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Jeune : école de la rue, rue de l’école

Numéro 2 Février 2011 par Corinne Villée

février 2011

Mal­gré des avan­cées impor­tantes dans divers domaines des droits de la jeu­nesse, cer­tains sujets res­tent pro­blé­ma­tiques : accès à l’en­sei­gne­ment, garan­ties d’une for­ma­tion de qua­li­té, éman­ci­pa­tion, liber­té de se mou­voir et de vivre sa vie de jeune. Pas facile d’être jeune en 2010… d’au­tant moins quand le terme semble être désor­mais asso­cié à celui de « délinquance ».

Temps couvert pour les jeunes

Car­la Nagels

Deux phé­no­mènes, par­mi d’autres, témoignent d’une concep­tion par­ti­cu­lière du « vivre ensemble » dans les­quelles les jeunes sont consi­dé­rés à prio­ri comme per­tur­bant l’espace public et où la réac­tion ins­ti­tu­tion­nelle semble non seule­ment dis­pro­por­tion­née, mais, en outre, elle-même créa­trice d’insécurité : il s’agit des thé­ma­tiques des bandes urbaines et des couvrefeux.

La ques­tion des « bandes urbaines » a fait son appa­ri­tion dans le débat public belge dans les années nonante. En réac­tion à diverses infrac­tions graves, une prise en charge ciblée, judi­ciaire et sociale, s’est pro­gres­si­ve­ment mise en place. Dans ce contexte, de nom­breux jeunes ont été fichés par la police. Ce recours au fichage est dis­pro­por­tion­né au regard du pro­blème consi­dé­ré et des jeunes effec­ti­ve­ment concer­nés. En effet, il existe au sein de la banque de don­nées natio­nale géné­rale de la police fédé­rale une base de don­nées spé­ci­fique aux bandes urbaines (DBSBU) ali­men­tée par les pro­cès-ver­baux envoyés par les zones de police. Plu­sieurs cen­taines (il est mal­ai­sé d’obtenir des chiffres pré­cis) de jeunes Bruxel­lois sont ain­si fichés. Ce fichage se fait sur la base d’une cir­cu­laire du par­quet datant de 1999, la « cir­cu­laire BU », qui cible toute per­sonne ayant com­mis avec un com­plice deux des qua­torze infrac­tions énu­mé­rées dans la cir­cu­laire au cours des six der­niers mois. Ces infrac­tions sont très diverses : des coups et bles­sures au van­da­lisme… Cet éti­que­tage a comme consé­quence que le jeune sera plus sou­vent contrô­lé par les forces de l’ordre, sou­mis à des fouilles, alors qu’il n’est pas ame­né à savoir qu’il porte l’étiquette « BU ». Et qu’en cas de condam­na­tion, il en sera tenu compte comme cir­cons­tance « aggravante ».

Au regard d’un phé­no­mène des bandes urbaines somme toute assez limi­té, l’arsenal répres­sif est non seule­ment dis­pro­por­tion­né, mais sur­tout « rate » sa cible puisqu’il cir­cons­crit mal le phé­no­mène et qu’il est, de ce fait, contre­pro­duc­tif, voire source d’insécurité pour les jeunes, leurs familles, mais aus­si les citoyens en général.

Cette remarque peut s’appliquer mot à mot au phé­no­mène des couvrefeux.

Le feu couve-t-il ?

La pra­tique des cou­vre­feux est asso­ciée à des périodes de troubles extrêmes (guerres, émeutes…). Pour­tant, ceux-ci fleu­rissent depuis quelques années en Com­mu­nau­té fran­çaise. En 2010, les jeunes de Ber­nis­sart, Bas­senge, La Lou­vière et Seraing y ont été sou­mis. Les textes ins­tau­rant cette mesure, votés sans réel débat au sein des ins­tances concer­nées, sont hau­te­ment variables quant à leur conte­nu. En effet, les bourg­mestres se trouvent face à un dilemme juri­dique. Au regard du cri­tère de pro­por­tion­na­li­té manié par le Conseil d’État, la mesure doit être extrê­me­ment bien déli­mi­tée (qui, quand, où, pour­quoi) puisqu’elle porte indu­bi­ta­ble­ment atteinte aux liber­tés indi­vi­duelles. Mais plus ces cri­tères sont res­pec­tés, plus ils sont dis­cri­mi­nants. La lec­ture des dif­fé­rents règle­ments com­mu­naux ins­tau­rant des cou­vre­feux maté­ria­lise le pro­blème. Soit ils font expli­ci­te­ment réfé­rence aux mineurs d’âge ou à une classe d’âge, soit ils font réfé­rence à un « groupe », de deux à cinq per­sonnes en géné­ral. Mais, dans ce der­nier cas, une lec­ture atten­tive montre clai­re­ment qu’il s’agit de viser des jeunes. L’argumentaire déve­lop­pé pour jus­ti­fier leur ins­tau­ra­tion fait réfé­rence, par exemple, aux « diverses mesures socioé­du­ca­tives des­ti­nées à pré­ve­nir ces phé­no­mènes qui se révèlent infruc­tueuses ». Ce qui témoigne éga­le­ment du fait que ces mesures ont pour objec­tif de lut­ter contre l’insécurité et la délin­quance et non d’œuvrer à l’émancipation des jeunes…

Mais les jeunes sont-ils encore consi­dé­rés comme des citoyens à part entière ayant le droit de se mou­voir, comme tous les autres, dans l’espace public ? On peut en dou­ter à la lec­ture de cer­tains règle­ments com­mu­naux : « Consi­dé­rant que la popu­la­tion […] porte régu­liè­re­ment à la connais­sance de la police la pré­sence noc­turne dans les rues, lieux et édi­fices publics, de mineurs d’âge qui […] dérangent la quié­tude des habi­tants par des bruits, des “petites inci­vi­li­tés” et par la créa­tion d’un sen­ti­ment d’insécurité. » En fait, « cer­tains » jeunes semblent visés de manière pri­vi­lé­giée : ceux qui « en dehors de toute rai­son liée à des acti­vi­tés “nor­males” (fami­liales, spor­tives, sco­laires, cultu­relles, asso­cia­tives)» occupent l’espace public, c’est-à-dire ceux pour qui cet espace est, au-delà de la mobi­li­té, éga­le­ment syno­nyme de socia­li­té. Bien sou­vent, ces jeunes n’ont d’autres choix que d’être dans la rue puisqu’ils n’ont accès ni à des endroits pri­vés ni à des acti­vi­tés struc­tu­rées, faute de moyens.

Les com­munes ont à leur dis­po­si­tion l’arsenal néces­saire pour faire face à cer­taines situa­tions — la police a évi­dem­ment le droit d’intervenir face à n’importe quel citoyen dont elle estime qu’il per­turbe l’ordre public. Sur cette base, les mesures de cou­vre­feux semblent bien déma­go­giques puisque, loin de s’attaquer aux causes du pro­blème, elles ne visent que ses effets visibles et stig­ma­tisent une fois de plus les jeunes comme étant source de tous les pro­blèmes rencontrés.

Décrets inscriptions : 2010… le der ?

Kha­led Bou­taf­fa­la et Corinne Villée 

Saga des décrets « ins­crip­tions ». Les ministres se suc­cèdent, les décrets s’enchainent : cha­cun, à sa manière, a vou­lu appor­ter une réponse à la pro­blé­ma­tique, deve­nue média­tique, des ins­crip­tions en pre­mière année secon­daire. En effet, depuis de nom­breuses années, les ins­crip­tions engendrent des injus­tices. Pour cer­taines familles, s’inscrire dans une école relève du par­cours du com­bat­tant, par­cours à la fina­li­té d’autant plus incer­taine que les rai­sons des refus sont sou­vent obs­cures. Confron­tée à des cri­tiques de plus en plus viru­lentes, il était urgent pour la Com­mu­nau­té fran­çaise de se pen­cher sur l’épineux sujet des ins­crip­tions en pre­mière année secondaire.

La pre­mière à s’y atte­ler fut la ministre Marie Are­na, en 2007, en pré­voyant une date fixe de début des ins­crip­tions pour toutes les écoles. Cumu­lé à l’inquiétude des parents des écoles plus hup­pées, ce décret pro­vo­qua un nombre anor­ma­le­ment éle­vé de files devant ces écoles et plus de 2.500 élèves gon­flèrent des listes d’attente. La vague de pro­tes­ta­tion média­tique pro­vo­qua son échec.

À sa suite, le ministre Chris­tian Dupont a fait voter un nou­veau décret en juillet 2008, en ver­tu duquel est ins­ti­tuée une pro­cé­dure en trois phases, com­pre­nant des cri­tères socioé­co­no­miques et un clas­se­ment des élèves. Pre­mière avan­cée vers une notion de mixi­té sociale, ce décret n’en était pas moins incom­plet et inopé­rant. Ce sera le deuxième échec de cette saga.

Troi­sième acte : la ministre Marie-Domi­nique Simo­net modi­fie en pro­fon­deur la pro­cé­dure et les dates d’inscription via un nou­veau décret, voté en mars 2009.

Problèmes d’accessibilité

Trois décrets en trois ans : quelle insé­cu­ri­té juri­dique pour le monde sco­laire ! Cette ren­trée sco­laire 2010 voit l’application concrète de cette der­nière ver­sion et, bien qu’il soit encore trop tôt pour faire une éva­lua­tion cor­recte de ce décret, nous pou­vons déjà mettre en avant quelques constats et conséquences.

Ain­si, un pre­mier élé­ment concerne l’accessibilité de l’information aux familles. Le constat fait par dif­fé­rentes asso­cia­tions, syn­di­cats et le délé­gué géné­ral aux droits de l’enfant, et récur­rent au fil des décrets, est que la com­mu­ni­ca­tion avec les parents est défi­ciente. Même si elle a eu l’avantage de répondre à un cer­tain nombre de lacunes, la pro­cé­dure actuelle reste com­plexe et mobi­lise des notions et pro­cé­dures nouvelles.

Un constat plus fon­da­men­tal est celui du manque de places évident dans cer­taines com­munes et de la limi­ta­tion de cette pro­cé­dure à la pre­mière année de l’enseignement secon­daire. Une des mis­sions de la Com­mu­nau­té fran­çaise est pour­tant « d’assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale ».

Même si ce chan­ge­ment règle­men­taire était indis­pen­sable pour ten­ter d’enrayer la dua­li­té de notre ensei­gne­ment, il ne consti­tue qu’une étape par­mi tant d’autres à mettre en œuvre. Plus glo­ba­le­ment, le monde sco­laire doit réflé­chir aux garan­ties à don­ner pour que toutes les écoles offrent une for­ma­tion de qua­li­té à nos enfants. Il ne s’agit pas seule­ment d’inscrire un enfant dans une école, mais aus­si qu’il puisse y pour­suivre sa sco­la­ri­té. Il est indis­pen­sable de lier la ques­tion de l’accès dans le secon­daire à celui de la situa­tion des élèves en pri­maire. En effet, les dif­fi­cul­tés ren­con­trées par cer­tains parents au moment de l’inscription de leur enfant en secon­daire font écho à la situa­tion propre à l’enseignement fondamental.

Il n’en reste pas moins que ce nou­veau sys­tème offre un accès plus diver­si­fié à l’école de son choix pour tous les élèves et une trans­pa­rence accrue dans la ges­tion des inscriptions.

Un système à évaluer et à parfaire

Le sys­tème mis en place n’est sans doute pas par­fait et il engendre cer­taines dif­fi­cul­tés, effets per­vers ou ten­ta­tives de contour­ne­ment de la part de ceux qui n’y adhèrent pas. Il est donc néces­saire et pri­mor­dial qu’une éva­lua­tion pré­cise soit faite le plus rapi­de­ment pos­sible afin d’en cor­ri­ger au mieux les effets néfastes et de répondre idéa­le­ment aux objec­tifs fixés. Sin­gu­liè­re­ment, cette éva­lua­tion devrait inter­ro­ger la mise en pra­tique de la pro­cé­dure, mais aus­si les cri­tères défi­nis. Ces cri­tères sont-ils ceux qui cor­res­pondent le mieux à la réa­li­té de ter­rain ? Com­ment construire une hété­ro­gé­néi­té sociale dans les écoles au sein d’un milieu urbain carac­té­ri­sé par cer­taines loca­li­tés ghettos ?

Nous ne pou­vons renier ces pre­mières avan­cées vers une mixi­té sociale dans les écoles, mais il ne faut pas en res­ter là. L’inscription des élèves dans l’école de leur choix n’est qu’une étape vers une socié­té où tous les enfants ont les mêmes chances d’accès à l’enseignement. Il est impor­tant d’y asso­cier tous les acteurs du monde sco­laire afin que cha­cun y croie et joue le jeu. Ce n’est qu’à cette condi­tion qu’il y a une chance de faire chan­ger les choses et que la volon­té d’une mixi­té sco­laire ne soit pas l’occasion d’une frus­tra­tion sup­plé­men­taire pour cer­tains parents ou élèves.

Corinne Villée


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