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Systémique

Numéro 10 Octobre 2008 par Lechat Benoît

octobre 2008

Drôle de sys­té­mique que celle invo­quée par les res­pon­sables de nos poli­tiques finan­cières en ces semaines de sep­tembre et d’oc­tobre 2008. Le ministre des Finances Didier Reyn­ders n’a‑t-il pas employé le concept inusi­té d’« entre­prise sys­té­mique » pour jus­ti­fier l’in­ter­ven­tion de l’É­tat belge auprès de For­tis et de Dexia ? Il est vrai que sans celle-ci, un véri­table effet […]

Drôle de sys­té­mique que celle invo­quée par les res­pon­sables de nos poli­tiques finan­cières en ces semaines de sep­tembre et d’oc­tobre 2008. Le ministre des Finances Didier Reyn­ders n’a-t-il pas employé le concept inusi­té d’« entre­prise sys­té­mique » pour jus­ti­fier l’in­ter­ven­tion de l’É­tat belge auprès de For­tis et de Dexia ? Il est vrai que sans celle-ci, un véri­table effet domi­no était à craindre pour l’en­semble de la finance et de l’é­co­no­mie belge. Au reste, en ce début octobre, cha­cun conti­nue de rete­nir son souffle en atten­dant la fin du pas­sage des rapides où l’es­quif éco­no­mique a bas­cu­lé depuis l’é­cla­te­ment de la crise des subprimes.

Mais cette sys­té­mique-là est sans doute très éloi­gnée de celle dont nous avons besoin pour com­prendre l’é­vo­lu­tion dans laquelle notre monde est enga­gé. Peut-être faut-il en l’oc­cur­rence convier nos repré­sen­tants poli­tiques à relire un cer­tain nombre d’au­teurs comme Morin, qui, dans les années sep­tante, ont intro­duit dans les sciences sociales et de la nature une volon­té de com­pré­hen­sion glo­bale et inter­con­nec­tée des dif­fé­rentes facettes de la vie ? Le contexte contem­po­rain n’est d’ailleurs pas sans rap­pe­ler cer­taines carac­té­ris­tiques du début des années sep­tante, mar­quées par la conjonc­tion du pre­mier choc pétro­lier et de la fin des accords de Bret­ton Woods. « Relier pour mieux com­prendre » était une des maximes en vigueur à l’é­poque. Il pour­rait être utile de la remettre au goût du jour, en évi­tant d’i­so­ler, par exemple, la crise finan­cière de la crise éner­gé­tique ou de la crise ali­men­taire, voire de la crise com­mu­nau­taire dans laquelle se trouve encore et tou­jours la Belgique.

En effet, si la recon­nais­sance des inter­dé­pen­dances entre ces dif­fé­rents niveaux ne nous met pas à l’a­bri des sur­prises en tous genres, au moins peut-elle nous aider à nous mettre en posi­tion d’ex­trême ouver­ture par rap­port aux chan­ge­ments mas­sifs que nous allons négo­cier, comme on prend cer­tains virages, en épingle, c’est-à-dire à cent quatre-vingts degrés.

Car la nou­veau­té de l’é­vo­lu­tion en cours est le carac­tère qua­si­ment ins­tan­ta­né des évo­lu­tions finan­cières, éner­gé­tiques et ali­men­taires, par le biais de la glo­ba­li­sa­tion des mar­chés et des évo­lu­tions éco­lo­giques. Pour ne tirer qu’un fil de la pelote actuelle, la crise des sub­primes a été ampli­fiée par le ren­ché­ris­se­ment des car­bu­rants que les citoyens amé­ri­cains habi­tant les ban­lieues uti­lisent pour se rendre à leur tra­vail, la hausse des taux étant aggra­vée par la flam­bée du baril. Simul­ta­né­ment, la dégrin­go­lade finan­cière a trans­for­mé le pétrole et les matières pre­mières en valeurs refuges, ce qui a fait flam­ber les cours des céréales, leur mar­ché et celui des car­bu­rants fos­siles étant fusion­nés par la grâce des agro­car­bu­rants déve­lop­pés pour lut­ter contre le chan­ge­ment cli­ma­tique. Et l’on hésite à son­ger à toutes les autres consé­quences tout aus­si « sys­té­miques » qu’en­traî­ne­ra très pro­chai­ne­ment l’ac­cé­lé­ra­tion de la raré­fac­tion du car­bone fos­sile avec la pers­pec­tive des pics de pro­duc­tion du pétrole et du gaz à laquelle nous ne sommes pas davan­tage pré­pa­rés. Là aus­si la sys­té­mique risque d’être réduite à l’ur­gence, face à des effets domi­no qui n’au­ront pas été pas anti­ci­pés. Et la classe poli­tique, d’être ren­due res­pon­sable des pro­blèmes que nous n’au­rons pas su anti­ci­per collectivement.

On ne peut donc pen­ser la crise finan­cière actuelle et ses réper­cus­sions pro­chaines sur l’é­co­no­mie sans prendre en compte le contexte glo­bal dans lequel nous nous situons et sans réa­li­ser un effort maxi­mal de pré­ven­tion des consé­quences qu’il implique. Cela concerne tout par­ti­cu­liè­re­ment la Bel­gique, un pays que ses carac­té­ris­tiques propres, son ouver­ture aux flux finan­ciers, mais aus­si et sur­tout l’af­fai­blis­se­ment de ses centres de déci­sion poli­tiques et éco­no­miques, exposent davan­tage aux bou­le­ver­se­ments en cours.

Leur ampleur subite explique sans doute pour­quoi, comme par magie, le car­tel CD&V/N‑VA a écla­té avec une faci­li­té incon­ce­vable quelques semaines plus tôt. Grandes causes, petit effet… À moins qu’il ne s’a­gisse de l’ap­pli­ca­tion d’une autre maxime sys­té­mique : agir à la péri­phé­rie, plu­tôt qu’au cœur du pro­blème, en com­men­çant par les effets éloi­gnés, qui de proche en proche, font évo­luer le sys­tème plus faci­le­ment que si on pre­nait de front son noyau dur… C’est en l’oc­cur­rence de ce tra­vail par petites touches que nous aurons besoin dans les mois qui viennent afin de réno­ver de fond en comble notre équi­libre ins­ti­tu­tion­nel et ins­tau­rer un nou­vel équi­libre entre Régions, basé sur le res­pect et la recon­nais­sance des inter­dé­pen­dances. La pers­pec­tive des élec­tions régio­nales et la course pour la pre­mière place à laquelle les par­tis vont se livrer en Wal­lo­nie comme en Flandre et à Bruxelles ne devraient, hélas, pas y contri­buer. Tout indique pour­tant que, dans le contexte d’in­sé­cu­ri­té sociale et éco­no­mique actuel, la classe poli­tique serait la pre­mière vic­time d’une sur­en­chère dans la recherche d’une supré­ma­tie dans sa Communauté.

Il y a une prise de conscience de plus en plus large dans la socié­té qu’outre le chan­tier ins­ti­tu­tion­nel, la Bel­gique est confron­tée à des défis bud­gé­taires d’une ampleur qu’elle n’a sans doute plus connue depuis les années quatre-vingt. Plu­tôt que de petites phrases assas­sines, ce dont nous avons donc besoin, de façon urgente, c’est une vraie réflexion col­lec­tive sur la manière la plus proac­tive et la plus juste de nous pré­pa­rer à ce qui vient. En com­men­çant par mul­ti­plier les portes d’en­trée : non seule­ment finan­cières et éco­lo­giques, mais aus­si sociales, cultu­relles et démo­cra­tiques… À cette condi­tion, nous pour­rons aus­si être plus récep­tifs pour per­ce­voir et sou­te­nir les qua­li­tés posi­tives émer­geant de l’in­ter­con­nexion des crises en cours. 

5 octobre 2008

Lechat Benoît


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