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Silence

Numéro 7 – 2020 - 7. Italique fiction perte par Christophe Mincke

novembre 2020

Je fuyais. Je ne pour­rais dire ce qui me pour­sui­vait. Se savoir pour­sui­vi suf­fit, il n’est pas besoin de plus. J’étais talon­né, tou­jours. Je me cachais, je m’échappais, je cou­rais. J’étais tra­qué. Sans cesse. Jamais rat­tra­pé. Pour­sui­vi. Qui a dit qu’une chasse se sol­dait par une ren­contre ou par une échap­pée ? Les vraies pour­suites sont infinies. […]

Italique

Je fuyais. Je ne pour­rais dire ce qui me pour­sui­vait. Se savoir pour­sui­vi suf­fit, il n’est pas besoin de plus. J’étais talon­né, tou­jours. Je me cachais, je m’échappais, je cou­rais. J’étais tra­qué. Sans cesse. Jamais rat­tra­pé. Pour­sui­vi. Qui a dit qu’une chasse se sol­dait par une ren­contre ou par une échap­pée ? Les vraies pour­suites sont infinies.

Celle-là l’était.

Je ne pour­rais dire où j’étais. Quelle impor­tance ? Je me sou­viens de rues désertes, d’un hôtel imper­son­nel, de mai­sons vides, de jar­dins rede­ve­nant sau­vages. Je me sou­viens d’un divan sans âge der­rière lequel je m’étais accrou­pi, dans un salon sans vie. Les lieux avaient été aban­don­nés, cer­tai­ne­ment, mais quand ? Le matin même, pour par­tir tra­vailler ? Il y a un an, en n’emportant que quelques caisses ? Il y a dix ans, les pieds devant ? Le silence y était par­fait, les meubles pous­sié­reux, le papier peint démodé.

Je n’étais pas seul, à dire vrai. Tu étais là. Depuis quand ? Tu étais apeu­ré. Alors, comme si sou­vent par le pas­sé, je t’ai pris dans mes bras. Ton corps robuste, encom­brant ; ta tête sur ma poi­trine, ser­rée ; ton visage, sou­riant. Je le sais. Et le mien aus­si, dans cette angoisse. J’étais enfin reve­nu à ma place, dans ce lieu incon­nu, près de toi. Je t’ai ras­su­ré. Comme tou­jours. Comme le font si bien ceux qui ont été han­tés, qui ont appris à vivre avec l’angoisse, qui ont ces­sé d’espérer la séré­ni­té. Comme le font ceux qui sont nés pour ça. Ou qui le croient, ce qui revient au même.

Un ins­tant, n’est res­tée que cette douceur.

Et puis, est arri­vé ce qui arrive tou­jours. Je me suis éveillé. Sans toi. Dans un monde où quelque chose me pour­suit que je ne sais nom­mer, qui existe cepen­dant et porte mille noms. Qui ne me lâche­ra pas, ou ne me lâche­ra qu’une fois, pour de bon. Quelque chose qui, hélas, t’a déjà lâché.

Dans le silence, j’ai cares­sé l’angoisse qui nous avait rapprochés.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.