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Sois mobile et tais-toi !

Numéro 11 Novembre 2011 par Degraef

janvier 2015

Enfin fluide ! Ce lun­di 26 sep­tembre, non seule­ment le soleil est au ren­­dez-vous, mais en plus le tram que j’emprunte quo­ti­dien­ne­ment pour me rendre au bou­lot est à l’heure, accom­plis­sant même son tra­jet sans encombre dans les délais pré­vus. La semaine de la mobi­li­té est der­rière nous. Ouf. Peut-être va-t-on enfin pou­voir se dépla­cer sans trop […]

Enfin fluide ! Ce lun­di 26 sep­tembre, non seule­ment le soleil est au ren­dez-vous, mais en plus le tram que j’emprunte quo­ti­dien­ne­ment pour me rendre au bou­lot est à l’heure, accom­plis­sant même son tra­jet sans encombre dans les délais pré­vus. La semaine de la mobi­li­té est der­rière nous. Ouf. Peut-être va-t-on enfin pou­voir se dépla­cer sans trop de dif­fi­cul­tés, arri­ver non pas à l’heure — faut pas rêver —, mais avec un retard rai­son­nable, le fameux quart d’heure aca­dé­mique. De mémoire d’usagère, jamais les dépla­ce­ments en trans­ports publics n’ont été aus­si pénibles et éprou­vants pour les nerfs que durant ces sept jours où nous étions invi­tés à délais­ser l’automobile (je n’ai jamais eu de per­mis de conduire) pour gou­ter les bien­faits de la marche, du vélo, du tram, du bus et du train. Il est vrai que tout avait très mal com­men­cé avec le périlleux dimanche sans voi­ture. Ce jour-là, l’expérience le prouve, se dépla­cer à pied dans Bruxelles relève du com­por­te­ment à très haut risque. Quand les brutes au volant enfourchent leur bicy­clette, leurs rol­lers ou leur « skate board » et déferlent sans crier gare à flux inin­ter­rom­pus dans les rues et sur les trot­toirs, le pié­ton lamb­da risque sa peau et ses os. Depuis une vilaine col­li­sion l’an der­nier avec un bolide de ce type, sans papier, sans assu­rance, sans fric et, sur­tout, sans ver­gogne, qui m’a lais­sée avec un genou en miettes et d’onéreuses fac­tures médi­cales, le dimanche sans auto, je le passe plan­quée chez moi jusqu’à 20 heures, heure de la déli­vrance. Certes, les voi­tures bruyantes et puantes sont de retour, mais elles ne cir­culent pas sur les trot­toirs, même si elles ont la fâcheuse ten­dance à s’y garer, et la plu­part des auto­mo­bi­listes res­pectent les feux de cir­cu­la­tion, per­met­tant ain­si aux pié­tons de tra­ver­ser la chaus­sée sans trop de danger.

Las, dès le len­de­main, le cau­che­mar recom­men­çait. Ce n’est un secret pour per­sonne, dans la par­tie fran­co­phone du Royaume, pour d’obscures rai­sons, les trains sont très bon­dés et rare­ment à l’heure. Les usa­gers se sont accou­tu­més à la chose et s’adaptent. Alors qu’il n’y avait aucune grève de la STIB et de la SNCB durant cette semaine, com­ment expli­quer le carac­tère sys­té­ma­tique et l’ampleur des retards, des trains en rade au milieu de nulle part, des embou­teillages gigan­tesques mêlant trams, bus, camions et voi­tures dans les grands car­re­fours bruxel­lois ? Comme sen­si­bi­li­sa­tion aux ver­tus de la mobi­li­té douce et verte, fran­che­ment, c’était réussi !

Mar­di 20 sep­tembre, il a fal­lu plus de deux heures au train IC pour faire le tra­jet Bruxelles-Liège. Tel­le­ment en retard que j’ai dû renon­cer à me rendre Outre­meuse à pied et me rési­gner à prendre un taxi, ce qui m’a cou­té cher et n’a ser­vi à rien : 45 minutes de tra­jet du fait des embou­teillages ! Le len­de­main, plus d’une heure trente pour aller de la gare du Luxem­bourg à celle de Lou­vain-la-Neuve en chan­geant de train au gré des retards des uns et des autres. Jeu­di 22 sep­tembre, deux heures pour aller de l’ULB au Bota­nique en devant chan­ger quatre fois de tram, des ter­mi­nus impro­vi­sés étant décré­tés sans la moindre expli­ca­tion par les conduc­teurs. Same­di 24, lorsque, au réveil, j’ai enten­du à la radio que la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles fes­toyait à Lou­vain-la-Neuve pour com­mé­mo­rer le qua­ran­tième anni­ver­saire de la ville nou­velle, mais que la sncb inter­rom­pait durant tout le wee­kend la cir­cu­la­tion des trains de la ligne Bruxelles-Lou­vain-la-Neuve pour cause de tra­vaux rer, je n’ai pas pu m’empêcher de hur­ler de rire. Mana­geurs, amé­na­geurs, ges­tion­naires, pla­ni­fi­ca­teurs, pros­pec­ti­vistes, encore un effort !

Des plai­san­tins per­sistent à qua­li­fier notre pays de sur­réa­liste alors qu’il est tout bête­ment peu­plé d’idéologues qui nous assomment de cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion à la citoyen­ne­té, à la res­pon­sa­bi­li­té, aux bonnes conduites propres, saines, vertes et durables qui sont tout sim­ple­ment impra­ti­cables et épui­santes parce que dénuées de tout prin­cipe de réa­li­té. Dans les cou­loirs de la sta­tion de métro Bota­nique, l’exposition de pho­to­gra­phies de Patrick Van Roy inti­tu­lée « Mises en scène invo­lon­taires » en est une sur­pre­nante illus­tra­tion. Sur ces cli­chés, tous les métros euro­péens se res­semblent : mêmes espaces, mêmes maté­riaux, même lumière, même sen­sa­tion de vide, d’inhumanité, de soli­tude. Sur cha­cun d’eux, une petite et unique sil­houette humaine, presque incon­grue, comme si les trans­ports publics n’avaient ni usa­gers ni valeur d’usage, n’avaient d’autre dimen­sion qu’esthétique.

Degraef


Auteur

Véronique Degreef est sociologue, elle a mené de nombreuses missions de recherche et d'évaluation pour des centres universitaires belges et étrangers, des autorités publiques belges et des organisations internationales.