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Sexualité, que veulent les femmes ?
« Faites l’amour, pas la lessive » propose une réclame pour machine à laver. Qui aurait cru que la fameuse libération sexuelle et pacifiste des années 1960 allait passer sans histoire aux dictons publicitaires de l’électroménager ? La publicité avale tout, il est vrai, et transforme en biens de consommation les sentiments les plus intimes. « Avez-vous embrassé votre enfant […]
« Faites l’amour, pas la lessive » propose une réclame pour machine à laver. Qui aurait cru que la fameuse libération sexuelle et pacifiste des années 1960 allait passer sans histoire aux dictons publicitaires de l’électroménager ? La publicité avale tout, il est vrai, et transforme en biens de consommation les sentiments les plus intimes. « Avez-vous embrassé votre enfant ce matin ? » Et de quelle margarine avez-vous enduit sa tartine ? Répondez-moi. Dites-moi par la même occasion si votre sexualité est vraiment livre, libre comme la route ensoleillée qu’aborde, sur les panneaux, votre dernière voiture, si elle est aussi performante que votre lave-vaisselle, aussi saine que votre pâte à tartiner ? S’il n’en est pas ainsi, c’est que vous avez des problèmes. Vous avez surement des problèmes. Les médecins, les psychologues, les sexologues, les conseillers de planning, les enseignants, les journalistes sont là pour à la fois vous le démontrer et vous aider à vous en sortir.
Notre propos est de montrer que si tous, les hommes comme les femmes, nous sommes touchés d’une façon ou d’une autre par le nouveau gadget qu’est cette sexualité normalisée et banalisée, nous en sommes particulièrement marquées en tant que femmes parce que la chose s’inscrit dans notre corps et s’impose de façon beaucoup plus contraignante qu’il n’y parait.
J’écris aujourd’hui, et j’ai profondément le sentiment que ce « je » est collectif : il est le fruit de la lutte et de la réflexion avec les femmes. Parce qu’en tant que femmes s’interrogeant sur leur condition, nous ne nous déclarons pas satisfaites à 100 % de la vie sexuelle telle qu’elle s’est installée durant ces années dites de libération, on nous questionne, on exige de nous des explications, on se demande si nous ne serions pas par hasard d’éternelles insatisfaites ? Il faudrait commencer par admettre que dans une société où les femmes sont encore battues, violées, exploitées économiquement, dévalorisées culturellement, muettes politiquement, il n’y a pas beaucoup d’espace pour l’expression de nos désirs ni pour la découverte de nouvelles formes de jouissance.
Le droit au plaisir
Bien sûr, nous ne vivons plus à l’époque victorienne où les femmes se pliaient au « devoir conjugal » afin de réaliser le but du mariage : avoir des enfants. Une bonne épouse, disait-on, ne jouit pas.
Depuis, la révolution sexuelle nous a reconnu le droit au plaisir et la contraception a permis de dissocier la sexualité de la procréation. Nous sommes ainsi passées du rôle trop fréquent de mères asexuées à celui d’épouses-maitressses et la sexualité des femmes autrefois niée est devenue un enjeu capital pour le bonheur du couple et par conséquent pour la stabilité de la famille.
Il est indéniable que la reconnaissance de notre sexualité et du droit au plaisir nous a été bénéfique. Même si cela ne nous a pas en même temps libérées du sexisme dans les relations sociales, cela nous a quand même permis de nous considérer comme des êtres sexuels, de changer notre façon de faire l’amour, d’acquérir plus d’expérience et d’en tirer du plaisir.
La contraception : oui, mais…
La contraception nous a libérées de la peur paralysante de la grossesse, de la maternité vécue comme une fatalité et de l’avortement-nécessité. C’est là un pouvoir nouveau, une maitrise sur notre corps qui est une vraie libération. Pouvoir mitigé cependant : le droit de choisir quand et comment nous voulons des relations sexuelles n’est pas entré dans les mœurs, c’est le moins que l’on puisse dire. Il arrive qu’au cinéma ces rôles soient inversés : c’est la grosse rigolade ! Ou l’émotion scandalisée.
Quant à la contraception, ce n’est pas une panacée.
D’abord, nombreuses sont les femmes qui ne trouvent pas de contraception idéale : inconfort et risque d’échec de la contraception dite douce (on entend par là les méthodes de barrière comme le diaphragme ou le condom), effets secondaires, contre-indications et danger possible à long terme de la contraception dite dure (pilule ou stérilet).
Or, la recherche en matière de contraception stationne. Mettre au point des contraceptifs plus raffinés n’intéresse ni l’industrie pharmaceutique ni les sponsors comme la Fondation Ford. Pour eux, il est plus rentable à court terme de promouvoir une meilleure utilisation, par les femmes du tiers monde, des contraceptifs existants que d’encourager la recherche de nouveaux produits. Quelques nouveaux sprays ou autres adjuvants mis sur le marché ne sont que des variations, non des solutions nouvelles.
Quoi qu’il en soit, la responsabilité de la contraception incombe plus qu’avant aux femmes. « Problème de femmes » qui intéresse d’autant moins les hommes qu’il leur apparait comme résolu par les méthodes récentes de contraception féminine. « Vous n’avez qu’à prendre la pilule ! » et le tour semble joué.
Ajoutons que la contraception, contrairement à ce que beaucoup imaginent, n’est pas facile d’accès. Pourquoi un tel drame pour la pilule, tandis que cigarettes, alcool et tranquillisants sont en vente libre partout ? Nous sommes tentées de croire que c’est parce qu’il s’agit de vie sexuelle et pas seulement de santé : du sexologue au gynécologue, en passant par le psy, le prêtre a été largement remplacé comme confesseur obligatoire !
Le pouvoir sur notre corps
S’il est devenu banal de dire que la surenchère à l’hospitalisation nous « vole notre mort », il ne serait pas faux d’ajouter qu’elle nous vole aussi notre vie !
Quand nous sommes enceintes ou sommes près d’accoucher, quand nous avons besoin de contraceptifs, nous ne sommes pas malades et pourtant il nous faut consulter un médecin, séjourner dans un hôpital. Ce que nous avons gagné en sécurité, en hygiène et en durée de vie, nous l’avons perdu en liberté : nous ne mourons plus en couches, mais nous ne choisissons pas vraiment comment accoucher, ou avec quelle aide. La chose dépend des modes médicales, tout comme l’allaitement, la durée du repos, la manière de langer…
Des femmes ont réagi contre cette dépendance vis-à-vis des médecins et ont voulu s’approprier le savoir et la technique médicale pour tout ce qui concerne leur vie sexuelle. Aux États-Unis sont nés les « Self Help », centre où des femmes apprennent à examiner leur vagin et celui des autres pour mieux connaitre leur corps en arrivant à déceler le moment de l’ovulation ou à détecter les signes d’infection. Ces groupes ont pratiqué l’extraction des règles, méthode pré-abortive actuellement utilisée en Hollande. Au Canada, les groupes « Santé Femmes » ont résolument opté pour la contraception dite douce non seulement parce qu’elle est inoffensive, mais aussi parce qu’elle permet de se débrouiller sans aide médicale. En France, les femmes du Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception (MLAC) avaient réintroduit l’avortement de femme à femme tout en utilisant une technique médicale présentant un maximum de garanties pour la santé. Et récemment des femmes du MLAC ont réalisé un film sur l’accouchement à la maison.
Ces expériences restent marginales, elles ne peuvent convenir à toutes les femmes : on peut aisément imaginer qu’une femme préfère accoucher dans une clinique où elle sait qu’une infrastructure hospitalière peut parer à tous les risques. Mais l’expérience et la pratique marginales, le fait que d’autres femmes choisissent d’accoucher chez elles, lui donnera la force de poser des questions, d’avoir des exigences. L’existence d’alternatives nous aide à perdre notre timidité, notre peur de femmes ignorantes et ceci est un premier pas vers une réappropriation de notre vie sexuelle.
Contraception et disponibilité permanente
En libérant les femmes du danger de grossesse lié à certaines périodes « dangereuses », la contraception permet d’avoir des relations sexuelles de façon permanente, ce qui est une libération incontestable à condition qu’elle ne se retourne pas contre nous. En effet, si la pilule, par exemple, permet d’avoir des rapports sexuels quand on le désire, elle crée un état de disponibilité qui, exploité par l’idéologie de « libération sexuelle », risque de constituer une nouvelle contrainte. Si l’activité sexuelle est définie comme le nec plus ultra, et de la liberté, et de la relation humaine, minables apparaissent ceux et celles qui voudraient contrevenir à cette nouvelle règle. Les hommes se doivent de manifester leur puissance continue ou continuellement renouvelable et les femmes, par un effet de complémentarité obligée, sont tenues d’offrir un accueil constant sous peine de manquer au pacte : sexe = bonheur. Or les « saisons » des hommes et des femmes ne sont peut-être pas identiques, leurs temps et leurs moments peuvent différer — ainsi que ceux de chacun d’entre nous (cf. Edmonde Morin, La rouge différence, Seuil, 1982). Cette question fut jetée par-dessus bord en même temps que la morale de papa par des garçons et des filles avides d’exercer cette permissivité toute neuve, obtenue par la contraception sans risques. Nous votons actuellement des jeunes filles consentir à des relations par crainte de perdre l’homme qu’elles aiment, relations qu’elles refusaient il y a cinquante ans pour les mêmes raisons ! Autres temps, autres mœurs, mais une chose reste constante : les femmes sont encore tellement conditionnées à répondre aux désirs des hommes !
Aujourd’hui, une nouvelle réflexion s’élabore qui, au nom d’une liberté plus libre, voudrait se dégager de l’emprise de la sexualité vécue comme une lettre à la poste. Il n’en reste pas moins que nombre de femmes, à la fois par sentiment de culpabilité et par crainte de la solitude, se sentent obligées d’accepter toute relation sexuelle sous peine d’être traitées d’anormales, frigides ou sans cœur. La contraception leur a ôté le droit au refus. Timidité excessive ? Non, mais manque d’autonomie sociale et affective, de droit à l’affirmation de soi, à la parole respectée. Combien d’hommes ne déclarent-ils pas encore : « quand elles disent non, ça veut dire oui » ? On en viendrait à regretter le temps des longs flirts et des plus ou moins chastes fiançailles où la retenue obligée laissait place à d’autres expressions du désir. En ce temps-là, bien des femmes, une fois mariées, gardaient la nostalgie de cette période où on « leur faisait la cour»…
Un modèle contraignant
Il n’est pas question de retourner en arrière, mais de s’interroger sur l’usage qui est fait de la liberté acquise. Or, que voyons-nous ? A force de vouloir dédramatiser le sexe et déculpabiliser les gens — tel est notamment le but de la récente revue Harmonie du couple —, on fait de la sexualité un exercice. Le modèle de la bonne sexualité détermine la fréquence optimale des rapports, les multiples positions à expérimenter, les caresses dont on ne saurait se passer. On n’interdit plus, on oblige subtilement. Il faut aimer le sexe, se masturber, avoir des fantasmes. Tout ce discours profondément normatif suscite chez les gens, soit un sentiment de frustration parce qu’ils n’arrivent pas à satisfaire leurs nouveaux besoins, soit un sentiment d’angoisse parce qu’ils ne se sentent pas capables de réaliser la vie sexuelle idéale décrite par les médias. De plus, la sexologie — qu’il s’agisse de Masters et Johnson ou, plus près de nous, Lowen — prétend résoudre les problèmes sexuels des hommes et des femmes en les adaptant, ou plus exactement en les dressant à la jouissance dans une relation du type actif-passif le plus éculé. Pourquoi les femmes ne sont-elles pas plus nombreuses à remettre en question ce modèle à sens unique ? C’est que beaucoup de femmes encore se sentent anormales si elles n’éprouvent pas de plaisir au moment du coït. La pression sociale est si forte que bien des femmes se sentent obligées de simuler des désirs inexistants, de simuler le plaisir. C’est la « comédie sexuelle » que jouent tant de femmes pour valoriser la virilité de l’amant, lui faire plaisir, apparaitre comme une vraie femme, ne pas risquer de perdre l’homme aimé… bref, pour un tas de raisons davantage liées au désir et au plaisir du partenaire qu’au sien propre. Dans les relations sexuelles comme dans la vie, les femmes font plaisir, se sacrifient, s’oublient. Conditionnées socialement à ces comportements, il est clair qu’elles y puisent une certaine satisfaction parce que donner du plaisir, cela fait plaisir, et que le contexte émotionnel et sentimental dans lequel se déroule l’acte sexuel est aussi important que le plaisir physique.
Dans la vie, les choses évoluent : de plus en plus de femmes ont des libertés, prennent des responsabilités, jouent un rôle politique. Le déconditionnement sentimental et sexuel est beaucoup plus difficile à réaliser, comme s’il ébranlait les fondements de la fameuse « nature » humaine qui serait par essence « intouchable ».
« Do it yourself »
Serions-nous encore des belles au bois dormant attendant des hommes la valorisation de notre corps, l’éveil de la sexualité ? Puisque les femmes savent comment jouir (celles qui se masturbent par exemple), que n’utilisent-elles leurs connaissances au lieu d’attendre le plaisir du partenaire ? « Do it yourself », lance Shere Hite1 aux femmes, autrement dit « faites-le vous-même », « faites-vous jouir », « prenez le pouvoir»… Nous nous étonnons un peu de cette volonté d’efficacité, de cet individualisme dans une relation fondée sur l’échange, mais Hite a‑t-elle tort de penser que la capacité de jouir quand on le veut, de prendre en charge son excitation signifie se réapproprier son corps et affirmer sa sexualité ? Et puis n’est-il pas enfin temps que les femmes se montrent plus égoïstes, plus sures d’elles ? Déjà nous faisons, plus qu’avant, ce que nous voulons : sortir seules pour le plaisir, choisir des vacances qui nous conviennent, nous battre pour un travail… En affirmant ainsi nos désirs, nous créons les conditions d’un échange entre deux personnes égales.
Le harcèlement sexuel
Pour qu’il y ait un véritable échange, il faut aussi la sécurité. Or, si la violence sexuelle ne s’exerce pas sur toutes les femmes, elle nous concerne toutes. Laquelle de nous peut affirmer qu’elle n’a jamais couru le risque de se faire violer ? Même par un proche, un ami ?
La violence sexuelle peut prendre des formes atténuées. Les Américaines appellent « sexual harrassment » les remarques, regards, attouchements, avances imposées à une personne qui ne les désire pas. Cela fait encore sourire chez nous : un compliment grivois, une petite tape sur les fesses ce n’est pas bien méchant, c’est plutôt flatteur.
Ces gestes ou paroles banals gentils au premier abord, apparemment inoffensifs, sont en réalité lourds de signification quand on sait qu’en milieu de travail (bureau, magasin, usine ou université) lorsque les femmes s’opposent, refusent caresses ou propositions, elles risquent de perdre leur place ou leur diplôme (« an A for a Lay », disent les Américaines : pour avoir un grade, on couche avec le prof). Comment réagir à cette attitude abusive ? Ou bien jouer le jeu, se soumettre par timidité ou par ambition ou bien se recroqueviller derrière des comportements défensifs que l’on taxera de pudibonderie et ainsi on n’aura pas perdu la face. Comment la sexualité féminine pourrait elle s’exprimer librement dans ces conditions, comment la personnalité même pourrait-elle s’épanouir ?
Images sexuelles : oui, sexisme : non
Pour être complète en dénonçant ce qui me parait constituer des entraves à l’épanouissement d’une sexualité nouvelle, il me reste à parler de la manière dont la sexualité féminine est parfois représentée, et je pense ici en particulier à la pornographie. Celle-ci concerne les femmes, même si elles n’en sont pas les principales consommatrices, parce que la pornographie donne de notre sexe, de notre corps et de notre personne des images (le mot est pris ici dans un sens très général) qui reproduisent et renforcent les stéréotypes existants.
Ce n’est pas la représentation du sexe ou de la nudité qui nous choque, ni le fait qu’elle est un moyen d’éveiller le désir sexuel, ce qui nous gêne, c’est que le système de représentation très codé et profondément sexiste qu’elle utilise donne de la sexualité féminine une image dévalorisante pour ne pas dire avilissante. Le corps des femmes est l’objet (entier ou partiel car il est fragmentable à merci selon le contexte) disponible au désir masculin, il est passif, abandonné, ouvert, accessible, soumis à la force sinon à la violence masculine (n’oublions pas qu’une partie de la porno appelée « hardcore » et vouée à un succès croissant grâce au développement du marché de la vidéo, se spécialise dans l’horreur à travers le sadomasochisme le plus violent).
Ce système de représentation, ce code de la disponibilité et la soumission des femmes n’est pas le fait unique de la pornographie. Il est omniprésent, on le retrouve aussi bien dans la publicité que dans la photo artistique ou au cinéma, car c’est notre culture imprégnée d’un sexisme millénaire qui la sécrète. Penser que ces images réductrices et dévalorisantes sont inoffensives parce que, nous dit-on, il ne faut pas confondre fantasme et réalité, est trop facile. Même caricaturales ou excessives, ces images ont un semblant de vraisemblance car elles tirent leur force de l’ensemble des idées reçues sur les femmes ; un cercle vicieux car à leur tour elles rejaillissent sur l’idéologie en réaffirmant que la sexualité féminine est une réponse à la sexualité masculine et que les femmes aiment à être dominées. C’est ainsi que tout notre imaginaire érotique est colonisé.
Nous avons un besoin urgent d’images sexuelles non sexistes. Jusqu’à présent on ne peut guère dire que des femmes aient produit des images alternatives. Dès lors nous sommes coincées car nous avons le choix entre vivre notre sexualité en acceptant la colonisation masculine de nos désirs et de nos fantasmes (nous aurons par exemple des fantasmes de viol) ou alors nous nous désintéresserons du sexe et nous irons investir dans le sentiment. Littérature porno d’un côté, littérature fleur bleue de l’autre. Les médiocres, mais très prisés romans d’amour où les hommes sont forts, intelligents et responsables, et les femmes fragiles, apeurées, admiratives ne font-ils pas autant de tort que la littérature porno ? Dans les deux cas, ces textes donnent au lecteur, à la lectrice, une structure de fantasmes qui leur permet de participer à des relations sociales inégales. Si une telle séparation existe entre sexe et sentiment, si les hommes se spécialisent dans l’un et les femmes dans l’autre, comment peuvent-ils partager vraiment une expérience sexuelle ?
« Siamo tutte belle »
Depuis notre enfance nous avons été subtilement empoisonnées par une culture sexiste et comme nous avons intériorisé les images dévalorisantes que cette culture véhicule, nous avons souvent gardé une perception négative de nous-mêmes et en particulier notre selon corps. Laquelle d’entre nous n’a jamais comparé son corps au corps idéal selon les canons de notre société, c’est-à-dire jeune et mince ?
« Siamo tutte belle », répliquent les Italiennes, « nous sommes toutes belles », « Woman is beautiful », clament les Américaines. De tels slogans sonnent comme des affirmations volontaristes, c’est vrai, mais ils ont le mérite de vouloir briser le modèle stéréotypé, et contraignant, de la beauté féminine. De plus ils expriment bien le plaisir émerveillé que les femmes ont d’elles-mêmes, leur joie d’être ensemble, leur orgueil parce qu’elles se savent fortes.
Depuis que les femmes se sont mises à parler par elles-mêmes, dans leur propre langage, de leur vie, de leurs problèmes, elles ont pris confiance, retrouvé l’amour de soi et la dignité et maintenant elles sont de plus en plus nombreuses à dire « je », à se penser comme sujet, comme un être autonome qui envisage la vie en fonction d’une réalisation et de désirs propres plutôt qu’en fonction d’un partenaire et d’enfants à combler.
Voir le monde
Si la prise de parole publique des femmes a été un élément constitutif de la nouvelle assurance des femmes, il en est un autre tout aussi important, c’est le nombre croissant de femmes artistes, photographes, cinéastes, danseuses, plasticiennes, écrivaines, chanteuses qui jettent sur le monde un autre regard ou plutôt nous font découvrir le monde autrement qu’à travers le prisme masculin.
Quand Chantal Akerman nous montre l’héroïne des Rendez-vous d’Anna silencieuse en train d’écouter parler un inconnu rencontré dans un train, elle modifie notre perception d’une situation banale (un homme parle, une femme écoute) en faisant apparaitre grâce à l’hyperréalisme de la séquence, l’absurdité de la logorrhée que le silence d’Anna rend insensée. Encore faut-il être prêt à modifier sa perception, c’est-à-dire à se remettre en question et c’est cela que nous attendons des hommes, non pas qu’ils disent : cette séquence est caricaturale et ridicule, mais qu’ils aient la curiosité et l’ouverture de se demander ce qu’une femme a ainsi exprimé.
Jusqu’à présent les hommes ont parlé à notre place. Il est temps qu’ils nous laissent parler et qu’ils nous écoutent. Mais la parole des femmes gêne.
Les films de la réalisatrice allemande Jutter Brückner, qui rendent compte de la réalité quotidienne des femmes d’une manière tout à fait nouvelle et à partir d’un vécu de femme, choquent et ne sont guère achetés par le circuit commercial.
Changer les hommes
Je n’ai pas dit ce qu’est la sexualité féminine, je ne le sais pas encore. Je sais seulement qu’il faut changer les conditions de vie, les mentalités et que si, nous, nous changeons comme nous sommes en train de le faire, avec une certaine angoisse car rien n’a vraiment encore remplacé ce que nous dénonçons, il faudra bien que les hommes, qui eux aussi commencent à perdre leurs points de repère, changent à leur tour.
Les hommes savent qu’ils sont en train de perdre leur pouvoir sur les femmes, ça les angoisse et ils se sentent menacés dès que nous remettons en question une quelconque forme de domination. S’ils comprennent qu’en perdant ce pouvoir, ils seront délivrés des contraintes qui étouffent leur sexualité et qu’ils ont tout à gagner à laisser le « féminin » s’exprimer chez eux, alors de nouvelles relations fondées sur le respect au lieu de la domination pourront naitre et nous pourrons prendre des risques, nous laisser aller à la violence de nos émotions, être généreuses sans avoir peur de nous faire avoir, car nous avons été piégées à ce jeu pendant des siècles.
Voilà pourquoi je crois que toutes les luttes pour que les femmes acquièrent un autre statut dans la société, dans le monde professionnel et dans la famille, et aussi toutes les productions des femmes qui contribuent à donner une image dans laquelle nous nous retrouvons, tout cela va dans le sens d’une véritable libération sexuelle des femmes. Tant il est vrai qu’on ne se libère pas d’une structure de pouvoir, où en plus on est prise dans des relations sentimentales (on lutte contre ce qu’on aime), sans avoir un minimum de pouvoir sur son corps, sur sa vie.
Publié dans le n° 12, décembre 1982.