Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Survivre à tout prix ? Essai sur l’honneur, la résistance et le salut de nos âmes, de Jean-Michel Chaumont
Il arrive que des circonstances devenues de plus en plus exceptionnelles nous placent devant un choix terrible : sauver notre vie ou notre âme. C’est le choix auquel ont été notamment confrontés les résistants arrêtés et torturés par les nazis, ainsi que les Juifs à qui furent confiées des tâches d’«administration » de l’holocauste dans les camps d’extermination. […]
Il arrive que des circonstances devenues de plus en plus exceptionnelles nous placent devant un choix terrible : sauver notre vie ou notre âme. C’est le choix auquel ont été notamment confrontés les résistants arrêtés et torturés par les nazis, ainsi que les Juifs à qui furent confiées des tâches d’«administration » de l’holocauste dans les camps d’extermination.
La morale de l’honneur, qui nous enjoint de résister à tout prix ou choisir la mort pour sauver nos âmes, fait l’objet de cet ouvrage1 abondamment documenté où la sociologie historique rencontre la philosophie morale. Jean-Michel Chaumont s’attache à reconstruire les systèmes normatifs explicites ou implicites qui ont, par le passé, expliqué certaines réactions morales à l’égard des comportements des victimes placées dans des situations extrêmes : torture, camps de concentration et d’extermination, viol. Il y a quelques décennies encore, le discrédit jeté aujourd’hui sur le blâme aux victimes n’avait guère cours. Le fait d’être placé dans une situation extrême, une situation où, souvent, la seule alternative à la répudiation des engagements et des liens les plus sacrés est la mort, ne suffisait pas à disculper. En sociologue, J.-M. Chaumont montre de façon convaincante que les comportements des rescapés2 de la violence extrême ont été jugés, évalués par leurs contemporains, et ce à l’aune d’une éthique de l’honneur qu’il s’efforce de reconstruire.
C’est ce que montrent les résultats d’une enquête fascinante qui se joue en trois actes, le premier dans les archives du Parti communiste belge (PCB) au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le second dans les camps de concentration et d’extermination nazis, où les Sonderkommandos ont été entrainés dans la Solution Finale, le troisième donnant la parole aux survivantes du viol à travers les âges, de la Lucrèce de l’Histoire Romaine de Tite-Live aux témoignages contemporains d’Alice Sebold, Virginie Despentes ou Caroline Lamarche.
La morale de l’honneur pour comprendre les réactions morales à l’égard des survivants
Face à la torture
Avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale, la direction du PCB, à l’instar de ses homologues dans les autres pays, avait sollicité de ses militants et sympathisants engagés dans la résistance et rescapés des prisons et des camps nazis une justification de leur conduite lors de leur emprisonnement, et en particulier sous la torture. Les relations rédigées en application de cette directive sont remarquables à plus d’un titre. Non seulement les militants ainsi sollicités semblent, pour la plupart, s’être astreints sans sourciller à cette exigence de justification, mais de plus, tant la vivacité des souvenirs que la sincérité relativement exceptionnelle des déclarations en font des sources précieuses pour le chercheur. Le drame a pour cadre la forteresse de Breendonk et se joue autour du fameux compromis du 23 juillet 1943 qui vit quatre des principaux dirigeants du PCB passer un marché avec la Sipo‑D (mieux connue sous le nom de Gestapo): ils acceptèrent d’inciter les autres prisonniers à cesser le combat et à livrer ce qu’ils savaient, pour sauver « la vie de nombreux camarades », mais aussi la leur.
Au travers de relations où les récits de torture laissent souvent sans voix, se reconstituent lentement les faits, se dessine une typologie des attitudes où l’on distingue les « incorruptibles » des « pénitents », des « déshonorés » (qui acceptèrent le compromis) et des « dévergondés » (qui, à l’inverse des pénitents et des déshonorés accablés de remords, font figure de traitres décomplexés). On y apprend que les sanctions encourues par ceux qui n’avaient pu se plier à l’obligation de ne rien dire sous la torture étaient sévères : les exclusions du Parti étaient annoncées dans la presse clandestine, les contacts des exclus avec les autres membres étaient interdits ; les détenus ont parfois fait justice eux-mêmes dans les camps en liquidant les traitres. Preuve supplémentaire, s’il en est, que même dans ces circonstances extrêmes, les attitudes, actions et comportements ont été jugés, moralement et socialement.
On y apprend aussi que la ruse compromet. Ceux qui acceptèrent de passer un marché avec l’ennemi, croyant ou voulant croire que gagner du temps permettrait de sauver des vies, se sont presque toujours irrémédiablement compromis. Ce n’est pas seulement parce que la ruse est souvent inefficace face à un ennemi puissant et extrêmement bien équipé pour soutirer des informations. C’est aussi parce que la ruse sème irrémédiablement le doute dans les esprits, entache les actions d’équivoque, brouille la frontière entre ami et ennemi. Pour qui travaille celui qui ruse ? Pour l’ennemi, comme il l’affirmait à Breendonk ? Pour les camarades qu’il essaie, dit-il, de sauver ? Pour lui-même, pour prolonger sa vie de quelques instants et profiter de conditions de détention plus confortables ? Ceux qui rusent finissent souvent eux-mêmes par ne plus s’y retrouver. Reste alors cette question, la question d’Adèle, torturée à Breendonk : quel modèle de comportement, quelle éducation seraient assez puissants pour surmonter l’instinct de conservation ?
Dans les camps
La morale de l’honneur n’était pas spécifique aux organisations communistes. J.-M. Chaumont montre que, jusqu’à la fin des années 1960, elle a guidé les réactions morales aux comportements des survivants des camps nazis : les prisonniers politiques comme les Juifs victimes de la Shoah. Deux fils directeurs permettent d’appréhender ce phénomène : le parcours du poète Abbe Kovner et la controverse autour de Treblinka.
« N’allons pas comme des moutons à l’abattoir ! », écrit Kovner dans un tract de 1941 appelant les Juifs du ghetto lituanien de Vilna à la résistance. Peu répondent à l’appel ; beaucoup nourrissent l’espoir, horriblement démenti par la suite, d’avoir la vie sauve en échange de leur contribution à l’effort de guerre allemand. En 1945, l’analyse de Kovner est sombre. En entretenant en chaque individu l’illusion qu’il pourrait être un des rares survivants, les nazis sont parvenus à détruire les liens fraternels ; les paris individuels sur la survie se sont transformés en une « marche grégaire » vers la mort. Kovner souligne que ceux qui ont résisté n’ont pas tant combattu pour sauver des vies (la leur ou celle des autres) que pour sauver l’honneur et la communauté. Pour J.-M. Chaumont, la morale de l’honneur exige en effet, parfois, de mourir sans capituler, parce que la capitulation détruit les liens constitutifs de la communauté.
L’«affaire Treblinka », quant à elle, éclate en 1966, lors de la parution de l’ouvrage éponyme de Jean-François Steiner. Steiner a mis en évidence la participation des Sonderkommandos (SK) au génocide dans le camp de la mort de Treblinka. Mais pas pour les condamner : l’argumentation de Steiner vise à montrer, entre autres, que leur amour de la vie était en fait un acte de résistance, leur survie étant la condition non seulement de la préservation de la religion juive, mais aussi de la possibilité de témoigner de « ce que l’homme est capable de faire à l’homme ». Mais les arguments de Steiner n’ont pas suffi à rendre caduque la morale de l’honneur, affirme J.-M. Chaumont, celle-ci étant notamment à l’œuvre dans le scepticisme dont font preuve à leur égard certains rescapés de l’enfer nazi, tel Richard Glazar, ou encore Primo Levi, hésitant entre le refus de juger les rescapés et l’impossibilité de ne pas condamner leurs actes. Comme le rappelle à raison J.-M. Chaumont, on peut en effet juger la participation des SK au génocide comme immorale tout en admettant qu’on n’aurait pas fait mieux qu’eux et que de telles circonstances sont proches d’annihiler notre liberté morale. À la suite de Treblinka, c’est la réhabilitation des SK par Claude Lanzmann qui témoignerait alors, selon J.-M. Chaumont, d’un tournant dans l’histoire de la morale, consacrant l’extinction de la morale de l’honneur au profit d’une éthique de la survie.
Face au viol
Le cas des survivantes au viol est épineux et place la troisième partie du livre quelque peu en porte-à-faux par rapport au reste. Le problème est clairement posé par l’auteur : pourquoi a‑t-on attendu des victimes de viols qu’elles soient prêtes à résister, y compris au prix de leur vie et comment expliquer que la morale de l’honneur ait guidé les réactions morales à leur égard, alors que leur « capitulation » ne trahissait aucune loyauté, ne menaçait la survie de personne ? À partir de rapprochements audacieux, féconds, mais parfois un peu rapides, entre des sources antiques, modernes et contemporaines, J.-M. Chaumont développe l’hypothèse que tant le sentiment de culpabilité éprouvé par les femmes violées que la suspicion qui pèse parfois sur elles (« a‑t-elle vraiment résisté ? ») sont un vestige d’une ancienne injonction sociale dictée par la morale de l’honneur. Le comportement de la victime ne devait laisser aucun doute sur sa volonté de résister, sur l’absence de compromission, même fugitive, avec le violeur. C’est pourquoi la Lucrèce de Tite-Live devait mourir. Son suicide seul pouvait attester qu’elle avait préféré la mort au déshonneur, qu’elle n’était restée en vie que le temps nécessaire pour accuser son agresseur. C’est pourquoi, suggère l’auteur, le viol était considéré comme un pas vers la prostitution : celles qui avaient préféré la vie à l’honneur étaient destinées à une carrière mercenaire.
Mais comment une morale aussi implacable peut-elle faire sens, alors que les violées ne menacent nullement la survie du groupe ? Ici, l’auteur tente une conjecture aventureuse : il fut un temps où la promiscuité des femmes avec les hommes d’un groupe ennemi représentait une menace réelle pour la survie du groupe (quid de celle des hommes avec les femmes ennemies, s’interrogent les lecteurs que nous sommes). En ce temps révolu, l’implacable morale de l’honneur était donc socialement utile, mais elle a depuis bien longtemps été dévoyée et instrumentalisée par la domination masculine. Par cette hypothèse, J.-M. Chaumont tente un équilibre quelque peu précaire entre sa volonté de ne pas désavouer l’éthique de l’honneur et son refus de stigmatiser les survivantes du viol. Il fait également de l’éthique de l’honneur une grille de lecture des cheminements émancipateurs de Virginie Despentes, Alice Sebold ou Caroline Lamarche. Violées, elles auraient refusé le modèle de résilience des éthiques de la survie pour un modèle de résistance qui « ne s’accommode pas de n’importe quel amour de la vie », refuse toute compromission avec la domination masculine et venge l’honneur perdu par l’œuvre littéraire ou artistique.
La morale de l’honneur face aux situations extrêmes qui nous attendent
L’exigeante morale de l’honneur prescrit donc une loyauté sans faille aux membres de son groupe, y compris au prix de sa vie. À travers l’étude sociologique de trois cas — torture, camps d’extermination, viols — J.-M. Chaumont poursuit également un questionnement de philosophie morale : quelle éthique doit être cultivée socialement, quels codes doivent être promus, pour que les comportements déshonorants ne deviennent pas la norme si des circonstances extrêmes venaient à se présenter à nouveau ?
À ce titre, il part d’un présupposé très pessimiste : de telles circonstances ont de grandes chances de surgir à nouveau. Au rythme où vont les choses, dans les mots d’Harald Welzer, « il y aura de plus en plus d’hommes qui disposeront de moins en moins de bases pour assurer leur survie » (Welzer, 2009, p. 12.), ce qui risque de dresser les humains les uns contre les autres et d’accroitre encore la xénophobie grimpante. Or, suggère J.-M. Chaumont, nous ne sommes plus armés pour faire face à de telles mises à l’épreuve de notre conscience morale. En effet, la disqualification progressive de la morale de l’honneur a laissé place à une éthique de la survie à tout prix qui approuve et revendique le « chacun pour soi» ; « nous sommes passés du culte des victimes à l’empire des survivants », ce que J.-M. Chaumont n’hésite pas à qualifier de « régression morale ». À ses yeux, « les générations anciennes étaient mieux préparées que nous pour affronter les dilemmes de l’extrême ».
Que faire alors ? Premièrement, et il est important d’insister sur ce « premier principe » afin d’éviter tout malentendu quant aux thèses de l’ouvrage. Nos actions et nos institutions devraient être telles qu’elles ne placent jamais une personne dans la quasi-incapacité d’agir moralement. La culpabilité des responsables des situations extrêmes, de ceux qui ont violé, fait torturer, massacrer, gazer, est indiscutable. Mais, lorsque ce principe est violé, alors J.-M. Chaumont recommande de créer un substitut aux éthiques de l’honneur, un code éthique que les modernes que nous sommes doivent encore inventer, qui aurait la même fonction sociale que l’honneur et qui devrait faire l’objet d’un débat démocratique. La morale de l’honneur avait en effet une valeur instrumentale : elle assurait la survie du groupe placé dans une situation extrême.
La première réaction que suscite une telle réhabilitation de l’honneur est l’étonnement. Spontanément, on l’associerait plutôt aux comportements ringards des personnages de Barry Lyndon qui perdraient la vie plutôt que la face devant une femme ou aux révoltants crimes d’honneur dont les femmes sont les principales victimes. Puis, rapidement, on est captivé par l’analyse de J.-M. Chaumont et on saisit mieux l’importance de l’honneur en contextes extrêmes. Effectivement, on ne saurait souscrire à une simple éthique de la survie individuelle à tout prix. Reste que la revalorisation de l’honneur pose malgré tout une série de problèmes que l’ouvrage laisse en partie irrésolus. Mentionnons-en deux.
Assurer la survie du groupe ?
Les remarques qui suivent sont en partie suscitées par la thèse de l’auteur selon laquelle l’honneur vaut par sa fonction, à savoir assurer la survie du groupe. De quel genre de survie parle-t-on exactement ? Il ne s’agit pas forcément de la préservation de la vie du plus grand nombre de membres possible : les résistants du ghetto de Vilna n’ont pas combattu pour sauver des vies. Il nous semble que, du point de vue développé par J.-M. Chaumont, la survie du groupe, c’est d’abord la survie des liens qui unissent ses membres, liens de confiance, liens affectifs, liens de solidarité. Même si la trahison permet d’économiser des vies, elle pervertit irrémédiablement ces liens qui font qu’un groupe est quelque chose de plus qu’un agrégat d’individus. La survie du groupe, c’est aussi sa survie « morale ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Une des raisons pour lesquelles le Parti communiste n’accepta pas les stratégies de recours à la ruse était que, même si elles étaient efficaces (pour sauver des vies), elles démoralisaient les militants et les sympathisants engagés dans la lutte. La compromission avec l’ennemi, fût-elle utile, nuit à la disposition des autres à maintenir leur engagement dans la lutte. Elle est susceptible de les amener à remettre en cause le sens même des sacrifices qu’ils font.
Mais cette dernière considération nous amène à nous interroger : au fond, est-ce la survie morale du groupe ou celle de l’individu qui est en jeu dans la morale de l’honneur ? Il va de soi que la survie morale n’est pas la survie « biologique » ou « physique ». Il est d’ailleurs significatif que nombre d’anciens SK utilisent le vocabulaire de la mort pour décrire ce qui correspond à la perte de leur honneur selon les analyses de J.-M. Chaumont.
Pour comprendre ce que l’on peut entendre par survie morale, examinons cet exemple du philosophe Joseph Raz développé dans le cadre d’une tout autre discussion (à savoir une discussion sur l’autonomie et la coercition) (Raz, 1986, p. 156.). Selon Raz, le choix d’une personne menacée de mort si elle n’obtempère pas (« la bourse ou la vie ! ») est moralement équivalent au choix d’une personne menacée, non pas de mort au sens propre du terme, mais de ne plus pouvoir continuer la vie qu’elle a de bonnes raisons de vouloir poursuivre. Ainsi, le choix du pianiste que l’on menace de priver de ses doigts est, en un sens, aussi tragique que celui d’une personne menacée de mort. Si le pianiste refuse de céder, il ne pourra continuer la vie qu’il a, c’est-à-dire la vie qu’il a des raisons de juger précieuse, une vie constituée de projets, d’engagements (y compris envers les autres), qui font que ce n’est pas n’importe quelle vie, mais la sienne propre.
Or, il nous semble que le drame des militants communistes et des Juifs qui se sont compromis est qu’ils se sont privés de la vie qu’ils avaient, des engagements qui constituaient cette vie, de ce qui garantissait leur intégrité morale. Ils ont « vendu leur âme », peut-être en ce qu’ils ont trahi leur groupe, mais surtout en ce qu’ils se sont trahis eux-mêmes. C’est là une lecture plus individualiste — un individualisme différent de l’égoïsme des éthiques de la survie — de la valeur de la morale de l’honneur. Cette lecture diffère de la sensibilité communautarienne3 qui émane des analyses de J.-M. Chaumont en ce que les engagements en jeu sont valables car jugés et reconnus comme tels par la personne qui les prend et non pas en vertu de sa seule appartenance au groupe dans lequel les accidents de l’histoire l’ont placée. Mais elle est tout à fait compatible avec l’idée qu’il est aujourd’hui souhaitable de réhabiliter certaines dispositions, telles que l’honneur ou encore le courage qui sont susceptibles d’accroitre nos chances de survie morale dans les temps difficiles.
L’honneur : remède ou poison ?
Toutefois, on peut se demander si la morale de l’honneur au service du groupe n’est pas aussi parfois à l’origine des situations extrêmes qu’étudie J.-M. Chaumont. Nul doute que les nazis, par exemple, cultivaient eux aussi un important sens de l’honneur et avaient intégré la priorité du groupe sur l’individu. Mais n’est-ce pas précisément une partie du problème ? Comment expliquer que des populations se soient ainsi laissé entrainer dans la perpétuation de la violence extrême sans cet abandon au groupe, à la nation, à la race ?
Une société beaucoup plus individualiste comme la nôtre se laisserait-elle entrainer de la même manière ? N’y aurait-il pas beaucoup de résistance (éventuellement égoïste, mais potentiellement bénéfique) à partir au front pour défendre la nation ? À ce titre, l’honneur, en ce qu’il réclame un certain abandon de la conscience individuelle aux normes du groupe, apparait autant comme le poison que comme le remède. De sorte que si l’on voulait le réhabiliter aujourd’hui, il faudrait le concevoir différemment.
En particulier, il faudrait voir si et comment il peut s’articuler à une rationalité critique. Un tel honneur « critique » ne recommanderait par exemple le sacrifice de l’individu à une cause que si celle-ci peut être justifiée par des normes morales universalisables et si sa conscience morale lui indique que c’est bien le cas. Même cela, cependant, ne prémunirait pas contre l’idéologie. Tous ceux qui se sacrifient pour une cause, qu’elle soit louable ou condamnable, sont généralement convaincus d’agir pour des raisons morales. Il reste que la promotion d’une certaine morale de l’honneur doit impérativement s’accompagner de la promotion de la rationalité critique, mais aussi de la lutte contre l’ethnocentrisme et la xénophobie, si l’on veut s’assurer qu’elle protège nos âmes plutôt que de les embrigader. Et à ce titre, il y a de bonnes raisons de penser que nous sommes mieux armés que les générations précédentes, même si les efforts à déployer sont encore considérables.
- Chaumont J.-M., Survivre à tout prix ? Essai sur l’honneur, la résistance et le salut de nos âmes, Éditions La Découverte, Paris, 2017, 397 p.
- Dans ce texte, les termes au masculin grammatical sont entendus dans leur sens épicène, sauf lorsqu’ils visent explicitement des hommes.
- Sur la philosophie communautarienne, qui a peu en commun avec ce que les médias appellent le « communautarisme », voir l’excellente anthologie (malheureusement épuisée) de Berten, da Silveira et Pourtois, 1997.