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Stuttgart 21 : la gare et la démocratie

Numéro 11 Novembre 2010 par Carsten Gräbel

novembre 2010

Le 30 sep­tembre 2010, la police alle­mande a employé des auto­pompes et des gaz lacry­mo­gènes contre des citoyens paci­fiques qui mani­fes­taient dans le parc du châ­teau de Stutt­gart. Des cen­taines de per­sonnes ont été bles­sées, dont de nom­breux éco­liers et des per­sonnes âgées. Le conflit qui oppose ces pai­sibles citoyens souabes et leur gou­ver­ne­ment du Land […]

Le 30 sep­tembre 2010, la police alle­mande a employé des auto­pompes et des gaz lacry­mo­gènes contre des citoyens paci­fiques qui mani­fes­taient dans le parc du châ­teau de Stutt­gart. Des cen­taines de per­sonnes ont été bles­sées, dont de nom­breux éco­liers et des per­sonnes âgées. Le conflit qui oppose ces pai­sibles citoyens souabes et leur gou­ver­ne­ment du Land de Bade-Wür­tem­berg ne concerne désor­mais plus tel­le­ment la ques­tion de savoir si une gare doit être mise en tun­nel ou res­ter à ciel ouvert, mais bien la manière dont un État doit se com­por­ter à l’égard de ses citoyens.

Une opération immobilière juteuse

Le pro­jet Stutt­gart 21 pré­voit de rem­pla­cer l’actuelle gare ter­mi­nale par une gare de tra­verse sou­ter­raine. Cela implique la des­truc­tion de deux ailes de l’actuel bâti­ment, clas­sé, et le lotis­se­ment de la par­tie la plus fré­quen­tée du parc. Il com­porte éga­le­ment la construc­tion d’un tun­nel d’une lon­gueur totale de soixante-trois kilo­mètres (trente-trois dans Stutt­gart et trente en dehors de la ville) ain­si que d’une ligne rapide en direc­tion de la ville d’Ulm, située à cent kilo­mètres de Stutt­gart. Ses pro­mo­teurs estiment son cout à 7 mil­liards d’euros, dont 4,1 pour la gare de tra­verse et 2,9 pour la voie rapide. La Cour des comptes alle­mande table plu­tôt sur 10 mil­liards et les oppo­sants sur un total de 19 milliards.

Le prin­ci­pal argu­ment des défen­seurs du pro­jet est l’amélioration de la liai­son entre Paris et Buda­pest. Il s’agit d’un pré­texte, disent les oppo­sants. D’une part, la liai­son n’est pas très fré­quen­tée et, de toutes les manières, les gares de Franc­fort et de Munich, qui figurent sur ce tra­jet, sont elles aus­si ter­mi­nales. En outre, le nombre de voies serait réduit de moi­tié, ce qui aurait des réper­cus­sions néga­tives sur le tra­fic à Stutt­gart, qu’il soit local, régio­nal ou international.

En réa­li­té, le véri­table objec­tif du pro­jet réside dans les opé­ra­tions immo­bi­lières juteuses qui pour­raient être réa­li­sées sur les immenses ter­rains (un kilo­mètre car­ré) ren­dus dis­po­nibles par la mise en tun­nel. La Deutsche Bahn espère tirer des cen­taines de mil­lions de béné­fices de leur vente. En outre, les res­pon­sables poli­tiques de l’État du Bade-Wür­ten­berg sont étroi­te­ment liés avec les pro­mo­teurs et firmes de construc­tion pres­sen­tis pour le lotis­se­ment. Cer­tains d’entre eux en béné­fi­cient déjà sur le plan finan­cier en sié­geant dans les conseils d’administration de socié­tés concer­nées par le projet.

Soixante-mille signatures pour un référendum

Les res­pon­sables poli­tiques ont rapi­de­ment déci­dé d’ignorer la mobi­li­sa­tion qui réunit presque chaque lun­di et chaque wee­kend des dizaines de mil­liers de per­sonnes. Ils jugent que le pro­jet a été suf­fi­sam­ment légi­ti­mé par les élec­tions com­mu­nales et régio­nales et par une pro­cé­dure d’enquête publique. Mais la popu­la­tion n’a, en réa­li­té, jamais été expli­ci­te­ment consul­tée. Le gou­ver­ne­ment du Land a même refu­sé d’organiser un réfé­ren­dum alors qu’une péti­tion signée par soixante-mille per­sonnes le deman­dait. Les oppo­sants veulent obte­nir la trans­pa­rence sur les mani­gances secrètes des res­pon­sables poli­tiques et de ceux des Che­mins de fer : ils exigent que toutes les don­nées du débat soient mises sur la table avant qu’un réfé­ren­dum tranche la question.

Paisibles Souabes contre police antiémeute

Le der­nier jour de sep­tembre, les auto­ri­tés ont vou­lu mon­trer leur déter­mi­na­tion et ont fait occu­per le parc par des cen­taines de poli­ciers anti­émeutes tout en blo­quant, dans le centre de Stutt­gart, une mani­fes­ta­tion auto­ri­sée de lycéens. Ceux-ci déci­dèrent de pour­suivre leur mani­fes­ta­tion dans le parc qui se trou­vait sur le par­cours auto­ri­sé de la mani­fes­ta­tion. Ils y furent rejoints par des habi­tants, et notam­ment par des membres de l’initiative citoyenne qui compte désor­mais près de trente-mille membres. Rapi­de­ment, la police entre­prit d’asperger les mani­fes­tants d’eau et de gaz lacry­mo­gènes et ten­ta de se frayer un che­min à coups de matraques à tra­vers la foule qui gros­sis­sait, bles­sant de nom­breux mani­fes­tants : côtes bri­sées, une com­mo­tion céré­brale, et un pen­sion­né de soixante-six ans per­dant par­tiel­le­ment la vue après avoir reçu le jet d’une auto­pompe en plein visage.

À 21 heures, je me trou­vais par­mi les mil­liers de mani­fes­tants fai­sant tou­jours face à la police. Il y avait un mélange étrange d’âges et de publics : des jeunes en com­pa­gnie de leurs parents, des étu­diants, des ouvriers et des employés et de très nom­breuses per­sonnes plus âgées. Tous aba­sour­dis et en colère. La police avait déjà pu prendre le contrôle d’une par­tie du parc et ins­tal­ler un grillage en acier. L’ambiance était plu­tôt calme, de temps à autre des sif­fle­ments ou des slo­gans reten­tis­saient : « Notre parc, notre parc », « Honte à vous », « Nous sommes paci­fiques, qui êtes-vous ? », « Map­pus [le ministre-pré­sident du Land] dehors ». Les rares fois où des bou­teilles de bière furent lan­cées au-des­sus du grillage, tom­bant la plu­part du temps dans l’herbe aux pieds des poli­ciers, ceux-ci répli­quèrent à coup de sprays au poivre, par­ti­cu­liè­re­ment brulants.

Comme dans Avatar

Nous avons occu­pé cette posi­tion durant toute la nuit, comme une bar­ri­cade, crai­gnant que les poli­ciers en pro­fitent pour repous­ser la clô­ture et ain­si gagner du ter­rain. Vers une heure du matin, les tra­vaux d’abattage des arbres débu­tèrent. Cela res­sem­blait au film Ava­tar où de gigan­tesques machines élaguent, débitent et arrachent les arbres en quelques minutes. Sur plu­sieurs cen­taines de mètres du parc, tout fut abat­tu, les pla­tanes et mar­ron­niers plu­ri­cen­te­naires s’effondrant dans un cra­que­ment sourd et sinistre. Les plus vieux habi­tants de Stutt­gart racon­taient que même après la guerre, à une époque où le bois de chauf­fage fai­sait cruel­le­ment défaut, ces arbres avaient été pré­ser­vés. L’émotion attei­gnit son paroxysme lorsqu’une dame de cin­quante ans entre­prit d’escalader la clô­ture et cria « Frap­pez-moi » en levant les bras vers le ciel. Elle fut repous­sée sans ména­ge­ment de l’autre côté, là où heu­reu­se­ment les mani­fes­tants purent la recueillir. Quelques ins­tants plus tard, la police fit éva­cuer une ter­rasse de café en plein air pour per­mettre l’abattage des arbres, qui prit fin vers 5 heures du matin. Le Land de Bade-Wür­tem­berg n’avait donc pas tar­dé à user de l’autorisation d’abattage qui débu­tait le 1er octobre.

Un enjeu démocratique

Le len­de­main, le same­di 2 octobre, plus de cent-mille per­sonnes des­cen­dirent dans les rues de Stutt­gart. Les Souabes de toutes condi­tions, pour­tant répu­tés pour leur carac­tère taci­turne, se mirent à débattre pas­sion­né­ment dans toute la ville : des élec­teurs tra­di­tion­nel­le­ment conser­va­teurs avec des étu­diants che­ve­lus, des pen­sion­nés avec des immi­grés, des fonc­tion­naires des impôts avec des mili­tants pro­fes­sion­nels. Tout le monde n’était pas d’accord, mais tous débat­taient avec res­pect. La plu­part d’entre eux ne veulent plus que les poli­tiques gas­pillent leurs impôts et prennent des déci­sions sans les consul­ter. Ils veulent avoir leur mot à dire sur ce qui se passe dans leur ville. L’enjeu fon­da­men­tal consiste non seule­ment à mettre en place une gare sou­te­nable sur un plan éco­lo­gique et finan­cier, mais aus­si à savoir à quoi res­semble la démo­cra­tie au XXIe siècle.

Un médiateur membre d’Attac

Au début octobre, le gou­ver­ne­ment régio­nal a fina­le­ment accep­té de faire appel à un média­teur pour démi­ner le conflit. La per­son­na­li­té de Hei­ner Geiss­ler, ancien pré­sident de la CDU qui s’est récem­ment conver­ti à l’altermondialisme (il est membre d’Attac-Allemagne), trouve grâce aux yeux tant des res­pon­sables du Land dont il est ori­gi­naire, que des oppo­sants. À la mi-octobre, les négo­cia­tions s’annonçaient dif­fi­ciles. Une par­tie des oppo­sants s’est reti­rée du pro­ces­sus, le préa­lable d’un arrêt des tra­vaux n’ayant pas été rem­pli. Mais cette fois les dis­cus­sions ne se pro­duisent plus dans le secret, mais sont réper­cu­tées par inter­net et en par­tie par la télévision. 

(tra­duc­tion Benoît Lechat)

Carsten Gräbel


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