occupent l’espace public, c’est-à-dire ceux pour qui cet espace est, au-delà de la mobilité, également synonyme de socialité. Bien souvent, ces jeunes n’ont d’autres choix que d’être dans la rue puisqu’ils n’ont accès ni à des endroits privés ni à des activités structurées, faute de moyens.
Les communes ont à leur disposition l’arsenal nécessaire pour faire face à certaines situations — la police a évidemment le droit d’intervenir face à n’importe quel citoyen dont elle estime qu’il perturbe l’ordre public. Sur cette base, les mesures de couvrefeux semblent bien démagogiques puisque, loin de s’attaquer aux causes du problème, elles ne visent que ses effets visibles et stigmatisent une fois de plus les jeunes comme étant source de tous les problèmes rencontrés.
Décrets inscriptions : 2010… le der ?
Khaled Boutaffala et Corinne Villée
Saga des décrets « inscriptions ». Les ministres se succèdent, les décrets s’enchainent : chacun, à sa manière, a voulu apporter une réponse à la problématique, devenue médiatique, des inscriptions en première année secondaire. En effet, depuis de nombreuses années, les inscriptions engendrent des injustices. Pour certaines familles, s’inscrire dans une école relève du parcours du combattant, parcours à la finalité d’autant plus incertaine que les raisons des refus sont souvent obscures. Confrontée à des critiques de plus en plus virulentes, il était urgent pour la Communauté française de se pencher sur l’épineux sujet des inscriptions en première année secondaire.
La première à s’y atteler fut la ministre Marie Arena, en 2007, en prévoyant une date fixe de début des inscriptions pour toutes les écoles. Cumulé à l’inquiétude des parents des écoles plus huppées, ce décret provoqua un nombre anormalement élevé de files devant ces écoles et plus de 2.500 élèves gonflèrent des listes d’attente. La vague de protestation médiatique provoqua son échec.
À sa suite, le ministre Christian Dupont a fait voter un nouveau décret en juillet 2008, en vertu duquel est instituée une procédure en trois phases, comprenant des critères socioéconomiques et un classement des élèves. Première avancée vers une notion de mixité sociale, ce décret n’en était pas moins incomplet et inopérant. Ce sera le deuxième échec de cette saga.
Troisième acte : la ministre Marie-Dominique Simonet modifie en profondeur la procédure et les dates d’inscription via un nouveau décret, voté en mars 2009.
Problèmes d’accessibilité
Trois décrets en trois ans : quelle insécurité juridique pour le monde scolaire ! Cette rentrée scolaire 2010 voit l’application concrète de cette dernière version et, bien qu’il soit encore trop tôt pour faire une évaluation correcte de ce décret, nous pouvons déjà mettre en avant quelques constats et conséquences.
Ainsi, un premier élément concerne l’accessibilité de l’information aux familles. Le constat fait par différentes associations, syndicats et le délégué général aux droits de l’enfant, et récurrent au fil des décrets, est que la communication avec les parents est déficiente. Même si elle a eu l’avantage de répondre à un certain nombre de lacunes, la procédure actuelle reste complexe et mobilise des notions et procédures nouvelles.
Un constat plus fondamental est celui du manque de places évident dans certaines communes et de la limitation de cette procédure à la première année de l’enseignement secondaire. Une des missions de la Communauté française est pourtant « d’assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale ».
Même si ce changement règlementaire était indispensable pour tenter d’enrayer la dualité de notre enseignement, il ne constitue qu’une étape parmi tant d’autres à mettre en œuvre. Plus globalement, le monde scolaire doit réfléchir aux garanties à donner pour que toutes les écoles offrent une formation de qualité à nos enfants. Il ne s’agit pas seulement d’inscrire un enfant dans une école, mais aussi qu’il puisse y poursuivre sa scolarité. Il est indispensable de lier la question de l’accès dans le secondaire à celui de la situation des élèves en primaire. En effet, les difficultés rencontrées par certains parents au moment de l’inscription de leur enfant en secondaire font écho à la situation propre à l’enseignement fondamental.
Il n’en reste pas moins que ce nouveau système offre un accès plus diversifié à l’école de son choix pour tous les élèves et une transparence accrue dans la gestion des inscriptions.
Un système à évaluer et à parfaire
Le système mis en place n’est sans doute pas parfait et il engendre certaines difficultés, effets pervers ou tentatives de contournement de la part de ceux qui n’y adhèrent pas. Il est donc nécessaire et primordial qu’une évaluation précise soit faite le plus rapidement possible afin d’en corriger au mieux les effets néfastes et de répondre idéalement aux objectifs fixés. Singulièrement, cette évaluation devrait interroger la mise en pratique de la procédure, mais aussi les critères définis. Ces critères sont-ils ceux qui correspondent le mieux à la réalité de terrain ? Comment construire une hétérogénéité sociale dans les écoles au sein d’un milieu urbain caractérisé par certaines localités ghettos ?
Nous ne pouvons renier ces premières avancées vers une mixité sociale dans les écoles, mais il ne faut pas en rester là. L’inscription des élèves dans l’école de leur choix n’est qu’une étape vers une société où tous les enfants ont les mêmes chances d’accès à l’enseignement. Il est important d’y associer tous les acteurs du monde scolaire afin que chacun y croie et joue le jeu. Ce n’est qu’à cette condition qu’il y a une chance de faire changer les choses et que la volonté d’une mixité scolaire ne soit pas l’occasion d’une frustration supplémentaire pour certains parents ou élèves.