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Silvio Berlusconi : retour gagnant ?

Numéro 9 Septembre 2012 par Santoliquido

septembre 2012

À l’heure du res­ser­re­ment des forces vives du pays en vue de résis­ter aux attaques spé­cu­la­tives des mar­chés finan­ciers sur la dette ita­lienne, au moment où se mul­ti­plient les dis­cus­sions sur l’opportunité d’instaurer des mesures de rigueur bud­gé­taire com­plé­men­taires, le cœur poli­tique du pays bat au rythme d’une inter­ro­ga­tion lan­ci­nante : Sil­vio Ber­lus­co­ni, l’homme autour duquel […]

Le Mois

À l’heure du res­ser­re­ment des forces vives du pays en vue de résis­ter aux attaques spé­cu­la­tives des mar­chés finan­ciers sur la dette ita­lienne, au moment où se mul­ti­plient les dis­cus­sions sur l’opportunité d’instaurer des mesures de rigueur bud­gé­taire com­plé­men­taires, le cœur poli­tique du pays bat au rythme d’une inter­ro­ga­tion lan­ci­nante : Sil­vio Ber­lus­co­ni, l’homme autour duquel s’est arti­cu­lé le débat ins­ti­tu­tion­nel des vingt der­nières années, bri­gue­ra-t-il un nou­veau man­dat de Pre­mier ministre ?

Un peu comme si depuis novembre 2011, jour de la démis­sion for­cée du Cava­liere, dans un mou­ve­ment d’allers-retours conti­nus, le temps ne ces­sait de dérou­ler sa bande pour la replier aus­si­tôt sur son point de départ. Cela fait main­te­nant plu­sieurs mois que l’ancien chef de gou­ver­ne­ment mul­ti­plie les décla­ra­tions contra­dic­toires sur le sujet, pour les infir­mer ensuite séance tenante. Qu’il affirme crou­ler sous les demandes pres­santes de mili­tants aux abois, l’implorant de reprendre en main les des­ti­nées d’un centre-droite désar­çon­né par le départ de son lea­deur natu­rel. Qu’il pré­tend dis­po­ser de son­dages confi­den­tiels (jamais publiés) attes­tant de cette impo­sante pous­sée citoyenne en faveur de son retour aux affaires. Plus récem­ment, ses prises de posi­tion sur l’absence de cha­risme de son suc­ces­seur à la tête du Peuple de la Liber­té1, son inter­view récente au quo­ti­dien fran­çais Libé­ra­tion et même les décla­ra­tions de ses proches rela­tives aux cures amin­cis­santes et autres pro­grammes de remise en forme aux­quels il se sou­met­trait depuis plu­sieurs semaines semblent plai­der pour son pro­bable retour sur l’arène politique.

Déroute électorale du Parti de la Liberté…

Mais, si tel devait être le cas, le nou­veau pari ber­lus­co­nien aurait-il des pos­si­bi­li­tés concrètes de réus­site ? Sil­vio Ber­lus­co­ni pour­rait-il endos­ser, pour la qua­trième fois en dix-huit ans, les habits du pré­sident du Conseil des ministres de la Répu­blique d’Italie ? D’un point de vue stric­te­ment élec­to­ral, s’il est indé­niable que l’ancien Pre­mier ministre conserve aujourd’hui encore, au sein de la socié­té civile, d’importants sou­tiens, les der­niers son­dages d’opinion ne mesurent tou­te­fois pas de véri­tables dépla­ce­ments des inten­tions de vote en cas de can­di­da­ture ber­lus­co­nienne. Ni dans un sens ni dans un autre2. La pos­si­bi­li­té d’un retour de M. Ber­lus­co­ni à la tête du Par­ti de la Liber­té ne sus­cite ni vagues d’enthousiasme ni mou­ve­ment de rejet. Les effets de varia­tion sont en effet de l’ordre de deux à trois pour cent, ce qui, au vu des marges d’erreur et à près d’un an du pro­chain scru­tin est poli­ti­que­ment insi­gni­fiant. Par ailleurs, la lec­ture des résul­tats élec­to­raux du Par­ti de la Liber­té aux élec­tions locales de 2012 est ambi­va­lente. Certes, jamais depuis sa créa­tion en 1994 la for­ma­tion de l’ancien Pre­mier ministre n’avait connu d’échec aus­si cin­glant. Avant le vote, 17 des 26 chefs-lieux de pro­vince concer­nés par le scru­tin étaient gou­ver­nés par le centre-droit. Ils ne sont désor­mais plus que six. De même, les troupes du Cava­liere ne gèrent plus que 34 des 177 villes (au lieu de 98 avant le vote) de plus de 15.000 habi­tants. De sur­croit, d’importantes cités de Lom­bar­die et du Pié­mont, fiefs his­to­riques du vote ber­lus­co­nien, sont pas­sées dans l’escarcelle du centre-gauche. Pire : en Émi­lie-Romagne, le Peuple de la Liber­té a lit­té­ra­le­ment dis­pa­ru de l’échiquier poli­tique. D’un point de vue élec­to­ral, il s’est donc indé­nia­ble­ment agi d’une déroute sans précédent.

…mais pas de son leadeur

Mais cette don­née objec­tive — la déroute élec­to­rale — ne signi­fie pas néces­sai­re­ment que la puis­sance de feu ber­lus­co­nienne est désor­mais éteinte. Car le scru­tin de 2012 fut éga­le­ment le pre­mier mené direc­te­ment par les nou­velles ins­tances diri­geantes du par­ti, sans l’omniprésence habi­tuelle de Sil­vio Ber­lus­co­ni dans les mee­tings et sur les écrans de télé­vi­sion. Bien que recon­nais­sant la défaite de ses troupes, Sil­vio Ber­lus­co­ni lui-même ne s’y est pas trom­pé. Dès le 23 mai 2012, flan­qué d’un Ange­li­no Alfa­no3 aux airs de vic­time sacri­fi­cielle, il décla­rait en confé­rence de presse : « Sans moi, à l’évidence, cela ne fonc­tionne pas. C’est une vraie déban­dade. Il faut que je prenne les rennes d’un nou­veau mou­ve­ment poli­tique qui doit s’inspirer de la stra­té­gie média­tique de Beppe Grillo. Je suis le seul à pou­voir garan­tir une vic­toire élec­to­rale4. »

En d’autres termes, il s’agit pour le Cava­liere : de struc­tu­rer au plus vite un nou­veau récep­tacle élec­to­ral dont il serait une fois encore le cata­ly­seur ; d’éviter, avant l’échéance élec­to­rale de 2013, l’exode de ses troupes (en mal de stra­pon­tins) vers le mou­ve­ment cen­triste de Casi­ni (dans le sud) et la Ligue du Nord (dans le nord du pays); de spé­cu­ler sur l’impopularité gran­dis­sante de la poli­tique de rigueur du gou­ver­ne­ment Mon­ti et de se pré­sen­ter, lors des pro­chaines légis­la­tives, en recours crédible.

Mais, à l’analyse de la situa­tion poli­tique trans­al­pine, cet ultime pari ber­lus­co­nien peut-il s’avérer gagnant ? Non, si l’on envi­sage un retour per­son­nel de Sil­vio Ber­lus­co­ni aux affaires. Ses alliés poten­tiels ont en effet décla­ré à de nom­breuses reprises qu’aucune alliance n’était envi­sa­geable avec le Peuple de Liber­té si l’ancien Pre­mier ministre pré­ten­dait à diri­ger lui-même le pays. L’image sul­fu­reuse qu’il véhi­cule, craignent-ils, fini­rait inévi­ta­ble­ment par déteindre sur la leur. De plus, ses nom­breux démê­lés judi­ciaires et autres affaires de mœurs semblent en avoir défi­ni­ti­ve­ment enta­ché la cré­di­bi­li­té inter­na­tio­nale. Les prises de posi­tions (et autres sar­casmes) extrê­me­ment dures d’Angela Mer­kel, Nico­las Sar­ko­zy ou Barak Oba­ma sur l’incapacité de Sil­vio Ber­lus­co­ni à affron­ter adé­qua­te­ment les dif­fi­cul­tés bud­gé­taires du pays l’ont démon­tré à suf­fi­sance. Or, dans un sys­tème majo­ri­taire bipo­laire, le jeu des alliances est non seule­ment déter­mi­nant, mais aus­si indis­pen­sable à l’existence d’un mou­ve­ment poli­tique. Une éven­tuelle nou­velle struc­ture par­ti­sane, en lieu et place du Par­ti de la Liber­té, devrait donc impé­ra­ti­ve­ment se pré­va­loir, du moins en façade, d’un nou­vel homme fort.

Mais la lec­ture des vel­léi­tés de retour ber­lus­co­niennes ne peut se limi­ter à ces seuls élé­ments d’analyse. Mal­gré les appa­rences, plu­sieurs indi­ca­teurs plaident en effet pour une redis­tri­bu­tion des cartes, à terme, en faveur du centre-droite. Le pre­mier de ces indi­ca­teurs est le taux extrê­me­ment éle­vé d’abstentionnistes au sein de l’électoral ber­lus­co­nien. Si de récents son­dages cré­ditent les troupes de M. Ber­lus­co­ni de 17% des inten­tions de vote en cas de nou­veau scru­tin natio­nal (alors qu’il trô­nait à plus de 30% il y a moins de deux ans), le taux d’abstention au sein de son élec­to­rat propre est de plus de 43%5. Si l’on retour­nait aux urnes aujourd’hui, près d’un élec­teur du centre-droit sur deux y dépo­se­rait un bul­le­tin blanc ou s’abstiendrait. De prime abord, le chiffre peut paraitre inquié­tant. Il signi­fie cepen­dant que M. Ber­lus­co­ni dis­pose d’un impor­tant réser­voir d’électeurs non convain­cus par les alter­na­tives pré­sentes sur l’échiquier poli­tique, et poten­tiel­le­ment mobi­li­sables lors d’une cam­pagne élec­to­rale adé­qua­te­ment menée.

Échec de la troisième voie

Une autre don­née favo­rable au pro­jet ber­lus­co­nien tient à l’échec de la troi­sième voie. Fai­sant le pari d’exploiter le cré­pus­cule déca­dent du Cava­liere, Pier Fer­di­nan­do Casi­ni en 2008 et Gian­fran­co Fini en 2010 se sont tour à tour déta­chés de leur men­tor pour créer, ensemble, un mou­ve­ment auto­nome, bap­ti­sé le Troi­sième Pôle. Force est tou­te­fois de consta­ter qu’à ce jour, leur pari a échoué. À un an et demi de sa nais­sance, le Troi­sième Pôle cen­triste, allié natu­rel du gou­ver­ne­ment de Mario Mon­ti, n’a pas réus­si de réelle per­cée élec­to­rale, et ce mal­gré les déroutes suc­ces­sives du par­ti ber­lus­co­nien. Ses résul­tats élec­to­raux ont oscil­lé, lors des der­niers scru­tins, entre 3 et 8%. Pier Fer­di­nan­do Casi­ni et Gian­fran­co Fini ne peuvent donc en aucun cas repré­sen­ter, à eux seuls, une alter­na­tive élec­to­rale cré­dible au Par­ti de la Liber­té. Or, leur élec­to­rat est socio­lo­gi­que­ment ancré à droite, et donc pos­si­ble­ment mobi­li­sable par une struc­ture ber­lus­co­nienne renouvelée.

Un nou­veau par­ti pour Berlusconi

Enfin, si d’un point de vue arith­mé­tique, le centre-gauche appa­rait comme le gran­dis­sime favo­ri d’une pro­chaine joute élec­to­rale, sa puis­sance est bien plus appa­rente que réelle. Certes, depuis mai 2012, la coa­li­tion est désor­mais à la tête de 95 des 177 villes de plus de 1.500 habi­tants, elle dirige 14 des 26 chefs-lieux de pro­vince, et a fait tom­ber dans son escar­celle des villes his­to­ri­que­ment ancrées à droite comme Ales­san­dria, Mon­za ou Côme. Mais si l’on affine l’analyse, il appa­rait que les listes de centre-gauche ne l’ont empor­té que là où elles étaient oppo­sées au déli­ques­cent Peuple de la Liber­té. Pas une vic­toire dans les bal­lo­tages face à Beppe Grillo ou aux listes indé­pen­dantes. Par ailleurs, Milan, Naples, Caglia­ri, Palerme ou Gênes ont élu à leur tête des per­son­na­li­tés dis­si­dentes du centre-gauche. Pas un seul des nou­veaux maires n’était un can­di­dat officiel.

Enfin, le Par­ti démo­crate, qui n’est cré­di­té que de 25% des inten­tions de vote en cas d’élections légis­la­tives immé­diates, ne dis­pose que d’un très faible réser­voir de voix (13% par­mi les abs­ten­tion­nistes) et beau­coup de ses élec­teurs ont migré vers les Mou­ve­ments 5 étoiles de Beppe Grillo (plus de 35% des élec­teurs du Mou­ve­ment 5 étoiles sont issus d’un des par­tis de la coa­li­tion de centre-gauche)6. Mais le plus ras­su­rant, si l’on adopte le point de vue ber­lus­co­nien, est l’absence totale d’identité poli­tique du Par­ti démo­crate, tra­ver­sé lui aus­si par une mul­ti­tude de cou­rants et de sous-cha­pelles, puisque de l’aveu même de son lea­deur, Pier Lui­gi Ber­sa­ni, tant le pro­gramme que la stra­té­gie d’alliance sont encore à construire7.

Bref, si les pos­si­bi­li­tés d’un retour in per­so­nam de Sil­vio Ber­lus­co­ni à la tête d’un futur gou­ver­ne­ment de centre-droite nous paraissent hau­te­ment impro­bables, l’hypothèse d’une créa­tion, à moyen terme, d’un nou­veau ras­sem­ble­ment de centre-droite sous l’égide de l’ancien Pre­mier ministre nous semble poli­ti­que­ment réaliste.

  1. Le Peuple de la Liber­té a été fon­dé en 2009 par Sil­vio Berlusconi.
  2. Il Gaz­ze­ti­no, 17 juillet 2012.
  3. Ange­li­no Alfa­no, ancien ministre de la Jus­tice, est le suc­ces­seur de Sil­vio Ber­lus­co­ni aux com­mandes du Par­ti de la Liberté.
  4. La Repub­bli­ca, 24 mai 2012.
  5. Source : Isti­tu­to Demos
  6. Source : Isti­tu­to Demos.
  7. L’Unità, 8 aout 2012.

Santoliquido


Auteur

Giuseppe Santoliquido est licencié en sciences politiques et administration publique.