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Syngenta, Mizrahi Tehafot Bank, Ryanair, Exxon Mobil, Volkswagen : des entreprises « socialement responsables » ?
Selon certains gestionnaires d’actifs qui promeuvent des fonds socialement responsables, ce serait bien le cas. Pourtant, toutes ces entreprises violent des droits fondamentaux. Dès lors, pourquoi sont-elles sélectionnées dans des fonds dits « socialement responsables » ? Un concept aux multiples interprétations L’investissement socialement responsable, ou ISR, peut se définir comme un investissement qui ne répond pas uniquement […]

Selon certains gestionnaires d’actifs qui promeuvent des fonds socialement responsables, ce serait bien le cas. Pourtant, toutes ces entreprises violent des droits fondamentaux. Dès lors, pourquoi sont-elles sélectionnées dans des fonds dits « socialement responsables » ?
Un concept aux multiples interprétations
L’investissement socialement responsable, ou ISR, peut se définir comme un investissement qui ne répond pas uniquement à des critères financiers, mais également à des préoccupations environnementales, éthiques, sociales et de gouvernance. Avec une définition si vaste, on comprend rapidement qu’il peut y avoir pléthore d’interprétations à cette explication.
Effectivement, il y a presque autant de visions sur l’ISR que d’acteurs sur le marché. Probablement à la recherche de quantité, à défaut de qualité, Eurosif, association européenne pour la promotion et l’avancement de l’ISR en Europe dont les membres sont principalement issus de l’industrie, répertorie dans son étude biannuelle pas moins de sept approches que peut avoir (ou combiner) un gestionnaire de fonds socialement responsables1 pour sélectionner ses actifs.
Une embellie quantitative récente sur le marché belge…
En 2014, les résultats d’une enquête2 arrivent à la conclusion que plus d’un Belge sur deux souhaite investir son argent de manière éthique. Pourquoi ? Quatre raisons majeures sont, à l’époque, invoquées par les répondants : le manque d’argent disponible, le fait que les banques ne proposent pas ce type de placement parce qu’ils ne comprennent pas la stratégie de placement du fonds ou bien encore parce qu’ils ne font pas confiance à la mention « placements éthiques et durables ».
Deux ans plus tard, fin 2016, il semblerait qu’une partie des promoteurs de fonds ait compris ces attentes du public, du moins la partie « les banques ne proposent pas ce type de placement ». Ainsi, si la progression en nombre des fonds ISR est légère (de 315 fonds à la fin de 2015 à 330 fonds à la fin de 2016), l’augmentation devient phénoménale quand on examine les encours, soit les montants d’argent investis dans ces produits. En effet, on peut supposer qu’une politique active d’offre de fonds ISR a été mise en place par certains acteurs en 2016. Selon les données récoltées auprès des gestionnaires d’actifs, l’encours de l’ensemble des fonds3 dits ISR, qui se situait autour de 9 milliards d’euros au 31 décembre 2015, atteint 16 milliards d’euros fin 2016. Cela représente une augmentation de 79% et cet encours est le plus élevé jamais enregistré sur le marché belge depuis que des fonds ISR ont vu le jour dans les années 1990.
…mais la qualité laisse à désirer !
En revanche, dans la liste des fonds qui s’autodéclarent socialement responsables, on trouve le pire et le meilleur. Pour l’investisseur intéressé, Financité4 a mis au point une méthodologie de mesure de la qualité extrafinancière des fonds en deux temps.
D’abord, Financité vérifie si les actifs sélectionnés respectent au minimum les principes contenus dans les conventions internationales ratifiées par la Belgique dans cinq domaines : droit humanitaire, civil, social, environnemental et de gouvernance. Pour ce faire, Financité élabore une liste noire qui recense les entreprises et les États qui contreviennent à ces droits fondamentaux, en se basant sur des listes noires publiques et fiables. Si un fonds ISR contient un actif présent sur cette liste, il est automatiquement déclassé et coté à 0.
Ensuite, les fonds qui réussissent ce premier examen sont alors passés au crible selon la seconde partie de la méthodologie. Financité étudie, d’abord le type d’approches socialement responsables mises en place (le périmètre du fonds): critères d’exclusion, critères positifs tels le best-in-class5, engagement actionnarial6. Ensuite, la profondeur de ces approches est analysée : la manière dont se font la collecte et le traitement des données extrafinancières, la garantie de la qualité des processus ainsi que la transparence et la communication vers l’investisseur. Les fonds sont alors classés par nombre d’étoiles7 selon la force des approches utilisées.
Les résultats de cette méthodologie sont, pour le moins, surprenants. Fin 2016, 70% des fonds sont cotés à 0 car ils contiennent dans leurs portefeuilles des actifs qui contreviennent aux principes des conventions internationales ratifiées par la Belgique. Ce taux grimpe à 89% quand on inclut les fonds dont les gestionnaires ne sont pas transparents (8%) et ceux qui n’utilisent en fait pas d’approches ISR sur une de leurs composantes8 (11%).
Des exemples
Bien que parfois critiquée pour sa sévérité, la méthodologie Financité repose pourtant sur un consensus démocratique. Effectivement, le respect des principes contenus dans les conventions internationales ratifiées par la Belgique est le minimum auquel les entreprises ou les États doivent se conformer. Et dans des fonds se disant « socialement responsables », il paraît d’autant plus cohérent que les actifs sélectionnés ne soient pas en inadéquation avec ces droits fondamentaux.
Prenons quelques exemples de la situation arrêtée au 31 décembre 2016. Syngenta, compagnie suisse d’agribusiness, est épinglée notamment pour son non-respect du droit civil. En 2015, elle a été jugée responsable au Brésil pour avoir dépêché une milice qui a attaqué et fait des victimes parmi des travailleurs agricoles. Pourtant cette entreprise se trouve dans quatre fonds dits ISR.
De même, Mizrahi Tehafot Bank, une banque israélienne, ne respecte pas le droit humanitaire car elle finance des colonies israéliennes illégales dans les territoires occupés palestiniens. Malgré cela, cette entreprise est présente dans sept fonds dits ISR.
Autre exemple, qui occupe actuellement l’espace médiatique à cause de ses politiques d’annulation douteuses, Ryanair, la compagnie irlandaise low cost d’aviation qui ne respecte pas le droit social de ses employés en limitant, voire en interdisant, les syndicats. Ryanair est pourtant sélectionnée par huit fonds dits ISR.
Le droit environnemental est, quant à lui, bien bafoué par Exxon Mobil, une grosse compagnie pétrolière texane. Elle n’a pas hésité, entre diverses autres actions nocives pour l’environnement, à polluer et contaminer pendant des décennies des marécages, des marais et des eaux au New Jersey. Exxon Mobil se retrouve quand même dans treize fonds dits ISR !
Enfin, le droit de la gouvernance n’est pas en reste. Volkswagen, constructeur automobile allemand, a triché et menti avec aplomb concernant les logiciels mesurant les émissions de polluants de leurs voitures au diesel. Malgré cette fraude, Volkswagen était encore présent dans trois fonds dits ISR fin 2016.
Une norme minimale légale pour définir l’ISR
Si l’éthique est certainement personnelle, le « socialement responsable » doit s’appuyer sur des bases légales solides. Financité plaide en ce sens depuis la réalisation d’une étude en 2008 qui a, par ailleurs, été portée par des représentants politiques sous la forme d’un avant-projet de loi. Malheureusement, l’absence de gouvernement fédéral durant dix-huit mois a rendu cette initiative caduque. C’est d’autant plus regrettable que la Belgique aurait été pionnière en la matière.
Récemment, la France a été très active sur le sujet. Ainsi, le gouvernement a mené à bien la mise en place de deux labels publics en 2016 : un pour l’ISR et le second pour les fonds visant la transition énergétique et écologique pour le climat. Si les premiers bilans de ces labels sont encore à parfaire, il n’en reste pas moins que leur existence est une avancée à saluer dans le domaine.
Un autre espoir existe aussi au niveau européen. La Commission européenne, et plus précisément les cabinets des commissaires Dombrovskis9 et Katainen10, souhaite promouvoir la finance durable. Pour ce faire, un groupe d’experts de haut niveau, issus majoritairement de l’industrie, mais aussi de la société civile, se penche actuellement sur cette thématique. Et, une recommandation préliminaire du rapport intérimaire de ce groupe, serait de créer un label ISR européen pour les produits financiers durables. Selon les suites des négociations entre les parties prenantes, cela pourrait créer une impulsion concernant la qualité de ces produits… Affaire à suivre !
- Ce sont les suivantes : les investissements à thématiques durables, le best-in-class, l’exclusion d’actifs de l’univers d’investissement, l’exclusion fondée sur des normes, l’intégration de facteurs ESG dans l’analyse financière, l’engagement et le vote sur les questions de durabilité et l’investissement à impact sociétal.
- Baromètre de l’investisseur, enquête menée par TNS en ligne, est une initiative d’ING en collaboration avec l’université de Gand et les quotidiens L’Écho et De Tijd, mai 2014.
- Les fonds, au sens de ce texte, sont les compartiments des fonds d’actions, des fonds d’obligations, des fonds mixtes, des fonds à capital protégé, des fonds monétaires, des fonds d’assurance, des assurances vie et des produits structurés.
- Association sans but lucratif dont l’objet social est de promouvoir la finance responsable et solidaire.
- Approche ISR qui permet de sélectionner, par secteur d’activité, les entreprises considérées comme les plus responsables sur base de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Différents seuils peuvent alors être utilisés, une approche best-in-class 10% étant plus stricte qu’une approche best-in-class 50%.
- Approche ISR où le détenteur d’actif dialogue avec les entreprises, par exemple via les assemblées générales, sur des questions environnementales, sociales et/ou de gouvernance pour que leurs pratiques sur ces thématiques s’améliorent.
- Il est possible pour chaque fonds de voir s’il contient des actifs ne respectant pas les conventions internationales, le droit en brèche et l’importance de l’actif contre le reste du portefeuille. Celle-ci est mise à jour annuellement en mars.
- C’est régulièrement le cas des produits structurés, qui ont une composante stable et une composante de rendement, voir le rapport sur l’ISR, p. 108 – 109.
- Vice-président de la Commission européenne pour l’Euro et le Dialogue social, également chargé de la Stabilité financière, des Services financiers et des Marchés financiers.
- Vice-président de la Commission européenne pour l’Emploi, la Croissance, l’Investissement et la Compétitivité.