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Sortir de prison : un parcours semé d’embuches…
En mai 2006, la Belgique s’est dotée d’une loi qui règlemente le statut juridique externe des détenus, c’est-à-dire les diverses modalités qui — de la permission de sortie jusqu’à la libération conditionnelle — permettent à un condamné de sortir de prison avant le terme de sa peine. Partiellement entrée en vigueur en février 2007, en même temps que les tribunaux de l’application des peines, cette loi n’a malheureusement pas tenu toutes ses promesses. Et l’actuel gouvernement ambitionne de la réformer dans un sens inquiétant.
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Le sens de la prison ne peut se penser qu’en lien avec l’après, la sortie et la réinsertion du condamné dans la société. Le plus souvent, cette sortie se fera de manière progressive et encadrée, au travers de mesures dont le condamné pourra bénéficier après un certain temps d’incarcération. Permissions de sortie, congés pénitentiaires, surveillance électronique, détention limitée1 ou libération conditionnelle sont autant de mesures qui se veulent une transition entre l’incarcération et le retour vers la société. Il est d’usage de les regrouper sous le terme de « statut juridique externe » des condamnés2. Et, depuis 2007, plusieurs d’entre elles relèvent du pouvoir de décision des tribunaux de l’application des peines (TAP). Cette judiciarisation n’a toutefois été que partielle et elle ne concerne que certains condamnés.
Répartition de compétences imparfaite entre les pouvoirs exécutif et judiciaire
L’instauration, en février 2007, des tribunaux de l’application des peines a permis de porter remède à une difficulté historique du droit pénitentiaire belge : à l’exception de la libération conditionnelle (qui, depuis 1998, relevait de la compétence de commissions de libération conditionnelle), toutes les autres décisions relatives au statut juridique externe des condamnés étaient prises par le ministre de la Justice ou son administration, ce qui apparaissait assez ouvertement contraire au principe de la séparation des pouvoirs.
Le pouvoir exécutif est certes compétent pour procéder à l’exécution de ce que le juge pénal a décidé, mais une nouvelle intervention du pouvoir judiciaire paraît par contre requise chaque fois qu’il s’agit de modifier la nature ou la durée des peines qui ont été prononcées.
Et c’est bien en prenant en compte ce critère que la loi relative au statut juridique externe a entendu réorganiser la répartition de compétences entre le pouvoir judiciaire — désormais doté de tribunaux de l’application des peines — et l’exécutif. Les tribunaux de l’application des peines sont ainsi devenus compétents pour toutes les décisions modifiant de manière substantielle la nature de la peine (principalement la détention limitée, la surveillance électronique et la libération conditionnelle), tandis que l’exécutif continue de décider des autres mesures qui n’apportent pas de modification fondamentale à la nature de la peine (essentiellement les permissions de sortie et les congés pénitentiaires, c’est-à-dire des autorisations de quitter la prison pour de très courte durée seulement).
La difficulté, toutefois, c’est que l’octroi des unes conditionne très largement les perspectives d’obtention ultérieure des autres. Tout le statut juridique externe des condamnés est en effet traversé par l’idée d’une progressivité des mesures d’élargissement, qui suppose qu’on autorise à quitter la prison d’abord pour quelques heures seulement (permissions de sortie), puis pour quelques jours (congés pénitentiaires) et enfin seulement — pour autant que ces premières sorties se soient bien déroulées et aient été mises à profit pour entreprendre des démarches de reclassement — en détention limitée, surveillance électronique ou libération conditionnelle.
Sans permissions ou congés préalablement accordés par l’administration, il est donc particulièrement difficile d’obtenir le bénéfice d’une mesure de la compétence du tribunal de l’application des peines. Or, la pratique révèle que l’administration se montre très parcimonieuse dans l’octroi de permissions de sortie et plus encore de congés pénitentiaires : une recherche de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) révèle ainsi que, même lorsque la direction de la prison a rendu un avis positif sur la demande de congé, celui-ci est encore refusé par l’administration centrale dans plus de la moitié des cas : sur la période analysée, seules 47,6% des demandes de congé ont ainsi fait l’objet d’une décision d’octroi de la part de l’administration après un avis positif du directeur3. Ce qui revient pratiquement à hypothéquer toute demande au tribunal de l’application des peines dans les autres cas…
Un régime à deux vitesses
Pour les mesures sur lesquelles il leur revient de statuer, les tribunaux de l’application des peines auraient en principe dû être compétents à l’égard de l’ensemble des condamnés. Le législateur a toutefois décidé de ne faire entrer cette réforme en vigueur que de manière progressive, et de limiter, dans un premier temps, l’intervention des tribunaux de l’application des peines aux seuls détenus condamnés à plus de trois ans de privation de liberté. Pour tous les autres — quantitativement les plus nombreux — les modalités de sortie de prison sont toujours régies par circulaires ministérielles et décidées par l’administration.
Le régime qui leur est applicable est caractérisé par une beaucoup plus grande automaticité. En principe, les condamnés à des peines qui ne dépassent pas trois ans sont immédiatement admissibles à la surveillance électronique (par reconnaissance vocale4 ou par bracelet5) et, après quelques semaines ou mois de ce régime, ils bénéficieront normalement d’une libération dite provisoire.
Au-delà de trois ans : que personne ne sorte !
Pour les condamnés à des peines qui dépassent trois ans ferme, c’est donc le tribunal de l’application des peines qui, depuis le 1er février 2007, détient pour l’essentiel les clés de la prison. À des conditions strictes et selon une procédure minutieusement réglée par la loi, il peut notamment leur accorder une libération conditionnelle, éventuellement précédée d’une période de mise sous surveillance électronique.
Les chiffres publiés annuellement par l’administration des établissements pénitentiaires font apparaitre que ces mesures ne sont, elles aussi, octroyées qu’avec une particulière parcimonie : les tribunaux de l’application des peines accordent ainsi quelques centaines de libérations conditionnelles par an, le plus souvent précédées désormais par une surveillance électronique6.
Mais ce qui devrait surtout nous interpeler, c’est le nombre croissant de condamnés qui vont « à fond de peine », c’est-à-dire qui sont libérés après avoir purgé la totalité de leur peine en prison, sans aucun aménagement : ce nombre a presque doublé depuis l’instauration des tribunaux de l’application des peines et tend à rattraper celui des libérations conditionnelles7. Évolution inquiétante s’il en est, dès lors que ces condamnés ne font l’objet d’aucun encadrement ni contrôle judiciaire à la sortie, ce qui risque bien souvent d’être la chronique d’une récidive annoncée…
Une volonté politique de resserrer encore la vis : l’instauration de périodes de sureté
L’accord de gouvernement du 10 octobre 2014 prévoit que « pour certaines infractions d’une extrême gravité telles que les infractions de terrorisme ayant entrainé la mort, les viols ou attentats à la pudeur ayant entrainé la mort, les actes de torture ayant entrainé la mort, l’enlèvement de mineur ayant entrainé la mort, le meurtre ou l’assassinat de fonctionnaires de police ou lorsque la juridiction prononce une peine de réclusion à perpétuité, le gouvernement donnera au juge du fond la possibilité d’assortir la peine qu’il prononce d’une période de sureté avant l’échéance de laquelle aucune libération anticipée ne peut intervenir ».
Cette proposition nous semble inutile et même largement contreproductive.
Une mesure inutile
En l’état actuel du droit, la loi garantit en effet déjà qu’un condamné à une peine privative de liberté doit nécessairement exécuter une part minimale de sa peine en prison avant d’être admissible à la libération conditionnelle (1/3 ou 2/3 de sa peine, selon qu’il est primaire ou récidiviste et, pour les peines de réclusion de trente ans ou à perpétuité, quinze, dix-neuf ou vingt-trois ans minimum selon les cas de figure8). Une fois ce délai minimal atteint, la libération conditionnelle n’a en outre rien de systématique, mais elle doit, comme on l’a vu, faire l’objet d’une décision du tribunal de l’application des peines qui ne pourra l’octroyer qu’en l’absence de contrindications liées notamment au risque de récidive.
Par ailleurs, il faut relever que toutes les infractions ciblées dans la note gouvernementale permettent aussi (voire imposent pour une majorité d’entre elles) d’ajouter à la peine privative de liberté une peine complémentaire de mise à la disposition du tribunal de l’application des peines. Celle-ci permet d’éventuellement prolonger la privation de liberté de l’intéressé au-delà du terme de sa peine initiale, s’il devait apparaitre qu’il subsiste toujours, à ce moment-là, un risque de le voir commettre des infractions graves.
Une mesure contreproductive
Il existe pourtant une différence majeure entre les régimes actuels de la libération conditionnelle ou de la mise à la disposition du tribunal de l’application des peines et les périodes de sureté dont l’instauration est préconisée. Les premières se fondent sur l’idée qu’un condamné peut être libéré s’il ne présente plus de risques pour la société, étant entendu que ce risque sera apprécié, soit après qu’il a purgé une part déterminée (et fixée par la loi) de sa peine principale, soit au terme de celle-ci lorsque se posera la question de l’exécution de la mise à disposition du tribunal de l’application des peines. Dans le système proposé, qui confie aux juges du fond le pouvoir de décider du moment où pourrait intervenir la libération conditionnelle de ceux qu’ils condamnent, c’est la possibilité même qu’une personne évolue au cours de l’exécution de sa peine qui est niée, au profit d’une approche de la peine strictement tournée vers le passé et basée sur le comportement antérieur de l’auteur des faits.
Le problème, toutefois, c’est qu’en décidant, à priori et dès le moment de la condamnation, qu’un condamné à vingt ans de réclusion ne pourra par exemple prétendre à aucune libération conditionnelle avant quinze ans minimum, c’est risquer de le décourager d’entreprendre tout effort de réinsertion et le voir grossir le nombre de ceux qui préfèrent « aller à fond de peine », alors même que l’on sait combien de telles sorties sèches, sans suivi ni contrôle, sont porteuses de risques en termes de récidive9.
De manière plus générale, il convient d’ailleurs de rappeler que le fait d’allonger la durée de la peine à subir en prison avant de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle (et c’est bien de cela qu’il s’agit puisque les périodes de sureté fixées iront logiquement au-delà des dates d’admissibilité à la libération conditionnelle déjà prévues) est totalement contreproductif si l’on vise à éviter la récidive. Des recherches menées en France par A. Kensey et P. Tournier ont en effet démontré que, plus la part de la peine privative de liberté exécutée en détention est longue, et plus le risque de récidive est important10.
L’opinion publique, seul moteur des réformes du statut juridique externe ?
L’argument décisif en faveur de l’instauration de périodes de sureté tient en quelques mots : le citoyen serait demandeur d’un durcissement de la loi.
On sait combien il est difficile d’identifier avec rigueur et nuances les « demandes » des citoyens. Mais à s’en tenir au dernier baromètre de la justice disponible, il semble effectivement que la libération conditionnelle n’ait pas les faveurs de l’opinion publique : 60% des sondés considèrent que les détenus devraient rester incarcérés jusqu’à la fin de leur peine, seuls 35% des répondants estimant que les prisonniers devraient pouvoir être libérés plus tôt et continuer à purger une partie de leur peine au sein de la société, moyennant une surveillance11.
Cette méfiance vis-à-vis de la libération conditionnelle nous semble toutefois, au moins pour partie, due à une méconnaissance de ce système, au sujet duquel circulent encore énormément d’idées erronées.
Parier sur la raison plutôt que sur l’émotion
Il nous paraît dès lors plus que jamais indispensable de prendre le temps d’expliquer à l’ensemble de nos concitoyens, de manière compréhensible et par tous les canaux utilesce qu’est la libération conditionnelle, et peut-être plus encore ce qu’elle n’est pas.
Avant toute chose, la libération conditionnelle n’est pas une réduction de la peine, mais une autre manière de l’exécuter. Hors les murs de la prison certes, mais avec un contrôle judiciaire suivi et un risque de révocation et de retour en prison en cas de manquement aux conditions imposées.
La libération conditionnelle n’a, par ailleurs, rien d’automatique. Elle n’intervient pas dès que les conditions de temps sont réunies, mais elle fait au contraire l’objet d’une décision par un tribunal composé de trois personnes indépendantes et qualifiées, qui ne pourront l’octroyer qu’en l’absence de contrindications tenant notamment au risque de perpétration de nouvelles infractions graves.
Enfin, et c’est sans doute la vérité la plus souvent perdue de vue, la libération conditionnelle reste, envers et contre tout, le meilleur rempart contre la récidive. Qu’on le veuille ou non, l’immense majorité des détenus sera un jour libérée. Il est dès lors « infiniment préférable pour la sécurité de tous que cette libération se fasse dans de bonnes conditions, après une préparation sérieuse et avec un encadrement efficace12 », plutôt qu’au terme de la peine et sans aucun contrôle possible sur le condamné remis en liberté.
Ce n’est qu’au prix de cet effort de pédagogie sans cesse renouvelé13 que la méfiance, injustifiée et irrationnelle, à l’égard de la libération conditionnelle pourra peut-être faire place à une prise en compte sérieuse de son efficacité dans la lutte pour une société plus sure.
- Moins connue que la libération conditionnelle ou le bracelet électronique, la détention limitée permet à un condamné d’exécuter une partie de sa peine en ne passant que les nuits en prison.
- Par opposition au statut « interne » qui porte sur la vie intra muros des détenus, leurs droits et obligations en tant que « résidents » d’un établissement pénitentiaire.
- Voy. la recherche de B. Mine et L. Robert sur l’analyse des processus de travail de la Direction Gestion de la Détention et des directions pénitentiaires locales dans le cadre de la formulation d’avis et de la prise de décisions en matière de modalités d’exécution des peines. Le rapport de la recherche, de même qu’une synthèse de celle-ci peuvent être consultés sur le site de l’INCC.
- Le système de surveillance électronique par reconnaissance vocale — aussi appelé VOICE — consiste à appeler de manière aléatoire la personne surveillée, dont la voix est censée être reconnue par le système informatique.
- Le bracelet électronique est en réalité un émetteur fixé à la cheville de la personne surveillée, qui envoie un signal à un boitier récepteur et permet de s’assurer de sa présence à son domicile, selon un horaire convenu au préalable.
- Les chiffres exacts figurant dans les différents rapports annuels de l’administration des établissements pénitentiaires sont les suivants (le premier chiffre renvoie au nombre de libérations conditionnelles « immédiates » et le second aux libérations conditionnelles après surveillance électronique): en 2007, 570|184 ; en 2008, 403|339 ; en 2009, 349|362 ; en 2010, 322|366 ; en 2011, 343|437 ; en 2012, 281|432 ; en 2013, 277|389 et en 2014, 297|420.
- D’après les mêmes rapports annuels, le nombre de condamnés libérés à fond de peine était de 381 en 2007, 422 en 2008, 500 en 2009, 590 en 2010, 568 en 2011, 648 en 2012, 676 en 2013 et 689 en 2014.
- Conformément aux nouveaux seuils rehaussés, introduits par une loi du 17 mars 2013 votée en réaction à la libération conditionnelle de Michèle Martin.
- D’après une étude française, les risques de re-condamnation des libérés n’ayant bénéficié d’aucun aménagement de peine sont 1,6 fois plus élevés que ceux des bénéficiaires d’une libération conditionnelle (A. Kensey et A. Benaouda, Les risques de récidive des sortants de prison, une nouvelle évaluation, Direction de l’administration pénitentiaire, Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, n°36, mai 2011).
- Ainsi, pour une proportion de la peine effectuée en détention de 90% ou plus, le taux de retour en prison était de 59,9%, là où le taux descendait à 28,5% pour une proportion de la peine effectuée en détention de moins de 70% (P. Tournier, Inflation carcérale et aménagement des peines, La documentation française, 1995, p. 16). Les modes de sélection des libérés conditionnels jouent, certes, un rôle à cet égard, mais ils semblent n’expliquer que partiellement l’écart entre les taux de retour des libérés conditionnels et des détenus libérés en fin de peine (ibid., p. 17).
- Baromètre de la Justice 2014, p. 36 (le document peut être consulté en ligne sur le site du Conseil supérieur de la Justice).
- Conclusions du rapport d’activités 2011 de la direction générale des maisons de justice.
- Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe invitait déjà à un tel effort de pédagogie dans sa Recommandation Rec (2003) 22 du 24 septembre 2003 concernant la libération conditionnelle. Le point 42 de cette recommandation précisait en effet que « des campagnes d’information devraient être organisées, au travers des médias et par d’autres moyens, pour tenir informé l’ensemble des citoyens du fonctionnement et de l’évolution récente de l’usage de la libération conditionnelle et de son rôle dans le système de la justice pénale. Ces informations devraient être rapidement disponibles en cas d’évènement dramatique rendu public pendant la période de liberté conditionnelle d’un détenu. Ce type d’évènement ayant tendance à attirer l’attention des médias, il conviendrait également de mettre en valeur l’objectif de la libération conditionnelle et ses aspects positifs ».