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(Sur)vivre en Russie
Comment ne pas parler de la Russie ? Mais comment parler de la Russie ? Comme d’un bloc, à l’ancienne ? En ressassant d’immémoriales peurs ? En couvrant Vladimir Poutine d’anathèmes ? En tenant la population pour responsable de tout ? En la considérant comme victime de tout ? Non, bien entendu, rien de tout ça. Ne pas parler de la guerre menée en […]
Comment ne pas parler de la Russie ?
Mais comment parler de la Russie ? Comme d’un bloc, à l’ancienne ? En ressassant d’immémoriales peurs ? En couvrant Vladimir Poutine d’anathèmes ? En tenant la population pour responsable de tout ? En la considérant comme victime de tout ?
Non, bien entendu, rien de tout ça. Ne pas parler de la guerre menée en Ukraine par la Russie reviendrait à nier un des évènements majeurs de ce début de XXIe siècle. Mais en parler n’importe comment, voire comme tout le monde n’aurait pas de sens.
Voilà pourquoi nous avons choisi de vous parler de la Russie en prêtant particulièrement attention à vous faire entendre le point de vue des habitants et habitantes du pays, mais aussi en contextualisant cette position. Il ne s’agit pas de porter la parole du pouvoir, mais de tenter d’approcher la complexité de la situation russe, aujourd’hui, en entendant les populations et en comprenant le cadre dans lequel elles se meuvent.
Un premier pas sur cette voie consiste à prendre en compte la diversité ethnique du pays. Ksenia Pimenova, anthropologue sociale à l’ULB, a choisi de nous parler des populations de nationalité russe, mais ethniquement non russes, témoins de l’histoire coloniale de la Russie (et de ses diverses incarnations impériales), qui paient aujourd’hui l’essentiel du cout humain de la guerre. Elles souffrent ainsi doublement d’une guerre qui ravive les discours xénophobes et colonialistes russes — lesquels soutiennent la répression des opposants issus de ces populations — et qui exige son tribut de vies, prélevées pour l’essentiel loin des grandes villes, dans ces régions défavorisées.
Vinciane Quintard, assistante sociale, étudiante en master en sciences politiques, économiques et sociales à l’UCL, nous fait part de ses relations avec ses amis moscovites depuis le déclenchement de l’offensive russe. Entre les jeunes opposants au régime, pour lesquels les intimidations du pouvoir sont monnaie courante, et les personnes âgées qui ont appris au cours de décennies de communisme à se faire oublier et à traverser les temps de crise, elle esquisse le portrait d’une population diversifiée, loin de faire bloc derrière Vladimir Poutine, et qui lutte avec ses maigres moyens pour survivre et pour qu’un monde meilleur soit possible, quand elle en a la possibilité.
Pour nous permettre de mieux comprendre comment les libertés se sont raréfiées pour les habitants et habitantes de la Russie, Anne Le Huérou, sociologue, spécialiste de la Russie et maitresse de conférences en études slaves à l’université Paris Nanterre, et Aude Merlin, chargée de cours en sciences politiques à l’ULB, spécialiste de la Russie et du Caucase, membre du Cevipol, nous retracent le développement, puis la mise au pas de la société civile, depuis la pérestroïka jusqu’à aujourd’hui. Se dessine un paysage dans lequel la contestation et l’organisation des citoyens sont de plus en plus difficiles.
En écho, le journaliste Artjoms Konohovs, correspondant à Bruxelles de la radio publique lettone, nous dresse le portrait des médias russes et, bien entendu, de la censure qui règne dans le pays. Car si les citoyens peinent de plus en plus à s’organiser et à s’exprimer, ils sont aussi mal informés. Cette contribution nous montre comment le verrouillage des médias favorise la diffusion d’un message sur, d’une part, la grandeur de la Russie et de son peuple, justifiant ses visées de puissance et, d’autre part, sur le mépris et l’hostilité des pays occidentaux, expliquant pourquoi, malgré ses qualités, la Russie n’est pas le pays magnifique, heureux et conquérant qu’elle devrait être.
Enfin, pour parler de la Russie, il faut également être capable d’identifier la propagande que le pouvoir nous adresse et se garder de tomber dans ses pièges et ses simplifications. Baptiste Campion, docteur en communication et professeur à l’Institut des Hautes études des communications sociales, actualise son analyse de 2016 de la propagande russe. Il montre comment le pouvoir russe a réussi à s’emparer des codes de communication de l’internet pour s’adresser à nous et nous fournir des récits correspondant à sa vision du monde et à ses intérêts, plutôt qu’à l’exactitude des faits. Face à cette stratégie, les démocraties occidentales sont mal à l’aise et peinent à mettre en place une réaction cohérente, d’autant plus que la question de la désinformation dépasse très largement le cadre des médias contrôlés par la Russie.
Le tour d’horizon que nous avons pu parcourir ici est bien modeste, mais il aidera peut-être à regarder au-delà des clichés et des réactions horrifiées face à la violence du conflit en cours. Le but n’est pas de minimiser la responsabilité de l’État russe, bien entendu, mais de mieux comprendre, à la fois comment les populations sur lesquelles il règne tentent de survivre dans les circonstances actuelles, et comment les écrans de fumée mis en place troublent les regards et obèrent les possibilités d’un dépassement des clivages actuels.